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Dominique de Villepin : «Le printemps arabe ferme la décennie commencée le 11 septembre 2001»

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  • Dominique de Villepin : «Le printemps arabe ferme la décennie commencée le 11 septembre 2001»

    Proche collaborateur de Jacques Chirac, Dominique de Villepin est secrétaire général de l’Elysée à partir de 1995, ministre des Affaires étrangères (2002-2004), puis de l’Intérieur (2004-2005) dans les gouvernements Raffarin. Il est nommé Premier ministre par Jacques Chirac, le 31 mai 2005. Il quitte ses fonctions le 15 mai 2007. Il préside désormais le Mouvement République solidaire, qu’il a fondé en juin 2010 et n’exclut pas de se présenter à l’élection présidentielle de 2012.


    Pour El Watan, Dominique de Villepin qui, depuis la tribune des Nations unies, le 14 février 2003, a dit non à la guerre en Irak, revient sur les attentats du 11 septembre 2001 et analyse les bouleversements et évolutions qu’ils ont directement ou indirectement engendrés depuis, à l’échelle mondiale, jusqu’aux récentes révolutions arabes.
    -Combattre le terrorisme est-ce toujours une priorité de la communauté internationale, dix ans après le 11 septembre 2001, alors que Ben Laden est mort ?
    Nous n’avons pas le droit de baisser la garde contre le terrorisme. Il y va de la sécurité des citoyens du monde entier, comme nous le rappellent les attentats récents, en Inde ou en Algérie, ainsi que les enlèvements au Sahel. Il y va aussi de la justice qui doit être rendue aux victimes de cette violence insupportable. Le terrorisme mondial ne se résume pas à une figure, ni même à une seule organisation. C’est l’erreur qui a été commise, en 2001, de croire qu’on pouvait partir en guerre contre le terrorisme, de trouver une réponse militaire à un problème bien plus complexe. Résultat, le terrorisme s’est disséminé et démultiplié tout au long de ces années, avec par exemple Al Qaîda au Maghreb Islamique ou Al Qaîda dans la Péninsule arabique.
    Au contraire, une vraie réponse doit concerner tous les enjeux en même temps, un travail en commun policier, judiciaire, financier. Cela suppose toujours de nouveaux efforts et de nouveaux outils de coopération internationale. Beaucoup de progrès ont été faits en dix ans, grâce à la mobilisation sans faille de tous les acteurs et des sociétés civiles. J’y ai toujours accordé un rôle prioritaire dans mon action, aussi bien comme ministre des Affaires étrangères que comme ministre de l’Intérieur et Premier ministre. Mais il y a plus important encore, c’est de répondre aux racines du terrorisme. C’est une question politique, économique, culturelle. C’est une affaire de respect et de reconnaissance des peuples à l’échelle mondiale. Aujourd’hui, les regards changent, notamment ceux de l’Occident sur le monde arabe et ceux du monde arabe sur lui-même. C’est un immense encouragement pour sortir du piège du choc des civilisations où certains ont voulu nous enfermer. C’est cela la vraie réponse au terrorisme.
    -Qu’est-ce qui dans les rapports internationaux a changé depuis le 11 septembre 2001 ?
    Le 11 septembre a bouleversé la donne. Il a exprimé la fragilité d’une hyperpuissance qui ne s’imaginait pas aussi vulnérable. Je crois qu’il faut le lire dans une suite de coups de tonnerre qui ont profondément remis en cause la relation de l’Occident avec le monde. Le premier coup de tonnerre, c’est la chute du Mur de Berlin, avec laquelle l’Occident a, en quelque sorte, perdu l’adversaire qui justifiait ses efforts économiques et militaires. Avec le 11 septembre, l’Amérique et l’Occident ont pris conscience – lentement et difficilement – de l’inefficacité de la force militaire pour garantir sa sécurité. Avec la crise des subprimes en 2008, c’est une puissance économique fondée sur la fuite en avant et la vie à crédit qui apparaît dans toute sa fragilité. Nous devons en tirer les leçons et y voir un réveil pour un monde plus équilibré et mieux gouverné. C’est pourquoi, on peut dire que le printemps arabe ferme la décennie commencée le 11 septembre 2001 beaucoup plus que la mort de Ben Laden.
    -«Construire la cité des hommes ou être englouti par une nouvelle barbarie», écrivez-vous dans La cité des hommes (éditions Plon, 2009) Selon quelles modalités ? Quels principes ? Quels fondements ?
    C’est tout l’enjeu d’une prise de conscience mondiale. Il ne s’agit ni de se replier dans un seul pays, en faisant comme si le monde, avec ses dangers et avec ses opportunités, n’existe pas ni de se lancer à corps perdu dans une mondialisation sans frontières et sans différences. Une cité des hommes, c’est un monde politique, un monde de dialogue et de différences fondé sur le respect des peuples, sur l’indépendance des nations et sur la coopération renforcée dans tous les domaines qui exigent des réponses mondiales : le réchauffement climatique, les crises, la sécurité alimentaire, le développement économique, la régulation financière. Ne soyons pas frileux. Il faut dépasser la décennie de la peur, de la force et du mépris pour nous engager dans cette voie.
    -Votre intervention, le 14 février 2003, au nom de la France, contre la guerre en Irak à l’ONU restera à jamais dans l’histoire ? Avez-vous eu raison ?
    La France est restée fidèle à son message et à sa vocation qui est de faire entendre une voix différente, de plaider pour le dialogue des cultures et de privilégier le droit sur la force. Je suis parti d’une conviction forte : il fallait à tout prix sortir de l’engrenage de la peur et de la force qui nous menait tout droit au choc des civilisations. Ce choc est une invention. Mais si tout le monde se met à y croire, il risque de devenir réalité. Il nous faut donc faire entendre les différences pour faire émerger des solutions raisonnables. Avec Jacques Chirac, nous avons voulu défendre cette vision en prenant nos responsabilités dans le cadre du Conseil de sécurité des Nations unies.
    Une conférence internationale sur la reconstruction de la nouvelle Libye s’est tenue le 1er septembre à Paris. La feuille de route fixée pour la transition démocratique en Libye vous semble-t-elle suffisante ? Comment voyez-vous l’après-El Gueddafi ? Vous-même, vous avez rencontré le 15 août dernier, à Djerba, des responsables de la rébellion libyenne et des proches d’El Gueddafi…
    La France a été en initiative dans l’aide apportée à la Libye et je m’en félicite. J’ai eu l’occasion d’apporter ma contribution à la recherche d’une solution politique, dans le cadre de contacts tant en Tunisie qu’à Paris, en accord et en pleine transparence avec les autorités françaises. Il est plus difficile de gagner la paix que de gagner la guerre. Cela exige plus de mobilisation, plus de vigilance, plus de volonté. C’est pourquoi, la Conférence de Paris a été un vrai pas en avant. Pour autant, les défis auxquels est confrontée la Libye en termes de reconstruction d’un Etat et de réconciliation nationale, en impliquant tous les acteurs, toutes les régions, toutes les tribus, sont immenses, mais aussi en rassemblant sur le terrain l’ensemble des groupes militaires impliqués. Nous voyons bien les risques qui se profilent, comme la radicalisation et l’enracinement des conflits. Il est essentiel que les Européens et les Occidentaux veillent à ne pas s’ingérer dans les affaires libyennes. Il s’agit pour la communauté internationale, et surtout pour les Etats arabes et africains, d’accompagner les efforts du peuple libyen, car c’est bien lui qui doit trouver à s’exprimer et à se façonner un avenir commun dans les mois et les années à venir.
    -L’OTAN et la France se sont particulièrement impliquées dans le soutien au CNT. La poursuite des frappes de l’OTAN se justifie-t-elle ? Faut-il en faire autant en Syrie ?
    La Libye doit rester une exception et le recours aux armes, pour mettre en œuvre la responsabilité de protéger les peuples, un dernier recours. Encore une fois, chaque pays offre une situation, des enjeux, des perspectives différents. Ne faisons pas de caricature et tenons-nous en aux principes que nous voulons défendre. Les violences commises par le régime de Bachar El Assad contre sa population sont inadmissibles et il faut que la communauté internationale, tout particulièrement l’Europe et la France, l’expriment clairement. Des sanctions économiques ont été prises. Mais il faut aller beaucoup plus loin dans les sanctions pour renverser la logique meurtrière engagée dans ce pays. Il faut s’efforcer de trouver des voies politiques pour pousser le régime syrien au changement. Nous devons continuer à utiliser tous les moyens de pression à notre disposition et soutenir tous les relais, tous les interlocuteurs susceptibles de faire encore entendre raison au régime syrien et notamment convaincre l’ensemble des partenaires chinois, russes, par exemple, du caractère inacceptable d’un régime qui tire sur ses enfants.
    -«Les peuples arabes nous tendent un miroir. Cette révolution arabe est une main tendue », écriviez-vous récemment dans une tribune dans le journal Libération. L’Union pour la Méditerranée (UPM) est-elle le cadre adéquat pour la refondation des relations et du partenariat Nord-Sud ?
    Je suis né sur cette rive de la Méditerranée. C’est pourquoi, sans doute, je suis particulièrement sensible à ce qui s’y passe. Je ne me suis jamais satisfait de la distance entre ces deux rives et je garde en moi l’aspiration à la réunification des deux rives. L’UPM est une belle idée qui traduit ce rêve d’une Méditerranée réconciliée avançant ensemble vers la paix et la prospérité. Il y a évidemment de nombreux obstacles. On peut s’interroger sur la forme, sur le moment et sur les priorités qui ont été choisis en 2008. A bien des égards, le processus apparaît bloqué. Mais l’espoir demeure et les changements récents doivent permettre de lui redonner vie, en particulier dans un cadre ad hoc permettant de donner un statut de partenariat approfondi avec des pays qui s’engagent dans la voie de l’ouverture politique, culturelle et économique avec l’Union européenne. Nous devons regarder en face la réalité.
    Le moment est venu de faire un pas en avant et d’enclencher une dynamique de rapprochement. Nous, sur les deux rives de la Méditerranée, nous avons un devoir de lucidité et un devoir de responsabilité. Nous ne pouvons plus limiter notre effort de coopération à tel ou tel aspect et faire abstraction de tout le reste. Il faut s’attaquer au règlement des conflits qui minent la coopération méditerranéenne, au premier chef le conflit israélo-palestinien, mais aussi Chypre ou les différends entre le Maroc et l’Algérie qui bloquent depuis si longtemps l’intégration du Maghreb. Créons un cadre de résolution et de soutien ambitieux pour ces efforts d’apaisement.

  • #2
    Suite

    -Vous avez déclaré, il y a quelques semaines, que la situation en Algérie n’est pas celle de la Tunisie, ni de l’Egypte, voulez-vous nous en dire plus ?
    N’échangeons pas une grille de lecture réductrice pour une autre. Ce que montre le printemps arabe, c’est avant tout l’importance du fait na tional, car c’est à l’échelle de chaque pays que s’effectuent les processus sociaux et politiques décisifs.Chaque pays arabe a son histoire, son rythme, ses priorités. Rien ne serait pire que de contraindre tous les pays dans un moule uniforme. L’Algérie a, à bien des égards, une situation spécifique, liée notamment à son histoire récente et à la guerre civile cruelle qui l’a secouée. C’est pourquoi son évolution ne sera pas la même que celle de ses voisins. Cela ne veut pas dire que rien ne doit changer. L’ouverture politique c’est moins un aboutissement qu’un processus continu.
    C’est une direction et un cap. L’Algérie a d’immenses atouts dont elle doit prendre conscience pour se donner de nouvelles perspectives d’avenir. Elle a une jeunesse dynamique et entreprenante qui aspire à une meilleure reconnaissance et qui sera une chance sur le chemin du développement. Elle a des capacités économiques formidables à mettre en valeur au cours des prochaines années. Elle a enfin la force d’un grand peuple, forgé par l’histoire, par ses douleurs et par ses succès, un peuple qui a enraciné en lui l’aspiration à la dignité.Pour aller de l’avant, bien sûr, il va falloir affronter des défis non moins immenses. Je pense, en premier chef, à une meilleure répartition des richesses au sein du peuple algérien.
    La justice sociale est, partout dans le monde au lendemain de la grande crise économique, au Nord comme au Sud, le grand défi aujourd’hui. C’est la condition d’une nouvelle croissance partagée. Je pense aussi à l’enclenchement d’une nouvelle dynamique régionale, gage de stabilité et de croissance. L’absence d’unité dans le Maghreb a un coût énorme qui constitue un véritable gâchis. Après quinze années de blocage, il faut trouver le courage de reprendre le chemin de l’intégration régionale. Le troisième défi dans le nouveau monde qui se présente à nous tous, et en particulier à l’Algérie, c’est celui de l’éducation et des savoirs. C’est la clé de la réussite.
    -L’Algérie célèbre cette année le cinquantième anniversaire de son indépendance. Le poids de l’histoire commune continue à peser sur les relations franco-algériennes alors que sur ce même passé le pacte d’amitié ambitionné par les présidents Chirac et Bouteflika a achoppé ? Pour surmonter cet obstacle, l’Etat français ne devrait-il pas reconnaître son passé colonial en Algérie sous tous ses aspects ?
    J’ai gardé un souvenir extraordinairement chaleureux et amical de la visite de Jacques Chirac, que j’accompagnais alors, à Alger et Oran. Cet accueil témoignait de l’amitié profonde de deux peuples qui partagent une histoire difficile. Il y a un immense travail de réconciliation à faire, et je veux croire qu’il a commencé et qu’il chemine. Le temps des grandes réalisations communes approche si nous savons saisir les opportunités. Soyons conscients que cette réconciliation est le destin de nos deux pays et plus encore, une des clés de voûte de l’avenir euroméditerranéen.
    Cela suppose plus de vision et plus d’audace de la part de nos deux pays, car à un moment, un acte de réconciliation est toujours avant tout un acte de courage commun. C’est après seulement qu’il devient une évidence. Evidemment, sur ce chemin de réconciliation et d’amitié, il faut se libérer du poids de mémoires non assumées, des deux côtés. Cela ne signifie pas oublier. Rien ne serait pire. Mais mesurons ce qu’une mémoire partagée apporterait comme bienfaits. Je suis convaincu que cette mémoire partagée est la clé du déblocage politique, économique, culturel dans chacun des deux pays qui souffrent, l’un et l’autre, d’une mémoire mutilée, qui en restent en quelque sorte prisonniers. La réalité, c’est une mosaïque de mémoires trop souvent séparées, plus qu’un affrontement de deux mémoires monolithiques.
    Prenons-en conscience pour aller vers la vérité historique, car il faut être capable de mettre des mots sur les réalités pour éviter les non-dits, les rancœurs, les dénis. Trouvons des lieux, des moments, des mots, des gestes pour exprimer et construire ce travail de mémoire. Car c’est ainsi, seulement, qu’un cercle vertueux se mettra en place. Nous pouvons compter dans ce travail sur l’énergie et la passion de nombre d’intellectuels, d’écrivains, d’artistes algériens et français, d’associations actives permettant toujours plus de rapprochement fraternel, de liens humains intenses entre nos deux pays. Il est temps de se libérer du passé et de se tourner vers l’avenir.
    -La France, elle-même, n’aurait-elle pas besoin d’un printemps ? Quelles mesures préconisez-vous pour atténuer les inégalités sociales et l’appauvrissement des Français ?
    Il n’y a pas de démocratie qui ne se ressource pas et qui ne se remette pas en question. Les freins, les intérêts particuliers, les blocages, tout cela crée des frustrations qui doivent être prises en compte.
    C’est vrai, particulièrement pour les écarts de salaires que beaucoup de Français jugent aujourd’hui, à juste titre, inacceptables. C’est vrai aussi, pour les discriminations qui touchent nombre de jeunes, en particulier dans les banlieues en difficulté, notamment en raison de leurs origines. Nous ne pouvons accepter les politiques qui divisent et qui stigmatisent les uns ou les autres. Ce n’est pas digne de l’idée que je me fais de la République. C’est dans ce sens que j’ai appelé, moi aussi, à un printemps français, dans le plus large rassemblement possible.
    Je veux contribuer à proposer une alternative aux Français en faisant des propositions fortes et novatrices, susceptibles de changer la donne et de remettre le citoyen au cœur de la République, notamment la création d’un revenu citoyen en échange d’un service citoyen rendu par ceux qui le souhaitent à la collectivité. Je l’ai dit à plusieurs reprises, il n’y a pas de plus grand combat dans le monde aujourd’hui que celui de la dignité. C’est celui du printemps arabe, c’est celui d’une jeunesse indignée qui se réunit dans le monde entier, c’est celui de tous ceux qui croient que le lien social est un bien plus précieux que le monde du chacun pour soi. En ce sens, oui, il me semble qu’il y a une révolution de la dignité à commencer ou à recommencer. C’est à bien des égards, sur la dette, sur la justice sociale, sur les institutions, sur la justice, d’une refondation de notre vie républicaine dont nous avons besoin aujourd’hui. La France a su, à plusieurs reprises dans son histoire, porter le flambeau de la justice, de l’indépendance et du progrès. C’est encore possible aujourd’hui.
    -Vous avez présenté en avril dernier, en tant que président du «Mouvement République solidaire» un projet de refondation politique que vous voulez incarner en 2012. Serez-vous candidat à l’élection présidentielle de 2012 pour présenter ce projet ? Sinon, quel candidat soutiendriez-vous ?
    Nous ne sommes pas encore entrés dans le temps de la campagne présidentielle. Celle-ci ne peut se résumer à un concours de beauté de candidats brandissant leurs propositions. Nous sommes à l’heure de grands choix, à cause de la crise économique, à cause de la dette, à cause du chômage. Cela suppose plus de rassemblement. Après trente ans d’une vie politique marquée par la déception et la frustration, il faut constater qu’aucun homme, aucune femme ne peut sauver seul le pays. Il faut que les énergies se mettent ensemble pour travailler en équipe pour l’avenir de la France. C’est tout le sens de mon combat et de mon engagement que je poursuivrai avec détermination.


    Nadjia Bouzeghrane

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