Bonjour, Mohamed un rescapé de Bentala, vit avec ses cauchemars...Et cette question lancinante qui revient comme un leitmotive pourquoi ce massacre ?
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Malgré une situation politique stabilisée, le souvenir de la guerre civile des années 1990 continue de hanter l'Algérie. De nombreux jeunes, qui se sentent étouffés entre le pouvoir et les islamistes, s'exilent ou se convertissent
Aujourd’hui, Mohammed ne va pas bien. « La plupart du temps, je n’ai que des mauvaises nuits, soupire-t-il. Les souvenirs, ces terribles souvenirs, sont là, la nuit avec moi, ils ne me quittent pas. Ce sont mes cauchemars ! »
Mohammed, qui porte un khamis blanc (longue robe traditionnelle) et une barbe courte, est l’un des survivants du terrible massacre de Bentalha, survenu dans la nuit du 22 septembre 1997 à partir « de 22 h 45, là où la nuit est la plus sombre, jusqu’à 4 h 45 à l’aube du 23 septembre, avant que le soleil ne se lève », selon des horaires précis, notés par lui-même et sa famille. Il y a eu 521 morts et plus de 100 blessés. Son fils de 11 ans a été égorgé, ainsi que sa « chère, très chère épouse », dont deux des garçons, Amine et Selim, ont le sourire, tout en douceur.
Neuf ans après, Mohammed, qui s’est remarié, ses six enfants, dont sa fille Amal, qui se marie en juillet, tous des rescapés, ne peuvent pas oublier. Ils vivent toujours dans la peur des policiers, des militaires, n’ont confiance en personne, d’autant qu’ils sont les seuls survivants de leur rue à y demeurer encore. Une rue martyre où il y aurait eu au moins une centaine de morts.
Seul est revenu le vieil « Ali » (1) qui avait fui Bentalha environ un mois avant le massacre : « Les “terro”, comme il les appelle, avaient laissé dans cette rue des corps ensanglantés qu’il ne fallait pas toucher. Mon fils s’en est un peu trop approché, et l’un des “terro” qui contrôlaient la rue lui a tiré une balle dans la jambe. Le lendemain, nous avons fui. Heureusement, je n’étais pas ici, la nuit du massacre. Mais ma maison a été brûlée. »
"Heureux de vivre ici"
La rue est toujours aussi défoncée, et toujours pas bitumée ; quand il pleut, c’est vite la gadoue. Une petite épicerie est tenue par un nouvel habitant qui, dit-il, « est heureux de vivre ici ». Quelques maisons, toutes d’un ou deux étages, sont envahies par de la vigne vierge et même des treilles, dont la couleur vert cru tente d’égayer la rue. Elles sont habitées par de petits cadres moyens, fonctionnaires, qui ont pu acheter un terrain et y faire construire leurs maisons. Aujourd’hui, rien ne différencie Bentalha de l’un des nombreux quartiers de la périphérie d’Alger. Grâce à un mécène, la ville a même son club de football, qui caracole en deuxième division, dans le championnat d’Algérie. Tout semble redevenu normal.
Amine, le fils de Mohammed, qui avait 13 ans lors du massacre et qui est au chômage, ne veut pas quitter Bentalha, en « souvenir de son enfance heureuse, du temps où ma mère vivait ». Il y a des jours où le fragile jeune homme, qui en a « trop vu », se recroqueville sur lui-même. De la terrasse de la maison familiale, debout aux côtés de son père, il raconte son calvaire : « Quand “ils” sont arrivés cette nuit-là, j’ai sauté du deuxième étage dans la cour arrière, je me suis cassé le pied. J’ai fait le mort, au milieu des cadavres, découpés à la hache, mutilés, brûlés, jetés par les fenêtres. C’était affreux ! »
Mohammed, agent sanitaire à la retraite, montre les figuiers florissants, très hauts, sur lesquels lui-même a sauté de la terrasse du deuxième étage, avec 40 autres personnes, des hommes, des femmes, des enfants qui l’ont suivi, fuyant à travers les cours. Les 35 autres qui étaient restées ont été égorgées. Mohammed a encore les mots « des égorgeurs » dans la tête. « Ils nous criaient : “Dites, à votre Dieu de venir vous sauver. Qu’il fasse en sorte que vous ne soyez pas égorgés ! Voyez, il ne fait rien.” »
"Pourquoi vous n’intervenez pas ?"
Ces mots-là font dire à Mohammed, qui n’a pas cessé de réfléchir à la question : « Qui tue qui ? » « Les tueurs n’étaient pas des islamistes. Je n’y crois pas une seconde, surtout qu’ils ont choisi les maisons dont ils savaient que les habitants donnaient à manger, ou de l’argent aux groupes armés islamistes qui frappaient à leurs portes. J’étais de ceux-là, je le reconnais ! Pourquoi aurais-je refusé, moi qui avais voté FIS (NDLR : le Front islamique du salut, dissous) ? Ceux qui n’ouvraient pas leurs portes aux islamistes ont été épargnés. »
Le pire pour Mohammed, c’est quand il est arrivé 20 mètres plus loin après avoir couru et qu’il a vu l’armée postée là, au coin, ayant bouclé le quartier (le centre de la ville n’ayant pas été touché) : « Je leur ai crié : “Pourquoi vous n’intervenez pas ?” Ils m’ont donné cette réponse qui pose question à tous les Algériens neuf ans après : “Nous n’avons pas reçu l’ordre d’intervenir !” Je me souviens d’un jeune soldat qui s’est mis à hurler, pleurant, cassant en deux son fusil, sur un mur, répétant : “Pourquoi, pourquoi, avons-nous laissé tous ces gens mourir ?” Celui-là, pauvre garçon, il a dû être liquidé », ajoute Mohammed.
Car Mohammed, qui dessine avec une petite pierre, sur le sol de la terrasse, le plan de Bentalha, le nombre de casernes l’entourant, au moins trois, a une certitude : « Les “égorgeurs”, au moins 200, ont sans aucun doute été liquidés, sinon quelqu’un aurait parlé, malgré la peur des représailles. Ce n’étaient pas des militaires, j’en suis sûr ! C’étaient des voyous, des trafiquants, qui avaient été libérés pour l’occasion et des jeunes pupilles de la nation élevés par l’armée, comme cela se passe chez nous en Algérie. Certes, ils venaient de l’oued El-Harrach, à travers les orangers, qui se trouvent au bout du lotissement, comme les groupes armés, basés dans ce que l’on a appelé, le triangle noir. Mais ce n’étaient pas eux, j’en suis sûr. »
La suite...
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Malgré une situation politique stabilisée, le souvenir de la guerre civile des années 1990 continue de hanter l'Algérie. De nombreux jeunes, qui se sentent étouffés entre le pouvoir et les islamistes, s'exilent ou se convertissent
Aujourd’hui, Mohammed ne va pas bien. « La plupart du temps, je n’ai que des mauvaises nuits, soupire-t-il. Les souvenirs, ces terribles souvenirs, sont là, la nuit avec moi, ils ne me quittent pas. Ce sont mes cauchemars ! »
Mohammed, qui porte un khamis blanc (longue robe traditionnelle) et une barbe courte, est l’un des survivants du terrible massacre de Bentalha, survenu dans la nuit du 22 septembre 1997 à partir « de 22 h 45, là où la nuit est la plus sombre, jusqu’à 4 h 45 à l’aube du 23 septembre, avant que le soleil ne se lève », selon des horaires précis, notés par lui-même et sa famille. Il y a eu 521 morts et plus de 100 blessés. Son fils de 11 ans a été égorgé, ainsi que sa « chère, très chère épouse », dont deux des garçons, Amine et Selim, ont le sourire, tout en douceur.
Neuf ans après, Mohammed, qui s’est remarié, ses six enfants, dont sa fille Amal, qui se marie en juillet, tous des rescapés, ne peuvent pas oublier. Ils vivent toujours dans la peur des policiers, des militaires, n’ont confiance en personne, d’autant qu’ils sont les seuls survivants de leur rue à y demeurer encore. Une rue martyre où il y aurait eu au moins une centaine de morts.
Seul est revenu le vieil « Ali » (1) qui avait fui Bentalha environ un mois avant le massacre : « Les “terro”, comme il les appelle, avaient laissé dans cette rue des corps ensanglantés qu’il ne fallait pas toucher. Mon fils s’en est un peu trop approché, et l’un des “terro” qui contrôlaient la rue lui a tiré une balle dans la jambe. Le lendemain, nous avons fui. Heureusement, je n’étais pas ici, la nuit du massacre. Mais ma maison a été brûlée. »
"Heureux de vivre ici"
La rue est toujours aussi défoncée, et toujours pas bitumée ; quand il pleut, c’est vite la gadoue. Une petite épicerie est tenue par un nouvel habitant qui, dit-il, « est heureux de vivre ici ». Quelques maisons, toutes d’un ou deux étages, sont envahies par de la vigne vierge et même des treilles, dont la couleur vert cru tente d’égayer la rue. Elles sont habitées par de petits cadres moyens, fonctionnaires, qui ont pu acheter un terrain et y faire construire leurs maisons. Aujourd’hui, rien ne différencie Bentalha de l’un des nombreux quartiers de la périphérie d’Alger. Grâce à un mécène, la ville a même son club de football, qui caracole en deuxième division, dans le championnat d’Algérie. Tout semble redevenu normal.
Amine, le fils de Mohammed, qui avait 13 ans lors du massacre et qui est au chômage, ne veut pas quitter Bentalha, en « souvenir de son enfance heureuse, du temps où ma mère vivait ». Il y a des jours où le fragile jeune homme, qui en a « trop vu », se recroqueville sur lui-même. De la terrasse de la maison familiale, debout aux côtés de son père, il raconte son calvaire : « Quand “ils” sont arrivés cette nuit-là, j’ai sauté du deuxième étage dans la cour arrière, je me suis cassé le pied. J’ai fait le mort, au milieu des cadavres, découpés à la hache, mutilés, brûlés, jetés par les fenêtres. C’était affreux ! »
Mohammed, agent sanitaire à la retraite, montre les figuiers florissants, très hauts, sur lesquels lui-même a sauté de la terrasse du deuxième étage, avec 40 autres personnes, des hommes, des femmes, des enfants qui l’ont suivi, fuyant à travers les cours. Les 35 autres qui étaient restées ont été égorgées. Mohammed a encore les mots « des égorgeurs » dans la tête. « Ils nous criaient : “Dites, à votre Dieu de venir vous sauver. Qu’il fasse en sorte que vous ne soyez pas égorgés ! Voyez, il ne fait rien.” »
"Pourquoi vous n’intervenez pas ?"
Ces mots-là font dire à Mohammed, qui n’a pas cessé de réfléchir à la question : « Qui tue qui ? » « Les tueurs n’étaient pas des islamistes. Je n’y crois pas une seconde, surtout qu’ils ont choisi les maisons dont ils savaient que les habitants donnaient à manger, ou de l’argent aux groupes armés islamistes qui frappaient à leurs portes. J’étais de ceux-là, je le reconnais ! Pourquoi aurais-je refusé, moi qui avais voté FIS (NDLR : le Front islamique du salut, dissous) ? Ceux qui n’ouvraient pas leurs portes aux islamistes ont été épargnés. »
Le pire pour Mohammed, c’est quand il est arrivé 20 mètres plus loin après avoir couru et qu’il a vu l’armée postée là, au coin, ayant bouclé le quartier (le centre de la ville n’ayant pas été touché) : « Je leur ai crié : “Pourquoi vous n’intervenez pas ?” Ils m’ont donné cette réponse qui pose question à tous les Algériens neuf ans après : “Nous n’avons pas reçu l’ordre d’intervenir !” Je me souviens d’un jeune soldat qui s’est mis à hurler, pleurant, cassant en deux son fusil, sur un mur, répétant : “Pourquoi, pourquoi, avons-nous laissé tous ces gens mourir ?” Celui-là, pauvre garçon, il a dû être liquidé », ajoute Mohammed.
Car Mohammed, qui dessine avec une petite pierre, sur le sol de la terrasse, le plan de Bentalha, le nombre de casernes l’entourant, au moins trois, a une certitude : « Les “égorgeurs”, au moins 200, ont sans aucun doute été liquidés, sinon quelqu’un aurait parlé, malgré la peur des représailles. Ce n’étaient pas des militaires, j’en suis sûr ! C’étaient des voyous, des trafiquants, qui avaient été libérés pour l’occasion et des jeunes pupilles de la nation élevés par l’armée, comme cela se passe chez nous en Algérie. Certes, ils venaient de l’oued El-Harrach, à travers les orangers, qui se trouvent au bout du lotissement, comme les groupes armés, basés dans ce que l’on a appelé, le triangle noir. Mais ce n’étaient pas eux, j’en suis sûr. »
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