Algérie: évolution naturelle ou révolution en perspective ?
par Kamel Guerroua* in le Qutidien d'Oran
22/09/2011
22/09/2011
«c'est une erreur de ne pas croire et une faute de tout croire». Fernando de Rojas, poète et auteur espagnol (1475-1541), in «Celestina».
Alors que le gouvernement penche activement sur l'étude du projet d'ouverture de l'audiovisuel au privé, les algériens dans leur majorité demeurent passifs et indifférents aussi bien à la contagion du printemps arabe qu'aux réformes tardives qu'entreprennent actuellement les autorités. D'aucuns s'interrogent: pourquoi l'Algérie souffre-t-elle et pourquoi les algériens n'y réagissent-ils pas? Question à double tranchant et réponse à somme nulle. En vérité, tout le monde reste circonspect sur ce drame aux tenants incertains et aux aboutissants obscurs qui rampe chaque jour davantage sur les terrains conquis de l'espoir et voile de son ombre la lumière de l'avenir des générations montantes. Ni les autorités politiques ni le peuple ni encore moins les chancelleries occidentales n'ont pu saisir le cœur du problème dont pâtit ce pays nanti par la nature et dépourvu par le pouvoir de l'homme. Rien de trop diraient les grecs anciens, les masses populaires en ont assez, elles appellent de tous leurs vœux au changement. Ce mot est en fait devenu en l'espace de huit mois le porte-parole authentique et à part entière du printemps arabe.
Mais pourquoi le changement? La réponse est simple: le changement est le sel de la vie politique sans lequel la marmite sociale ne pourrait cuisiner que des crudités de circonstance qui ne font que rendre les déshérités de plus en plus affamés. En somme, la crise algérienne est si complexe que l'on ne saurait aucunement la cerner dans la seule perspective de l'ouverture de l'audiovisuel ou l'amélioration du pouvoir d'achat du citoyen lambda.
Prétendre en ce sens soutenir les produits alimentaires de base et distribuer l'argent public à tire larigot, rente pétrolière aidant, ne réglerait sans doute pas le moindre souci des algériens car la crise est d'autant plus compliquée qu'elle passe outre ces besoins élémentaires et nécessite de ce fait une thérapie d'urgence allant tout droit aux sources réelles du malaise. Analyser les malheurs de notre peuple, sentir ses douleurs, respirer ses craintes, et absorber ses traumatismes pour les transformer en expériences fructifères est la tâche essentielle qui incombe au régime politique actuel, de loin fort vacillant. Néanmoins, parvenir à ce stade de réflexion et de maturité est chose inimaginable à l'heure présente car le tableau est, de chaque côté que l'on essaie de le focaliser, piteusement sombre. A proprement parler, les contradictions de l'actualité algérienne rendent tout diagnostic tronqué, toute analyse partiale et toute «problématisation» de la crise une machination sujette à caution.
D'aucuns en Algérie, fort optimistes et s'attachant à un certain idéalisme du politique et de la politique, suggèrent une transition démocratique en douceur de nature à éviter les virages sinueux de la violence qui nous rappellent les macabres charniers collectifs des années du feu et du sang.
D'autres, plus pragmatiques et touchés par l'ampleur de ce qui se passe chez nos voisins proches ou lointains, veulent coûte que coûte opter pour la méthode classique de confrontation frontale avec le régime, lequel selon eux, est seul responsable de l'impasse actuelle tandis qu'une partie non négligeable de la population et de la classe politique, sur fond du retour de la flamme du conservatisme, préconise tout unaniment le recours automatique et en toute urgence à l'authenticité et aux traditions ancestrales. Ainsi assiste-t-on à la résurgence du phénomène d'islamisation massive des pans entiers de notre jeunesse avec des formules et des pratiques toutes neuves importées directement du Moyen Orient et qui, dans certains cas, jurent avec l'Islam tolérant véhiculé par le rite malékite de nos ancêtres et se conjuguent à merveille avec l'effritement des valeurs, la marchandisation de la culture et la banalisation de l'effort, sécrétions terribles de la mondialisation-laminoir.
En conséquence, modernité, traditionalisme, authenticité, conservatisme et bien d'autres mots sensationnels meublent le débat public en Algérie. Mais quelle voie choisir? L'algérien est dans une bifurcation de sens hallucinante et la société, quant à elle, vit sous le sérum du fameux triangle de Bermudes arabe, c'est-à-dire les tabous de tout ordre (religieux, sexuels et même politique), alors que le chômage bat son plein, le pessimisme devient exagérément un dogme national et les élites gouvernantes peinent à s'organiser pour mettre en marche une stratégie nationale de sortie de crise. C'est effectivement dans ce climat délétère que se pose la lancinante problématique de la révolution avec ses connotations multiples: émeutes de pain ainsi que de dignité, révolte démocratique, insurrection citoyenne, dissidence civile, soulèvement national...
Mais le vrai problème pour pa raphraser les termes du professeur Chitour est qu'en Algérie, collectivement, on accepte volontiers le sous-développement mais individuellement on le renie. Cette situation rocambolesque a crée des remous erratiques ayant traversé toute la société.
Le citoyen ignore de ce fait le processus de socialisation collective, on est, s'il on ose dire, en phase de construction de «socialisation individualisante» et non plus d'«individualités socialisées». C'est pourquoi, il est plus que jamais nécessaire d'opter pour un travail d'envergure de «restructuration sociale» afin d'édifier et de consolider les soubassements de la nation. Encore faudrait-il à cet égard analyser le changement et surtout mettre toute la lumière sur la déformation du vocabulaire dont la population fait usage ces dernières décennies. A titre d'exemple, «n'ya», terme qui veut dire en traduction littérale «bonne foi» est catégoriquement détourné de sa signification initiale pour interpréter une posture de bonhomie et d'idiotie.
En seulement quelques années, les algériens ont épousé la mentalité néolibérale dans les faits alors que dans les esprits, ils demeurent profondément égalitaristes. La culture de l'émeute pourrait être considérée dans cette perspective et sans exagération aucune comme une marque de fabrique purement algérienne dans la mesure où le souffle de révolte est enraciné dans les consciences sans qu'il y ait au préalable une «pédagogisation» suffisante de ses ressorts. Une simple coupure d'électricité dans n'importe laquelle localité de l'intérieur de l'Algérie profonde est à même de provoquer un tollé populaire très déstabilisateur de l'ordre public et un dysfonctionnement ordinaire d'un service municipal est capable de générer en quelques heures une grande révolte. En conséquence, il est âprement difficile d'expliquer les mécanismes de mobilisation populaire en Algérie surtout que les études et les analyses de cas pratiques y est chose quasi rare. Dans cet esprit, formuler un jugement définitif et classer le citoyen algérien dans un moule particulier ou un modèle quelconque serait une tâche vouée d'avance à l'échec puisque celui-ci est imprévisible, inconstant et émotif. Pour s'en convaincre, il faut retourner en arrière et décortiquer les raisons de toutes les révoltes passées. D'ailleurs même le printemps des peuples a bel et bien commencé en Algérie et en Tunisie pour s'étendre par la suite à toute l'aire géographique arabo-musulmane. Néanmoins, le souffle s'est éteint en quelques jours parce que premièrement, il y avait eu une grande fatigue sociale accumulée des années durant par la rue, deuxièmement, les tractations des officines du système en ont en fin de compte eu gain de cause car le changement en Algérie ne se restreint pas à la seule personne du président mais à toutes les composantes morale, intellectuelle et idéologique du système politique en place. C'est dans ce cadre que la Tunisie et l'Égypte diffèrent nettement de notre pays « au niveau international, à la différence de la Tunisie et de l'Égypte, le régime algérien dispose d'une rente pétrolière qui le préserve des pressions que pourraient exercer ses partenaires économiques puisque 10% de l'approvisionnement en gaz de l'union européenne (UE) proviennent de l'Algérie.
Ses ressources ne dépendent ni de l'industrie touristique ni de la rente du canal de Suez ; elle ne reçoit pas non plus le type d'aide que fournit l'armée américaine à l'armée égyptienne (en 2010, 1,3 milliards de dollars d'aide militaire et 250 millions d'aide économiques) De plus, la guerre en Libye lui permet de souligner les dérives possibles d'une révolte populaire et, en particulier, les ingérences internationales»(1).
En ce point, il convient de signaler que le rôle de la grande muette dans la prise de décision dans notre pays est considérablement important par rapport à toutes les contrées de la région.
Incontestablement, la révolution algérienne et la guerre d'Indochine demeurent au regard de tous les pays du Sud, des références iconoclastes voire des symboles phares de la lutte des peuples pour leur affranchissement du joug de toutes les servitudes. Néanmoins, en cette première décennie du XXI siècle, les tunisiens se sont accordé le luxe de la palme révolutionnaire en purgeant leur pays du poison de la dictature de Ben Ali. Autres temps, autres mœurs, le colonialisme combattu par les nationalismes d'antan a changé de main pour se réincarner en despotisme contemporain car bien que les pays en aient été libérés, les mentalités restent cependant tributaires de l'arriérisme, de l'archaïsme et du réactionnisme tous azimuts. En Algérie, les signes de cette dégringolade dans les abîmes sont plus que patents.
En cinquante ans d'indépendance, le pays n'a fait que régresser, ce qui fut naguère un acquis est devenu terriblement du jour au lendemain un gâchis. Les symptômes de cette sclérose multiforme et de cette paralysie multidimensionnelle sont bien évidemment fort discernables. Retard sur tous les plans (politique, économique, social, et culturel), marche vers le progrès à pas entrecoupés, hésitants voire peureux, conflit intergénérationnel des plus aigus,front social souvent sur le qui-vive, masses clochardisées des suites des politiques néolibérales, élites presque aliénées et jeunesse en perte de balises et de repères, s'y ajoute ce phénomène inquiétant du kidnapping qui vise les patrons, chefs d'entreprises et leur famille.
A suivre ...
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