Un policier marseillais qui emmène régulièrement son gamin aux matches de l'OM, dans un virage du Stade-Vélodrome, le confesse : "Quand je vois un père et son fils partager un joint à côté de moi, ça me fait drôle." D'autant que son métier est... de traquer les trafiquants. Cette "fumette" bon enfant est pourtant l'aboutissement d'un très long chemin, plein de risques, de négociations cachées, de traques réussies ou ratées, de ruptures de charges risquées. Le cannabis, d'où l'on tire le haschisch, ne pousse pas à grande échelle en France, pas plus dans les cités que chez les "bobos". Il vient du Maroc qui fournit, selon le rapport 2005 de l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime, 31 % de la production mondiale et 80 % des 3 000 tonnes fumées chaque année en Europe. L'ONU évalue le marché marocain du cannabis à 10,8 milliards d'euros en 2004 (12,3 milliards en 2003). Entre l'achat initial et la revente au détail, le kilo de résine passe de 300 ou 400 euros à 1 500 ou 2 000 euros.
Tout commence dans le Rif, la montagne marocaine qui borde la Méditerranée. L'hiver y est rude et enneigé, et la culture du cannabis une tradition. Elle y a pris une extension dévorante avec l'explosion de la demande européenne, dans les années 1970. Dans les deux plus hautes vallées de Chefchaouen et de Ketama, elle a pris l'allure d'une quasi-monoculture. Dans certains villages, on trouve une succession de "garages-ateliers" : taxis Mercedes, 4 × 4 et camions y sont "blindés", c'est-à-dire équipés de caches pour mener la marchandise vers les villes ou les côtes.
Dans ces vallées arides où se succèdent des douars misérables, les terrasses où pousse la plante verte se juchent sur le moindre replat. Les tuyaux d'irrigation forment un réseau efficace et, hormis quelques potagers et amandiers, on ne voit rien d'autre. Les paysans les plus pauvres n'ont qu'un lopin. Eux n'extraient pas la résine. Ils vendent leur maigre production de plantes à plus riches qu'eux. Les autres (environ 65 % des paysans) ont abandonné cet âge artisanal.
Ils emploient une main-d'oeuvre souvent venue d'autres régions et transforment la résine en plaquettes compressées de haschisch, sur des presses manuelles installées dans des abris où travaillent quelques ouvriers. Ces paysans-entrepreneurs vendent directement et proposent souvent eux-mêmes un transport vers l'Europe. Quitte à passer par ceux que policiers et sociologues qualifient de "barons", installés dans les villes côtières : Tanger, Tetouan, Nador ou Casablanca. En 2003, 3 070 tonnes de haschisch sont sorties des provinces du Nord ; 2 760 tonnes en 2004.
Le politologue marocain Mohammed Tozy, qui a travaillé pour le rapport de l'ONU, répartit les 120 000 à 130 000 hectares de culture du cannabis dans le Rif en trois zones, qui se différencient par le degré plus ou moins grand de tolérance des autorités. La première est celle des hautes vallées, où le kif est cultivé depuis le XVIe siècle. La culture y est tolérée, cette tolérance donnant lieu à des négociations permanentes avec les autorités. Il peut arriver qu'une campagne, plus ou moins imposée par la Commission européenne, ou un changement de commissaire local fassent tomber les protections ou... rouvrent des négociations sur les tarifs. Les paysans vivent sous la sanction d'amendes dont le versement n'est ensuite pas exigé... jusqu'à ce qu'il le soit. A ce moment-là, ils risquent la prison. L'orage passé, les choses redeviennent comme avant.
Deuxième zone de production : les hauteurs du Rif, l'Ouest en particulier, et les piémonts. Ici, le cannabis est roi. Les autorités jouent de la pression permanente : pas de tolérance officielle, pas non plus d'éradication. L'idée du pouvoir, explique M. Tozy, est de mieux équiper ces zones, de les urbaniser "pour rendre les choses plus transparentes et inventer d'autres ressources" : olives, amandes, tourisme.
Troisième zone : la plaine côtière qui court jusqu'à la ville atlantique de Larache. Là, la politique officielle est l'éradication. En juin 2005, 80 % de la production y auraient été détruits au lance-flammes. Cette éradication explique aussi la baisse de la production globale entre 2003 et 2004. Première raison de cette politique : le capital nécessaire à des implantations récentes provient de "barons" de Tanger ou d'ailleurs. Ces redoutables hommes d'affaires peuvent importer armes et cocaïne et sont incontrôlables, ce qui est intolérable pour la monarchie. Par ailleurs, plusieurs des auteurs des attentats islamistes de Madrid (11 mars 2004) étaient originaires de Larache. Cela a permis de découvrir des liens entre intégrisme et trafic : le Palais ne veut pas de cela.
Quelle que soit la zone d'où vient le haschisch, il faut l'exporter. Les voies de sortie sont aussi nombreuses qu'ingénieuses. Moyen sûr, et probablement principal : les conteneurs sur les navires de commerce. Tanger, et surtout Casablanca, sont les meilleures portes. Le plus aisé est de travailler avec des gens ayant des activités d'import-export officielles.
Mais les paquets de plaquettes peuvent sortir sur tout engin flottant. Très répandu : le canot pneumatique à quatre moteurs, qui part nuitamment d'un rivage atlantique ou méditerranéen vers le littoral espagnol. Un connaisseur raconte que, blessé par une balle en caoutchouc tirée d'un hélicoptère espagnol, le pilote d'un canot parti de Tétouan et transportant 4 tonnes de haschisch a pu regagner les eaux internationales avant de connaître une fuite d'huile. De Nador, un autre bateau a appareillé d'urgence et a pu sauver les hommes... et la marchandise.
Autre modalité : le voilier. Les douaniers français en ont récemment saisi deux, à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Policiers et trafiquants évoquent encore des navires de croisière russes, des avions de ligne, des bus réguliers ou des cars de touristes. D'autres, dans le Nord marocain, se vantent de connaître des "barons colombiens". C'est dire que les voies de sortie du cannabis marocain, dont certaines descendent vers l'Afrique noire, sont multiples et quasi incontrôlables. L'essentiel du trafic, de l'aveu des policiers, douaniers et vendeurs, passe par l'Espagne, où s'opère la plupart des ruptures de charge.
la suite :http://www.lemonde.fr/web/article/0,...29@45-1,0.html
Tout commence dans le Rif, la montagne marocaine qui borde la Méditerranée. L'hiver y est rude et enneigé, et la culture du cannabis une tradition. Elle y a pris une extension dévorante avec l'explosion de la demande européenne, dans les années 1970. Dans les deux plus hautes vallées de Chefchaouen et de Ketama, elle a pris l'allure d'une quasi-monoculture. Dans certains villages, on trouve une succession de "garages-ateliers" : taxis Mercedes, 4 × 4 et camions y sont "blindés", c'est-à-dire équipés de caches pour mener la marchandise vers les villes ou les côtes.
Dans ces vallées arides où se succèdent des douars misérables, les terrasses où pousse la plante verte se juchent sur le moindre replat. Les tuyaux d'irrigation forment un réseau efficace et, hormis quelques potagers et amandiers, on ne voit rien d'autre. Les paysans les plus pauvres n'ont qu'un lopin. Eux n'extraient pas la résine. Ils vendent leur maigre production de plantes à plus riches qu'eux. Les autres (environ 65 % des paysans) ont abandonné cet âge artisanal.
Ils emploient une main-d'oeuvre souvent venue d'autres régions et transforment la résine en plaquettes compressées de haschisch, sur des presses manuelles installées dans des abris où travaillent quelques ouvriers. Ces paysans-entrepreneurs vendent directement et proposent souvent eux-mêmes un transport vers l'Europe. Quitte à passer par ceux que policiers et sociologues qualifient de "barons", installés dans les villes côtières : Tanger, Tetouan, Nador ou Casablanca. En 2003, 3 070 tonnes de haschisch sont sorties des provinces du Nord ; 2 760 tonnes en 2004.
Le politologue marocain Mohammed Tozy, qui a travaillé pour le rapport de l'ONU, répartit les 120 000 à 130 000 hectares de culture du cannabis dans le Rif en trois zones, qui se différencient par le degré plus ou moins grand de tolérance des autorités. La première est celle des hautes vallées, où le kif est cultivé depuis le XVIe siècle. La culture y est tolérée, cette tolérance donnant lieu à des négociations permanentes avec les autorités. Il peut arriver qu'une campagne, plus ou moins imposée par la Commission européenne, ou un changement de commissaire local fassent tomber les protections ou... rouvrent des négociations sur les tarifs. Les paysans vivent sous la sanction d'amendes dont le versement n'est ensuite pas exigé... jusqu'à ce qu'il le soit. A ce moment-là, ils risquent la prison. L'orage passé, les choses redeviennent comme avant.
Deuxième zone de production : les hauteurs du Rif, l'Ouest en particulier, et les piémonts. Ici, le cannabis est roi. Les autorités jouent de la pression permanente : pas de tolérance officielle, pas non plus d'éradication. L'idée du pouvoir, explique M. Tozy, est de mieux équiper ces zones, de les urbaniser "pour rendre les choses plus transparentes et inventer d'autres ressources" : olives, amandes, tourisme.
Troisième zone : la plaine côtière qui court jusqu'à la ville atlantique de Larache. Là, la politique officielle est l'éradication. En juin 2005, 80 % de la production y auraient été détruits au lance-flammes. Cette éradication explique aussi la baisse de la production globale entre 2003 et 2004. Première raison de cette politique : le capital nécessaire à des implantations récentes provient de "barons" de Tanger ou d'ailleurs. Ces redoutables hommes d'affaires peuvent importer armes et cocaïne et sont incontrôlables, ce qui est intolérable pour la monarchie. Par ailleurs, plusieurs des auteurs des attentats islamistes de Madrid (11 mars 2004) étaient originaires de Larache. Cela a permis de découvrir des liens entre intégrisme et trafic : le Palais ne veut pas de cela.
Quelle que soit la zone d'où vient le haschisch, il faut l'exporter. Les voies de sortie sont aussi nombreuses qu'ingénieuses. Moyen sûr, et probablement principal : les conteneurs sur les navires de commerce. Tanger, et surtout Casablanca, sont les meilleures portes. Le plus aisé est de travailler avec des gens ayant des activités d'import-export officielles.
Mais les paquets de plaquettes peuvent sortir sur tout engin flottant. Très répandu : le canot pneumatique à quatre moteurs, qui part nuitamment d'un rivage atlantique ou méditerranéen vers le littoral espagnol. Un connaisseur raconte que, blessé par une balle en caoutchouc tirée d'un hélicoptère espagnol, le pilote d'un canot parti de Tétouan et transportant 4 tonnes de haschisch a pu regagner les eaux internationales avant de connaître une fuite d'huile. De Nador, un autre bateau a appareillé d'urgence et a pu sauver les hommes... et la marchandise.
Autre modalité : le voilier. Les douaniers français en ont récemment saisi deux, à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Policiers et trafiquants évoquent encore des navires de croisière russes, des avions de ligne, des bus réguliers ou des cars de touristes. D'autres, dans le Nord marocain, se vantent de connaître des "barons colombiens". C'est dire que les voies de sortie du cannabis marocain, dont certaines descendent vers l'Afrique noire, sont multiples et quasi incontrôlables. L'essentiel du trafic, de l'aveu des policiers, douaniers et vendeurs, passe par l'Espagne, où s'opère la plupart des ruptures de charge.
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