Annonce

Réduire
Aucune annonce.

Syrie : un officier supérieur parle

Réduire
X
 
  • Filtre
  • Heure
  • Afficher
Tout nettoyer
nouveaux messages

  • Syrie : un officier supérieur parle

    mercredi 7 septembre 2011


    « L’armée de la Syrie n’est que l’armée des services de sécurité syriens (jaych amni). » Mon interlocuteur a prononcé ces mots gravement. On l’appellera Mohammed, c’est un officier supérieur sunnite.

    Comment en est-on arrivé là ?


    Il faut remonter aux années 1960 où, en quatre coups d’Etat, se mettent en place les cadres de l’actuel système politique syrien : la ruralisation des villes et du régime, l’arrivée au pouvoir de la minorité alaouite et la domination du parti et des civils par l’armée. Le dernier putsch, celui de Hafez Al-Assad, père de l’actuel président, en 1970, va parachever la construction du système autoritaire. Il instaure un maillage complet de la société syrienne autour de l’armée et des organes de la Sûreté, du parti et de la bureaucratie. Le régime utilise aussi les liens de solidarité familiaux, claniques, communautaires et régionaux pour se constituer une clientèle (qui est évidemment rémunérée par les postes de la fonction publique). Le croisement des liens communautaires et de l’obsession du contrôle sécuritaire produit la prédominance alaouite dans les hautes charges de l’armée et des organes de sécurité. Le ciment de l’édifice sécuritaire, c’est la culture de la peur que la révolte vient de mettre à bas. Sous M. Bachar Al-Assad (depuis 2000), le parti, la bureaucratie et l’armée sont passés directement sous le contrôle des services de sécurité, eux-mêmes entièrement aux mains de la famille Assad. Les Syriens considèrent même que le parti est le sixième service de sécurité.

    Z. : « Combien d’hommes travaillent dans l’armée et les services de sécurité ? »

    M. : « Leur nombre total dépasserait 700 000 personnes : 400 000 hommes dans les forces armées régulières, 100 000 hommes dans la police et les services de renseignement, et plusieurs dizaines de milliers employés à temps partiel par les organes de la Sûreté. »

    Ce sont ces derniers qui forment les bataillons de chabbiha et de francs-tireurs. Les chabbiha sont des ruraux et sans doute des prisonniers de droit commun libérés au début de la révolte. On estime à plus de 100 000 le nombre d’Alaouites dans les services de sécurité, sans compter l’armée et la Garde présidentielle, forte de plusieurs dizaines de milliers d’hommes, qui est totalement alaouite. Les Alaouites représenteraient en 2011 quelque 10 % de la population. La moitié des fonctionnaires serait employée dans l’appareil de sécurité.

    A ces hommes, il faut ajouter plus de 60 000 civils employés par le ministère de la défense (notamment dans l’établissement du logement militaire, mouassassat al-iskan al-askari, dirigé par un cousin d’Al-Assad). Ces hommes, comme d’autres agents de l’Etat, sont obligés, sous peine de perdre leur poste, de venir assister le pouvoir dans la répression : ce sont eux qu’on voit munis de bâtons électriques ou de barres de fer, souvent placés à la sortie des mosquées. Ils sont aussi mobilisés dans les manifestations de soutien au régime...

    Z. : « Mais cette armée est bien chargée de la défense du territoire ? »

    Mohammed sourit, sa main qui allait prendre la tasse de café s’arrête, comme suspendue. Il la pose sur la table et me regarde.
    M. : « Certes, mais on peut s’interroger depuis les années 1990 : une grande partie du budget national est affectée à l’armée. Or, il n’y a plus de réel renouvellement de matériel pour la majorité des divisions et unités militaires. Alors, où va l’argent ? De plus, une brigade a été créée à la frontière avec Israël (liwa nitaq al-hita) mais elle n’est dotée d’aucune capacité militaire, elle n’a même pas de chars… Enfin, la direction militaire semble très occupée ailleurs comme, par exemple, écarter de l’armée et du service militaire les Damascènes : ainsi, un jeune Sunnite damascène peut payer une sorte de salaire mensuel à un officier responsable pour valider son service en restant chez lui ou en travaillant à Damas »…

    Z. : « En ce qui concerne les appartenances confessionnelles au sein de l’armée ?

    M. : « On est arrivé à cette situation hautement symbolique où il n’y a plus que deux appartenances réelles : l’alaouite et la sunnite (fi alawi wa fi sunni) mais par sunnite, il faut entendre toutes les autres communautés » [sunnite, druze, chrétiennes, etc., soit 90% de la population, NDLR]. « En principe, poursuit mon interlocuteur, quand un commandant de division, de brigade ou autre unité militaire est sunnite, son adjoint est alaouite et vice-versa. »

    C’est d’ailleurs le même principe qui dirige l’attribution des postes de ministres dans le gouvernement, chaque ministre non-alaouite étant chapeauté d’un adjoint alaouite qui détient la réalité de la décision politique. On notera que la récente nomination d’un chrétien à la tête du ministère de la défense, vise sans doute à impliquer plus encore les chrétiens du côté du régime.

    M. : « La décision dans l’armée (comme dans la Sûreté) revient toujours aux officiers alaouites, les sunnites n’ont pas de poids. Un lieutenant alaouite pistonné par la Sûreté peut exercer un pouvoir complet (kamel al-sulta) dans son secteur et avoir plus d’importance que son supérieur sunnite. Par exemple, ces officiers alaouites pistonnés, quelle que soit leur ancienneté dans l’armée, auront à leur disposition une belle voiture neuve et les officiers supérieurs sunnites poursuivront leurs déplacements à bord de vieilles Jeep… Les sanctions prévues pour les officiers en cas de faute grave ne sont pas appliquées avec la même sévérité aux uns et aux autres… De plus, les officiers sunnites peuvent faire l’objet d’enquêtes ou de surveillances internes pour s’assurer de leur loyauté au régime. D’ailleurs, il est très difficile pour un sunnite de s’élever au grade de général [amid], il est généralement mis à la retraite avant… »
    Dernière modification par Gandhi, 08 septembre 2011, 16h31.
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

  • #2
    suite et fin

    Z. : « Le principe confessionnel apparaît-il sous d’autres formes dans l’armée ? »

    Mohammed prend sa tasse de café avant de répondre.
    M. : « Le principe confessionnel est généralisé mais relève du non-dit. L’armée syrienne est composée de sept divisions (firaq), chacune dirigée par un général de division (liwa). La quatrième division, commandée par Maher, frère de Bachar Al-Assad [et qui dirige aussi la Garde présidentielle], est la plus importante, elle compterait de 40 000 à 50 000 hommes, tous alaouites, et c’est la section qui reçoit l’équipement militaire le plus sophistiqué. C’est cette division qui a été impliquée dès le début dans la répression à Deraa. »

    Mohammed boit une gorgée de café et ajoute :
    « Tous les officiers des services de sécurité viennent de l’armée. Dans la nomination des officiers, et leur promotion, c’est la Sûreté (amn) qui donne à l’Etat-major les noms des officiers à promouvoir... D’ailleurs, dans la répression de la révolte, toutes les décisions sont prises par les officiers de la Sûreté. Même lorsqu’il s’agit de déplacer un tank... L’armée syrienne incarne, si on veut, le pouvoir exécutif (al-sultat al-tanfiziyya) de la sûreté et pas de l’Etat-major. »

    Z. : « Et les officiers et soldats tués pendant la révolte ? »

    M. : « Il est difficile de savoir ce qui se passe exactement. Aucun militaire syrien ne doute de la capacité de la Sûreté à liquider ceux qui refuseraient d’exécuter un ordre. Dans la logique sécuritaire du régime, la Sûreté préfèrerait certainement abattre quelques alaouites pour pousser ou faire croire à un conflit confessionnel, c’est bien plus rentable pour le régime que d’abattre un sunnite ! Ceci dit, il n’est pas impossible que les militaires envoyés sur le terrain de la répression soient tous alaouites, on peut même penser que ces sont des éléments alaouites des quelque 100 000 agents de police et de la Sûreté que l’on a habillés en soldats pour les envoyer abattre du « sunnite ». Ce serait bien dans la logique de ce régime confessionnel qui ne dit pas son nom. Mais la mort de militaires ou de membres des services de sécurité peut aussi être liée à des actes de vengeance individuels, à des initiatives locales. Ainsi à Deraa en mars dernier, les gens ont repéré un sniper sur le toit d’un immeuble, ils ont brûlé l’immeuble pour se débarrasser du sniper… A Jisr al-Choghour, des habitants ont attaqué le poste de police avec un bulldozer. La répression est si violente, si barbare, qu’elle peut produire des réactions inattendues ! »

    Il reste tout de même que l’on n’a aucune image de la mort de ces militaires alors que pour ce qui est des manifestants, on les voit tomber quasiment en direct…

    J’ai dû penser tout haut, Mohammed me regarde avec un air ironique cette fois-ci.

    Z. : « Que faut-il penser de “l’armée syrienne libre” (al-jaych al-suri al-hurr) et peut-on envisager une éventuelle fracture au sein de l’armée ? »

    M. : « Il s’agit de dissidences individuelles et pas de la scission d’une unité militaire complète ! Ces dissidences isolées ne peuvent pas délivrer un quelconque message fort au pouvoir. La composition communautaire de chaque unité militaire empêche toute homogénéité pour les sunnites (mais pas pour les alaouites comme la quatrième division le prouve). La répartition des postes de commandement dans l’armée est organisée de telle sorte que même si un ordre dissident venait d’un officier du groupe sunnite, il serait bloqué à divers niveaux par des officiers et sous-officiers alaouites ou alliés du régime. Il ne faut pas attendre de cette armée le moindre soutien aux manifestants. Je le répète c’est une armée de barbouzes, jaych amni », dit-il en prononçant distinctement chaque syllabe…

    Z. : « Alors, quelles sont les perspectives de la révolte ? »

    M. : « Difficile à dire sinon qu’elles sont sombres. En même temps, le régime s’est perdu lui-même. Si les manifestants sont bien décidés à ne pas se soumettre, le régime n’est pas prêt non plus à céder quoi que ce soit. Les Assad n’arrivent pas à imaginer qu’un jour ils ne seront plus là ! C’est pourquoi la répression est allée en s’aggravant. Aujourd’hui, l’armée et le régime ont déclaré une véritable guerre aux manifestants pacifiques et aux civils syriens en lançant contre eux les hélicoptères, les blindés et la marine de guerre… La seule possibilité du côté militaire ne pourrait venir que d’une scission, peu probable, au sein de la direction des services de sécurité, qui pourrait alors entraîner d’autres secteurs de l’armée... »
    Mohammed pose sa tasse de café, son regard se perd dans le vague.
    En attendant, le régime diffuse un numéro de téléphone pour que les citoyens puissent dénoncer ceux qui le critiquent. Délation de triste mémoire...

    Zénobie
    Le Monde Diplomatique
    Rebbi yerrahmek ya djamel.
    "Tu es, donc je suis"
    Satish Kumar; "Tout est lié, c'est le don qui est le lien naturel entre tout".

    Commentaire

    Chargement...
    X