Yasser Arafat, Mister Palestine for ever
Papier paru le 9 novembre 2009, réactualisé le 10 septembre 2011
René Naba | 17/09/2011 | Paris
Illustration: Avec le président palestinien Yasser Arafat au Sommet des non-alignés à Harare (Zimbabwe), juin 1988, à la suite du discours dans lequel le chef de l’Organisation de Libération de la Palestine souscrivait pour la première fois à la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU prescrivant un règlement d’ensemble du conflit israélo-palestinien.
Epilogue de 63 ans de combat, le président palestinien Mahmoud Abbas présente le 23 septembre 2011 la demande d’adhésion à part entière d’un Etat de Palestine aux Nations unies en vue de crever l’abcès d’un demi siècle de procédés diplomatiques dilatoires, en plaçant les états occidentaux devant leurs propres responsabilités dans cette tragédie; une démarche qui marque tout à la fois le triomphe posthume de Yasser Arafat, la deuxième mort symbolique du général Ariel Sharon, son ennemi le plus irréductible, transformé depuis cinq ans en «légumes» et le test des véritables intentions américaines à l’égard d’Israël, un pays dont ils paraissent souvent en être l’otage.
Retour sur une vie de combat d’un homme sans lequel la Palestine aurait été rayée de la carte du monde.
Rien, absolument rien, ne sera épargné à celui que l’on a surnommé parfois, à juste titre, «le plus célèbre rescapé politique de l’époque contemporaine », et ce prix Nobel de la Paix, un des rares arabes à se voir attribuer un tel titre, boira la coupe jusqu’à la lie. Mais le chef palestinien décédera le 11 novembre 2004, sans pourtant n’avoir cédé rien sur rien, sur aucun des droits fondamentaux de son peuple, pas plus sur le droit de disposer de Jérusalem comme capitale que sur le droit de retour de son peuple dans sa patrie d’origine.
Sa stature sans commune mesure avec celle de son terne successeur, Mahmoud Abbas, un bureaucrate affairiste sans envergure et sans charisme, hante encore la conscience occidentale, sept ans après sa mort.
Carbonisé par ses atermoiements dans l’affaire du rapport Goldstone sur Gaza, l’offensive diplomatique contrainte de Mahmoud Abbas face à la démission américaine face à la colonisation rampante de Jérusalem justifie a posteriori le scepticisme du chef historique des Palestiniens à l’égard des pays occidentaux et porte condamnation de la complaisance de son successeur à l’égard de la duplicité occidentale, en même temps qu’elle révèle la servilité de la diplomatie américaine et de son chef, Hillary Clinton, secrétaire d’état, à l’égard d’Israël. La renonciation de Mahmoud Abbas à une nouvelle mandature présidentielle apparaît d’autant plus cruellement pathétique qu’elle a coïncidé avec une cinglante leçon de courage que lui ont assénée de jeunes palestiniens et des pacifistes israéliens en opérant, non sans risque, une percée dans le mur d’apartheid à l’occasion de la commémoration du vingtième anniversaire de la chute du mur de Berlin, une action qui a retenti comme un camouflet à Mahmoud Abbas, un défi à Israël un défi à la léthargie des instances internationales, conduisant le successeur à renoncer à briguer un nouveau mandat, et, dans un contexte dynamisé par le «printemps arabe» à jouer son solde de tout compte dans cette campagne diplomatique internationale.
A. Le keffieh palestinien, c’est lui.
Le keffieh palestinien, c’est lui. Son portrait en lunettes noires et Keffieh, en couverture du magazine «Time», dans la foulée du premier fait d’armes palestinien contre l’armée israélienne, lors de la légendaire bataille d’Al-Karameh, le 20 mars 1968, provoquera un choc psychologique majeur au sein de l’opinion internationale, contribuant grandement à la prise de conscience de la lutte du peuple palestinien pour la reconnaissance de son identité nationale.
Plusieurs dizaines de fedayin palestiniens, sous le commandement direct de Yasser Arafat présent dans le camp assailli, se laisseront ce jour là décimés sur place forçant l’armée israélienne à battre en retraite sous le regard impassible de l’armée jordanienne, demeurée durant la première phase de la bataille l’arme au pied dans la vallée du Jourdain.
La bataille d’Al Karameh tire son nom, par un curieux clin d’oeil du destin, du lieu de la localité d’Al Karameh, la bourgade où s‘est déroulée ce fait d’armes. Acte fondateur du combat palestinien sur le plan international, elle sera perçue et vécue comme «la bataille de la dignité retrouvée» en ce qu’elle lavera dans l’imaginaire arabe la traumatisante défaite de juin 1967, infligeant aux israéliens des pertes humaines plus importantes que celles subies sur le front jordanien un an plus tôt (1). Elle galvanisera longtemps la jeunesse arabe dans son combat politique et propulsera la lutte du peuple palestinien au sein de la jeunesse du Monde. Par sa portée symbolique, elle passera à la postérité pour l’équivalent palestinien de l’antique bataille des Thermopyles (2), en ce qu’elle signait par le sang et le sacrifice suprême l’esprit de résistance des palestiniens et leur détermination à prendre en main leur propre combat.
Publiée par la revue américaine, la photo du chef palestinien jusque là anonyme popularisera et le porte-parole de la cause palestinienne et le symbole de l’identité palestinienne. Elle précipitera la mise à l’écart de son calamiteux prédécesseur Ahmad Choukeiry et propulsera, dans le même temps, le Keffieh, la coiffe traditionnelle palestinienne, au rang de symbole universel de la révolution. Le Keffieh, à l’origine en damier noir et blanc, sera décliné depuis lors dans toutes les couleurs pour finir par devenir le point de ralliement de toutes les grandes manifestations de protestation à travers le monde de l’époque contemporaine.
«Tout cela était possible à cause de la jeunesse, d’être le point le plus lumineux parce que le plus aigu de la révolution, d’être photogénique quoi qu’on fasse, et peut-être de pressentir que cette féerie à contenu révolutionnaire serait d’ici peu saccagée: les Fedayine (les volontaires de la mort) ne voulaient pas le pouvoir, ils avaient la liberté», prophétisait déjà en ces termes l’écrivain français Jean Genêt, un de leur nombreux compagnons de route de l’époque, qu’il immortalisa dans son inoubliable reportage sur le massacre des camps palestiniens de Sabra-chatila, dans la banlieue de Beyrouth. (Cf. Jean Genêt «Quatre heures à Sabra-chatila», in Revue d’Etudes Palestiniennes, N° 6 Hiver 1983).
Dans une séquence historique arabe riche de personnalités charismatiques, (décennies 1960 -1970), Gamal Abdel Nasser (Egypte), Hafez Al-Assad (Syrie), Houari Boumediene (Algérie), Saddam Hussein (Irak), Faysal d’Arabie, beaucoup lui en tiendront rigueur de sa popularité et de son prestige. Israël, d’abord et toujours, constamment, sans répit, voudra neutraliser la charge explosive de la mystique révolutionnaire que le mouvement national palestinien véhiculait au sein du tiers monde.
Dans le camp arabe, le Roi de Jordanie, Hussein le Hachémite, s’appliquera en premier, en septembre 1970, à le mettre au pas dans un épouvantable bain de sang, le premier du supplice palestinien, alors que les autres pays arabes s‘emploieront à limiter sa marge de manœuvre, en infiltrant la centrale palestinienne, l’Organisation de Libération de la Palestine, de mouvements fantoches, désormais fossiles, à l’instar d’Al-Saika pro syrienne, du Front de Libération Arabe pro-irakien ou du Front de libération de la Palestine pro égyptien ou encore de la duplicité marocaine qui compensait un soutien affiché à la cause palestinienne par une collaboration souterraine avec les services marocains. De tous les grands pays arabes, seule l’Algérie accordera un soutien sans faille à la guérilla palestinienne, «Zaliman kana aw Mazloum», oppresseur qu’il soit ou opprimé, selon l’expression du président Boumediene (3).
La guerre d’octobre 1973 et la destruction des fortifications israéliennes de la ligne Bar lev, le long du Canal de Suez, mettront en sourdine les conflits interarabes donnant du répit à la guérilla palestinienne, dégageant la voie à l’envol de Yasser Arafat sur la scène internationale. Prenant par surprise New York au saut du lit, Yasser Arafat débarque le 13 novembre 1974 d’un avion spécial algérien dans la métropole américaine pour s’adresser, fait sans précédent dans les annales diplomatiques, devant l’assemblée générale des Nations unies, présidée à l’époque par le fringant ministre de affaires étrangères de Boumediene, Abdel Aziz Bouteflika.
Fraîchement sacré par ses pairs arabes porte-parole exclusif des Palestiniens, le chef de l’OLP plaide la cause de son peuple, inexistant juridiquement, et inaugure solennellement une stratégie combinant la lutte armée et l’action diplomatique – «le fusil et le rameau d’olivier», selon sa formule, pour retrouver une patrie, la Palestine, rayée depuis un quart de siècle de la géographie politique.
Dans ce discours répercuté depuis la plus grande ville juive du Monde jusqu’aux confins de la Péninsule arabique, le dirigeant palestinien, dix ans après la fondation de son mouvement au Caire, en 1964, évoque timidement la possibilité d’une coexistence judéo arabe. Arafat est au Zénith, secondé par la nouvelle puissance pétrolière arabe révélée par la guerre d’octobre 1973.
Dans la brèche ouverte par l’OLP, dix sept mouvements de libération africains se verront reconnaître le statut d’observateur à l’ONU. Cinq d’entre eux, ceux de Guinée portugaise, d’Angola, de Mozambique, de Zimbabwe notamment conduiront quelques années plus tard leur pays à l’indépendance.
L’euphorie sera de courte durée. Six mois après son sacre onusien, la guerre éclate à Beyrouth, sombre présage, le 13 avril 1975, dans la quinzaine qui voit la chute de Pnom-Penh et de Saigon, les deux bastions américains en Asie. A son corps défendant, Arafat s’y engouffre, puis inexorablement s’embourbe dans ce qui n‘était au départ qu’une guerre inter factionnelle et qui se transformera en première guerre civile urbaine de l’époque contemporaine. Les rebondissements de ce conflit à projection régionale et internationale vont faire voler en éclats, au fils de sept années (1975-1982), la cohésion libanaise, la cohabitation libano palestinienne et la solidarité arabe.
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