24 septembre 2011
Assemblée Nationale : PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer la nature et les objectifs de l’intervention militaire en Libye.
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 TREIZIÈME LÉGISLATURE - Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 août 2011.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer la nature et les objectifs de l’intervention militaire en Libye,
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Jacques CANDELIER, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Jean-Pierre BRARD, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU et Michel VAXÈS,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Grâce à la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France prirent le contrôle des opérations en Libye.
À ce jour, le but des opérations en Libye n’est pas révélé aux Français.
Le mythe de la protection des civils a fait long feu. La manipulation(1) consistait à faire croire à l’imminence d’un bain de sang en Cyrénaïque et à une répression sans nom de la part des forces de Mouammar Kadhafi.
Or, comme l’écrivait l’Humanité depuis Benghazi, les responsables hospitaliers de cette ville ont comptabilisé 250 morts suite à la répression. Un chiffre n’ayant rien à voir avec les milliers de morts annoncés ! Un rapport livré par une spécialiste d’Amnesty International ayant passé plus de 3 mois en Libye, confirme que « le nombre de morts a été grandement exagéré ».
Les 20 et 21 mars, la chaîne d’information al-Jazira affirmait que « les avions et les hélicoptères de Kadhafi bombard(aient) Tripoli, secteur par secteur, faisant des centaines de victimes ». Pourtant, d’après les témoignages recueillis sur place, « de tels bombardements n’ont pas eu lieu ». « Dans un quartier du centre, on nous montre un immeuble que l’aviation de Kadhafi aurait bombardé, et dont il ne restait plus rien selon Al-Jazira. Mais l’immeuble est intact » (France Soir du 9 avril).
Comme les « armes de destruction massives » en Irak, la « protection des civils » n’a donc été que le prétexte de cette guerre, elle n’en constitue pas le mobile.
Conscient de cette réalité, le 12 juillet le Premier ministre François Fillon justifia ainsi devant l’Assemblée nationale l’intervention militaire : « il est tout à fait vrai que le vent de liberté qui soufflait sur le monde arabe en ce printemps 2011 a imprégné notre décision ».
Toutefois, il est difficile de penser que le Gouvernement avait sérieusement envisagé d’imposer la démocratie par une campagne de bombardement.
Il est ensuite difficile de croire à une promotion de la liberté avec le Conseil national de transition libyen, tel qu’il est actuellement composé.
De même, il est encore moins autorisé de penser que la défense des droits de l’homme soit un quelconque motif de préoccupation des autorités françaises, alors qu’elles ont soutenu et armé(2) le colonel Kadhafi, dictateur qui, de tout temps, a torturé et exécuté les progressistes de son pays, et qu’elles ont été aux côtés des dictatures de Tunisie(3) et d’Égypte(4) !
De même, il y a de quoi être sidéré par le « deux poids, deux mesures » actuel du Quai d’Orsay qui, certes, « condamne avec la plus extrême fermeté la poursuite de la répression menée par les autorités syriennes », mais a attendu le 18 août pour demander le départ de Bachar el-Assad.
Enfin, le but officiel de l’intervention militaire n’était pas la chute du régime, qui n’est pas inscrite dans la résolution 1973.
Pourtant, le « départ immédiat de Kadhafi », selon l’expression d’Alain Juppé, était bien l’objectif de la coalition. Pour quelle raison ?
Carl Von Clausewitz écrivait que « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens ».
Le Président de la République Nicolas Sarkozy a-t-il changé de politique depuis 2007 ? Lui-même ne le revendique pas ! Nous sommes donc fondés de considérer qu’il poursuit la même politique, au service des intérêts commerciaux et financiers, mais en tenant compte du changement de contexte.
Les révolutions arabes ébranlent l’ordre économique mondial, avec leurs revendications de justice sociale et de développement économique souverain et émancipé des marchés. Renforcer cyniquement la domination des puissances impérialistes, dont la France, est la priorité absolue, même s’il faut pour cela recourir à des carnages humains (directement, comme en Libye, ou en laissant faire, comme en Arabie saoudite, au Bahreïn, en Syrie, au Yémen…).
L’argent est le nerf de la guerre. En Libye, il fallait agir vite. Le pays est, selon l’Union Française des Industries Pétrolières, le deuxième fournisseur de pétrole de la France, avec 200 000 barils par jour. La France dépend à 15 % des importations de pétrole brut de Libye. 80 % du pétrole libyen est exporté vers l’Union européenne. Par ailleurs, les compagnies européennes ont fortement investi dans ce pays.
En février, il faut se remémorer l’affolement des milieux patronaux européens devant les manifestations hostiles à Khadafi.
« S’il n’y avait plus d’importation de pétrole brut libyen cela serait très très préoccupant », avait dit Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières. « Dans la mesure où la situation libyenne n’a pas l’air de se calmer, (...) le risque de voir un impact sur les installations pétrolières est réel », avançait-il encore.
Le 22 févier, Le Figaro indiquait que « les troubles en Libye déstabilisent les marchés pétroliers. Les marchés craignent en outre de voir le mouvement de révolte s’étendre à tout le Moyen-Orient.
Les mouvements prennent de plus en plus d’ampleur au Yémen, à Djibouti, en Iran, au Bahreïn, au Maroc ou en Algérie, autre important exportateur de pétrole ». L’Express titrait : « la Libye est le premier pays exportateur de pétrole touché par la vague de contestation dans le monde arabe. La situation fait s’envoler les prix du brut. Et plombe les marchés d’actions ».
Un scénario parfaitement sordide se dessine : Kadhafi, qui déclara se sentir « trahi » par ses anciens amis européens, ne tenait plus l’activité économique. L’extraction des hydrocarbures était mise à mal, les installations étaient sérieusement menacées. Le soulèvement en Libye avait contraint les groupes pétroliers à arrêter la production(5). Il était urgent que « tout change pour que rien ne change ». Le colonel était devenu trop encombrant, il n’était plus le bon cheval pour continuer à piller les énormes matières premières du pays et soumettre son peuple aux logiques du capital.
La guerre ne fit que renforcer la menace sur les intérêts économiques. Mi-juillet, le régime a annoncé que l’Italie, l’un des principaux investisseurs, n’aurait plus accès à son pétrole en raison de son rôle dans la campagne de bombardements(6). Le général Charles Bouchard, qui commande la mission de l’OTAN en Libye, a indiqué que Kadhafi ordonnait à ses forces de détruire les raffineries. Le quotidien américain Financial Times a relayé, fin mars, les craintes des entreprises étrangères de la nationalisation complète des exploitations.
Il n’y a pas d’autre raison à la fuite en avant militaire des puissances impérialistes !
Au contraire, une dépêche AFP du 22 mars cite un communiqué du Conseil national de transition assurant, au détour de propos lénifiants sur la tenue d’élections libres (certainement comme en Afghanistan et en Irak !), « la protection des intérêts et des droits des sociétés étrangères ». Aucun membre du CNT n’a l’intention de revenir sur la politique d’ouverture aux intérêts impérialistes menée en Libye ces dix dernières années. N’est-ce pas pour cette raison que Nicolas Sarkozy, par l’entremise de l’homme d’affaires Bernard-Henri Lévy, s’est empressé de reconnaître la légitimité du CNT ?
Le 12 juillet à l’Assemblée nationale, François Fillon était parfaitement clair : « nous soutenons la feuille de route du CNT et, demain, nous serons vigilants dans sa mise en œuvre ». Le même jour, un député de la majorité avouait carrément : « nos entreprises (…) ne peuvent être trop absentes ou en retard le moment venu de l’après-Kadhafi (…) Il ne faudrait pas qu’après avoir fait l’essentiel du difficile travail d’autres en profitent indûment. »
Comme un symbole, devant l’imminence d’un succès militaire en août, les cours des actions des trusts pétroliers se sont envolés sur les places européennes.
La commission d’enquête dont il vous est proposé la création devra retracer le bilan des victimes, de la répression du régime comme des puissances extérieures.
Elle répondra en outre de manière circonstanciée aux questions suivantes :
– Quelle est la nature de l’intervention militaire en Libye, quels sont ses objectifs ?
– Quelles activités économiques sont particulièrement en jeu ?
– Pourquoi la coalition a-t-elle ciblé des édifices n’ayant aucun intérêt militaire ?
© Assemblée nationale
Assemblée Nationale : PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer la nature et les objectifs de l’intervention militaire en Libye.
ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 TREIZIÈME LÉGISLATURE - Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 août 2011.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION tendant à la création d’une commission d’enquête afin d’évaluer la nature et les objectifs de l’intervention militaire en Libye,
(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Jean-Jacques CANDELIER, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Jean-Pierre BRARD, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU et Michel VAXÈS,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Grâce à la résolution 1973 du Conseil de sécurité des Nations unies, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France prirent le contrôle des opérations en Libye.
À ce jour, le but des opérations en Libye n’est pas révélé aux Français.
Le mythe de la protection des civils a fait long feu. La manipulation(1) consistait à faire croire à l’imminence d’un bain de sang en Cyrénaïque et à une répression sans nom de la part des forces de Mouammar Kadhafi.
Or, comme l’écrivait l’Humanité depuis Benghazi, les responsables hospitaliers de cette ville ont comptabilisé 250 morts suite à la répression. Un chiffre n’ayant rien à voir avec les milliers de morts annoncés ! Un rapport livré par une spécialiste d’Amnesty International ayant passé plus de 3 mois en Libye, confirme que « le nombre de morts a été grandement exagéré ».
Les 20 et 21 mars, la chaîne d’information al-Jazira affirmait que « les avions et les hélicoptères de Kadhafi bombard(aient) Tripoli, secteur par secteur, faisant des centaines de victimes ». Pourtant, d’après les témoignages recueillis sur place, « de tels bombardements n’ont pas eu lieu ». « Dans un quartier du centre, on nous montre un immeuble que l’aviation de Kadhafi aurait bombardé, et dont il ne restait plus rien selon Al-Jazira. Mais l’immeuble est intact » (France Soir du 9 avril).
Comme les « armes de destruction massives » en Irak, la « protection des civils » n’a donc été que le prétexte de cette guerre, elle n’en constitue pas le mobile.
Conscient de cette réalité, le 12 juillet le Premier ministre François Fillon justifia ainsi devant l’Assemblée nationale l’intervention militaire : « il est tout à fait vrai que le vent de liberté qui soufflait sur le monde arabe en ce printemps 2011 a imprégné notre décision ».
Toutefois, il est difficile de penser que le Gouvernement avait sérieusement envisagé d’imposer la démocratie par une campagne de bombardement.
Il est ensuite difficile de croire à une promotion de la liberté avec le Conseil national de transition libyen, tel qu’il est actuellement composé.
De même, il est encore moins autorisé de penser que la défense des droits de l’homme soit un quelconque motif de préoccupation des autorités françaises, alors qu’elles ont soutenu et armé(2) le colonel Kadhafi, dictateur qui, de tout temps, a torturé et exécuté les progressistes de son pays, et qu’elles ont été aux côtés des dictatures de Tunisie(3) et d’Égypte(4) !
De même, il y a de quoi être sidéré par le « deux poids, deux mesures » actuel du Quai d’Orsay qui, certes, « condamne avec la plus extrême fermeté la poursuite de la répression menée par les autorités syriennes », mais a attendu le 18 août pour demander le départ de Bachar el-Assad.
Enfin, le but officiel de l’intervention militaire n’était pas la chute du régime, qui n’est pas inscrite dans la résolution 1973.
Pourtant, le « départ immédiat de Kadhafi », selon l’expression d’Alain Juppé, était bien l’objectif de la coalition. Pour quelle raison ?
Carl Von Clausewitz écrivait que « la guerre n’est qu’un prolongement de la politique par d’autres moyens ».
Le Président de la République Nicolas Sarkozy a-t-il changé de politique depuis 2007 ? Lui-même ne le revendique pas ! Nous sommes donc fondés de considérer qu’il poursuit la même politique, au service des intérêts commerciaux et financiers, mais en tenant compte du changement de contexte.
Les révolutions arabes ébranlent l’ordre économique mondial, avec leurs revendications de justice sociale et de développement économique souverain et émancipé des marchés. Renforcer cyniquement la domination des puissances impérialistes, dont la France, est la priorité absolue, même s’il faut pour cela recourir à des carnages humains (directement, comme en Libye, ou en laissant faire, comme en Arabie saoudite, au Bahreïn, en Syrie, au Yémen…).
L’argent est le nerf de la guerre. En Libye, il fallait agir vite. Le pays est, selon l’Union Française des Industries Pétrolières, le deuxième fournisseur de pétrole de la France, avec 200 000 barils par jour. La France dépend à 15 % des importations de pétrole brut de Libye. 80 % du pétrole libyen est exporté vers l’Union européenne. Par ailleurs, les compagnies européennes ont fortement investi dans ce pays.
En février, il faut se remémorer l’affolement des milieux patronaux européens devant les manifestations hostiles à Khadafi.
« S’il n’y avait plus d’importation de pétrole brut libyen cela serait très très préoccupant », avait dit Jean-Louis Schilansky, président de l’Union française des industries pétrolières. « Dans la mesure où la situation libyenne n’a pas l’air de se calmer, (...) le risque de voir un impact sur les installations pétrolières est réel », avançait-il encore.
Le 22 févier, Le Figaro indiquait que « les troubles en Libye déstabilisent les marchés pétroliers. Les marchés craignent en outre de voir le mouvement de révolte s’étendre à tout le Moyen-Orient.
Les mouvements prennent de plus en plus d’ampleur au Yémen, à Djibouti, en Iran, au Bahreïn, au Maroc ou en Algérie, autre important exportateur de pétrole ». L’Express titrait : « la Libye est le premier pays exportateur de pétrole touché par la vague de contestation dans le monde arabe. La situation fait s’envoler les prix du brut. Et plombe les marchés d’actions ».
Un scénario parfaitement sordide se dessine : Kadhafi, qui déclara se sentir « trahi » par ses anciens amis européens, ne tenait plus l’activité économique. L’extraction des hydrocarbures était mise à mal, les installations étaient sérieusement menacées. Le soulèvement en Libye avait contraint les groupes pétroliers à arrêter la production(5). Il était urgent que « tout change pour que rien ne change ». Le colonel était devenu trop encombrant, il n’était plus le bon cheval pour continuer à piller les énormes matières premières du pays et soumettre son peuple aux logiques du capital.
La guerre ne fit que renforcer la menace sur les intérêts économiques. Mi-juillet, le régime a annoncé que l’Italie, l’un des principaux investisseurs, n’aurait plus accès à son pétrole en raison de son rôle dans la campagne de bombardements(6). Le général Charles Bouchard, qui commande la mission de l’OTAN en Libye, a indiqué que Kadhafi ordonnait à ses forces de détruire les raffineries. Le quotidien américain Financial Times a relayé, fin mars, les craintes des entreprises étrangères de la nationalisation complète des exploitations.
Il n’y a pas d’autre raison à la fuite en avant militaire des puissances impérialistes !
Au contraire, une dépêche AFP du 22 mars cite un communiqué du Conseil national de transition assurant, au détour de propos lénifiants sur la tenue d’élections libres (certainement comme en Afghanistan et en Irak !), « la protection des intérêts et des droits des sociétés étrangères ». Aucun membre du CNT n’a l’intention de revenir sur la politique d’ouverture aux intérêts impérialistes menée en Libye ces dix dernières années. N’est-ce pas pour cette raison que Nicolas Sarkozy, par l’entremise de l’homme d’affaires Bernard-Henri Lévy, s’est empressé de reconnaître la légitimité du CNT ?
Le 12 juillet à l’Assemblée nationale, François Fillon était parfaitement clair : « nous soutenons la feuille de route du CNT et, demain, nous serons vigilants dans sa mise en œuvre ». Le même jour, un député de la majorité avouait carrément : « nos entreprises (…) ne peuvent être trop absentes ou en retard le moment venu de l’après-Kadhafi (…) Il ne faudrait pas qu’après avoir fait l’essentiel du difficile travail d’autres en profitent indûment. »
Comme un symbole, devant l’imminence d’un succès militaire en août, les cours des actions des trusts pétroliers se sont envolés sur les places européennes.
La commission d’enquête dont il vous est proposé la création devra retracer le bilan des victimes, de la répression du régime comme des puissances extérieures.
Elle répondra en outre de manière circonstanciée aux questions suivantes :
– Quelle est la nature de l’intervention militaire en Libye, quels sont ses objectifs ?
– Quelles activités économiques sont particulièrement en jeu ?
– Pourquoi la coalition a-t-elle ciblé des édifices n’ayant aucun intérêt militaire ?
© Assemblée nationale
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