Jean-Marc DESANTI : Peux-tu nous rappeler l’argument central de ton ouvrage ?
Jacob COHEN : Le Printemps des sayanim tente de donner une idée de la pénétration de ces « informateurs » juifs français – il en existe dans tous les pays où réside une communauté juive – qui, par « patriotisme », collaborent avec le Mossad, et lui apportent leur aide, principalement dans 2 domaines. Celui de la propagande ou de la désinformation. Ou dans le cadre des opérations d’espionnage. Mon livre se concentre sur le premier aspect. Il met en scène – c’est un roman et non un essai – des personnages connus et que l’on identifie facilement – ou moins connus comme certains francs-maçons juifs et sionistes qui ont créé une loge « judéo-sioniste » au sein du Grand Orient et qui organise par exemple chaque année des voyages encadrés en Israël – que je suppose être des sayanim, vu leur implication revendiquée en faveur de la politique d’Israël. Par exemple l’organisation d’un match de football entre jeunes israéliens et palestiniens, opération typique de propagande pour faire croire à une paix qui avancerait pendant que la colonisation continue. Les sayanim dans les médias lui donneront une publicité exagérée. Comme ils ont réussi à faire imposer un certain vocabulaire, à RFI par exemple : Dire Jérusalem à la place de Tel Aviv ; implantations au lieu de colonies ; barrière de sécurité et non mur de séparation. Les sayanim pénètrent tous les secteurs de la société. Aucun ne leur échappe. Exemple de collaboration en matière d’espionnage. Lorsque l’Irak a envoyé des scientifiques en France pour se perfectionner en matière nucléaire, le Mossad a trouvé un sayan à Saclay qui leur a fourni leur dossier complet.
Ne penses-tu pas que la multiplicité des « services » chargés du renseignement au sein d’un même gouvernement (le Mossad, le Shin Beth, l’Aman, le Malmab, le Lakma, le Nativ,) chargés du renseignement intra et extra-territorial, provoquent des gaspillages budgétaires et surtout des pertes d’informations ou de recoupements ?
Les pays qui lient leur destin à une politique de puissance, et la taille n’a rien à voir, référence à Israël, développent une multitude de « services » pour couvrir tous les champs possibles d’investigation, recouper les informations, créer de la stimulation. L’Amérique actuelle en est l’exemple parfait, qui ignorerait jusqu’à leur nombre et leurs attributions. Ce qui introduit une compétition entre eux, et qui peut avoir des effets néfastes. Mais il serait illusoire d’exiger d’eux une collaboration totale et sans arrière-pensées. L’esprit de corps finit souvent par primer sur les considérations nationales.
Il y a probablement autant d’avantages, sinon plus, à garder les structures actuelles en Israël qu’à vouloir les fondre en 2 ou 3 organismes. Il y a une plus grande efficacité à privilégier l’ « humain », au détriment de la technologie, et cette efficacité est inversement proportionnelle à la taille de la structure. L’élément budgétaire ne serait pas déterminant, à cause du nombre d’agents relativement faible, des priorités nationales, et des aides américaines. Il se trouve aussi que les chefs des « services », qui dépendent directement du premier ministre, se réunissent régulièrement avec lui, ou sont invités à certaines séances du cabinet. On peut donc estimer qu’ils ne se marchent pas trop sur les pieds.
Il semble indispensable de conserver une certaine séparation des « services », dans une démocratie tout au moins, et dans cette optique qui contrôle vraiment les Sayanim ?
D’après les témoignages les plus crédibles, en particulier Victor Ostrovsky et Gordon Thomas – ce dernier a recueilli les confidences de tous les anciens chefs du Mossad, en particulier celui de Meir Amit, patron du Mossad au début des années 60 et qui lui avait révélé explicitement l’intérêt de créer et de développer le corps des sayanim – c’est le service secret israélien chargé des opérations à l’extérieur qui en a la responsabilité. Ce qui est d’ailleurs logique, puisque les sayanim sont par définition des juifs qui résident hors d’Israël. Il semble aussi que les autres « services » s’occupent soit des affaires intérieures, ou des affaires relevant des Territoires palestiniens, ou des affaires militaires. Il se peut aussi qu’un service autre que le Mossad cherche à recruter à l’étranger un agent pour une mission spécifique et qu’il s’agisse d’un juif. Mais cela n’équivaudra jamais à l’importance, par le nombre et la qualité, aux sayanim. Rappelons que ces derniers se comptent par dizaines de milliers dans le monde. 3000 dans la seule ville de Londres, selon Ostrovsky. Et ce corps relève exclusivement du Mossad. Qui ne rend compte qu’au premier ministre ou à la commission de la Défense de la Knesset.
Un agent est efficace dans l’incognito. C’est sa maîtrise d’un domaine ou ses contacts qui représentent un intérêt pour le traitant. Un vrai officier de renseignement est indécelable, il semble mener une vie de routine, ennuyeuse et normale. Comment alors pouvoir affirmer telle action, tel chiffre ou telle réalité concernant les Sayanim ?
Évidemment, seul le responsable du Mossad dans un pays connaît le chiffre exact des sayanim. Donc les chiffres qui sont avancés, même par les connaisseurs les plus avertis, ne peuvent être que des estimations. Mais celles-ci n’en donnent pas moins une image de la réalité. On peut se tromper sur quelques centaines pour un pays, mais cela ne change rien quant au fond. Certains témoignages rapportent des faits établis, comme l’action du sayan à Saclay. Pour être efficaces, les sayanim doivent être nombreux pour couvrir tous les secteurs possibles et imaginables, ou mener une action ponctuelle d’envergure. Lorsque Mordechaï Vanunu – celui qui a révélé les secrets nucléaires de Dimona à un journal britannique – a été mis en sécurité dans un hôtel londonien, le Mossad a mobilisé tous sessayanim de Londres, qui ont quadrillé la ville, et appelé hôtel par hôtel, avec une description sommaire et un lien familial fallacieux, et il a fini par retrouver sa trace. Comme pour toutes les histoires secrètes, l’action des sayanim ne sort que par bribes. Ce qui n’enlève rien à leur réalité.
D’après toi, être un Sayan lorsqu’on est français d’origine, est-ce tromper sa patrie ?
Dans un sens, oui. Considérons le problème autrement, car quand il s’agit d’Israël, les repères changent, comme si ce pays devait bénéficier d’un traitement à part. Imaginons une grande communauté d’Allemands vivant en France ou aux Etats-Unis, en tant que citoyens de ces pays, et que des milliers d’entre eux renseigneraient les services secrets allemands, dans tous les domaines, ou entreprendraient des actions en faveur de leur lointain pays d’origine, comment jugerait-on cela ? Un autre élément qu’on passe sous silence parce qu’Israël aujourd’hui est l’allié de la France, et qu’être sayan paraît inoffensif. Imaginons qu’on soit en guerre. Israël demandera aux sayanim français d’être leur cinquième colonne, et un grand nombre d’entre eux le feront, parce qu’on a développé chez eux un second patriotisme, plus fort que le premier.
Reprenons le cas du sayan à Saclay. Cela aurait pu, ou cela avait pu, nuire aux intérêts de la France en tant que pays ayant signé par contrat la livraison d’une centrale nucléaire et la formation de scientifiques, en assurant en principe leur protection. La France aurait quelque part failli, car le Mossad a réussi, grâce à son sayan, à localiser et à assassiner à Paris, un scientifique irakien de haut rang.
Le statut de sayan n’est pas si anodin.
N’y a-t-il pas un risque en lisant ton livre de confondre fonction et réalité, en effet le renseignement est d’abord un travail de bureau. Plus de 75% des postes sont sédentaires dans pratiquement tous les états (par exemple les « services britanniques qui comptent environ 3000 personnes, avouent moins de 500 personnes sur le terrain.) Ne faudrait-il pas un nombre très élevé de « Katsa » pour traiter le nombre considérable d’agents potentiels que tu avances ?
Les sayanim ne sont pas des agents secrets qui doivent être « traités » au jour le jour par des responsables du Mossad. On sort là du fonctionnement habituel du service secret. Si cela avait été le cas, il aurait fallu des dizaines, sinon des centaines, de « katsas » pour les traiter.
Les sayanim mènent leur vie habituelle, travail, famille, loisirs. Ils peuvent ne pas être sollicités pendant des mois. L’important est qu’ils soient répertoriés et prêts à agir en cas de nécessité. Un sayan agent immobilier peut ne pas agir pendant un an. Mais il entrera en action le jour où le Mossad lui demandera de mettre à sa disposition une planque. De même pour un sayan garagiste ou un sayan haut fonctionnaire. De même, un « katsa » peut avoir un relais personnel – par exemple un homme important dans les médias – qui relaiera un mot d’ordre décidé par le Mossad, dans sa guerre de désinformation. Par exemple : faire le maximum de buzz autour de Gilad Shalit. Opération remarquable. Qui ignore aujourd’hui le nom de ce soldat, transformé en « otage », alors qu’il servait une armée d’occupation ? Grâce à des relais dans les médias et au sein de la classe politique (gouvernement, partis, parlement…), Israël passe pour un pays qui souffre de la détention d’un « otage » alors qu’il détient 11 000 prisonniers, dont 95% sont politiques, donc de vrais otages de leur politique d’occupation.
Une bonne organisation – on peut faire confiance au Mossad pour cela – et une capacité de réaction rapide, permettent à quelques « katsas » d’encadrer des milliers de sayanim et de les faire agir ensemble et dans le « bon sens ».
Jacob COHEN : Le Printemps des sayanim tente de donner une idée de la pénétration de ces « informateurs » juifs français – il en existe dans tous les pays où réside une communauté juive – qui, par « patriotisme », collaborent avec le Mossad, et lui apportent leur aide, principalement dans 2 domaines. Celui de la propagande ou de la désinformation. Ou dans le cadre des opérations d’espionnage. Mon livre se concentre sur le premier aspect. Il met en scène – c’est un roman et non un essai – des personnages connus et que l’on identifie facilement – ou moins connus comme certains francs-maçons juifs et sionistes qui ont créé une loge « judéo-sioniste » au sein du Grand Orient et qui organise par exemple chaque année des voyages encadrés en Israël – que je suppose être des sayanim, vu leur implication revendiquée en faveur de la politique d’Israël. Par exemple l’organisation d’un match de football entre jeunes israéliens et palestiniens, opération typique de propagande pour faire croire à une paix qui avancerait pendant que la colonisation continue. Les sayanim dans les médias lui donneront une publicité exagérée. Comme ils ont réussi à faire imposer un certain vocabulaire, à RFI par exemple : Dire Jérusalem à la place de Tel Aviv ; implantations au lieu de colonies ; barrière de sécurité et non mur de séparation. Les sayanim pénètrent tous les secteurs de la société. Aucun ne leur échappe. Exemple de collaboration en matière d’espionnage. Lorsque l’Irak a envoyé des scientifiques en France pour se perfectionner en matière nucléaire, le Mossad a trouvé un sayan à Saclay qui leur a fourni leur dossier complet.
Ne penses-tu pas que la multiplicité des « services » chargés du renseignement au sein d’un même gouvernement (le Mossad, le Shin Beth, l’Aman, le Malmab, le Lakma, le Nativ,) chargés du renseignement intra et extra-territorial, provoquent des gaspillages budgétaires et surtout des pertes d’informations ou de recoupements ?
Les pays qui lient leur destin à une politique de puissance, et la taille n’a rien à voir, référence à Israël, développent une multitude de « services » pour couvrir tous les champs possibles d’investigation, recouper les informations, créer de la stimulation. L’Amérique actuelle en est l’exemple parfait, qui ignorerait jusqu’à leur nombre et leurs attributions. Ce qui introduit une compétition entre eux, et qui peut avoir des effets néfastes. Mais il serait illusoire d’exiger d’eux une collaboration totale et sans arrière-pensées. L’esprit de corps finit souvent par primer sur les considérations nationales.
Il y a probablement autant d’avantages, sinon plus, à garder les structures actuelles en Israël qu’à vouloir les fondre en 2 ou 3 organismes. Il y a une plus grande efficacité à privilégier l’ « humain », au détriment de la technologie, et cette efficacité est inversement proportionnelle à la taille de la structure. L’élément budgétaire ne serait pas déterminant, à cause du nombre d’agents relativement faible, des priorités nationales, et des aides américaines. Il se trouve aussi que les chefs des « services », qui dépendent directement du premier ministre, se réunissent régulièrement avec lui, ou sont invités à certaines séances du cabinet. On peut donc estimer qu’ils ne se marchent pas trop sur les pieds.
Il semble indispensable de conserver une certaine séparation des « services », dans une démocratie tout au moins, et dans cette optique qui contrôle vraiment les Sayanim ?
D’après les témoignages les plus crédibles, en particulier Victor Ostrovsky et Gordon Thomas – ce dernier a recueilli les confidences de tous les anciens chefs du Mossad, en particulier celui de Meir Amit, patron du Mossad au début des années 60 et qui lui avait révélé explicitement l’intérêt de créer et de développer le corps des sayanim – c’est le service secret israélien chargé des opérations à l’extérieur qui en a la responsabilité. Ce qui est d’ailleurs logique, puisque les sayanim sont par définition des juifs qui résident hors d’Israël. Il semble aussi que les autres « services » s’occupent soit des affaires intérieures, ou des affaires relevant des Territoires palestiniens, ou des affaires militaires. Il se peut aussi qu’un service autre que le Mossad cherche à recruter à l’étranger un agent pour une mission spécifique et qu’il s’agisse d’un juif. Mais cela n’équivaudra jamais à l’importance, par le nombre et la qualité, aux sayanim. Rappelons que ces derniers se comptent par dizaines de milliers dans le monde. 3000 dans la seule ville de Londres, selon Ostrovsky. Et ce corps relève exclusivement du Mossad. Qui ne rend compte qu’au premier ministre ou à la commission de la Défense de la Knesset.
Un agent est efficace dans l’incognito. C’est sa maîtrise d’un domaine ou ses contacts qui représentent un intérêt pour le traitant. Un vrai officier de renseignement est indécelable, il semble mener une vie de routine, ennuyeuse et normale. Comment alors pouvoir affirmer telle action, tel chiffre ou telle réalité concernant les Sayanim ?
Évidemment, seul le responsable du Mossad dans un pays connaît le chiffre exact des sayanim. Donc les chiffres qui sont avancés, même par les connaisseurs les plus avertis, ne peuvent être que des estimations. Mais celles-ci n’en donnent pas moins une image de la réalité. On peut se tromper sur quelques centaines pour un pays, mais cela ne change rien quant au fond. Certains témoignages rapportent des faits établis, comme l’action du sayan à Saclay. Pour être efficaces, les sayanim doivent être nombreux pour couvrir tous les secteurs possibles et imaginables, ou mener une action ponctuelle d’envergure. Lorsque Mordechaï Vanunu – celui qui a révélé les secrets nucléaires de Dimona à un journal britannique – a été mis en sécurité dans un hôtel londonien, le Mossad a mobilisé tous sessayanim de Londres, qui ont quadrillé la ville, et appelé hôtel par hôtel, avec une description sommaire et un lien familial fallacieux, et il a fini par retrouver sa trace. Comme pour toutes les histoires secrètes, l’action des sayanim ne sort que par bribes. Ce qui n’enlève rien à leur réalité.
D’après toi, être un Sayan lorsqu’on est français d’origine, est-ce tromper sa patrie ?
Dans un sens, oui. Considérons le problème autrement, car quand il s’agit d’Israël, les repères changent, comme si ce pays devait bénéficier d’un traitement à part. Imaginons une grande communauté d’Allemands vivant en France ou aux Etats-Unis, en tant que citoyens de ces pays, et que des milliers d’entre eux renseigneraient les services secrets allemands, dans tous les domaines, ou entreprendraient des actions en faveur de leur lointain pays d’origine, comment jugerait-on cela ? Un autre élément qu’on passe sous silence parce qu’Israël aujourd’hui est l’allié de la France, et qu’être sayan paraît inoffensif. Imaginons qu’on soit en guerre. Israël demandera aux sayanim français d’être leur cinquième colonne, et un grand nombre d’entre eux le feront, parce qu’on a développé chez eux un second patriotisme, plus fort que le premier.
Reprenons le cas du sayan à Saclay. Cela aurait pu, ou cela avait pu, nuire aux intérêts de la France en tant que pays ayant signé par contrat la livraison d’une centrale nucléaire et la formation de scientifiques, en assurant en principe leur protection. La France aurait quelque part failli, car le Mossad a réussi, grâce à son sayan, à localiser et à assassiner à Paris, un scientifique irakien de haut rang.
Le statut de sayan n’est pas si anodin.
N’y a-t-il pas un risque en lisant ton livre de confondre fonction et réalité, en effet le renseignement est d’abord un travail de bureau. Plus de 75% des postes sont sédentaires dans pratiquement tous les états (par exemple les « services britanniques qui comptent environ 3000 personnes, avouent moins de 500 personnes sur le terrain.) Ne faudrait-il pas un nombre très élevé de « Katsa » pour traiter le nombre considérable d’agents potentiels que tu avances ?
Les sayanim ne sont pas des agents secrets qui doivent être « traités » au jour le jour par des responsables du Mossad. On sort là du fonctionnement habituel du service secret. Si cela avait été le cas, il aurait fallu des dizaines, sinon des centaines, de « katsas » pour les traiter.
Les sayanim mènent leur vie habituelle, travail, famille, loisirs. Ils peuvent ne pas être sollicités pendant des mois. L’important est qu’ils soient répertoriés et prêts à agir en cas de nécessité. Un sayan agent immobilier peut ne pas agir pendant un an. Mais il entrera en action le jour où le Mossad lui demandera de mettre à sa disposition une planque. De même pour un sayan garagiste ou un sayan haut fonctionnaire. De même, un « katsa » peut avoir un relais personnel – par exemple un homme important dans les médias – qui relaiera un mot d’ordre décidé par le Mossad, dans sa guerre de désinformation. Par exemple : faire le maximum de buzz autour de Gilad Shalit. Opération remarquable. Qui ignore aujourd’hui le nom de ce soldat, transformé en « otage », alors qu’il servait une armée d’occupation ? Grâce à des relais dans les médias et au sein de la classe politique (gouvernement, partis, parlement…), Israël passe pour un pays qui souffre de la détention d’un « otage » alors qu’il détient 11 000 prisonniers, dont 95% sont politiques, donc de vrais otages de leur politique d’occupation.
Une bonne organisation – on peut faire confiance au Mossad pour cela – et une capacité de réaction rapide, permettent à quelques « katsas » d’encadrer des milliers de sayanim et de les faire agir ensemble et dans le « bon sens ».
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