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Quel sens donner à la marginalisation des élites scientifiques en Algérie ?

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  • Quel sens donner à la marginalisation des élites scientifiques en Algérie ?

    Tout le monde s’accorde à affirmer que ce siècle sera impitoyable pour les pays qui n’ont pas su élever et développer leur savoir et leur maîtrise technologique. On s’accorde aussi à admettre que l’université est l’un des lieux privilégiés d’élaboration des connaissances et des nouvelles technologies.

    Ces vérités sont toutes admises et partagées par tous et, pourtant, notre université peine à trouver l’élan nécessaire pour qu’elle joue son rôle. Pourquoi ? Le marasme du secteur de l’éducation de façon générale continue de peser lourdement sur la société. Pourquoi ? Cette situation à qui en profite-t-elle ?

    Nous n’en doutons pas un moment que si nous posons à tous les hauts responsables politiques la question : Voulez-vous développer ce pays ? La réponse sera affirmative et aussi sincère. Et c’est la même réponse avec la même sincérité que l’on obtiendra à la question : Pensez-vous que la maîtrise des sciences et des technologies est primordiale pour le progrès de ce pays ?

    Alors qu’est-ce qui ne va pas pour qu’on laisse se perdre les énergies potentiellement capables pour cette tâche ? Pourquoi ne fait-on rien pour fructifier le capital humain nécessaire pour cet objectif ? Pourquoi il semble parfois, aux yeux de beaucoup de personnes, que c’est le contraire qui est recherché ?

    Nous allons essayer dans ce qui suit de mettre en relief quelques éléments de réponses à ces questions. Nous ne prétendons pas être exhaustifs dans l’exposé des causes de la marginalisation du secteur éducatif, mais nous pensons que la manière de poser le problème permet de nous éclairer davantage sur l’origine de cette situation et aussi esquisser les possibles solutions et éviter les fausses réponses.

    Le système éducatif est une institution officielle de l’Etat, son fonctionnement, ses difficultés et ses performances sont intimement liés aux performances et aux crises de la société. Comment ?

    Notre société depuis l’indépendance, comme toutes les autres sociétés, s’est créé un certain type de système pour gérer ses activités, sauvegarder ses intérêts communs et aussi garantir sa défense contre toutes les agressions dirigées contre ses propres intérêts et sa propre sécurité.

    Ce système est le pouvoir d’Etat.

    Ce pouvoir, dès le départ, commence à se rendre indépendant de la société pour devenir le système d’un groupe d’intérêt, reflétant ainsi les rapports de force qui dominent la vie économique et publique de la société. Il fera prévaloir ensuite directement sa domination sur la société à travers le contrôle de fonctionnement des différentes institutions. Il suffit de voir quelle catégorie de la société tire le plus profit de la situation socioéconomique et politique pour déterminer la nature de ce groupe et l’identifier. Ce groupe d’intérêt, engendré par le mouvement de la société, est le produit des mécanismes mis en place liés aux lois économiques en vigueur et à l’orientation de la politique adoptée. La domination du système met en place toutes les conditions nécessaires qui lui offrent la possibilité de formater la société et ainsi privilégier les intérêts du système mis en place. Nous constatons que dans les pays développés, l’alternance du pouvoir n’altère pas le fonctionnement du système mais seulement introduit une approche différente aux problèmes de la société et à la répartition des richesses. En général l’orientation de leur système encourage le progrès et le développement et, par conséquence, les forces actives et productives et les élites scientifiques.

    Il n’y a pas de développement sans industrialisation

    Les fervents de la pensée économique (1) libérale ont depuis longtemps travaillé pour imposer une certaine politique aux systèmes des pays en développement comme le nôtre, des programmes et des orientations qui ne sont pas liés au développement réel du pays mais soutenus par des considérations macroéconomiques servant plus les intérêts des sociétés multinationales. Cette politique consiste à vanter des modèles économiques prônant dans le cadre de la globalisation à abandonner l’investissement dans le domaine industriel (dans le sens de la satisfaction du marché local) pour économiser et réduire la facture des produits manufacturés. Alors qu’il n’y a pas de développement sans industrialisation. Pour le libéralisme, les pays comme le nôtre doivent seulement développer leur commerce extérieur en exportant soit des produits agricoles, soit les hydrocarbures ou le tourisme. Les autres secteurs nous sont interdits car nous ne sommes pas compétitifs, affirme-t-il. C’est la manière la plus perfide de casser les ressorts d’une société et la maintenir dans un état de consommateur pur en lui introduisant des doutes sur ses propres capacités. En réalité, la Banque mondiale et le FMI défendent des intérêts d’autres groupes de nantis et leurs modèles économiques doivent servir à cette fin.

    L’adoption d’une telle orientation dans notre pays s’est traduite par :

    - l’absence complète d’une stratégie de développement et donc de projets viables pour la formation de compétences dans les domaines des sciences et de la technologie;

    - l’accaparement d’une place prépondérante, dans l’économie nationale, par les importateurs des biens de consommation.

    Ces derniers, on le comprend bien, souhaiteraient garder aussi longtemps que possible cette place de choix. Toute activité créatrice de richesse et tout investissement dans les branches économiques pour la production d’un tel ou tel produit ne seront pas vus d’un bon oeil par ces derniers, car leur activité s’en trouverait menacée. L’exemple des difficultés rencontrées pour la mise en marche d’une usine de production de médicaments (2), dénoncé par le directeur général de «Saidal» ces derniers jours, illustre l’ampleur de ces conflits.

    De là, nous comprendrons l’inutilité des élites scientifiques dans un tel système. La sphère de production des biens de consommation et de création de richesse s’est complètement effacée devant celle de «l’import/import».

    Par quel miracle une économie dépendant exclusivement des hydrocarbures pour financer ses importations peut-elle générer le besoin en compétences scientifiques ? Dans une telle situation, pour certains théoriciens de la pensée libérale, les universités seront considérées comme des entreprises non rentables qu’il faut fermer.

    C’est, en partie, pour ces raisons aussi que nous avons assisté au départ pour l’exil de milliers de scientifiques sans que le système bouge son petit doigt et continue à ignorer cette richesse inestimable. L’élite scientifique n’arrive pas à trouver sa place dans un tel environnement économique et continue à se débattre dans des problèmes existentialistes !

    En conclusion, on conçoit mal qu’il peut y avoir un développement sans une politique d’investissement dans le secteur économique productif et, par conséquence, dans l’acquisition d’un savoir-faire technologique. Mais cela ne veut pas dire qu’il faut attendre cette politique de développement proposée pour se pencher sur les problèmes de l’université. Il faut dès à présent préparer l’université à jouer son rôle le moment venu. Les universitaires sont aussi interpellés à intervenir pour forcer le débat sur le développement socioéconomique du pays, car il ne faut perdre de vue que le système éducatif n’évolue pas en vase clos. Il est en relation étroite avec le développement économique, social et culturel. Il prend avantage de ses réussites et son épanouissement mais subit également ses crises, conflits et contradictions.

    1- Viviane Forester, Une Etrange Dictature; Grasset (2003)

    2- Voir Quotidien El Watan Du 3.05.2006

    Par Mohamed Mezghiche : Professeur - Université De Boumerdès(QO)
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