La Kabylie n’a guère vécu ce genre de léthargie qui semble peser sur elle depuis quelque temps. En effet, la région, qui a toujours été à la pointe du combat pour la démocratie et les libertés et qui, un temps, a connu une tempête des plus difficiles, a retrouvé le calme et la sérénité, mais les problèmes ont-ils été pour autant réglés? «That is the question !»
Aujourd’hui que la colère semble avoir baissé et de beaucoup, suite à la situation ayant entraîné une partie de la population et notamment les jeunes à sortir dans la rue et à déclencher des événements difficiles et même sanglants. Les choses ont certes «bougé» quelque peu, mais il reste l’essentiel, et l’essentiel c’est justement le chômage des jeunes gens.
Si, ailleurs, l’agriculture et certaines entreprises de travaux publics arrivent à employer quelques bras, en Kabylie, c’est pratiquement le désert avec des secteurs économiques devenus des plus arides. Les entreprises de travaux publics et les sociétés employant beaucoup de main-d’oeuvre ayant, dès le déclenchement des événements dits du Printemps noir, choisi d’autres cieux plus cléments. Aujourd’hui, dans les villages, les mêmes jeunes gens qui se plaignaient aussi bien du chômage que de la malvie et du manque total des loisirs, recensent les mêmes causes ayant produit les mêmes effets.
Ils sont là à attendre une improbable opportunité et à espérer plutôt un emploi qui est une sorte de loterie. Rencontré à Takheribt, un hameau de Maâtkas, Ahmed est un jeune diplômé de l’enseignement supérieur. Une licence de psychologie en poche et beaucoup d’amertume, le voici comme il dit «tenir les murs du matin au soir». «De la djemaâ à la maison et de la maison à la djemaâ. Aller en ville, et pour quoi faire et avec quel argent?» dira-t-il. Un autre plus âgé, mais allégé des diplômes fait-il remarquer, car selon lui, «et qu’ont réussi à faire ces diplômés?» donc celui que le groupe appelle Seddik explique qu’avec sa table de revendeur de tabac il gagne chichement peut-être mais honnêtement sa vie. Il plaint Ahmed «qui n’est pas en mesure de se débarrasser de son complexe de cultivé et qui de ce fait rate le train. Il est temps de ramasser l’argent qui permettra de quitter ce pays», dira Seddik.
On laisse ce groupe à ses rêves et à ses peines et on va visiter un autre village: Bouhoukal dans la commune voisine de Boumahni. Là, nous trouvons des jeunes à Tajmaât. Ils étaient en train de discuter de tout et de rien, on les approche et on se mêle aux conversations. Tout y passe la dureté des temps, la cherté de la vie, et bien sûr le chômage. Le plus âgé du groupe de jeunes, Boussad prend la parole pour expliquer que «la situation est de plus en plus compliquée pour les jeunes. Que voulez-vous que l’on fasse ici? A moins de s’expatrier comme le faisaient nos parents il n’y a ni agriculture, ni artisanat et encore moins d’industrie par ici. Le matin on se lève pour venir à la Djemaâ et dans le meilleur des cas aller à Boghni et on rentre le soir avec cette désagréable impression d’avoir vécu cette journée inutilement». Lakhdar, quant à lui, dira: «Il ne reste que l’émigration et encore, même celle-ci est carrément impossible avec un visa des plus difficiles à obtenir, en fait, aujourd’hui le jeune algérien est mal vu partout. La poisse, je vous le dis, nous colle à la peau!» Un vieux bonhomme qui a traîné comme il le dit «ses savates sur les chantiers d’Europe», intervient pour expliquer aux jeunes: «Vous ne savez pas combien l’émigration est dure. Vous croyez que là-bas les choses sont roses et vous vous trompez!» Ensuite, il donne un aperçu de la difficile vie dans l’émigration: papiers difficiles à obtenir, travail au noir et donc carrément exploitation de la force de travail, peur des contrôles policiers, problème de l’hébergement etc. Et le vieux de conclure: «Attention, là-bas vous ne devrez compter que sur vous-mêmes. Ce n’est pas l’Algérie!» Les jeunes le regardent et incrédules lui répliquent: «Oui peut-être, mais là-bas au moins on aura un travail!»
Les filières du visa
Partir, aller loin en espérant pouvoir faire sa vie ailleurs. Partir avec, dans les yeux, plein de mirages, c’est, semble-t-il le destin des jeunes. Hier c’était uniquement les garçons qui cherchaient à partir se requinquer quelque peu et ainsi aider «les vieux restés au pays». Aujourd’hui même les jeunes filles ne pensent plus qu’à cela. En effet elles sont de plus en plus nombreuses celles-là qui ne voient d’alternative à leurs «problèmes» que partir, si possible, en France, question langue, proximité et aussi réconfort par la présence nombreuse des gens du pays. D’autres ont exploré d’autres voies tel le Canada. Cependant, pour aller vers ce pays, il faut bien de l’argent ne serait-ce que pour payer ces cabinets d’avocats- conseils qui sont censés vous préparer une immigration sans problème! Les prix demandés sont des plus exorbitants pour de jeunes gens. Aussi, rares sont ceux qui peuvent débourser les trente millions de centimes demandés. Aussi la France, malgré les difficultés de plus en plus inextricables, reste le pays le plus prisé. Le visa est de moins en moins accordé mais il semble que des filières sont en place pour ramener un visa en bonne et due forme contre paiement d’un pot-de-vin pouvant aller, selon certains, jusqu’à 20 millions de centimes. Quand ce «recours» n’est pas possible alors d’autres vous proposent de vous emmener jusqu’en Egypte et de là, vous rejoignez, avec des passeurs, Johannesburg et ensuite une longue traversée vers l’Europe et la France. Cette voie expérimentée par plusieurs, dit-on, est des plus difficiles. Avec, à la clé, les dangers qui pèsent sur les «victimes» qui auront alors à traverser les zones connaissant des turbulences! Lounès, lui, a essayé toutes les filières sauf, précise-t-il, celle de Johannesburg. Aussi et après avoir essayé la procédure normale, c’est-à-dire le dépôt d’une demande de visa au consulat français à Alger et essuyé maints refus, il s’est rapproché des gens qui lui ont promis de lui ramener ce fameux sésame. «Ils ont demandé trente millions de centimes et ce sera, m’ont-ils précisé, à mes risques et périls!» Un autre jeune qui a tenu à garder l’anonymat car, dira-t-il, «je veux essayer une autre fois encore!» parle des harraga. «On paie un marin, on se fait petit et au bout de deux jours on est à Marseille!» Pour lui les histoires de marins jetant à la mer des jeunes gens sont une invention de journalistes.
Les élus face aux problèmes
Les élus locaux, approchés, désespèrent face au problème car, pour eux, la solution réside dans la venue d’investisseurs dans la wilaya ou encore d’un effort considérable des pouvoirs publics. A leur niveau, les élus disent ne pas avoir les moyens colossaux que demandent des projets pouvant répondre à l’attente de la région. Ainsi, M.Aïssat Rabah, le président de l’APW, n’hésite pas à parler d’un programme spécial pour la wilaya qui a tant souffert et qui accuse tant de retard.
Les autres élus partagent son point de vue et certains d’ajouter que les communes sont à même de s’occuper d’une piste ou d’organiser la collecte des déchets ménagers et c’est beaucoup. Car selon eux, rares, les communes de Kabylie qui sont en mesure de faire quelque chose.
Les citoyens savent que seul le bâtiment est en mesure d’absorber les innombrables bras restés depuis belle lurette inexploités. Mais le problème du foncier allié à l’absence d’entreprises de réalisation, pour ne parler que de cela, semble freiner les énergies. La Kabylie attend donc que l’on veuille bien se pencher sur ses problèmes.
Les pouvoirs publics semblent s’être «secoués» et donnent cette impression d’avoir saisi le message et les appels au secours de ces jeunes gens qui, sans être violents, peuvent et, ils l’ont hélas démontré, céder à la...colère. Il y a comme une urgence et l’administration serait bien inspirée de saisir cette opportunité pour réfléchir vite et bien et trouver une solution durable à ce problème. La Kabylie vaut bien une messe.
Par L'expression
Aujourd’hui que la colère semble avoir baissé et de beaucoup, suite à la situation ayant entraîné une partie de la population et notamment les jeunes à sortir dans la rue et à déclencher des événements difficiles et même sanglants. Les choses ont certes «bougé» quelque peu, mais il reste l’essentiel, et l’essentiel c’est justement le chômage des jeunes gens.
Si, ailleurs, l’agriculture et certaines entreprises de travaux publics arrivent à employer quelques bras, en Kabylie, c’est pratiquement le désert avec des secteurs économiques devenus des plus arides. Les entreprises de travaux publics et les sociétés employant beaucoup de main-d’oeuvre ayant, dès le déclenchement des événements dits du Printemps noir, choisi d’autres cieux plus cléments. Aujourd’hui, dans les villages, les mêmes jeunes gens qui se plaignaient aussi bien du chômage que de la malvie et du manque total des loisirs, recensent les mêmes causes ayant produit les mêmes effets.
Ils sont là à attendre une improbable opportunité et à espérer plutôt un emploi qui est une sorte de loterie. Rencontré à Takheribt, un hameau de Maâtkas, Ahmed est un jeune diplômé de l’enseignement supérieur. Une licence de psychologie en poche et beaucoup d’amertume, le voici comme il dit «tenir les murs du matin au soir». «De la djemaâ à la maison et de la maison à la djemaâ. Aller en ville, et pour quoi faire et avec quel argent?» dira-t-il. Un autre plus âgé, mais allégé des diplômes fait-il remarquer, car selon lui, «et qu’ont réussi à faire ces diplômés?» donc celui que le groupe appelle Seddik explique qu’avec sa table de revendeur de tabac il gagne chichement peut-être mais honnêtement sa vie. Il plaint Ahmed «qui n’est pas en mesure de se débarrasser de son complexe de cultivé et qui de ce fait rate le train. Il est temps de ramasser l’argent qui permettra de quitter ce pays», dira Seddik.
On laisse ce groupe à ses rêves et à ses peines et on va visiter un autre village: Bouhoukal dans la commune voisine de Boumahni. Là, nous trouvons des jeunes à Tajmaât. Ils étaient en train de discuter de tout et de rien, on les approche et on se mêle aux conversations. Tout y passe la dureté des temps, la cherté de la vie, et bien sûr le chômage. Le plus âgé du groupe de jeunes, Boussad prend la parole pour expliquer que «la situation est de plus en plus compliquée pour les jeunes. Que voulez-vous que l’on fasse ici? A moins de s’expatrier comme le faisaient nos parents il n’y a ni agriculture, ni artisanat et encore moins d’industrie par ici. Le matin on se lève pour venir à la Djemaâ et dans le meilleur des cas aller à Boghni et on rentre le soir avec cette désagréable impression d’avoir vécu cette journée inutilement». Lakhdar, quant à lui, dira: «Il ne reste que l’émigration et encore, même celle-ci est carrément impossible avec un visa des plus difficiles à obtenir, en fait, aujourd’hui le jeune algérien est mal vu partout. La poisse, je vous le dis, nous colle à la peau!» Un vieux bonhomme qui a traîné comme il le dit «ses savates sur les chantiers d’Europe», intervient pour expliquer aux jeunes: «Vous ne savez pas combien l’émigration est dure. Vous croyez que là-bas les choses sont roses et vous vous trompez!» Ensuite, il donne un aperçu de la difficile vie dans l’émigration: papiers difficiles à obtenir, travail au noir et donc carrément exploitation de la force de travail, peur des contrôles policiers, problème de l’hébergement etc. Et le vieux de conclure: «Attention, là-bas vous ne devrez compter que sur vous-mêmes. Ce n’est pas l’Algérie!» Les jeunes le regardent et incrédules lui répliquent: «Oui peut-être, mais là-bas au moins on aura un travail!»
Les filières du visa
Partir, aller loin en espérant pouvoir faire sa vie ailleurs. Partir avec, dans les yeux, plein de mirages, c’est, semble-t-il le destin des jeunes. Hier c’était uniquement les garçons qui cherchaient à partir se requinquer quelque peu et ainsi aider «les vieux restés au pays». Aujourd’hui même les jeunes filles ne pensent plus qu’à cela. En effet elles sont de plus en plus nombreuses celles-là qui ne voient d’alternative à leurs «problèmes» que partir, si possible, en France, question langue, proximité et aussi réconfort par la présence nombreuse des gens du pays. D’autres ont exploré d’autres voies tel le Canada. Cependant, pour aller vers ce pays, il faut bien de l’argent ne serait-ce que pour payer ces cabinets d’avocats- conseils qui sont censés vous préparer une immigration sans problème! Les prix demandés sont des plus exorbitants pour de jeunes gens. Aussi, rares sont ceux qui peuvent débourser les trente millions de centimes demandés. Aussi la France, malgré les difficultés de plus en plus inextricables, reste le pays le plus prisé. Le visa est de moins en moins accordé mais il semble que des filières sont en place pour ramener un visa en bonne et due forme contre paiement d’un pot-de-vin pouvant aller, selon certains, jusqu’à 20 millions de centimes. Quand ce «recours» n’est pas possible alors d’autres vous proposent de vous emmener jusqu’en Egypte et de là, vous rejoignez, avec des passeurs, Johannesburg et ensuite une longue traversée vers l’Europe et la France. Cette voie expérimentée par plusieurs, dit-on, est des plus difficiles. Avec, à la clé, les dangers qui pèsent sur les «victimes» qui auront alors à traverser les zones connaissant des turbulences! Lounès, lui, a essayé toutes les filières sauf, précise-t-il, celle de Johannesburg. Aussi et après avoir essayé la procédure normale, c’est-à-dire le dépôt d’une demande de visa au consulat français à Alger et essuyé maints refus, il s’est rapproché des gens qui lui ont promis de lui ramener ce fameux sésame. «Ils ont demandé trente millions de centimes et ce sera, m’ont-ils précisé, à mes risques et périls!» Un autre jeune qui a tenu à garder l’anonymat car, dira-t-il, «je veux essayer une autre fois encore!» parle des harraga. «On paie un marin, on se fait petit et au bout de deux jours on est à Marseille!» Pour lui les histoires de marins jetant à la mer des jeunes gens sont une invention de journalistes.
Les élus face aux problèmes
Les élus locaux, approchés, désespèrent face au problème car, pour eux, la solution réside dans la venue d’investisseurs dans la wilaya ou encore d’un effort considérable des pouvoirs publics. A leur niveau, les élus disent ne pas avoir les moyens colossaux que demandent des projets pouvant répondre à l’attente de la région. Ainsi, M.Aïssat Rabah, le président de l’APW, n’hésite pas à parler d’un programme spécial pour la wilaya qui a tant souffert et qui accuse tant de retard.
Les autres élus partagent son point de vue et certains d’ajouter que les communes sont à même de s’occuper d’une piste ou d’organiser la collecte des déchets ménagers et c’est beaucoup. Car selon eux, rares, les communes de Kabylie qui sont en mesure de faire quelque chose.
Les citoyens savent que seul le bâtiment est en mesure d’absorber les innombrables bras restés depuis belle lurette inexploités. Mais le problème du foncier allié à l’absence d’entreprises de réalisation, pour ne parler que de cela, semble freiner les énergies. La Kabylie attend donc que l’on veuille bien se pencher sur ses problèmes.
Les pouvoirs publics semblent s’être «secoués» et donnent cette impression d’avoir saisi le message et les appels au secours de ces jeunes gens qui, sans être violents, peuvent et, ils l’ont hélas démontré, céder à la...colère. Il y a comme une urgence et l’administration serait bien inspirée de saisir cette opportunité pour réfléchir vite et bien et trouver une solution durable à ce problème. La Kabylie vaut bien une messe.
Par L'expression
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