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La conquête alaouite du pouvoir en Syrie

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  • La conquête alaouite du pouvoir en Syrie

    Daniel Pipes
    Middle-Eastern Studies
    1989

    Vieil article, mais fort intéressant. Ça pourrait éclairer certains aspects de la situation actuelle en Syrie. En voici l'introduction :

    Pendant de nombreux siècles, les Alaouites ont été les gens les plus faibles, les plus pauvres, les plus campagnards, les plus méprisés, les plus arriérés de la Syrie. Or ces dernières années, ils se sont transformés en l'élite dirigeante de Damas. Aujourd'hui, les Alaouites dominent le gouvernement, détiennent les postes militaires clés, profitent d'une part disproportionnée des ressources pédagogiques, et sont en train de devenir riches. Comment ce changement spectaculaire s'est-il produit? Quand les Alaouites ont-ils réussi à sortir de leur enfermement traditionnel, et comment s'explique leur ascension ?

    Les Sunnites et les autres qui sont hostiles au régime d'Assad répondent à cette question en accusant les Alaouites d'une conspiration élaborée et à long terme pour prendre le pouvoir en Syrie. Annie Laurent suggère que «déterminés à prendre leur revanche » après l'échec d'un chef rebelle, Sulayman Murshid, « les Alaouites mirent en œuvre une stratégie de mise en place de cellules dans l'armée et dans le parti Baath, et cela leur permit de gagner le pouvoir à Damas. »Les tenants de cette vision des choses font remonter l'ascension alaouite à 1959, l'année où le Comité Militaire du Parti Ba'th a été formé. Pourquoi, demandent-ils, les dirigeants de ce groupe ont-ils gardé son existence secrète : loin de l'administration du parti? Ce caractère secret suggère que le Comité militaire depuis le début avait un programme lié à la secte des Alaouites. Matti Moosa a fait valoir qu '«il est presque certain que les agents ont agi non pas comme ba'thistes, mais comme Nusayris* (Noseïris) [Alaouites], avec l'intention d'utiliser le Ba'th et les forces armées pour accéder au pouvoir en Syrie. La formation du comité militaire fut le début de leur plan pour une future prise de pouvoir du gouvernement".

    Cette hypothèse est confirmée par la réunion clandestine de 1960 de leaders religieux et d' officiers alaouites(y compris Hafez el-Assad) qui aurait eu lieu à Qardaha, village natal d'El-Assad. « L'objectif principal de cette réunion était de planifier la façon de faire passer des officiers Noseïris dans les rangs du Parti Ba'th. Ils pourraient alors tirer parti de cela en en faisant un moyen d'arriver au pouvoir en Syrie. » Trois ans plus tard, une autre réunion des Alaouites à Homs, aurait, dit-on, suivi les initiatives antérieures. Parmi d'autres mesures, on eut recours à la mise en place de plus d'Alaouites dans le parti Ba'th et dans l'armée. D'autres réunions secrètes de leaders Alaouites semblent avoir eu lieu plus tard dans les années 1960.

    Des analystes mieux disposés envers Assad ont tendance à ne pas tenir compte seulement de ces réunions et d'une conduite des choses préméditée en vue du pouvoir, mais de tenir compte du facteur sectaire, de façon plus générale. John F. Devlin, par exemple, nie que la disproportion des Alaouites dans l'armée implique la domination alaouite de la Syrie. Il est contre le fait de voir « chaque désaccord interne en termes de conflit sunnite-alaouite. » Pour lui, le fait que des Alaouites soient au pouvoir est essentiellement fortuit: « Le Ba'th est un parti laïc, et les minorités pèsent lourd» Alasdair Drysdale appelle «réductionniste» le fait de mettre l'accent sur l'appartenance ethnique, faisant valoir qu'il s'agit d'un des nombreux facteurs- géographique, classe, âge, éducation, profession - qui définissent l'élite dirigeante. Selon. Yahya M. Sadowski, «La loyauté à l'appartenance religieuse jouer un rôle insignifiant dans le Ba'th, et même les obligations confessionnelles ne sont qu'un des nombreux moyens par lesquels le népotisme s'étend ».

    La vérité se situe entre complot et caractère fortuit. Les Alaouites ne planifièrent pas pour « prendre le pouvoir dans le futur » des années à l'avance, et ce n'est pas non plus un pur hasard si dans le parti Ba'th « les minorités ont pesé lourd ». "Le pouvoir alaouite a été la conséquence d'une transformation non prévue, mais religieuse de la vie publique en Syrie. Michael van Dusen explique : « De 1946 à 1963, la Syrie a assisté à l'érosion progressive du pouvoir politique national et finalement même en dessous du national, de l'élite traditionnelle, non pas tant par l'émergence d'élites nouvelles et particulièrement dynamiques, mais plutôt par un conflit interne ». Traduit du jargon de la science politique, ce que van Dusen dit c'est que les divisions internes ont conduit les civils sunnites non-Ba'thistes à perdre le pouvoir. Cela a donné une ouverture que les officiers ba'thistes d'origine alaouite ont exploitée.

    Comment ce processus est survenu est le sujet que je traite ici. Mais d'abord, quelques informations de base sur le contexte des Alaouites et leur place dans la société syrienne traditionnelle, suivi d'une esquisse de leur ascension.

    .. /..
    Pour lire la suite : http://fr.danielpipes.org/9655/conquete-alaouite-syrie
    Dernière modification par Harrachi78, 18 août 2011, 12h07.
    "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

  • #2
    Merci Harrachi pour le tres interessant article, c'est vraiment incroyable ce qu'on y lis sur les Alaouites.

    l semble inévitable que les Alaouites – qui restent une minorité petite et méprisée, en dépit de toute leur puissance actuelle - finiront par perdre leur contrôle sur la Syrie. Lorsque cela se produira, il est probable que les conflits qui à tous les niveaux seront communautaires les abattront, avec la bataille décisive ayant lieu entre les dirigeants alaouites et la majorité sunnite. En ce sens, la chute des Alaouites- que ce soit par des assassinats de hautes personnalités, un coup d'Etat de palais, ou une révolte régionale - est susceptible de ressembler à leur ascension.
    Bien que l'article ayant ete ecrit en 1989, on dirait que ce qu'on lis en conclusion est en train de se produire sur le terrain.

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    • #3
      @Diamond

      Personnellement, ça faisait un moment que je m'étais intéressé à la question (Druzes, Alaouites ... etc.). J'avoue donc que ce qui se passe actuellement en Syrie me choque certes, mais ne m'étonne pas vraiment.

      Je m'attendais à ce que ça arrive tôt ou tard. Ça fait vraiment de la peine, et j'ai presque envie que ça se termine par une éradiction en règle de cette secte !
      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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      • #4
        Bonjour,

        J'ai lu avec beaucoup d'attention l'ensemble de l'article mais je dois quand même avouer que deux choses me poussent à prendre les "analyses" de Pipes avec prudence :
        1- Ce monsieur est un idéologue assumée & un propagandiste notoirement sioniste & néo-conservateur. Certaines de ses prises de position sont simplement honteuses.

        2- Sous couvert d'un drap universitaire, l'article est juste propagandiste. En regardant dans les détails, nous ne trouvons aucun renvoie d'article & souvent des citations aussi pointues & scrupuleuses que celle-ci : "un personnage important Alaouite a dit que..."


        Par contre, il a attiré mon attention sur le culte (?!) Alaouite que je ne connaissais que de nom. Je ne sais que penser de ce qu'il en dit : est-ce exagéré, réel ? Y'a t-il des sources pour que vous pourriez me conseiller approfondir la question ?


        Saha F'tourkoum

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        • #5
          Je ne crois pas tellement au complot Alaouite, ce serait quand meme gros. A mon avis, le premier facteur est que les alaouites, ismaeliens et druzes en Syrie sont une population rurale a forte tradition guerriere alors que les elites sunnites sont citadines et sans doute plus attirees par le commerce, l'artisanat et les metiers intellectuels que par l'armee. Apres, vient evidement et comme dans toutes les societes traditionnelles, le nepotisme et le clientelisme, or le principal critere d'allegence dans ces pays la est la communaute religieuse mais il n'y a pas que cela, il y aussi les alliances familiales et tribales ainsi que la region. En gros, chaque officier de l'armee essaye de promouvoir les gens de sa communaute, de sa famille et de sa region, et comme Alaouites et Druzes etaient des le depart largement sur representes dans l'armee, on connait la suite.
          Meme chez nous, ou il n'y a plus vraiment de diversite religieuse, il etait (est-ce toujours le cas?) plus facile de faire carriere dans l'armee en etant originaires de certaines regions que d'autres.
          Dernière modification par absent, 18 août 2011, 20h02.

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          • #6
            " Ibn Taymiya a averti du mal que leur hostilité peut faire: «Chaque fois qu'ils le peuvent, ils font couler le sang des musulmans. Ils sont toujours les pires ennemis des musulmans»
            c'est exactement ce qui ce passe aujourd’hui en Syrie.
            "sauvons la liberté , la liberté sauve le reste"

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            • #7
              @Dandy



              … Y'a t-il des sources pour que vous pourriez me conseiller approfondir la question ?


              Entre autres…


              Les Alaouites une secte au pouvoir :

              http://hal.archives-ouvertes.fr/docs...au_pouvoir.pdf



              Bon débarras! D'eux, ainsi que de tous leurs petits et plus grands frères coreligionnaires de toute la région avec leur soif de domination et leur rêve de revanche expansionniste.



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              • #8
                @Aanis

                J'accepte tout aussi difficilement les théories des complots, surtout lorsque les enjeux sont aussi importants et le cas des Alaouites syriens ne fais pas exception.

                Je ne crois donc pas qu'ils aient comploté (en tant que groupe) et réussi à prendre le pouvoir, mais il n'est pas inconcevable que le clan Assad ait activé son appartenance sectaire une fois arrivé au pouvoir, afin de s'y maintenir.

                Dans tous les cas, quelques faits doivent bien être observés : a) Que les Alaouites sont une secte historiquement minoritaire en Syrie et fondamentalement hostile à la majorité musulmane du pays. b) Que les Alaouites dominent l'armée et l'État syriens depuis maintenant deux ou trois générations.

                Par là, et sans passer par la case complot, il n'est pas absurde de faire le lien avec le comportement du pouvoir syrien vis-à-vis de la fronde populaire qui fait rage dans le pays, ainsi que l'attitude de l'armée syrienne à ce sujet.
                "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                • #9
                  @Dandy

                  Par contre, il a attiré mon attention sur le culte (?!) Alaouite que je ne connaissais que de nom. Je ne sais que penser de ce qu'il en dit : est-ce exagéré, réel ? Y a t-il des sources pour que vous pourriez me conseiller approfondir la question ?

                  C'est par cette porte là que je m'étais intéressé à eux en premier lieux, de même que pour les Druzes toutes les autres communautés orientales du genre. Comme toi, j'étais vraiment étonné lorsque j'ai découvert leur doctrines et je fut particulierement étonné qu'ils tiennent le pouvoir dans un pays comme la Syrie avec une religion pareille !

                  Tu n'a pas à aller loi, il y a un très bon article dans l'Encyclopaedia Universalis sur le sujet. Ça fera une excéllente entrée.
                  "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                  • #10
                    mais il n'est pas inconcevable que le clan Assad ait activé son appartenance sectaire une fois arrivé au pouvoir, afin de s'y maintenir.
                    C'est une certitude meme. Je te conseille l'article de Georges Malbrunot, journaliste et specialiste de la Syrie ou il montre comment le regime attise la haine des sunnites chez les jeunes alaouite et leur fait croire qu'en cas de chute du regime, les freres musulmans massacreraient toute leur communaute et tout ca dans le but de les entrainer dans la repression.

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                    • #11
                      @Aanis

                      Dans un certain sens, ce n'est pas tout a fait faux ...
                      "L'armée ne doit être que le bras de la nation, jamais sa tête" [Pio Baroja, L'apprenti conspirateur, 1913]

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                      • #12
                        Beaucoup d'opposants a Assad sont eux-meme Alaouites, et a mon avis, c'est cette menace de guerre civile religieuse qui est le meilleur atout du regime syrien et grace a ca, il aura non seulement l'appui des alaouites mais de toutes les communautes ethno-religieuses minoritaires (chretiens, druzes, assyriens, armeniens ou assyriens) et meme une partie des sunnites qui, autrement ne supporterait ni la corruption ni l'autocratie du regime. La seule chance des opposants est de former un front commun inter-communautaire qui metterait l'accent sur les revendication de justice et de democratie, pas sur les revendications religieuses.
                        Dernière modification par absent, 19 août 2011, 22h14.

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                        • #13
                          Un article sur le rapport du regime des Assad aux minorites religieuses.
                          Le régime syrien ne protège pas les minorités mais les utilise pour se protéger

                          Le régime syrien excelle à se donner des rôles. Il a en effet besoin de démontrer à l’opinion publique intérieure comme à la communauté internationale qu’il est "indispensable" aux équilibres régionaux, à défaut de contribuer à la paix régionale. Installé à la tête de ce régime, en juillet 2000, par un coup d’état constitutionnel - l’amendement de l’article 83 fixant à 40 ans l’âge minimum d’accession à la magistrature suprême, ramené à 34 ans en un éclair pour permettre l’accession au pouvoir de celui que le défunt "président éternel" Hafez Al Assad avait désigné comme son successeur - Bachar Al Assad s’est efforcé, au cours de ses dix premières années de pouvoir, de se forger une image. A l’intérieur et face aux opinions arabes, il a tenté de se faire passer simultanément pour le champion de la résistance aux projets israéliens, le héraut du refus des injonctions néo-impérialistes, le porte-parole des fiertés et dignités arabes, l’ultime protecteur des Palestiniens aspirant à la reconnaissance de leurs droits spoliés, etc… Face aux Etats occidentaux, publiquement soucieux de la survie des communautés chrétiennes de la région menacées de disparition, et plus discrètement engagés dans la défense des intérêts légitimes comme des agissements les moins admissibles de l’Etat d’Israël, il a veillé, comme son père avant lui, à faire oublier que la politique du régime, officiellement laïque, reposait en réalité sur des bases éminemment confessionnelles, de manière à se présenter en "protecteur des minorités".
                          Au cours des années écoulées, Bachar Al Assad a ainsi mis en scène la cohabitation sans nuage, à l’ombre du Parti Baath, des multiples confessions - mais non celle des diverses ethnies… - qui composent la société syrienne et qui lui donnent son incomparable richesse. Rares sont les délégations d’académiciens, de parlementaires, de lobbyistes occidentaux à avoir échappé, lors de leurs visites en Syrie, au rite de la rencontre avec un panel de dignitaires religieux, soigneusement choisis au sein des différentes communautés musulmanes et chrétiennes. On peut comprendre que ces délégations n’aient pas trouvé à s’étonner de l’absence, parmi leurs interlocuteurs, d’un représentant de la communauté juive syrienne, aujourd’hui réduite à sa plus simple expression, et avec qui, pour ménager certaines susceptibilités, les rencontres sont toujours entourées d’une grande discrétion. On comprend moins que ces délégations ne se soient jamais étonnées du fait que, dans ce pays "laïc", leurs interlocuteurs privilégiés étaient des religieux et non pas des responsables, si ce n’est de partis politiques d’opposition, du moins de formations cooptées par le "parti dirigeant de l’Etat et de la société" pour offrir l’illusion du multipartisme en Syrie. Quoi qu’il en soit, la mission des dignitaires religieux désignés par le régime pour ces entretiens n’était pas de tresser les louanges du pouvoir qui les avait convoqués, au Complexe Ahmed Kaftaro ou au monastère de Mar Moussa de préférence. Plus subtilement, elle était de démontrer aux visiteurs, par leur attitude et par leurs propos, "la profondeur de la fraternité et de l'amour" qui, grâce aux efforts du régime et du chef de l’Etat, régnait partout en Syrie, entre eux-mêmes et leurs ouailles.

                          Il est grand temps de montrer ou de redire ce qu’il en est de la "protection des minorités" par le pouvoir syrien. Ce rappel s’adresse à ceux qui, fermant les yeux sur les crimes commis au quotidien contre la population syrienne dans son ensemble, continuent de plaider pour le maintien du régime en place, sous le prétexte qu’il serait seul en mesure de garantir la pérennité, dans des conditions décentes, non seulement des minorités confessionnelles dans son pays, mais également des chrétiens partout dans la région. Il s’adresse également à ceux qui parent ce régime de toutes les vertus, et qui sont prêts à fermer les yeux sur l’appartenance de la majorité des victimes à la majorité sunnite de la population, implicitement considérée comme favorable aux Frères Musulmans, si ce n’est gagnée à la cause de prétendus "groupes terroristes islamiques armés", dont on a naguère rappelé qu’ils faisaient davantage le jeu du régime que celui de la contestation.

                          Il est remarquable que ceux qui évoquent la situation plus que dangereuse dans laquelle se retrouveraient les minorités en cas de disparition du régime syrien - comme le député franco-libanais Nabil Nicolas, proche du général Michel Aoun, déclarant (le 23 mai 2011) sur la chaîne Al Manar du Hizbollah que "la chute du régime syrien signifierait l'élimination des minorités de la région", ni plus, ni moins... -, évitent pudiquement de désigner contre qui ce régime "protège" les minorités et "garantit leur avenir". Faisons-le donc pour eux et nommons l’ennemi, la menace et le danger : la communauté sunnite majoritaire en Syrie. Il n’est pas difficile de donner du crédit à une telle affirmation. Il suffit de forcer le trait et de s’arranger pour présenter cette communauté comme liée d’une manière ou d’une autre aux ennemis déclarés du régime syrien : les Frères Musulmans et les organisations islamistes radicales. Peu importe que les premiers nommés aient été éradiqués en Syrie et que, condamnés à mort depuis 1980, ils n’y comptent plus aucun adhérent. Peu importe qu’ils aient dit et répété, depuis le début des années 2000, pour ne pas remonter au-delà, qu’ils avaient eu tort, dans les années 1970-1980, de se lancer dans la partie de bras de fer que leur proposait alors le pouvoir et qu’ils avaient définitivement renoncé à la violence. Peu importe qu’ils affirment, depuis le début de la contestation en Syrie qu’ils n’en sont pas à l’origine et que, s’ils l’approuvent et la soutiennent, ils ne la conduisent pas et ne la contrôlent pas. Peu importe que l’existence et l’autonomie des organisations islamistes radicales par rapport au pouvoir soient entourées en Syrie de bien des interrogations. Peu importe qu’aucun témoin impartial n’ait été en mesure de confirmer leur présence dans les manifestations en Syrie. Peu importe qu’elles n’aient jamais publié un seul communiqué revendiquant leurs opérations ou annonçant leur intention de mettre en application un programme qui apparenterait bientôt ce pays à l’Arabie Saoudite.
                          En réalité, ce qui inquiète les amis du régime syrien c’est la possibilité que le pouvoir perde sa forme actuelle, et qu’il échappe à la famille Al Assad. Issue de la communauté alaouite minoritaire, celle-ci s’est arrangée pour édifier autour d’elle une sorte de ceinture de sécurité dans laquelle elle a regroupé, face à la communauté majoritaire privée de toute emprise sur la vie politique, l’ensemble des minorités. La question n’a rien de religieux. Elle est bassement utilitaire. Contrairement à ce que la propagande du régime colporte, y compris avec le relais d'une religieuse chrétienne contrainte de rembourser d'une manière ou d'une autre les multiples passe-droits dont elle a bénéficié de la part des autorités syriennes, personne ne songe en Syrie à chasser les chrétiens vers Beyrouth, à mettre au tombeau les alaouites, à exterminer les ismaéliens, à éradiquer les druzes, les baha’is ou les yézidis. En revanche, beaucoup, dans l’ensemble des communautés, et en particulier dans la communauté sunnite puisqu’elle est à la fois majoritaire et marginalisée, veulent en finir avec un système qui n’est pas bâti sur des principes politiques, mais sur des ambitions strictement familiales, permettant à une variante locale de la famille Corleone de confisquer le pouvoir depuis plus de 40 ans, d’en gérer la sécurité au mieux de ses seuls intérêts et de capter à son profit l’essentiel des ressources économiques du pays.

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                          • #14
                            Des travaux savants, comme ceux de l’ambassadeur hollandais Nikolaos Van Dam (The Struggle for Power in Syria: Sectarianism, Regionalism and Tribalism in Politics, 1961–1994), ou de l’universitaire irakien Hanna Batatu (Syria’s Peasantry, the Descendants of its Lesser Rural Notables, and Their Politics) ont expliqué depuis longtemps comment le pouvoir a échu en Syrie, au tournant des années 1960-1970, entre les mains d’un groupe de militaires appartenant à la communauté alaouite, et comment ils se sont arrangés pour en conserver le monopole. La lutte pour le pouvoir a eu deux volets : au plan politique, elle a vu le Parti Baath se débarrasser progressivement des autres formations politiques, en particulier le Parti de l’Union Socialiste Arabe (nassérien), avec lequel il avait mené, en 1963, le premier coup d’état ; au niveau social, elle a vu la communauté alaouite traversée, en 1970, par une lutte intestine entre les partisans de Hafez Al Assad et de Salah Jadid pour la dévolution ultime du pouvoir, une fois les représentants des autres communautés définitivement asservis ou mis à l’écart.
                            Sous le couvert du Parti Baath, qui établissait son contrôle sur les travailleurs et les paysans, les militaires alaouites ont cherché à fédérer autour d’eux des représentants de toutes les autres communautés, restreignant leur choix à ceux qui, renonçant à contester l’accaparement du pouvoir réel par des membres issus d'une minorité, étaient prêts à jouer le rôle de comparses et à se contenter d'assumer des fonctions dans le pouvoir virtuel. Les crises successives - la guerre d’octobre 1973, l’entrée des troupes syriennes au Liban en 1976, le mouvement de contestation du Parti Baath du début des années 1980, la lutte armée avec les Frères Musulmans en 1982… - n’ont rien modifié à cette situation, bien au contraire. Ce n’est pas parce que des sunnites ont occupé et occupent encore des postes de grande visibilité - la vice-présidence de la République (Abdel-Halim Khaddam, de 1985 à 2005, puis Farouq Al Chareh et Najah Al Attar, jusqu’à ce jour), la direction du conseil des ministres (Abdel-Raouf Al Kasm, Mahmoud Al Zoubi, Moustapha Miro, Naji Otri, Adel Safar), le perchoir de l’Assemblée du Peuple (Abdel-Qader Qaddoura, Mahmoud Al Abrach), la fonction de Chef d’Etat-major… devenu un tremplin pour le portefeuille de ministre de la Défense (Moustapha Tlass, Hasan Tourkmani) - qu’ils ont pesé et qu’ils pèsent de quelque manière dans la vie politique. Les alaouites, qui monopolisent le pouvoir réel, grâce au contrôle et au noyautage par des membres de leur communauté des services de sécurité, des unités d’élite de l’Armée et de la Garde Républicaine, attendent de ces faire-valoir, comme des intellectuels, des hommes de religion et des hommes d’affaires de leurs communautés, qu’ils fassent nombre autour d’eux et qu’ils contribuent, comme le Front National Progressiste dans la vie politique, à offrir l’apparence d’un système syrien ouvert et pluraliste.

                            Pour convaincre les uns et les autres de se rallier à lui, sous Hafez Al Assad comme sous Bachar Al Assad, le régime a recours à divers moyens et subterfuges : l’idéologie pour les uns, l’intérêt matériel pour d’autres, l’aspiration à la reconnaissance et aux honneurs pour quelques uns, la méfiance si ce n’est la peur des autres communautés pour tous… Les sunnites, qui représentent, arabes et kurdes réunis, entre 75 et 80 % la masse de la population, sont devenus un épouvantail utile dans cette tentative de rassemblement des minorités. Surtout après les événements sanglants de la fin des années 1970 et du début des années 1980. La propagande du régime a alors consisté à opposer à toute demande d’ouverture politique la perspective d’une arrivée au pouvoir des Frères Musulmans, fanatiques, sanguinaires, rétrogrades, traitres à leur pays, vendus à l’Occident... Mais, vis-à-vis de ceux qui refusaient de se laisser tromper, séduire et finalement coopter par lui, le régime n’a pas craint d’utiliser les armes réservés à ses "ennemis" politiques : la menace, le chantage et finalement les sanctions.
                            Tout en affirmant "protéger" les minorités, le régime syrien n’éprouve aucune gêne à sévir contre les membres de ces mêmes minorités qui refusent de se comporter à son égard en "dhimmi-s" politiques, autrement dit en "protégés", et qui réclament d’être traités, eux et tous les autres Syriens, en citoyens libres, égaux en droits et en devoirs. Faut-il rappeler, pour ne prendre qu'un exemple, que les Assyriens, qui ont jadis donné leur nom à la Syrie et qui, entre Syriaques et Chaldéens, y comptent près d’un million d’âmes, y sont aussi brimés que les Kurdes, les Arméniens ou les Tcherkesses, dans leurs revendications "nationales" qui n'ont rien de séparatistes ? Ils n’ont le droit ni de parler leur langue hors de leurs églises, ni de l’enseigner, ni de l’utiliser pour imprimer des journaux, ni de bénéficier de programmes de radios ou de télévisions dans leur langue, ni d’arborer leur drapeau "national", ni de célébrer leurs festivités… Faut-il rappeler que leur principal mouvement, l’Organisation Démocratique Assyrienne (ODA), a eu, dans la Syrie baathiste, une histoire mouvementée, parsemée de prisonniers politiques et de martyrs ? Faut-il rappeler qu’ils ne se reconnaissent nullement dans "l’Assyrien de service", Saïd Ilya, "élu" dans les conditions habituelles - c’est-à-dire "nommé" - au Commandement Régional du Parti Baath, lors de son 10ème congrès de juin 2005, pour faire croire que les Assyriens de Syrie, l’ensemble des chrétiens de ce pays et les habitants du gouvernorat de Hassakeh disposaient d’une voix au sein de la plus haute instance du parti réputé diriger l’Etat et la société ? Faut-il rappeler que, depuis le début des troubles, une douzaine de cadres dirigeants de l’ODA ont été emprisonnés parce qu’ils participaient aux manifestations, et qu’ils réclamaient de ce "régime-qui-protège-les-minorités" qu’il modifie son comportement vis-à-vis de l’ensemble de la population, qu’il lui accorde les libertés figurant en toutes lettres dans la Constitution et qu’il renonce à monopoliser le pouvoir ?
                            On pourrait en dire beaucoup sur les conditions faites à chacune des multiples communautés confessionnelles qui composent la Syrie. Elles sont toutes "protégées" de la même manière, avec la même brutalité que l’on voit à l’œuvre depuis le début du mouvement de contestation de la part des militaires et des moukhabarat accourus "au-secours-des-populations-en-butte-aux-islamistes-radicaux" à Daraa, Jisr al Choughour ou Maaret al Numan. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, les alaouites ne sont pas mieux lotis à ce niveau que les autres. Du moins ceux d’entre eux qui refusent de faire allégeance au régime de Bachar Al Assad. Les uns parce qu’ils n’ont pas pardonné à Hafez Al Assad son comportement vis-à-vis de Salah Jadid, décédé en 1993 dans la prison où il avait été jeté en 1970. D’autres parce qu'ils n'ont toujours pas avalé la transmission dynastique du pouvoir et l’installation à la tête de l’Etat d’un jeune homme sans expérience, dont le seul atout était d’être "le fils de son père". D'autres encore parce que leurs sympathies sont situées plus à gauche que le "socialisme de la mamelle" du Parti Baath. Beaucoup enfin parce qu’ils n’ont jamais retiré le moindre profit, dans les villes, mais surtout dans les villages et les campagnes, de la monopolisation du pouvoir en Syrie, depuis près de 50 ans, par des membres de leur communauté. Leur situation est peu enviable. Ceux qui se taisent, s’abstiennent de critiquer le régime et supportent en silence les exactions des chabbihas, dont la particularité avant les événements était de s’en prendre de préférence aux membres de leur propre communauté, ne risquent pas grand-chose. Mais ceux qui se rebellent contre l’accaparement du pouvoir et qui dénoncent la volonté du régime de mettre tous les alaouites de son côté, en cherchant à leur faire croire qu’ils sont menacés et qu’ils seront exterminés au cas où il serait amené à disparaître, sont victimes d’une double peine. Sanctionnés pour leur refus de se plier à l’ordre en place, ils le sont aussi pour leur "trahison" à l’égard de leur communauté.

                            Depuis l’arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad, on ne compte plus les membres de communautés minoritaires qui ont été jetés ou qui, déjà détenus du temps de son père, ont été remis en prison pour des séjours plus ou moins longs. D’une manière ou d’une autre, leur faute est unique. Elle est toujours la même : en réclamant la démocratie au régime, ils laissent clairement entendre, quand ils ne l’écrivent pas, qu’ils font davantage confiance à la démocratie qu’au régime pour assurer leur protection et celle de tous les autres citoyens Syriens. Aucun d’entre eux ne se bat au nom ou dans l’intérêt de la communauté à laquelle il appartient, mais au nom et dans l’intérêt de tous les Syriens qui considèrent que, aussi imparfaite soit-elle, la démocratie doit être préférée, en Syrie comme ailleurs, à n’importe quel système prétendant assurer, et garantissant de fait pour autant qu’il y trouve son intérêt, la "protection des minorités".
                            Ignace Leverrier.

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                            • #15
                              salam, bonjour...

                              quelle est la part orientaliste entre le "noséirisme" et les "épisodes" conquérants qui s'en suivent, il y a aussi le fait multi frontalier avec pas moins de (environ) 46 courants revendicatifs, régions, tribus, cultures,...
                              les lieux et les récits esquissent une "désordonnance" importante et humaine, sans doute due à des choix peu unanimes mais très impérieux, ceci étant dit sans complainte ni préjugé pouvant servir ou desservir des siècles plus tard, à présent il faille bien réfléchir depuis l'Homme, en tous cas depuis des premiers pas d'une conscience qui par ailleurs semblait très "équipée" de pas fraternels comme très égale de sens pacifistes, selon chaque mouvements historiques et relatifs à cette "conquête"...

                              Salam, merci...
                              ...Rester Humain pour le devenir de l'Homme... K.H.R.

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