Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Avec la carte d’identité électronique, la peur du fichage généralisé

Réduire
Cette discussion est fermée.
X
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Avec la carte d’identité électronique, la peur du fichage généralisé

    Encore en discussion, la proposition de loi controversée entend lutter contre les escroqueries.

    Elle connaît presque tout de vous, de la (vraie) couleur de vos yeux jusqu’à la plus intime de vos bizarreries génétiques. Pas encore adoptée, la carte nationale d’identité électronique est bien plus que le bout de plastique turquoise toujours délivré par votre mairie. Votée en catimini par onze députés (sur 577) en première lecture aux premiers jours de juillet, cette cartedevrait, selon ses partisans, mettre un coup d’arrêt au fléau de l’usurpation d’identité. Le ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, soutient l’idée au motif qu’elle entre dans une «dynamique européenne» : plusieurs pays de l’Union européenne, dont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Suède et la Belgique, l’ont déjà adoptée. Ses opposants y voient plutôt une violation des libertés individuelles.

    Le «fléau» de l’usurpation d’identité serait estimé à 200 000 cas en 2009, selon Claude Guéant, qui s’appuie sur une lecture personnelle d’une étude du Crédoc (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie).Alors que le ministère de la Justice, lui, n’a recensé que 11 621 condamnations en 2009. A l’appui de son texte, le rapporteur UMP Philippe Goujon cite les «conséquences dramatiques» pour les victimes, démunies face à un fantôme qui commet des infractions en leur nom. Son collègue sénateur du Nord, Jean-René Lecerf, va plus loin : «Il faut être débile pour se risquer à braquer des banques alors qu’en fouillant trois poubelles on trouve tout le nécessaire pour une vraie-fausse identité. Avec le nom et la date de naissance, vous déclarez le vol des papiers, en demandez des nouveaux à la mairie, et rien ne vous empêche ensuite d’ouvrir des comptes courants dans toutes les banques du pays. Vous touchez le pognon et c’est Bidule qui rembourse.» Le temps que la justice répare le préjudice, beaucoup de ménages ruinés se retrouvent fichés à la Banque de France.

    Fièvre. Voilà pourquoi, le 14 mars, la Loppsi 2 (Loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure) a inscrit au code pénal un délit d’usurpation d’identité, puni d’un an de prison et de 15 000 euros d’amende. C’est là qu’entrent en piste les deux puces électroniques de la nouvelle carte d’identité.

    La première, dite «régalienne», concentrera les données biographiques et biométriques de la personne : nom, prénom, date et lieu de naissance, photo, taille, couleur des yeux et les huit empreintes digitales. A l’inverse du smartphone qui, même éteint, vous suit à la trace comme un mouchard, elle ne permet pas la géolocalisation.

    La seconde puce «de services» servira à «mettre en œuvre sa signature électronique». En clair, grâce au boîtier lecteur de carte (fourni avec) branché à l’ordinateur, elle garantira la sécurité de votre fièvre acheteuse un jour de soldes sur Venteprivee. com.
    «Tout cela n’a rien à faire dans une carte d’identité ! s’emporte Serge Blisko, député PS de Paris. On nous promet que le commerçant n’aura pas accès aux données biométriques et aux empreintes digitales, mais on sait bien ce que valent les promesses en matière de technologie informatique. Cette proposition de loi nous fait entrer dans un monde orwellien !» Sur le côté Big Brother, le sénateur UMP François Pillet a vanté les mérites de la carte du futur, «susceptible de concerner 60 millions de Français» et dont la base centrale TES (pour «Titres électroniques sécurisés») constituera «le premier fichier des gens honnêtes».

    C’est là que les parlementaires ne sont pas d’accord entre eux. Le sénateur Jean-René Lecerf défend la création d’un gigantesque fichier de police, car «ce serait dommage de se priver d’informations qui permettraient d’arrêter un violeur récidiviste, de retrouver un gamin en fugue ou de mettre un nom sur un cadavre.»

    Ficher l’ensemble de la population française pour quelques milliers d’identités usurpées, à gauche, on trouve la ficelle un peu grosse. A droite aussi, puisque les sénateurs UMP, François Pillet en tête, campent sur leurs positions :«Il faut en interdire l’utilisation à des fins de recherche criminelle.»Il reste à convoquer une commission mixte paritaire, puis attendre l’avis de la Cnil (Commission nationale informatique et libertés), ce qui fait dire à Jean-René Lecerf que «la carte électronique ne verra pas le jour avant 2012». Le projet ne date pourtant pas d’hier. Le site internet Owni a déterré une envolée lyrique de Dominique de Villepin, alors Premier ministre : «L’usage de faux papiers coûte plusieurs milliards à la nation chaque année. Pour régler le problème, nous pouvions bien sûr nous adresser à Zorro mais il n’était pas disponible, et c’est pour cela que nous avons sollicité Ines (Identité nationale sécurisée).»

    «Atteinte excessive». La Cnil avait répondu en 2007 : «Aussi légitimes qu’elles peuvent l’être, les finalités invoquées [lutte contre le terrorisme et l’immigration irrégulière, ndlr] ne justifient pas la conservation au plan national de données biométriques telles que les empreintes digitales. [Cela] porterait une atteinte excessive à la liberté individuelle.» Idem pour le passeport biométrique, qui avait reçu un «avis défavorable» de ladite commission… sans pour autant échauder le gouvernement, qui était passé outre pour lancer en juin 2009, le petit carnet aux huit empreintes digitales, désormais essentiel pour poser le pied aux Etats-Unis.
    En attendant que Big Brother vous rattrape, rien ne vous empêche de présenter à la maréchaussée votre vieux passeport pas biométrique ou le morceau de carton rose déchiré qui vous sert de permis de conduire. La carte d’identité n’est pas obligatoire

    Mathieu Palin, Liberation 24/08/2011
Chargement...
X