BORDJ BADJI MOKHTAR
Virée dans les chantiers
Ces hommes qui bâtissent le désert
Travailler à l’Extrême Sud n’est pas une sinécure. C’est plutôt un défi qui ne peut être relevé que par les « amoureux » du travail. Ceux qui ne connaissent guère la fatigue. En plein plateau désertique de Tinzerouft, à Bordj Badji Mokhtar, sous la chaleur intenable -qui atteint parfois les pics de 55°- et des tonnes de poussière, un tel profil d’homme existe.
En effet, plus d’une centaine d’ouvriers livrent, depuis des années, une bataille de construction d’une nouvelle piste de l’aéroport local et des routes connectant cette contrée éloignée au reste de l’Algérie. La plupart d’entre eux sont des « Nordistes », comme aiment à les désigner les autochtones. Seuls, « noyés » dans le désert, entre le sable et les pierres, ces salariés de l’Entreprise de viabilisation de Sidi Moussa (EVSM), l’unique entreprise publique présente dans la région, y travaillent dans des conditions difficiles : isolement, aléas climatiques et diverses difficultés matérielles. Yeux rouges. Visage rongé par une barbe hirsute. Abdelkader Bensaïd, mécanicien de 49 ans, avance en titubant. Fin de travail, il se dirige d’un pas lent vers la « base de vie » pour se rafraîchir. Dehors, la température frôle les 45° en ce mois de mai. Pour Abdelkader et ses collègues, ce n’est encore pas la période des grandes chaleurs où l’on enregistre des pics de 55°. « On est dans une région des plus chaudes au monde. En été, il y a des périodes où, en milieu de journée, on ne peut pas mettre le pied dehors. Car, ça brûle », lâche-t-il, bouche sèche. « Il est difficile de tenir longtemps dans ce trou perdu au milieu du désert. Ici, nous sommes seuls avec Dieu. Vous voyez tout autour, il n’y a que du sable et des pierres », poursuit-il, montrant de la main les terres sablonneuses à perte de vue sur lesquelles ne pousse ni herbe ni plante. A l’insupportable chaleur, s’ajoutent l’isolement et les dures conditions de travail. Mais, les travailleurs tiennent bon. Ils considèrent que c’est le destin qui les a ramenés ici. « Kobza (c’est le pain) », précise Mohamed, chauffeur de camion. « Notre entreprise a des projets à Bordj Badji Mokhtar (BBM) et nous sommes là », explique-t-il. L’employeur est bien l’EVSM, une entreprise spécialisée dans la construction des routes, des autoroutes, de pistes d’aérodrome et de pelouses de stade. En tout, cinquante travailleurs ont été affectés à ce chantier : une station de concassage implantée sur une terre désertique semi-rocailleuse, à 60 km du village de Timiaouine et à quelques enjambées de la frontière malienne. La station est reconnaissable de loin, à travers la densité de la poussière qu’elle dégage. A quelques mètres, des camions constituent une file et attendent le chargement en gravier pour prendre le chemin de BBM vers le chantier de la nouvelle piste de l’aéroport. La distance, 120 km, est énorme. Les risques sont multiples. Surtout qu’il n’y a pas de route goudronnée. Mais l’entreprise n’a pas le choix. « C’est le seul endroit qui contient de la pierre exploitable », indique Nourredine Meftahi, chef de projet de l’aéroport de BBM. Explorer ce bout du pays, à 800 km de la ville d’Adrar et à 2300 km d’Alger, n’est sûrement pas une sinécure. D’ailleurs, l’EVSM demeure l’unique entreprise présente dans la région. « Quelle est cette entreprise qui va accepter de venir ici ? Le privé ? Impossible. Il préférera un petit projet au Nord à un grand ouvrage à l’Extrême Sud. Il est plus facile à réaliser et plus bénéfique en termes d’argent », dira un employé non sans fierté. Ainsi, face aux aléas de la nature très contraignante, les travailleurs lancent un défi. Une sorte de pari qu’ils doivent gagner à tout prix en menant à bien la tâche qui leur a été dévolue : bâtir des routes et un aérodrome en plein désert.
Chemins périlleux
A la station, les transporteurs de gravier circulent seulement la journée. « Le soir, ils risquent de se perdre dans l’immensité du plateau de Tinzerouft. Même les conducteurs targuis de camions ne roulent pas la nuit », nous dit Mohamed Dakhili qui fait quotidiennement le va-et-vient entre la station et le chantier de BBM. Beaucoup de personnes se sont égarées et certaines n’ont jamais été retrouvées, sinon complètement déshydratées. Les autorités locales ont mis des balises. Celles-ci sont invisibles la nuit. Ainsi, les seuls repères qui existent sont les étoiles. Mais celles-ci ne peuvent être utilisées que par « les enfants du désert ». Il y a près de dix ans, la piste BBM-Timiaouine a été balisée par des lampes qui fonctionnent à l’énergie solaire. Le projet a été financé par les autorités anglaises, suite à l’égarement de leurs touristes dans la région. Très utile, ces balises n’ont pas trop duré. Elles ont été volées. Et finie la circulation nocturne. Le va-et-vient entre la station et le chantier de BBM prend presque une journée. La tâche est ardue. Lorsque les besoins en gravier augmentent, on rajoute des camions transporteurs. Actuellement, 30 camions sont opérationnels. Ils roulent en file indienne. « Comme ça, si l’un tombe en panne, l’autre le dépannera. S’il s’avère que la panne est grave, nous laisserons le camion sur place. Son chauffeur montera avec nous et nous informerons notre direction à BBM pour envoyer un mécanicien », explique Mohamed. Parfois, des camions restent des jours immobilisés au cœur du désert, parce que telle ou telle pièce manque. Et il faut attendre qu’on l’envoie d’Alger. Pour ce faire, c’est toute une procédure. Pourtant, ce ne sont pas les pannes qui manquent. Les travailleurs sont parfois obligés d’opérer, eux-mêmes, des bricoles pour que le chantier ne s’arrête pas. Mais ce n’est pas tout le temps évident. Outre les pannes mécaniques, il y a l’ensablement. « Nous sommes obligés de rouler la journée. La terre étant chaude, les camions s’enlisent facilement dans le sable », souligne encore Mohamed. Il y a aussi le problème de carburant auquel la station est confrontée. Elle est alimentée une fois par mois, au même titre que les stations d’essence de Bordj et de Timiaouine. « Il arrive que les camions ravitailleurs fassent quelques jours de retard et nos réserves tombent à sec », nous confie un employé. Le trajet est long et plein d’aléas liés à la nature désertique de la région. Lorsqu’il y a le vent de sable, les camions ravitailleurs -de la Société nationale du transport routier- s’arrêtent. Ces camions se ravitaillent d’Adrar avant de parcourir 800 km, dont la moitié n’est qu’une piste impraticable par endroits, au cœur du plateau de Tinezrouft (mot targui qui veut dire le pays de la soif), le deuxième le plus dangereux au monde, après le Nevada (USA). A un jet de la station se trouve une noria de chalets viabilisés : eau, électricité (groupe électrogène), climatisation, douches et réfectoire. Les produits alimentaires, les légumes et fruits leur proviennent de Reggane, à 800 km de la station. Ils n’achètent localement que de la viande. Seul produit qui n’est pas cher à BBM : un kilo revient à 300 DA seulement. La raison ? Le cheptel sacrifié est acheté à bon marché au Mali.
Mokrane Ait Ouarabi
El watan
Virée dans les chantiers
Ces hommes qui bâtissent le désert
Travailler à l’Extrême Sud n’est pas une sinécure. C’est plutôt un défi qui ne peut être relevé que par les « amoureux » du travail. Ceux qui ne connaissent guère la fatigue. En plein plateau désertique de Tinzerouft, à Bordj Badji Mokhtar, sous la chaleur intenable -qui atteint parfois les pics de 55°- et des tonnes de poussière, un tel profil d’homme existe.
En effet, plus d’une centaine d’ouvriers livrent, depuis des années, une bataille de construction d’une nouvelle piste de l’aéroport local et des routes connectant cette contrée éloignée au reste de l’Algérie. La plupart d’entre eux sont des « Nordistes », comme aiment à les désigner les autochtones. Seuls, « noyés » dans le désert, entre le sable et les pierres, ces salariés de l’Entreprise de viabilisation de Sidi Moussa (EVSM), l’unique entreprise publique présente dans la région, y travaillent dans des conditions difficiles : isolement, aléas climatiques et diverses difficultés matérielles. Yeux rouges. Visage rongé par une barbe hirsute. Abdelkader Bensaïd, mécanicien de 49 ans, avance en titubant. Fin de travail, il se dirige d’un pas lent vers la « base de vie » pour se rafraîchir. Dehors, la température frôle les 45° en ce mois de mai. Pour Abdelkader et ses collègues, ce n’est encore pas la période des grandes chaleurs où l’on enregistre des pics de 55°. « On est dans une région des plus chaudes au monde. En été, il y a des périodes où, en milieu de journée, on ne peut pas mettre le pied dehors. Car, ça brûle », lâche-t-il, bouche sèche. « Il est difficile de tenir longtemps dans ce trou perdu au milieu du désert. Ici, nous sommes seuls avec Dieu. Vous voyez tout autour, il n’y a que du sable et des pierres », poursuit-il, montrant de la main les terres sablonneuses à perte de vue sur lesquelles ne pousse ni herbe ni plante. A l’insupportable chaleur, s’ajoutent l’isolement et les dures conditions de travail. Mais, les travailleurs tiennent bon. Ils considèrent que c’est le destin qui les a ramenés ici. « Kobza (c’est le pain) », précise Mohamed, chauffeur de camion. « Notre entreprise a des projets à Bordj Badji Mokhtar (BBM) et nous sommes là », explique-t-il. L’employeur est bien l’EVSM, une entreprise spécialisée dans la construction des routes, des autoroutes, de pistes d’aérodrome et de pelouses de stade. En tout, cinquante travailleurs ont été affectés à ce chantier : une station de concassage implantée sur une terre désertique semi-rocailleuse, à 60 km du village de Timiaouine et à quelques enjambées de la frontière malienne. La station est reconnaissable de loin, à travers la densité de la poussière qu’elle dégage. A quelques mètres, des camions constituent une file et attendent le chargement en gravier pour prendre le chemin de BBM vers le chantier de la nouvelle piste de l’aéroport. La distance, 120 km, est énorme. Les risques sont multiples. Surtout qu’il n’y a pas de route goudronnée. Mais l’entreprise n’a pas le choix. « C’est le seul endroit qui contient de la pierre exploitable », indique Nourredine Meftahi, chef de projet de l’aéroport de BBM. Explorer ce bout du pays, à 800 km de la ville d’Adrar et à 2300 km d’Alger, n’est sûrement pas une sinécure. D’ailleurs, l’EVSM demeure l’unique entreprise présente dans la région. « Quelle est cette entreprise qui va accepter de venir ici ? Le privé ? Impossible. Il préférera un petit projet au Nord à un grand ouvrage à l’Extrême Sud. Il est plus facile à réaliser et plus bénéfique en termes d’argent », dira un employé non sans fierté. Ainsi, face aux aléas de la nature très contraignante, les travailleurs lancent un défi. Une sorte de pari qu’ils doivent gagner à tout prix en menant à bien la tâche qui leur a été dévolue : bâtir des routes et un aérodrome en plein désert.
Chemins périlleux
A la station, les transporteurs de gravier circulent seulement la journée. « Le soir, ils risquent de se perdre dans l’immensité du plateau de Tinzerouft. Même les conducteurs targuis de camions ne roulent pas la nuit », nous dit Mohamed Dakhili qui fait quotidiennement le va-et-vient entre la station et le chantier de BBM. Beaucoup de personnes se sont égarées et certaines n’ont jamais été retrouvées, sinon complètement déshydratées. Les autorités locales ont mis des balises. Celles-ci sont invisibles la nuit. Ainsi, les seuls repères qui existent sont les étoiles. Mais celles-ci ne peuvent être utilisées que par « les enfants du désert ». Il y a près de dix ans, la piste BBM-Timiaouine a été balisée par des lampes qui fonctionnent à l’énergie solaire. Le projet a été financé par les autorités anglaises, suite à l’égarement de leurs touristes dans la région. Très utile, ces balises n’ont pas trop duré. Elles ont été volées. Et finie la circulation nocturne. Le va-et-vient entre la station et le chantier de BBM prend presque une journée. La tâche est ardue. Lorsque les besoins en gravier augmentent, on rajoute des camions transporteurs. Actuellement, 30 camions sont opérationnels. Ils roulent en file indienne. « Comme ça, si l’un tombe en panne, l’autre le dépannera. S’il s’avère que la panne est grave, nous laisserons le camion sur place. Son chauffeur montera avec nous et nous informerons notre direction à BBM pour envoyer un mécanicien », explique Mohamed. Parfois, des camions restent des jours immobilisés au cœur du désert, parce que telle ou telle pièce manque. Et il faut attendre qu’on l’envoie d’Alger. Pour ce faire, c’est toute une procédure. Pourtant, ce ne sont pas les pannes qui manquent. Les travailleurs sont parfois obligés d’opérer, eux-mêmes, des bricoles pour que le chantier ne s’arrête pas. Mais ce n’est pas tout le temps évident. Outre les pannes mécaniques, il y a l’ensablement. « Nous sommes obligés de rouler la journée. La terre étant chaude, les camions s’enlisent facilement dans le sable », souligne encore Mohamed. Il y a aussi le problème de carburant auquel la station est confrontée. Elle est alimentée une fois par mois, au même titre que les stations d’essence de Bordj et de Timiaouine. « Il arrive que les camions ravitailleurs fassent quelques jours de retard et nos réserves tombent à sec », nous confie un employé. Le trajet est long et plein d’aléas liés à la nature désertique de la région. Lorsqu’il y a le vent de sable, les camions ravitailleurs -de la Société nationale du transport routier- s’arrêtent. Ces camions se ravitaillent d’Adrar avant de parcourir 800 km, dont la moitié n’est qu’une piste impraticable par endroits, au cœur du plateau de Tinezrouft (mot targui qui veut dire le pays de la soif), le deuxième le plus dangereux au monde, après le Nevada (USA). A un jet de la station se trouve une noria de chalets viabilisés : eau, électricité (groupe électrogène), climatisation, douches et réfectoire. Les produits alimentaires, les légumes et fruits leur proviennent de Reggane, à 800 km de la station. Ils n’achètent localement que de la viande. Seul produit qui n’est pas cher à BBM : un kilo revient à 300 DA seulement. La raison ? Le cheptel sacrifié est acheté à bon marché au Mali.
Mokrane Ait Ouarabi
El watan
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