Comment appréhender la situation marocaine ? Les partenaires occidentaux de ce pays que l’on a parfois tendance à porter aux nues pour ses réformes sociétales (code de la famille, instance équité et réconciliation sur les droits humains) ou à vilipender pour son immobilisme, et donc à taxer de « maillon faible » du Maghreb, sont à nouveau perplexes devant la morosité du climat politique et économique d’un Royaume présenté comme en perpétuelle transition et qui pourtant bouge assez peu.
Pourtant l’économie fonctionne : construction, le Maroc est un immense chantier et le moindre village change d’échelle (se couvrant d’immeubles), phosphates, mines, tourisme (malgré les retards du plan Azur), gros investissements, notamment portuaires avec le port Méditerranée près de Tanger, centrales thermiques, finances, secteur tertiaire avec les services délocalisés qui se multiplient dans les grandes villes, prospection pétrolière relancée, etc. D’autres sont handicapés par les éléments, l’agriculture victime de la sécheresse, donc exportations agricoles en baisse, textiles et plastiques qui ne remettent pas de l’invasion chinoise, d’où une chute des exportations et donc un déficit de la balance commerciale. Les banques regorgeant d’argent, les taux de crédit ont encore baissé. Rien de nouveau ni de catastrophique, cependant un malaise diffus au point que le patron des patrons, président de la CGEM (confédération générale des entreprises marocaines), Hassan Chami, a cru bon, en juin, de critiquer publiquement le système de gouvernance et s’est fait vertement réprimander par le ministre de l’intérieur, Mustapha Sahel.
La visibilité politique n’est pas plus grande que la visibilité économique. Le Maroc donne l’impression d’un pays non dirigé. Début juin des mouvements de protestation ont fusé partout, villes, villages, quartiers, secteurs comme les diplômés chômeurs perpétuellement en révolte : manifestations d’étudiants pour des questions de bourses, de transports, de logement aux portes du désert, à M’hammid les Gazelles, avec une dénonciation partout de la dilapidation des fonds publics et de la mauvaise gestion communale, réclamations d’infrastructures, routes, notamment, à Sidi Ifni, Tata, grèves dans des entreprises délocalisées de Rabat, à Casablanca, et parmi les enseignants qui manifestent devant le siège du ministère de l’éducation nationale, sans compter la révolte latente dans le nord suite au tremblement de terre de 2004 et à ses suites et au Sahara.
Cette forte contestation prend parfois des aspects cocasses : le 12 septembre près de 2000 habitants de Bouarfa, à la frontière algérienne, protestant contre le chômage et l’absence de logements ont menacé d’une immigration collective vers l’Algérie et ont marché durant 17 kms pour se faire entendre.
Et à Ich, à 6 kms de la frontière algérienne, des protestations pour des problèmes d’électrification. L’année dernière à la même époque, 53 habitants de 7 familles de nomades de la région, se sont installés en Algérie dont ils ont obtenu aide, assistance et nationalité. La région agonise depuis la fermeture des mines de cuivre et de magnésium et les habitants déclarent être abandonnés par les autorités.
Un temps pris de court, le pouvoir politique réagit depuis la fin juin de manière sécuritaire. La répression est dosée selon les secteurs (matraquages d’ouvrières en grève à Rabat et d’étudiants islamistes à la faculté des sciences de Casablanca, sans oublier les diplômés chômeurs), les régions (procès d’un enseignant à Taroudant accusé d’occupation illégale de l’espace public pour une manifestation non autorisée) et les formes prises par la contestation. Des délits de presse sont à nouveau signalés comme l’affaire de l’hebdomadaire Tel Quel condamné de manière expéditive à une très forte amende (1 million DH) en août pour diffamation et celle d’Ici et Maintenant, journal de Ouarzazate dont le directeur est poursuivi et les locaux ont été incendiés. Cette contestation est perçue très différemment par les partisans du régime (qui parlent d'ouverture, de démocratie, de respect des libertés) ou par ses adversaires qui parlent, eux, de malaise politique, d'incapacité du pouvoir, de répression aveugle et de désintégration sociétale.
La même façon de voir controversée concerne l’INDH (initiative nationale de développement humain) : lancée par discours royal et sacrée de la plus haute priorité pour le régime, elle concerne la mise à niveau sociale de 350 communes rurales et de 250 quartiers urbains par de petits projets évalués à 10 milliards DH sur 5 ans, pour lesquels l’État va se fonder sur les associations qui font déjà ce travail. L’INDH a déjà mis le feu aux poudres et c’est pour y être inclus que les habitants de Tata se sont, par exemple, lancés dans des concerts de casseroles à la manière sud-américaine. Beaucoup louent cette initiative plus sociale que politique, d’autres, par contre, l’assimilent à de la poudre aux yeux. Les rares discours de Mohamed VI, même ceux annonçant des décisions importantes comme l’attribution de leur nationalité par les femmes marocaines mariées à des étrangers, à leurs enfants (elles le réclamaient et plus de 14 000 sont concernées),
la création d’un énième conseil supérieur de l’enseignement, la restructuration du conseil royal consultatif sur le Sahara et la lutte contre les trafics d’influence et autres abus de pouvoir, ne mettent plus un terme au malaise diffus. Il est vrai que l’administration est incapable et incohérente : sollicités par les pouvoirs
publics, 39 000 fonctionnaires se sont inscrits pour des départs volontaires à la retraite, mais ce sont naturellement les meilleurs, et certains secteurs sont dégarnis comme l’enseignement supérieur et même la police. Une loi a instauré la journée continue mais l’éducation nationale a laissé les établissements libres de leurs horaires et toutes
les femmes travailleuses sont gênées et mécontentes. Les exemples pourraient être multipliés dans un pays où l’été est traditionnellement mort, suivi, cette année, en octobre d’un mois de ramadan également mort.
Du coup Paris, Bruxelles et Washington s’inquiètent et le font savoir. Les Etats-Unis sont intervenus directement et à deux reprises de manière visible sur la scène politique marocaine. Marquant au Maroc, comme ils l’ont fait pour l’Égypte et la Turquie entre autres, un intérêt pour les islamistes dits modérés, face à des démocrates qui ne leur
semblent ni efficaces ni crédibles et qui, au Maroc, sont clairement les soutiens de Mohamed VI, ils ont invité à Washington Nadia Yassine, égérie et porte parole du mouvement islamiste "al adh wa l ihssane" dirigé par son père le cheikh Yassine. Celle ci, aux États-Unis puis à son retour au Maroc, a déclaré qu’elle préférait le système républicain à un système monarchiste qui lui semblait, au surplus, condamné. Après avoir tergiversé l’État l’a traduite devant les tribunaux ce qui lui a occasionné une médiatisation énorme. Les États-Unis sont alors intervenus pour conseiller le report de ce procès pour délit d’opinion et l’ambassadeur américain à Rabat a clairement dit que les États-Unis étaient pour la démocratie et la liberté d’opinion. Du coup le cheikh Yassine annonça, le 9 août,
pour 2006 « une année décisive, faite de grands évènements pour lesquels il faut établir un plan d’action à la hauteur des évolutions ». Rêves prémonitoires dont le cheikh serait coutumier ou analyse politique ? il a en tous cas ajouté que « la situation politique, économique, sociale et culturelle est catastrophique. Or, plus la décadence est grande, plus les attentes des gens sont énormes et plus il y a de possibilités de changement ».
Cependant, de là à imaginer la recrudescence d’actions violentes dues aux islamistes, il y a une marge, puisque le principal parti islamiste, le PJD, intégré dans le jeu (en attendant 2007).
Source : http://www.risques-internationaux.co...ettreRIn41.pdf
Pourtant l’économie fonctionne : construction, le Maroc est un immense chantier et le moindre village change d’échelle (se couvrant d’immeubles), phosphates, mines, tourisme (malgré les retards du plan Azur), gros investissements, notamment portuaires avec le port Méditerranée près de Tanger, centrales thermiques, finances, secteur tertiaire avec les services délocalisés qui se multiplient dans les grandes villes, prospection pétrolière relancée, etc. D’autres sont handicapés par les éléments, l’agriculture victime de la sécheresse, donc exportations agricoles en baisse, textiles et plastiques qui ne remettent pas de l’invasion chinoise, d’où une chute des exportations et donc un déficit de la balance commerciale. Les banques regorgeant d’argent, les taux de crédit ont encore baissé. Rien de nouveau ni de catastrophique, cependant un malaise diffus au point que le patron des patrons, président de la CGEM (confédération générale des entreprises marocaines), Hassan Chami, a cru bon, en juin, de critiquer publiquement le système de gouvernance et s’est fait vertement réprimander par le ministre de l’intérieur, Mustapha Sahel.
La visibilité politique n’est pas plus grande que la visibilité économique. Le Maroc donne l’impression d’un pays non dirigé. Début juin des mouvements de protestation ont fusé partout, villes, villages, quartiers, secteurs comme les diplômés chômeurs perpétuellement en révolte : manifestations d’étudiants pour des questions de bourses, de transports, de logement aux portes du désert, à M’hammid les Gazelles, avec une dénonciation partout de la dilapidation des fonds publics et de la mauvaise gestion communale, réclamations d’infrastructures, routes, notamment, à Sidi Ifni, Tata, grèves dans des entreprises délocalisées de Rabat, à Casablanca, et parmi les enseignants qui manifestent devant le siège du ministère de l’éducation nationale, sans compter la révolte latente dans le nord suite au tremblement de terre de 2004 et à ses suites et au Sahara.
Cette forte contestation prend parfois des aspects cocasses : le 12 septembre près de 2000 habitants de Bouarfa, à la frontière algérienne, protestant contre le chômage et l’absence de logements ont menacé d’une immigration collective vers l’Algérie et ont marché durant 17 kms pour se faire entendre.
Et à Ich, à 6 kms de la frontière algérienne, des protestations pour des problèmes d’électrification. L’année dernière à la même époque, 53 habitants de 7 familles de nomades de la région, se sont installés en Algérie dont ils ont obtenu aide, assistance et nationalité. La région agonise depuis la fermeture des mines de cuivre et de magnésium et les habitants déclarent être abandonnés par les autorités.
Un temps pris de court, le pouvoir politique réagit depuis la fin juin de manière sécuritaire. La répression est dosée selon les secteurs (matraquages d’ouvrières en grève à Rabat et d’étudiants islamistes à la faculté des sciences de Casablanca, sans oublier les diplômés chômeurs), les régions (procès d’un enseignant à Taroudant accusé d’occupation illégale de l’espace public pour une manifestation non autorisée) et les formes prises par la contestation. Des délits de presse sont à nouveau signalés comme l’affaire de l’hebdomadaire Tel Quel condamné de manière expéditive à une très forte amende (1 million DH) en août pour diffamation et celle d’Ici et Maintenant, journal de Ouarzazate dont le directeur est poursuivi et les locaux ont été incendiés. Cette contestation est perçue très différemment par les partisans du régime (qui parlent d'ouverture, de démocratie, de respect des libertés) ou par ses adversaires qui parlent, eux, de malaise politique, d'incapacité du pouvoir, de répression aveugle et de désintégration sociétale.
La même façon de voir controversée concerne l’INDH (initiative nationale de développement humain) : lancée par discours royal et sacrée de la plus haute priorité pour le régime, elle concerne la mise à niveau sociale de 350 communes rurales et de 250 quartiers urbains par de petits projets évalués à 10 milliards DH sur 5 ans, pour lesquels l’État va se fonder sur les associations qui font déjà ce travail. L’INDH a déjà mis le feu aux poudres et c’est pour y être inclus que les habitants de Tata se sont, par exemple, lancés dans des concerts de casseroles à la manière sud-américaine. Beaucoup louent cette initiative plus sociale que politique, d’autres, par contre, l’assimilent à de la poudre aux yeux. Les rares discours de Mohamed VI, même ceux annonçant des décisions importantes comme l’attribution de leur nationalité par les femmes marocaines mariées à des étrangers, à leurs enfants (elles le réclamaient et plus de 14 000 sont concernées),
la création d’un énième conseil supérieur de l’enseignement, la restructuration du conseil royal consultatif sur le Sahara et la lutte contre les trafics d’influence et autres abus de pouvoir, ne mettent plus un terme au malaise diffus. Il est vrai que l’administration est incapable et incohérente : sollicités par les pouvoirs
publics, 39 000 fonctionnaires se sont inscrits pour des départs volontaires à la retraite, mais ce sont naturellement les meilleurs, et certains secteurs sont dégarnis comme l’enseignement supérieur et même la police. Une loi a instauré la journée continue mais l’éducation nationale a laissé les établissements libres de leurs horaires et toutes
les femmes travailleuses sont gênées et mécontentes. Les exemples pourraient être multipliés dans un pays où l’été est traditionnellement mort, suivi, cette année, en octobre d’un mois de ramadan également mort.
Du coup Paris, Bruxelles et Washington s’inquiètent et le font savoir. Les Etats-Unis sont intervenus directement et à deux reprises de manière visible sur la scène politique marocaine. Marquant au Maroc, comme ils l’ont fait pour l’Égypte et la Turquie entre autres, un intérêt pour les islamistes dits modérés, face à des démocrates qui ne leur
semblent ni efficaces ni crédibles et qui, au Maroc, sont clairement les soutiens de Mohamed VI, ils ont invité à Washington Nadia Yassine, égérie et porte parole du mouvement islamiste "al adh wa l ihssane" dirigé par son père le cheikh Yassine. Celle ci, aux États-Unis puis à son retour au Maroc, a déclaré qu’elle préférait le système républicain à un système monarchiste qui lui semblait, au surplus, condamné. Après avoir tergiversé l’État l’a traduite devant les tribunaux ce qui lui a occasionné une médiatisation énorme. Les États-Unis sont alors intervenus pour conseiller le report de ce procès pour délit d’opinion et l’ambassadeur américain à Rabat a clairement dit que les États-Unis étaient pour la démocratie et la liberté d’opinion. Du coup le cheikh Yassine annonça, le 9 août,
pour 2006 « une année décisive, faite de grands évènements pour lesquels il faut établir un plan d’action à la hauteur des évolutions ». Rêves prémonitoires dont le cheikh serait coutumier ou analyse politique ? il a en tous cas ajouté que « la situation politique, économique, sociale et culturelle est catastrophique. Or, plus la décadence est grande, plus les attentes des gens sont énormes et plus il y a de possibilités de changement ».
Cependant, de là à imaginer la recrudescence d’actions violentes dues aux islamistes, il y a une marge, puisque le principal parti islamiste, le PJD, intégré dans le jeu (en attendant 2007).
Source : http://www.risques-internationaux.co...ettreRIn41.pdf
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