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Le chaabi, populaire et poétique

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  • Le chaabi, populaire et poétique

    La musique populaire algérienne est d’une extraordinaire diversité. Chaque région du pays se caractérise par son propre répertoire. Le rythme saccadé des chants chaouis, la profondeur mystique du gnaoui, la dynamique du folklore kabyle et ses achwiqs, le lyrisme de l’andalou et ses noubas, le souffle désertique du bédouin, la tendresse saharienne de l’ahellil, les mélodies enflammées de l’izli, les sonorités nomades du tindi, l’audace des airs profanes du raï, les douceurs langoureuses du charqi et les extravagances des musiques dites modernes, sont seulement quelques facettes multicolores de ce patrimoine qui a inspiré des générations de musiciens, même au-delà des océans. Les envolées religieuses du malouf, les berceuses steppiques du naïli, les mélodies moelleuses des Hauts Plateaux et les chœurs synchronisés du madih sont aussi à rajouter dans cette liste qu’on ne peut totalement compléter ici.

    «Dans la forme comme dans le fond, ces chants ne pouvaient prendre leur source que dans la richesse de notre histoire et de nos traditions, dans l’héroïsme déployé et les souffrances endurées depuis des millénaires», explique Bachir Hadjali, en fin connaisseur de ce sujet.
    Parmi tous ces styles, le chaabi demeure le genre auquel s’identifient beaucoup d’Algériens. Son enracinement socioculturel et la proximité entretenue de longue date avec les masses populaires en font une espèce d’emblème.

    «Les concerts de chaabi où bat à nu le cœur de notre peuple citadin», écrit le même auteur pour souligner la place prépondérante de ce style dans l’espace musical algérien. Ses thèmes sont, en effet, puisés au cœur des préoccupations quotidiennes du citoyen ordinaire, et dans les contes et légendes qui font le substrat de sa culture propre. Le texte, qui prend aussi une connotation virile, véhicule un certain sens de l’honneur et de la «redj’la», éléments constitutifs de la mentalité nord-africaine. Cela justifie peut-être la timide présence féminine dans ce registre, presque exclusivement réservé à l’élément masculin, et rappelle, quelque part, l’imamat qui échoit exclusivement à l’homme. Même sur le plan mélodique, le chaabi ne se prête pas tellement au festif et à la danse. Il relève plutôt de l’instruction et de l’exercice «intellectuel». Les émotions qu’il suscite sont foncièrement intériorisées par l’auditeur, en signe de respect à l’interprète, «cheikh» ou au «hadj», qui campe ici le rôle du sage. C’est cette même vénération, presque religieuse, qui maintient la flamme toujours vivace de cette musique dans le cœur et l’esprit du mélomane algérien. Le fond soufi des premières compositions a manifestement résisté à l’œuvre du temps.

    Selon certains historiens, le chaabi résulte du contact entre la musique andalouse avec la culture nord-africaine.
    Ce métissage sera appelé dans un premier temps moghrabi, par distinction du classicisme ibérique du temps des lumières musulmanes d’Andalousie. De talentueux poètes-chanteurs s’étaient effectivement établis au Maghreb-Algérie et Maroc, essentiellement- au lendemain de la chute de Grenade au quinzième siècle. De leurs prolifiques dawawin, seuls des initiés en gardent aujourd’hui jalousement des bribes.

    Mais leur savoir avait, quand même, fait des émules. Chaque génération a laissé derrière elle une relève pour perpétuer et renouveler cet l’art ancestral qui avait une assise mystique indiscutable. Comme Sidi Lakhdar Benkhellouf, Sidi L’Houari ou Sidi Boumediene, ils sont nombreux parmi ces pionniers de l’art musulman à passer à la postérité comme des salihine, un titre qui les rapproche – dans la culture populaire- des compagnons du prophète. Du début du siècle dernier, on gardera de cheikh Nador et de ses contemporains Derwiche et Said El Hassar, l’image d’héroïques résistants à la culture coloniale à travers un attachement viscéral à l’art authentique. Leur œuvre fera, contre vents et marées, contrepoids au lyrisme de l’occupation. «Ce qui caractérisait notre culture orale, c’est qu’elle était – d’abord et avant tout- une culture vécue. Le chant et le poème, qui constituaient dans les campagnes des liens sociaux à l’échelle tribale avant 1830, se sont transformés en liens sociaux à l’échelle nationale, parce que le drame où s’est trouvé plongé notre peuple prit des dimensions nationales. C’est l’existence de ces valeurs qui a inspiré la lutte contre l’injustice», note le même Hadjali.
    C’est de cette même école qu’est issu, El Hadj M’Hamed El Anka, le plus célèbre chanteur de chaabi de tous les temps. Parolier génial et compositeur talentueux, El Anka révolutionna le chaabi dont il renouvellera la thématique.
    La peur, la douleur, l’injustice, l’exil et la nostalgie mais aussi l’amour, le mariage et les retrouvailles seront autant de sujets abordés par des monuments de la musique populaire contemporaine. On citera, parmi tant d’autres, El Hadj Mrizek, El Hasnaoui, Zerrouki, El Ankis, El Koubi, El Badji, Ahcene Saïd, Slimane Azem, El Harrachi, Guerouabi et Ezzahi.
    Une autre génération de chanteurs, s’inspirant des réalités de la société algérienne d’alors, prendra le relais au cours des années 1970. On retiendra Chaou, Bedjaoui, Lamraoui, Matoub, Kheloui, Raïs, El Hadi El Anka (le fils), Chercham et Meskoud. La conjoncture économique et sociale de l’Algérie du début des années 1980, l’exode et l’urbanisation anarchique meubleront les textes chantés à cette époque.

    L’avènement de la démocratie et de la tragédie des années 1990 verra l’émergence d’une nouvelle vague, abusivement qualifiée de «new age». Messaoudi, Kamel Harrachi, Dris Dziri, Galiz et Djaafri chanteront les peines et les frustrations de la jeunesse de cette décennie sanglante. S’inspirant de l’œuvre atypique de Rachid Taha, cette nouvelle «tendance» revendique la régénération de l’expression artistique en adoptant une nouvelle instrumentation et des fusions avec des styles d’ici et d’ailleurs. Un sujet de polémique avec les puristes qui plaident, non sans raison, pour un art 100% algérien. Une question d’identité.

    Par la tribune
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