La guerre de Libye, une « cause juste »?
Partie I: Désinformation, censure et partilité médiatiques
Très peu de temps après être entré en fonction, [Ronald] Reagan a annoncé la création d’un groupe spécial pour étudier « le problème libyen » […] Un plan a rapidement été rédigé par la CIA, lequel a été révélé par Newsweek en août 1981 : « un stratagème coûteux, de grande envergure et en plusieurs étapes pour renverser le régime libyen » et obtenir ce que la CIA appelait la déposition « absolue » de Kadhafi. Le plan réclamait un programme de « désinformation » destiné à embarrasser Kadhafi et son gouvernement; la création d’un « contre-gouvernement » pour contester sa prétention au leadership national; ainsi qu’une campagne paramilitaire progressive constituée d’opérations de guérilla à petite échelle. (William Blum, Killing Hope, Common Courage Press, 2004, p.283.)
Campagne de désinformation, création d’un contre-gouvernement et campagne paramilitaire comportant des opérations de guérilla, ces trois étapes élaborées en 1981 par la CIA pour renverser le régime libyen ont bien été mises en œuvre en 2011. Drapée dans de faux idéaux « d’intervention humanitaire », une guerre d’agression menée par les forces de l’OTAN a dévasté un pays entier et anéanti tous ses progrès.
Bien qu’archaïque et utilisé presque systématiquement contre les régimes résistant aux intérêts occidentaux, ce modus operandi en trois étapes continue de faire ses preuves dans le cas de la Libye, surtout grâce à la complicité des grands médias. Ce stratagème s’accompagne de censure et de diffamation envers ceux qui condamnent l’opération « Unified Protector » de l’OTAN, vouée, selon son nom, à « protéger les civils libyens ».
Les médias dominants sont ou complètement aveugles et dans l’ignorance totale ou ils participent volontairement à cette opération occidentale clandestine vouée à installer des dirigeants serviles. Quoi qu’il en soit, ils font de la propagande de guerre, ce qui constitue une violation du droit international.
Désinformation, censure et partialité
Les médias ont d’abord affirmé sans le démontrer que Kadhafi avait réprimé dans le sang des manifestations pacifiques et qu’il s’apprêtait à massacrer une population sans défense réclamant la démocratie. En réalité, le gouvernement libyen faisait face à une rébellion armée, soutenue clandestinement par les services de renseignement occidentaux, un fait amplement documenté dans les médias indépendants.
En utilisant une technique traditionnelle de diabolisation, les médias ont nourri le mensonge en s’appuyant sur le caractère farfelu du dirigeant libyen. Les médias dominants ont propagé l’idée suivante : « Kadhafi est un fou sanguinaire, il doit être renversé ». L’exemple suivant est tiré d’un article du 2 avril dénonçant le biais des médias en faveur de la rébellion.
La plupart des tyrans trouvent des prétextes nobles pour massacrer ceux qui les contestent. Kadhafi, lui, affirme sans la moindre gêne son intention de déclencher un carnage illimité. À ses yeux, aucun prix n'est trop élevé pour se maintenir au pouvoir. (Agnès Gruda, Le devoir de protéger, Cyberpresse, 5 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Les faits concernant la Libye ont été complètement substitués par la désinformation et les attaques ad hominem. La Libye, avant les bombardements de l’OTAN, avait l’indice de développement humain le plus élevé d’Afrique. Elle se classait au 56e rang, devant l’Arabie Saoudite (60), la Russie (71), le Brésil (75) et la Turquie (76).
Au lieu de nous parler de son bilan positif sur le plan des droits humains, louangé par l’ONU, les médias ont martelé que Kadhafi était un monstre qui commettait des crimes contre l’humanité, sans jamais amener de preuves concrètes que son armée s’attaquait à des civils sans défense.
La diabolisation de Mouammar Kadhafi a remplacé les faits pour justifier une intervention militaire en appui à une insurrection armée dite démocratique. « Démocratie » et « insurrection armée » ne sont pas des concepts compatibles. Pourtant l’absurdité du concept « rebelles armés prodémocratiques » n’est jamais soulignée ni questionnée dans les médias dominants. Cela démontre la puissance de la propagande : une affirmation répétée et propagée par les autorités devient vérité en dépit de son illogisme et de sa fausseté.
De plus, dans une absence totale de neutralité, les médias nous présentent la propagande des « rebelles démocrates » comme source d’information fiable et la remettent rarement en question.
Un article du Journal de Montréal,le plus grand quotidien francophone d’Amérique, annonçait le 26 août dernier : « Un autre Canadien a été tué en Libye, a annoncé vendredi le Conseil libyen canadien sur sa page Facebook. » (Kelly Roche, Un Canadien perd la vie en Libye, Journal de Montréal, 26 août 2011.)
D’emblée, on peut se demander : depuis quand Facebook est une source d’information fiable? Ensuite, qu’est-ce que le Conseil libyen canadien?
C’est un fait avéré que les services de renseignement et l’armée des États-Unis utilisent les médias sociaux comme Facebook à des fins de propagande et de surveillance, et il faudrait s’étonner que d’autres pays n’en fassent pas autant.
En février 2011, on révélait que « HBGary Federal [avait] obtenu un contrat du gouvernement étasunien pour développer un logiciel pouvant créer une multitude de faux profils dans les médias sociaux afin de manipuler et d’influencer l’opinion publique sur des sujets controversés en faisant de la propagande ». (Darlene Storm, Army of Fake Social Media Friends to Promote Propaganda, Computer World, 22 février 2011.)
Dans le manuel de l’U.S. Air Force, on trouve un schéma expliquant bien la dynamique entre les médias indépendants, les médias sociaux et les médias de masse, ainsi que l’importante influence des médias sociaux sur l’opinion publique.
Un minimum de rigueur journalistique exige des sources fiables et Facebook n’en est pas une. Par ailleurs, en deux clics ont peut constater que le site du Conseil libyen canadien et son compte Facebook ont été mis en ligne en mars 2011, au plus fort de la propagande contre Kadhafi, et qu’ils ne contiennent aucun nom. On ne dit pas qui est à l’origine de ce conseil. Pas de numéro de téléphone, seule une adresse courriel comme coordonnée.
Même anonymat pour son partenaire, l’organisation caritative Canadian Libyans for Relief and Prosperity (Les Libyens canadiens pour l’aide et la prospérité). La section About Us (À propos) demande des informations comme votre nom, votre adresse courriel et votre site web plutôt que de décrire l’organisme et de renseigner sur ses membres.
À la désinformation, aux sources douteuses et à la censure s’ajoute la sympathie notoire des médias envers les opposants de Kadhafi, comme dans ce reportage du Globe and Mail (vidéo ici) :
J’étais dans un hôpital à Misrata et j’ai discuté avec les pauvres gars qui revenaient du front à Zliten, une ville à l’est de Tripoli […] C’était une manœuvre vraiment brillante, frapper Tripoli simultanément à trois endroits, vraiment, à l’est, à l’ouest et de l’intérieur vous voyez, durant le mois du Ramadan, les émotions sont vives […] cela signifie que les portes du paradis sont ouvertes à ceux qui sacrifient leur vie pour une cause noble […] rompre le jeûne […] au moment où le taux de glycémie des troupes de Kadhafi étaient peut-être à son plus bas et qu’elles étaient peut-être somnolentes […] le moment était très bien choisi. (Graeme Smith, The Globe's Graeme Smith on Libya, the Globe and Mail, 22 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)
Mahdi Darius Nazemroaya, correspondant de Mondialisation.ca à Tripoli, et les journalistes indépendants Julien Teil et Mathieu Ozanon, ont fait un reportage à Zliten démontrant la dévastation causée par les bombardements de l’OTAN. Ce bombardement, qui a fait des milliers de victimes civiles, dont un grand nombre étaient des femmes et des enfants, avait pour but d’ouvrir la porte à la « brillante manœuvre » des rebelles glorifiés plus haut par le Globe and Mail.
Julie Lévesque est journaliste et chercheure au Centre de recherche sur la Mondialisation.
Partie I: Désinformation, censure et partilité médiatiques
Très peu de temps après être entré en fonction, [Ronald] Reagan a annoncé la création d’un groupe spécial pour étudier « le problème libyen » […] Un plan a rapidement été rédigé par la CIA, lequel a été révélé par Newsweek en août 1981 : « un stratagème coûteux, de grande envergure et en plusieurs étapes pour renverser le régime libyen » et obtenir ce que la CIA appelait la déposition « absolue » de Kadhafi. Le plan réclamait un programme de « désinformation » destiné à embarrasser Kadhafi et son gouvernement; la création d’un « contre-gouvernement » pour contester sa prétention au leadership national; ainsi qu’une campagne paramilitaire progressive constituée d’opérations de guérilla à petite échelle. (William Blum, Killing Hope, Common Courage Press, 2004, p.283.)
Campagne de désinformation, création d’un contre-gouvernement et campagne paramilitaire comportant des opérations de guérilla, ces trois étapes élaborées en 1981 par la CIA pour renverser le régime libyen ont bien été mises en œuvre en 2011. Drapée dans de faux idéaux « d’intervention humanitaire », une guerre d’agression menée par les forces de l’OTAN a dévasté un pays entier et anéanti tous ses progrès.
Bien qu’archaïque et utilisé presque systématiquement contre les régimes résistant aux intérêts occidentaux, ce modus operandi en trois étapes continue de faire ses preuves dans le cas de la Libye, surtout grâce à la complicité des grands médias. Ce stratagème s’accompagne de censure et de diffamation envers ceux qui condamnent l’opération « Unified Protector » de l’OTAN, vouée, selon son nom, à « protéger les civils libyens ».
Les médias dominants sont ou complètement aveugles et dans l’ignorance totale ou ils participent volontairement à cette opération occidentale clandestine vouée à installer des dirigeants serviles. Quoi qu’il en soit, ils font de la propagande de guerre, ce qui constitue une violation du droit international.
Désinformation, censure et partialité
Les médias ont d’abord affirmé sans le démontrer que Kadhafi avait réprimé dans le sang des manifestations pacifiques et qu’il s’apprêtait à massacrer une population sans défense réclamant la démocratie. En réalité, le gouvernement libyen faisait face à une rébellion armée, soutenue clandestinement par les services de renseignement occidentaux, un fait amplement documenté dans les médias indépendants.
En utilisant une technique traditionnelle de diabolisation, les médias ont nourri le mensonge en s’appuyant sur le caractère farfelu du dirigeant libyen. Les médias dominants ont propagé l’idée suivante : « Kadhafi est un fou sanguinaire, il doit être renversé ». L’exemple suivant est tiré d’un article du 2 avril dénonçant le biais des médias en faveur de la rébellion.
La plupart des tyrans trouvent des prétextes nobles pour massacrer ceux qui les contestent. Kadhafi, lui, affirme sans la moindre gêne son intention de déclencher un carnage illimité. À ses yeux, aucun prix n'est trop élevé pour se maintenir au pouvoir. (Agnès Gruda, Le devoir de protéger, Cyberpresse, 5 mars 2011. C’est l’auteure qui souligne.)
Les faits concernant la Libye ont été complètement substitués par la désinformation et les attaques ad hominem. La Libye, avant les bombardements de l’OTAN, avait l’indice de développement humain le plus élevé d’Afrique. Elle se classait au 56e rang, devant l’Arabie Saoudite (60), la Russie (71), le Brésil (75) et la Turquie (76).
Au lieu de nous parler de son bilan positif sur le plan des droits humains, louangé par l’ONU, les médias ont martelé que Kadhafi était un monstre qui commettait des crimes contre l’humanité, sans jamais amener de preuves concrètes que son armée s’attaquait à des civils sans défense.
La diabolisation de Mouammar Kadhafi a remplacé les faits pour justifier une intervention militaire en appui à une insurrection armée dite démocratique. « Démocratie » et « insurrection armée » ne sont pas des concepts compatibles. Pourtant l’absurdité du concept « rebelles armés prodémocratiques » n’est jamais soulignée ni questionnée dans les médias dominants. Cela démontre la puissance de la propagande : une affirmation répétée et propagée par les autorités devient vérité en dépit de son illogisme et de sa fausseté.
De plus, dans une absence totale de neutralité, les médias nous présentent la propagande des « rebelles démocrates » comme source d’information fiable et la remettent rarement en question.
Un article du Journal de Montréal,le plus grand quotidien francophone d’Amérique, annonçait le 26 août dernier : « Un autre Canadien a été tué en Libye, a annoncé vendredi le Conseil libyen canadien sur sa page Facebook. » (Kelly Roche, Un Canadien perd la vie en Libye, Journal de Montréal, 26 août 2011.)
D’emblée, on peut se demander : depuis quand Facebook est une source d’information fiable? Ensuite, qu’est-ce que le Conseil libyen canadien?
C’est un fait avéré que les services de renseignement et l’armée des États-Unis utilisent les médias sociaux comme Facebook à des fins de propagande et de surveillance, et il faudrait s’étonner que d’autres pays n’en fassent pas autant.
En février 2011, on révélait que « HBGary Federal [avait] obtenu un contrat du gouvernement étasunien pour développer un logiciel pouvant créer une multitude de faux profils dans les médias sociaux afin de manipuler et d’influencer l’opinion publique sur des sujets controversés en faisant de la propagande ». (Darlene Storm, Army of Fake Social Media Friends to Promote Propaganda, Computer World, 22 février 2011.)
Dans le manuel de l’U.S. Air Force, on trouve un schéma expliquant bien la dynamique entre les médias indépendants, les médias sociaux et les médias de masse, ainsi que l’importante influence des médias sociaux sur l’opinion publique.
Un minimum de rigueur journalistique exige des sources fiables et Facebook n’en est pas une. Par ailleurs, en deux clics ont peut constater que le site du Conseil libyen canadien et son compte Facebook ont été mis en ligne en mars 2011, au plus fort de la propagande contre Kadhafi, et qu’ils ne contiennent aucun nom. On ne dit pas qui est à l’origine de ce conseil. Pas de numéro de téléphone, seule une adresse courriel comme coordonnée.
Même anonymat pour son partenaire, l’organisation caritative Canadian Libyans for Relief and Prosperity (Les Libyens canadiens pour l’aide et la prospérité). La section About Us (À propos) demande des informations comme votre nom, votre adresse courriel et votre site web plutôt que de décrire l’organisme et de renseigner sur ses membres.
À la désinformation, aux sources douteuses et à la censure s’ajoute la sympathie notoire des médias envers les opposants de Kadhafi, comme dans ce reportage du Globe and Mail (vidéo ici) :
J’étais dans un hôpital à Misrata et j’ai discuté avec les pauvres gars qui revenaient du front à Zliten, une ville à l’est de Tripoli […] C’était une manœuvre vraiment brillante, frapper Tripoli simultanément à trois endroits, vraiment, à l’est, à l’ouest et de l’intérieur vous voyez, durant le mois du Ramadan, les émotions sont vives […] cela signifie que les portes du paradis sont ouvertes à ceux qui sacrifient leur vie pour une cause noble […] rompre le jeûne […] au moment où le taux de glycémie des troupes de Kadhafi étaient peut-être à son plus bas et qu’elles étaient peut-être somnolentes […] le moment était très bien choisi. (Graeme Smith, The Globe's Graeme Smith on Libya, the Globe and Mail, 22 août 2011. C'est l'auteure qui souligne.)
Mahdi Darius Nazemroaya, correspondant de Mondialisation.ca à Tripoli, et les journalistes indépendants Julien Teil et Mathieu Ozanon, ont fait un reportage à Zliten démontrant la dévastation causée par les bombardements de l’OTAN. Ce bombardement, qui a fait des milliers de victimes civiles, dont un grand nombre étaient des femmes et des enfants, avait pour but d’ouvrir la porte à la « brillante manœuvre » des rebelles glorifiés plus haut par le Globe and Mail.
Julie Lévesque est journaliste et chercheure au Centre de recherche sur la Mondialisation.
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