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Entretien avec Adil Douiri : "L'économie marocaine ne se porte pas si mal"

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  • Entretien avec Adil Douiri : "L'économie marocaine ne se porte pas si mal"

    Entretien
    Adil Douiri : L'économie marocaine ne se porte pas si mal

    Le Maroc n'est pas très endetté et son taux de croissance reste appréciable. Plutôt que de réduire l'investissement public, il faut limiter les dépenses. Plafonner l'enveloppe de compensation et stabiliser les dépenses de l'administration sont aujourd'hui plus que nécessaires. L'économie est moins dépendante aujourd'hui de l'agriculture céréalière et le Plan Emergence devrait aider à rééquilibrer la balance des paiements.

    Un déficit qui dépasse les 5% et une facture de compensation qui est de plus de 40 milliards de DH, les finances publiques se portent bien mal…
    Non, pas tant que ça. Le déficit budgétaire est un indicateur moins important que ce à quoi il conduit : le montant de la dette. La dette est le résultat du cumul des déficits passés : le déficit peut être de 0% une année, de 3% une autre année, de 5% une troisième année, ce n’est pas vraiment fondamental. Ce qui compte encore une fois c’est la taille de la dette par rapport aux richesses produites par notre économie (le PIB) et par rapport au montant des recettes fiscales. Aujourd’hui, la dette représente environ 50% du PIB, ce qui est un niveau raisonnable pour un pays émergent, en plein développement et dont la croissance économique est plutôt rapide.

    Il reste que la situation se dégrade en dépit des efforts de grignoter sur les dépenses de fonctionnement. Faut-il réduire l’enveloppe de l’investissement public ?
    Je ne suis pas favorable à l’idée de réduire l’investissement public. Il a permis de transformer le Maroc depuis l’avènement du nouveau règne et sert de locomotive à l’investissement du secteur privé. Nous sommes un pays en voie de développement, nous ne sommes pas une économie mature et développée : il ne faut pas nous comparer aux situations de l’Union Européenne et des Etats-Unis. Ce serait une faute de réduire l’investissement public particulièrement en ce moment.

    Quelle solution alors ?
    Deux pistes principales. D’une part, il faut stabiliser les dépenses et permettre à la hausse des recettes fiscales, qui se poursuit, de ramener graduellement le déficit budgétaire à un niveau de 3% à 4% du PIB, ce qui permettra à la dette de baisser en pourcentage du PIB, sachant que ce dernier croît d’environ 5% en volume et 3% en prix.
    D’autre part, l’Etat doit plafonner la dépense globale de la Caisse de compensation à son niveau actuel. Si les cours des matières subventionnées baissent à l’international, c’est tant mieux. S’ils ne baissent pas, il faut en tout cas éviter une nouvelle augmentation du budget de la Caisse de compensation. Le plafonnement du budget de la caisse peut être accompagné de l’élargissement progressif du système de subvention directe ciblée que le gouvernement actuel a mis en place. Ce programme donne une aide directe aux familles défavorisées sous condition. La première condition choisie par le gouvernement a été la scolarisation des enfants, et je trouve ça pour ma part tout à fait approprié.

    Vous avez été au gouvernement pendant une législature. Sur quels postes de charges peut-on réellement faire des économies conséquentes ?
    Aujourd’hui, c’est principalement sur le système de compensation et de subvention directe aux ménages défavorisés qu’il convient de poursuivre le travail. Lorsqu’il s’agissait de quelques milliards, ce n’était pas un sujet prioritaire. Mais à 40 milliards de DH, le sujet devient sérieux. La mise en place du programme d’aide directe aux familles défavorisées, lancée par le gouvernement actuel, est une bonne façon d’éliminer progressivement des subventions qui finissent dans les poches des ménages qui n’en ont pas besoin. Par exemple le carburant diesel est subventionné même pour les voitures particulières, ce qui est excessif.

    Ne faut-il pas aujourd’hui couper la poire en deux et augmenter quelque peu le prix du carburant, du moins en ce qui concerne le transport individuel ?
    Il y a une difficulté réelle pour appliquer cette mesure : il faudrait pouvoir différencier entre le carburant diesel utilisé par les professionnels (autobus, taxis, transporteurs…) et celui utilisé par les voitures particulières. Il reste à trouver la manière de restituer aux professionnels la différence de prix. Mais la mesure mérite étude approfondie.

    Sur le plan fiscal, la croissance des recettes n’est plus ce qu’elle était au début des années 2 000. Y a-t-il encore des gisements à exploiter ?
    Oui, clairement. D’abord, la croissance du PIB, notamment du PIB non agricole peut tout à fait revenir à son niveau des années 2004 à 2008 (d’avant la crise financière internationale). Ensuite, la tendance va se poursuivre : génération après génération, nos concitoyens s’habituent à l’impôt. Plus le citoyen constate les effets de l’investissement public, et c’est le cas depuis l’avènement du Roi Mohammed VI, avec un Maroc qui se transforme sous les yeux de tous, plus il est conscient de l’importance d’en payer. Enfin, en changeant d’idéologie fiscale, je suis persuadé qu’il est possible d’accroître significativement l’adhésion à l’impôt.

    Etes-vous de ceux qui sont favorables à un impôt sur la fortune ?
    La solidarité entre les différentes couches sociales est fondamentale. Heureusement, notre société et notre religion nous encouragent fortement à être solidaires. Dans un pays où la croissance économique est relativement rapide, les inégalités ont tendance à se creuser. Cependant, les impôts sur les flux sont toujours préférables aux impôts sur les stocks : mieux vaut assujettir les très hauts revenus à un effort de solidarité et surtout taxer la spéculation foncière improductive (plus-value sur terrains nus par exemple) que le patrimoine. L’immobilier crée des emplois mais renchérir le prix des terrains et spéculer sur des terrains nus détruit des emplois.

    Dans ses prévisions pour l’année 2012, le gouvernement a prévu un taux de croissance du PIB de 5% ? Pensez-vous que ce soit réalisable ?
    Il est difficile de prévoir la partie céréalière du PIB, qui dépend des conditions climatiques. Pour le reste (agriculture irriguée, industrie et services), soit 90% du PIB environ, 5% de croissance en volume est faisable. La probabilité de réalisation est d’autant plus forte si : a) la croissance chez les clients européens ne s’effondre pas plus encore (on prévoit 1,5% de croissance en Europe en 2012) ; b) si on ne casse pas encore une fois la dynamique de croissance du logement social dans notre pays ; c) si le cours des phosphates et celui du pétrole ne connaissent pas d’évolution défavorable ; et enfin, d) si on n’interrompt pas la dynamique d’investissement public et e) si le tourisme n’est pas affecté par des chocs exogènes, souvent amplifiés par les médias des pays clients.

    Ça fait beaucoup de si…, ces 5%, vous, vous y croyez ou pas ?
    J’y crois, avec un risque que ce soit entre 4% et 5%, sauf chocs exogènes majeurs.

    Tendanciellement, le rythme de croissance de l’économie est plus élevé qu’au cours des années 90, mais il reste faible et surtout encore lié à l’agriculture. Que faut-il pour un saut significatif ?
    Je ne suis pas d’accord. Nous avons gagné clairement entre 2 et 2,5 points de croissance depuis le début du nouveau règne, par rapport au rythme des années 90. Nous étions alors à une croissance moyenne de 3% l’an en volume (donc, 5%-6% en dirhams) et nous sommes depuis quelques années plutôt autour de 5%-5,5% en volume, c’est-à-dire 7%-8% en dirhams courants.
    Une économie qui croît de 7% à 8% en dirhams chaque année ne peut pas être qualifiée d’économie à faible croissance. Par ailleurs, le poids de l’agriculture non irriguée, donc essentiellement les céréales, est réellement réduit dans notre économie : 15% à 18% pour toute l’agriculture, peut-être un peu plus de 10% pour la partie céréalière. De même, la population rurale n’est plus que de 40% de la population totale et continuera à baisser en proportion du total. De ce fait, la consommation des ménages ruraux, qui dépend, elle, pour partie de l’activité agricole, pèse moins qu’auparavant sur le PIB total marocain.

    Un ou deux points supplémentaires ne feraient pas de mal, surtout en termes d’emplois…
    Comment gagner encore 1 à 2 points de croissance supplémentaires ? Je crois que cela viendra essentiellement de la gouvernance de l’administration publique. La nouvelle Constitution aura un effet très bénéfique sur la croissance en cela qu’elle permet un pilotage fort des secteurs économiques. Dorénavant, la Primature est responsable de la mise en cohérence des différents plans sectoriels, de leur pilotage au quotidien, des arbitrages permanents pour dénouer les petits blocages de tous les jours. Cela vaut au niveau du gouvernement central comme dans les relations avec l’administration territoriale.

    Comment jugez-vous les fondamentaux de l’économie marocaine. Quels sont nos points faibles et quelles sont nos forces ?
    Notre véritable point fort est d’avoir intégré depuis 2000-2001 l’indispensable rôle de l’Etat stratège. Au cours des années 90, la haute administration marocaine qui, à l’époque était le véritable pilote de l’économie, était opposée à cette idéologie, partiellement sous l’influence de la Banque Mondiale et du FMI (je l’ai vécu personnellement à plusieurs reprises).
    Grâce à l’impulsion donnée par le Souverain, nous n’avons plus de complexe et établissons des plans de développement ambitieux et volontaires pour tous nos grands secteurs et nous basons ces plans sur des études fouillées, approfondies, confiées à des spécialistes internationaux et nationaux. De plus, ces plans sont financés : on ne se contente pas d’exprimer une vision et la stratégie pour y parvenir ; on met des chiffres en face et on les alloue dans le Budget.
    Par ailleurs, le rôle de l’Etat coach du secteur privé se met en place progressivement avec des programmes d’appui permanents au tissu des entreprises, voire dans certains cas des partenariats contractuels privé/public. Croyez-moi c’est à la fois indispensable, mais aussi très moderne comme approche.

    (1/2)
    Ne nourrissez pas les trolls

  • #2
    (suite et fin)

    Pensez-vous réellement que nous avons nos chances en tant qu’opérateurs mondiaux dans les métiers du plan Emergence ?
    Oui, absolument. Ces activités sont celles à même de générer les exportations de biens ou de services qui peuvent équilibrer la consommation croissante de biens importés par nos concitoyens. D’une pierre, deux coups : ces métiers sont en train de créer des centaines de milliers d’emplois au Maroc. Emergence est donc fondamental, critique. Mais il ne faut pas oublier trois autres grands métiers mondiaux de notre pays, non couverts par Emergence, que sont le tourisme, l’industrie agro-alimentaire et la production de phosphates et dérivés.
    Je rappelle que les 8 grands métiers mondiaux du Maroc, c’est-à-dire des grandes spécialités exportatrices (tourisme compris), et ce, à aujourd’hui, alors que le Plan Emergence n’est qu’au début de son parcours, représentent 74% de nos exportations de biens et de services en 2011.

    En Aparté : Le plan Emergence aurait dû être lancé au tournant des années 2000...

    Ne croyez-vous pas que le pays souffre avant tout d’une faible industrialisation ?
    Entièrement d’accord. Mais c’est en train d’être réparé grâce au Plan Emergence. Notre pays avait initié la marche vers le libre échange avec notre riche voisin européen dès 1996. C’est en 1998, 1999, 2000 que nous aurions dû faire les études du Plan Emergence pour entamer sa mise en œuvre juste avant le démantèlement douanier progressif (2002-2012). Or, nous n’avons lancé les études d’industrialisation (Plan Emergence) qu’à l’été 2004. La mise en œuvre n’a commencé (par l’automobile et l’offshoring) qu’en 2005.

    Hormis l’impact du coût du pétrole, la balance des biens reste lourdement déficitaire…
    Une seule solution : renforcer la gouvernance et les ressources humaines allouées à l’exécution des plans sectoriels exportateurs, qui sont tous très bons. Ces 8 métiers les plus compétitifs du Maroc à l’export sont couverts par les Plans Vision 2020 pour le Tourisme, Emergence pour l’industrie et l’offshoring, Plan Maroc Vert pour l’agriculture et Plan Halieutis pour la pêche. Les phosphates et la chimie en aval sont couverts par la stratégie que met en œuvre l’OCP. Il ne faut surtout pas changer de cap car les plans sont bons. Nous devons nous atteler à mieux les mettre en œuvre et à les mettre en œuvre plus vite et de façon coordonnée.

    Avec 6 mois de réserves en devises étrangères, ne doit-on pas craindre pour l’économie marocaine ?
    Il n’y a pas 36 solutions. Nous n’avons lancé nos plans sectoriels exportateurs que plusieurs années après le début de la baisse des droits de douane. On a donc stimulé fortement la croissance des importations (en baissant le prix des produits importés), avant d’avoir fini de mettre en place nos nouvelles unités exportatrices (hôtels, usines, centres d’offshoring, …). Alors aujourd’hui, il y a un déficit annuel que l’on peut estimer à une cinquantaine de milliards de DH (100 en fait, dont la moitié est couverte par les transferts des MRE), pour équilibrer nos échanges extérieurs. Ce déficit consomme nos réserves de change, sauf les années où les investissements étrangers sont importants. Va-t-on faire marche arrière sur les accords de libre échange et remonter les droits de douane ? Je ne crois pas. Il nous reste à accélérer la mise en place des unités exportatrices comme unique sortie de cette difficulté, qui est, il faut le souligner, temporaire.…


    Fadel Agoumi. La Vie éco
    www.lavieeco.com

    2011-09-23
    Ne nourrissez pas les trolls

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