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Les étudiants algériens musulmans de formation française à Alger, en France et dans le monde,1880-62

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  • Les étudiants algériens musulmans de formation française à Alger, en France et dans le monde,1880-62

    L’histoire des étudiants algériens musulmans de formation française est très paradoxale. A priori, il s’agissait d’une élite intellectuelle, ayant la capacité de jouer le rôle de classe dirigeante de la société musulmane algérienne et de parler en son nom. Mais son appartenance à une société dominée par la colonisation française rendait problématique son accession au rôle de vraie classe dirigeante, accaparé par l’élite de la colonie française. Issue de catégories relativement privilégiées de la société “indigène” qui avaient accepté de collaborer avec le pouvoir colonial, ils n’appartenaient pas nécessairement aux couches les plus favorisées de cette société.

    Au contraire, si nous devons croire Ferhat Abbas, ils se présentaient volontiers comme des « fils de pauvres paysans » et des exemples de promotion par le travail, « de pauvres gens issus de rien on ne sait comment ». Mais cette idée quelque peu étonnante est à relativiser. On peut admettre que la conquête coloniale a provoqué une certaine redistribution des rôles entre les anciennes familles dirigeantes qui avaient refusé toute collaboration avec les vainqueurs et d’autres familles, à l’origine moins favorisées, mais l’idée d’une promotion généralisée des plus pauvres à la place des plus riches ne peut pas être acceptée sans examen ; et un lecteur de ma thèse sur les étudiants algériens [1], apparemment bien informé, estime au contraire que la plupart de leurs familles n’étaient pas issues de rien [2].

    Mais cette opinion paradoxale, exprimée notamment par Ferhat Abbas, était une réaction contre un mythe inverse, celui d’une « fausse élite » ayant trahi son peuple. Mythe popularisé par le leader populiste Messali Hadj, suivant lequel la « trahison » du peuple algérien par cette « fausse élite » égoïste avait abouti à la création d’un vrai mouvement national par de vrais « fils du peuple », contrairement aux mouvements nationaux tunisien et marocain qui étaient bien issus des classes dirigeantes de leur pays. Pourtant cette interprétation populiste et anti-élitiste de la formation du mouvement national algérien était elle aussi critiquable. En effet, le mouvement national prolétarien fondé en 1926 par les communistes sous le nom d’Etoile nord-africaine, et orienté vers un nationalisme musulman par Messali Hadj, n’était pas non plus l’expression du « peuple » algérien en grande majorité misérable et illettré : Messali Hadj savait très bien lire et écrire en français, et il n’était pas seul dans son cas. Ces militants prolétariens cherchant leur subsistance en France n’en avaient pas moins un niveau d’instruction (en français ou en arabe) très supérieur à la moyenne de leur peuple illettré, avec lequel on ne pouvait les confondre [3].

    En réalité, on peut interpréter le phénomène dénoncé par Messali Hadj comme une lutte entre plusieurs couches sociales inégalement favorisées pour représenter leur peuple et pour parler en son nom. Au lieu d’une seule élite de la société algérienne musulmane, nous pouvons donc en distinguer trois : - l’élite francophone ayant eu accès à l’enseignement secondaire et supérieur français en Algérie ou même en France ; - l’élite arabophone, formée dans des universités arabo-musulmanes traditionnelles en Tunisie (Zitouna de Tunis), au Maroc (Qarawiyine de Fez), en Egypte (Al Azhar du Caire) et dans tout l’Orient arabe, regroupée à partir de 1931 dans l’Association des Oulémas musulmans algériens par le cheikh Ben Badis ; et enfin l’élite ou « avant-garde » prolétarienne, ayant le plus souvent une formation primaire en français ou en arabe, et regroupée dans l’Etoile nord-africaine par Messali Hadj et ses camarades. On observe un ralliement progressif, accéléré à partir de 1936, des nouvelles générations de l’élite francophone et de l’élite arabophone à l’élite populaire. A tel point qu’à partir de 1939, Messali Hadj étant emprisonné ou interné pour toute la durée de la Deuxième guerre mondiale, sa succession fut assumée à la tête du Parti du peuple algérien (PPA) clandestin par l’étudiant puis docteur en médecine Lamine Debaghine. Le nationalisme algérien a donc assez vite commencé à perdre sa particularité sociale « prolétarienne » (que Messali a néanmoins persisté à valoriser) et à se rapprocher de la composition plus élitiste des mouvements nationaux tunisien et marocain [4]. En réalité, le nationalisme algérien ne fait pas totalement exception au schéma général des mouvements nationaux élaborés par des élites dirigeantes, qui a été élaboré à partir des exemples des nations d’Europe centrale. Comme l’a démontré l’anthropologue Ernest Gellner, dans son livre Nations et nationalismes, « c’est le nationalisme qui crée les nations et non pas le contraire ». Et son idéologie inverse la réalité : « elle prétend défendre la culture populaire alors qu’en fait elle forge une haute culture ; elle prétend protéger une société populaire ancienne alors qu’elle contribue à construire une société de masse anonyme » [5]. Le nationalisme algérien ne fait donc pas vraiment exception.

    A Suivre

  • #2
    Suite -1-

    L’histoire du mouvement étudiant musulman algérien et de son ralliement progressif au nationalisme algérien peut se résumer en cinq périodes.

    1 - De 1880 (environ) à 1918 : l’apparition des étudiants musulmans de formation française

    A partir de quand les premiers étudiants musulmans algériens de formation française sont-ils apparus ? Il est difficile de fixer une date initiale. Rappelons d’abord l’absence presque totale de contacts intellectuels entre le monde musulman et l’Europe jusqu’au début du XIXème siècle, mise en évidence par l’historien du monde musulman Bernard Lewis [6]. De 1830 au début des années 1850, la violence de la conquête a fait dépérir les institutions culturelles de l’Algérie musulmane, et entravé de véritables échanges intellectuels entre les conquis et les conquérants. Mais à partir de 1850, les autorités françaises ont ressenti le besoin de former des intermédiaires entre les deux sociétés. D’abord les élèves des trois médersas officielles créées en 1850 à Alger, Constantine et Tlemcen pour former, en arabe et en français, le personnel des mosquées, celui de la justice musulmane et celui des écoles arabes. Puis les élèves indigènes de l’Ecole normale d’instituteurs fondée en 1865 à la Bouzaréa près d’Alger. Et enfin les élèves (fils de chefs indigènes, ou de fonctionnaires formés dans les deux sortes d’établissements cités) qui étaient admis dans les mêmes lycées que les élèves français, pour y recevoir le même enseignement que les héritiers des classes les plus favorisées de la société française. C’est ainsi que, avant la fin du Second Empire, quelques élèves musulmans algériens ont été admis dans les écoles militaires de Saint Cyr et de Saumur, à l’école vétérinaire de Maisons Alfort, puis dans les facultés de Montpellier et de Paris. En 1879, la fondation des quatre écoles supérieures d’Alger, puis leur transformation en facultés de la nouvelle Université d’Alger créée en 1909, aidèrent à y attirer la majorité des étudiants musulmans algériens, qui restaient encore très minoritaires dans ces nouveaux établissements. D’autant plus que l’accès des élèves musulmans dans l’enseignement secondaire français d’Algérie avait commencé par régresser très fortement dans les vingt premières années de la Troisième République avant de se redresser et de progresser fortement entre 1900 et 1914. A cette date, l’Académie d’Alger n’avait couronné que 67 bacheliers musulmans depuis 1880, dont seulement 29 avant 1910. L’élite intellectuelle indigène, qui avait fait l’objet d’un premier livre intitulé Les Musulmans français dans le Nord de l’Afrique écrit par l’un d’eux, l’interprète militaire Ismaël Hamet, en 1908, pouvait compter 25 médecins, avocats, professeurs ou officiers en 1910.

    Dans ces conditions d’extrême rareté jusqu’à une date tardive, la recherche du premier étudiant musulman algérien de formation française n’a qu’un intérêt limité, mais non négligeable. Jules Ferry avait été vivement frappé de rencontrer en 1891 à Constantine un conseiller municipal indigène en redingote et haut-de-forme, le docteur Morsli (né en 1856 et installé depuis 1885) [7]. Mais l’historien Xavier Yacono a signalé, dans son livre Un siècle de franc-maçonnerie algérienne, la présence dans une loge maçonnique de Paris, en mai 1881, d’un conférencier indigène nommé Ahmed ben Kaddour, bachelier ès lettres et ès sciences et licencié en droit [8]... En tout cas, c’est dans ce milieu encore très limité qu’a commencé à se former, dans les années 1908 à 1912, un mouvement politique revendicatif appelé les « Jeunes Algériens ».

    2- De 1919 à 1939 : l’apparition du premier mouvement étudiant, lieu de formation de l’élite politique jeune-algérienne

    C’est en 1919 que fut fondée à Alger la première association étudiante indigène, appelée Amicale des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord (AEMAN). Contrairement aux associations générales (AG) d’étudiants français, regroupées dans l’UNEF, elle appartenait à un type d’association à base religieuse, mais elle tendit de plus en plus nettement à devenir politique. L’AEMAN fut fondée à l’écart de l’Association générale des étudiants d’Alger (AGEA) parce que celle-ci excluait de son bureau les étudiants non naturalisés, donc aussi les étudiants indigènes qui n’avaient pas abandonnés le statut personnel musulman ou berbère pour demander la pleine citoyenneté française. Informé de ce problème, le président de l’AGEA en fit modifier les statuts pour établir une complète égalité entre les étudiants français à part entière et “indigènes” en 1922, et l’AEMAN s’affilia officiellement à l’AGEA en 1925. Son président Ferhat Abbas, étudiant en pharmacie qui la dirigea de 1927 à 1931, participa au congrès de l’UNEF réuni à Alger en 1930 par son président Paul Saurin (ancien président de l’AGEA), et en fut élu vice-président conjointement avec le président de l’AGEA.

    Mais en même temps, il refusa de dissoudre son amicale dans la dite AGEA, et lui donna au contraire le nom d’Association des étudiants musulmans de l’Afrique du Nord ; puis il refusa de fusionner son organe Ettelmidh (l’élève) avec celui de l’AGEA, Alger Etudiants. A partir de 1931, l’AEMAN organisa chaque année des Congrès des étudiants nord-africains (à Tunis, Alger, à Paris, mais il ne put avoir lieu au Maroc), en collaboration avec une autre association fondée à Paris en 1927, l’Association des étudiants musulmans nord-africains en France (AEMNAF). Or cette association, dont la grande majorité des membres étaient tunisiens, avait pris des positions clairement nationalistes, au point d’exclure les étudiants algériens naturalisés français ; ce qui avait provoqué en 1930 le départ de la plupart des étudiants algériens de Paris, qui avaient fondé une Association des étudiants musulmans algériens (AEMA). La participation de l’AEMAN d’Alger à l’organisation de ces congrès était donc vraisemblalement un moyen de rapprocher les deux associations estudiantines de Paris, qui finirent en effet par se réunifier en 1937 dans la même perspective anticolonialiste. La nouvelle orientation de l’AEMAN d’Alger inquiéta les autorités coloniales, et finit par provoquer la rupture avec le président de l’AGEA, qui cessa de la reconnaître en novembre 1936. Mais deux ans plus tard l’AEMAN fut de nouveau reconnue comme une composante autonome de l’AGEA. Au même moment, le durcissement de la répression contre les partis nationalistes au Maroc et en Tunisie obligea également l’AEMNAF de Paris à revenir à un prudent apolitisme. Ainsi, l’évolution des principales associations d’étudiants maghrébins vers un mouvement nettement distinct de l’UNEF par son organisation et par son idéologie fut provisoirement contrariée [9].

    A suivre...

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    • #3
      Suite -2 -

      3- De 1939 à 1945 : une période obscure qui commence à s’éclairer

      La période de la Deuxième guerre mondiale a été pendant longtemps beaucoup plus obscure, à cause de la rareté des sources de presse et des documents publiés. Les faits les mieux connus concernant la vie universitaire avaient été la politique vichyste d’exclusion des juifs, et l’attitude conformiste de l’AGEA qui avait trahi ses principes en acceptant une telle politique. Quant aux étudiants musulmans, on ne savait d’eux guère plus que quelques noms de dirigeants. Il est vrai que ces noms étaient très suggestifs : on y retouvait en effet plusieurs militants bien connus dans l’histoire de l’après-guerre, tels que Mohammed el Hadi Djemame, proche de Ferhat Abbas, président de 1940 à 1943, et Chaouki Mostefaï, vice-président en 1940-41 et président en 1944-1945, militant du PPA et futur chef de la délégation du FLN dans l’Exécutif provisoire de 1962 ; mais ausi des Marocains tels que Mehdi Ben Barka (secrétaire général en 1940-41) et Abdelkrim Khatib (vice-président en 1944-45) [10].

      Mais on en sait aujourd’hui beaucoup plus, grâce au témoignage de Chaouki Mostefaï adressé en 2004 au docteur Lamine Debaghine, pour décider celui-ci à parler de son passé de chef du PPA clandestin durant la guerre. En effet Chawki Mostefaï a raconté comment, après la défaite française de juin 1940, il avait, avec plusieurs camarades, projeté de déclencher une insurrection contre la France le 1er octobre 1940. Mais le docteur Lamine Debaghine (vice-président de l’AEMAN en 1938), contacté pour compléter l’organigramme de l’insurrection, s’était révélé comme étant le chef du PPA clandestin, et avait recommandé d’adhérer au parti pour préparer l’avenir tout en évitant toute action prématurée [11]. Cependant une partie des conspirateurs, conduite par le futur écrivain Mouloud Mammeri, avait persisté à préparer une campagne d’explosion de bombes dans des casernes, qui n’aboutit à rien [12]. Pendant ce temps en France, l’AEMNAF subsista dans des conditions de plus en plus difficiles ; son président pour 1943-44 était l’Algérien Brahim Maïza, supposé apolitique, mais en réalité membre de la direction clandestine du PPA. On voit que durant cette période les étudiants militants du parti nationaliste y avaient accédé aux postes de premier plan [13].

      4- De 1945 à 1954 : la domination ouverte des partis nationalistes

      De 1945 à 1954, le mouvement étudiant nord-africain s’émancipa entièrement du mouvement étudiant français. A Paris, le PPA-MTLD resta allié au Néo-Destour tunisien et à l’Istiqlal marocain, ce qui lui permit le plus souvent d’accaparer la direction de l’AEMNAF au détriment des autres partis algériens. A Alger, des coalitions moins stables alternèrent à la direction. Les nationalistes radicaux des AML puis du PPA-MTLD furent d’abord prépondérants, mais à partir de 1949-50 le départ de militants « berbéristes » donna la direction pour deux ans à une coalition PCA-UDMA. En 1951-1952, le MTLD revint à la présidence d’un bureau d’union avec Belaïd Abdesselam, mais l’année suivante il se passa des communistes. En 1953-1954, il céda la place à une nouvelle coalition UDMA-PCA, mais un nouveau bureau d’union de tous les partis fut élu en décembre 1954.

      Mais à ce moment, le problème majeur était la réalisation du vieux projet de formation d’une organisation nord-africaine, l’Union maghrébine des étudiants musulmans (UMEM), subdivisée en trois fédérations nationales ; projet formulé de nouveau en 1947 et en 1950. Or le congrès constitutif prévu pour se réunir à Tunis en 1952 n’eut pas lieu ; une conférence réunie en juillet 1952 à Alger en rédigea pourtant la constitution, mais resta sans suite. En effet les Tunisiens, engagés les premiers dans la lutte pour l’indépendance de leur pays, fondèrent en juillet 1953 l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET), et invitèrent leurs camarades des deux autres pays à suivre leur exemple avant de constituer une fédération nord-africaine. Cet appel entraîna d’abord la formation en décembre 1953, à l’initiative du militant communiste Ahmed Inal, d’une Union des étudiants algériens de Paris (UEAP), qui rassemblait tous les partis nationalistes mais aussi les étudiants européens ou juifs (suivant les conceptions du PCA) ; cet exemple fut suivi par la formation d’une Union des étudiants algériens de Toulouse en mars 1955. Ces deux associations voulaient être les premiers éléments d’une future Union nationale des étudiants algériens (UNEA). Mais l’ancien président de l’AEMAN, Belaïd Abdesselam, avait appelé en décembre 1953 à former une Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA) [14].

      A Suivre...

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      • #4
        Suite -3-

        5- De 1955 à 1962 : la fondation de l’UGEMA et son intégration dans le FLN-ALN

        La grande affaire de l’année 1954-1955 fut la fondation d’un mouvement étudiant algérien dans un cadre national à définir. Le 27 février 1955, l’assemblée générale de l’AEMAN d’Alger lança un pressant appel à tous les étudiants algériens pour fonder au plus vite l’UGEMA. Les partisans de l’UNEA fondèrent alors l’Union des étudiants algériens de Toulouse. Une conférence préparatoire, du 4 au 7 avril 1955, réunit à Paris des délégués de toutes les villes universitaires où il y avait des étudiants algériens. L’unanimité en faveur d’une union nationale ne se rompit que sur le critère religieux, moyen d’empêcher un noyautage par des étudiants communistes européens ou juifs. La majorité prit parti pour le “M”, tout en s’engageant à le supprimer une fois l’indépendance de l’Algérie acquise (promesse tenue en 1963, quand l’UGEMA devint l’UNEA). Faute d’unanimité, deux organisations se constituèrent simultanément à Paris en juillet 1955 : l’UGEMA fondée du 8 au 14 juillet, et l’UNEA qui disparut rapidement et tenta de se faire oublier. L’UGEMA, présidée par Ahmed Taleb Ibrahimi (fils du président de l’Association des Oulémas musulmans algériens, le cheikh Bachir el Ibrahimi) et associant tous les partis nationalistes, entendait revendiquer dans l’intérêt de ses membres en tant qu’étudiants, qu’étudiants musulmans, et que « privilégiés au sein de notre jeunesse » ; mais elle situait toutes ses revendications dans une perspective nationaliste.

        La plupart de ses dirigeants furent rapidement recrutés par les organisations clandestines du FLN. Après l’insurrection et les massacres du 20 août 1955, puis après les élections législatives du 2 janvier 1956, elle lança des appels solennels aux dirigeants français pour que cesse l’effusion de sang en Algérie. Mais la tension monta dans l’Université d’Alger (où un “Comité d’action universitaire” favorable à l’Algérie française renversa la direction plus modérée de l’AGEA par un référendum en février 1956) et dans certaines universités métropolitaines telles que Montpellier, ville du président d’honneur de l’UNEF Jean-Marc Mousseron. L’UGEMA se radicalisa en réclamant lors de son deuxième congrès (réuni du 24 au 30 mars 1956 à Paris) “la proclamation de l’indépendance de l’Algérie, la libération de tous les patriotes emprisonnés, des négociations avec le Front de Libération nationale”. Le congrès de l’UNEF, réuni à Strasbourg du 5 au 15 avril 1956, s’efforça sans grand succès de maintenir son unité entre les « majos » (apolitiques en principe, mais conservateurs et patriotes) et les « minos » (de gauche, anticolonialistes, et favorables à l’engagement politique), en promettant de soutenir les revendications corporatives de l’UGEMA sans approuver ses revendications nationalistes, et en lui demandant de condamner tout recours à la violence.

        En réaction à une grève ordonnée par l’AGEA et à une déclaration de celle-ci réclamant la résiliation automatique de tous les sursis et la formation d’un corps-franc universitaire, la section d’Alger de l’UGEMA vota le 18 mai 1956 une motion appelant à la grève générale et illimitée des cours et des examens et à l’engagement dans les rangs de l’ALN. Cet appel fut très discuté au sein de la direction centrale de l’UGEMA à Paris et des autres sections locales, seule la section de Toulouse refusa de la voter, mais l’ordre de grève fut généralisé parce qu’il venait de la direction algéroise du FLN, puis étendu à tous les élèves de l’enseignement secondaire et primaire. Cependant, l’appel à rejoindre le maquis ne fut pas officiellement repris par la direction de l’UGEMA dans sa déclaration du 25 mai.

        Cet appel fut très inégalement suivi. Si la plupart des étudiants respectèrent l’ordre de grève, la montée au maquis fut davantage le fait de lycéens que d’étudiants proprement dits. Ce fut une expérience très dure, mais bénéfique pour ceux qui y survécurent et pour l’organisation du FLN-ALN. Une méfiance durable sépara les maquisards des simples grévistes, et ces deux catégories des non-grévistes. L’ordre de grève finit par être levé par la direction du FLN, ce qui permit à la direction de l’UGEMA de voter la reprise des cours pour tous les étudiants, lycéens et écoliers algériens, à l’exception de l’Université colonialiste d’Alger, le 22 septembre 1957. Son troisième congrès, réuni à huis clos à Paris du 23 au 26 décembre 1957, exclut tous les non-grévistes. Mais l’UGEMA fut dissoute par le gouvernement français le 28 janvier 1958 en tant que couverture du FLN, ce qu’elle était en effet devenue. Les étudiants restant en France furent organisés en une “section universitaire du FLN” rattachée à la Fédération de France du FLN. La direction de l’UGEMA réfugiée à l’extérieur organisa le transfert d’un nombre croissant d’étudiants, au moyen de bourses, avec l’aide des deux grandes confédérations mondiales d’étudiants, vers les pays de l’Ouest, ceux de l’Est, et les pays arabes. Son quatrième congrès national, réuni à Tunis en juillet-août 1960, eut l’allure d’une conférence internationale. Il vota une motion remettant les étudiants à la disposition du GPRA, ce qui permit à l’état-major général de l’ALN (dirigé par le colonel Boumedienne) de recruter des volontaires pour renforcer l’encadrement de ses troupes à l’extérieur des barrages frontaliers, en Tunisie et au Maroc. En même temps, l’UGEMA renoua ses relations avec l’UNEF (rompues depuis décembre 1956) en juin 1960 sur la base de l’autodétermination de l’Algérie, plusieurs mois avant l’ouverture des négociations entre le GPRA et le gouvernement français. La participation des étudiants à la lutte de libération nationale, comme celle de leurs aînés diplômés, fut globalement un succès [15].

        6- Conclusion : apogée et déclin de l’Algérie francophone

        Une fois l’indépendance acquise en 1962, la population étudiante algérienne se recentra sur l’Université d’Alger et ses récentes annexes d’Oran et de Constantine, désertées par la grande majorité des étudiants français d’Algérie. En 1963, l’UGEMA tint sa promesse de 1955 en prenant le nom d’UNEA. Mais l’avenir échappa à ce mouvement étudiant algérien dérivé du modèle français.

        En effet, l’indépendance ouvrit une nouvelle époque dans l’histoire politique et culturelle de l’Algérie. Si le nombre des étudiants et des enseignants de l’Université nationale algérienne augmenta très rapidement, des choix précoces (adoption de l’islam comme religion de l’État et de l’arabe comme seule langue nationale dès 1962) remirent en cause la place prépondérante du français dans l’enseignement et la culture. Le français avait d’abord été favorisé par la formation de cadres nationaux avec l’aide de coopérants français, nombreux dans les lycées et les universités pendant les dix premières années de l’indépendance. Mais les difficultés des relations franco-algériennes dans les années 1970 décidèrent le gouvernement algérien à accélérer l’arabisation, en recourant à des coopérants arabes dont beaucoup étaient islamistes. Le français est resté très répandu dans l’enseignement algérien, mais de plus en plus en tant que langue étrangère et non en tant que langue véhiculaire et culturelle. Même dans l’enseignement supérieur, le français a été peu à peu marginalisé. L’enseignement de l’histoire est arabisé depuis 1966, mais aussi celui des sciences dures. En même temps, la suspicion dont la culture française avait longtemps fait l’objet - comme l’atteste le discours populiste et anti-élitiste de Messali Hadj - a été de nouveau utilisée et diffusée par le président Boumedienne et par les islamistes (officiels ou opposants). L’assimilation des termes « francophones », « francisés » et « traîtres », pourtant démentis par l’action patriotique de l’UGEMA, a été largement reprise par les islamistes durant la guerre civile des années 1990. L’histoire serait-elle un éternel recommencement ? [16]

        Guy Pervillé

        Université de Toulouse-Le Mirail

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        • #5
          References.

          [1] Pervillé (Guy), Les étudiants algériens de l’Université française, 1880-1962. Paris, Editions du CNRS, 1984, et Alger, Casbah Editions, 1997.

          [2] Lettres de M. Abdelhamid Bounah, de Constantine, adressées à l’auteur en 1987.

          [3] Pervillé (G.), « L’élite intellectuelle, l’avant-garde militante, et le peuple algérien », Vingtième siècle, revue d’histoire, n° 12, oct.-déc. 1986, p. 51-58, et « La notion d’élite dans la politique indigène de la France en Algérie”, article publié dans l’ouvrage collectif dirigé par Pierre Guillaume, Les élites fin de siècles, Talence, Editions de la Maison des sciences de l’homme d’Aquitaine, 1992, p. 179-192.

          [4] Voir ma communication intitulée « Le mouvement national algérien, phénomène singulier, ou cas particulier ? » au colloque de Zaghouan (Tunisie), novembre 1997, publié par la Fondation Temimi pour la recherche scientifique et l’information (FTERSI) dans les actes de ce colloque consacré à la Méthodologie de l’histoire des mouvements nationaux au Maghreb, Tunis, septembre 1998, p. 99-107.

          [5] Voir Gellner (Ernest), Nations et nationalismes, Paris, Payot,1989, p. 11-12, 86-89 et 177, Hobsbawm (Eric), Nations et nationalisme depuis 1780, Paris, NRF-Gallimard, 1992, p. 62, et Michel (Bernard), Nations et nationalismes en Europe centrale, Paris, Aubier, 1995, p. 133.

          [6] Lewis (Bernard), Comment l’islam a découvert l’Europe, Paris, La découverte, 1984, et Gallimard, 1990.

          [7] Voir ma thèse, Les étudiants algériens.., op. cit., p. 18-20, et les statistiques de l’Université d’Alger (1880-1961), p. 28-30.

          [8] Yacono (Xavier), Un siècle de franc-maçonnerie algérienne, 1785-1884, Paris, G.P. Maisonneuve et Larose, 1969, p. 264.

          [9] Voir ma thèse citée, première partie (p. 87-104), et mes contributions au colloque Mémoire et enseignement de la guerre d’Algérie, Paris, 1992, Actes publiés en 1993 par l’Institut du monde arabe et la Ligue de l’enseignement, p. 175-180.

          [10] Voir ma thèse, op. cit., p. 104-106.

          [11] Lettre de Chawki Mostefaî à Mohammed Lamine Debaghine, El Watan, 18-11-2004 (document n° 8089). Mohammed Lamine Debaghine est mort peu après, sans avoir répondu.

          [12] Ibid., confirmé par Mouloud Mammeri dans son entretien avec Tassadit Yacine, « Mouloud Mammeri dans la guerre », dans : Awal, Cahiers d’études berbères, 1990, n° special Hommage à Mouloud Mammeri, p. 107-109.

          [13] Composition des bureaux de l’AEMAN et de l’AEMNA, dans ma thèse, p. 64-68.

          [14] Voir ma thèse, p. 106-114.

          [15] Ibidem, deuxième partie, et le résumé dans les actes du colloque cité, Mémoire et enseignement de la guerre d’Algérie.

          [16] Voir mon article écrit en 1994 : « La ‘francisation’ des intellectuels algériens : histoire d’un échec ? », publié en anglais dans : Franco-arab encounters, studies in memory of David C. Gordon, American university of Beirut, 1996, p. 415-445, et disponible en français sur mon site internet http://guy.perville.******** (comme tous mes autres textes cités ici à l’exception de ma thèse).

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          • #6
            Merci pour le partage. Tres instructif.

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