Syrie : Schizophrénie médiatique, l’interview de Sofia Amara
Agnès-Mariam de la Croix
Chers amis ,
Le "récit" de l’odyssée de Sofia Amara en Syrie accordé en interview à La Vie et reproduit sur le site Chrétiens de la Méditerrannée est un faux, un apocryphe. Je ne sais même pas si elle est vraiment venue en Syrie. J’ai demandé aux autorités religieuses de le savoir. Je vous en avertirai. Si elle n’est pas venue, c’est scandaleux. Et si elle est venue c’est encore plus scandaleux.
Voici ma réponse.
La révolte du peuple syrien et sa sanglante répression. Tel est le titre de l’interview accordée par Sofia Amara aumagazine La Vie, repris par Chrétiens de la Méditerranée. Les assertions concernant la réalité de la répression sanglante en Syrie avaient effectivement besoin d’une enquête sérieuse. Enfin voilà une professionnelle qui a déjà accompagné les révolutions arabes avec ses aptitudes non seulement journalistiques mais aussi philosophiques qui prend la peine de nous renseigner.
C’est donc avec avidité que j’ai avalé cette première entrée d’un menu que le magazine la Vie annonce comme « copieux » grâce à un documentaire de Arte qui sortira le 11 octobre. Attablée, d’autant plus goulument, que notre protagoniste semble avoir risqué sa vie pour nous contenter, quel constat tirer de cette avant-première ?
On est attendri de constater les subterfuges utilisés pour « passer inaperçue » qui la font partir « en couple » en Syrie, totalement ignorante du fait que dans les pays arabes d’obédience musulmane, la femme qui voyage avec un homme qui n’est pas son mari est entachée de concubinage et…considérée comme une paria ??? Imprudence ou ingénuité au départ ? Bref, elle débarque dans un pays qui fait 185.000 km2 mais sans savoir où tourner ? La peur lui a-t-elle fait perdre son professionnalisme ? Peur dans un pays qu’elle nous décrit, avant même de l’avoir ausculté en (vraie) journaliste, comme étant peuplé de « chabbiha » qu’elle définit comme des « miliciens en civil » alors que, dans la nomenclature syrienne populaire, ce terme désigne les contrebandiers armés qui se croient tout permis pour défendre leurs intérêts contre la population et contre les forces de l’ordre. Premier revers technique.
A peine atterrie voici donc notre journaliste frappée de paranoïa : ce pays qu’elle vient découvrir, elle y voit déjà partout des espions de la dictature, y compris les (pauvres) femmes et les enfants. Une de mes sœurs syriennes qui a lu ce récit me dit à l’instant, offusquée : « pour qui nous prend-t-elle ? ».
Ramenée à la réalité, Sofia doit aussi montrer patte blanche aux manifestants eux-mêmes qui finissent par saluer en elle la journaliste française. Mais voilà qu’en essayant de tranquilliser les uns, elle met en émoi les autres, les sbires de la dictature qui la découvrent. Oh suspense ! Que va-t-il se passer ?
Gourmands de détails qui accableraient le régime, on s’attendait à des exactions, à une prise à partie ou à des coercitions. Mais il n’en est rien. Les agents omniprésents du régime laissent faire notre héroïne ! C’est le miracle ! Une première sensationnelle ! Un régime qui a refusé aux chaînes satellitaires les plus prestigieuses et aux réseaux les plus puissants de la planète de se déplacer librement sur son territoire, devient bon enfant et laisse notre « journaliste française » filmer les manifestations sans permission ni censure !!! C’est le clou du récit. Au moment où les ambassadeurs accrédités en Syrie sont interdits de circuler en dehors de la zone de Damas, et où l’ambassadeur de France lui-même est accueilli par la population par des jets d’œufs et de tomates, voilà que notre journaliste, bien que dévoilée par les autorités, a été laissée en liberté absolue. C’est ubuesque.
Elle a ainsi rôdé dans un rayon de deux cents kilomètres sans que personne ne la harcèle ou ne l’en empêche. Comment expliquer cette bonhomie de la part d’une dictature sanguinaire ? Mystère. Notre amazone met en place un scénario qui n’a rien de convaincant pour parer à l’énormité qu’elle nous sert : c’est à l’aéroport que les malandrins se vengent sur elle de leur laisser aller incompréhensible. Une heure et demie d’interrogatoire de laquelle elle sort victorieuse grâce au « souk » qu’elle a vaillamment mis en scène et, surtout, parce que les policiers étaient incompétents. Constat abasourdissant : la dictature qu’elle cherche à nous décrire est en fait à l’eau de rose. Aussi notre protagoniste s’en sort saine et sauve et peut quitter la Syrie corps et biens, malgré ses effractions, avec, en plus, cerise sur le gâteau, une copie de ses rushes dans la poche… J’aimerai savoir si dans n’importe quelle démocratie au monde on pourrait filmer impunément des séquences qui compromettent les dirigeants, mieux, l’Etat lui-même en proie à une insurrection, déjà armée, et s’en sortir à si bon compte ???
On dirait que le but de l’article est de réhabiliter indirectement le régime syrien qui, à défaut d’être implacable comme on le dit, est ignare. C’est quand même scandaleux.
Mais passons outre. Ce qui importe ce n’est pas l’apéro mais le plat de résistance.
Qu’allons-nous goûter de l’Odyssée de notre nouvel Ulysse ?
Sans savoir où filmer, Sofia se retrouve pourtant parachutée à Rastan, à cent quatre vingt kilomètres au Nord de Damas, dans la voiture d’un Omar, coordinateur de la révolution sur place. Elle ne veut pas le nommer par mesure de précaution mais, faux-pas dangereux…elle le fait repérer quand même à cause d’une faute professionnelle de sa part qui révèle sa plaque d’immatriculation. Difficile d’imaginer une plus grande maladresse, sauf si elle est pour servir la « bonne cause » : nous faire croire qu’elle a été vraiment présente en Syrie et que ce que nous voyons est bel et bien localisé. J’espère ne pas faire une calomnie !
Mais, ressentant de plus en plus un creux à l’estomac, continuons notre lecture, qui sait si j’arriverai à croquer quelque chose de consistant ?
Qui sont les activistes que Sofia Amara a rencontrés dans son périple ? Voilà des personnages qui nous intéressent enfin. Ce sont dit-elle des étudiants en finance et en droit international. Elle ajoute pour nous attendrir qu’ils sont « des chômeurs ». Depuis quand un étudiant est-il au chômage ? Elle assure que, dans leur majorité ce sont des sunnites, et elle les « oppose » à la « minorité » qui sont alaouites, chiites au pouvoir. Voilà qui est tendancieux et vise à mettre en relief les différences qui séparent et non les points communs qui unissent un peuple. Ces « sunnites », elle affirme que leur motivation est avant tout politique et non religieuse alors que tous les médias, et elle-même aussi les abordent à partir de leur spécificité religieuse ??? En effet, si le projet est politique et non religieux pourquoi prendre la peine d’étiqueter les personnes à partir de leur appartenance religieuse ?
« Tous, dit-elle, d’un ton faussement œcuménique, souhaitent l’avènement de la démocratie et se considèrent comme un seul peuple ». Tableau idyllique que tous nous souhaiterions être vrai mais qui est malheureusement faux et, même, frauduleux de la bouche de quelqu’un qui prétend avoir « vu » alors que l’opposition est divisée en factions antagonistes et peine à se souder, alors que la fracture confessionnelle est sans cesse alimentée et ravivée. Le comble c’est lorsque je l’entends parler de Hama en la soustrayant à l’égide des frères musulmans alors que l’administration américaine elle-même assure que les frères musulmans sont l’option pour le futur de la Syrie, avalisant expressément la visite de son ambassadeur en cette ville pour montrer son appui à cette faction considérée comme « martyrisée ». Il est vrai qu’il y a eu une répression terriblement sanglante de la part de Hafez El Assad mais elle avait été précédée par des mois d’attentats et d’assassinats sur tout le territoire syrien, culminant dans le massacre du corps des cadets de l’armée.
Lorsque Sofia Amara assure que les gens de Hama veulent un régime laïc et même juif nous tombons dans la schizophrénie médiatique. Aussi nous qui vivons en Syrie et avons des parents, des amis, des ouvriers, des contremaîtres et des connaissances un peu partout nous relevons ce qui suit :
1-Les manifestations ont lieu les vendredis au sortir des mosquées, pourquoi ?
2-Les slogans sont des slogans de plus en plus religieux : des « Allah hou Akbar » (Dieu est grand), « Hayya alal jihâd » (allons à la guerre sainte) et des inepties contre le régime et contre les citoyens qui sont d’une autre religion : « les Alaouites au tabout-tombeau- et les chrétiens à Beyrouth ».
3-L’insurrection n’est plus le fait de jeunes « étudiants en finance et en droit international mais, de plus en plus, celui d’une majorité de personnes peu éduquées acquises au fondamentalisme musulman ou à la dissidence pour la dissidence sans aucun projet viable autre que la « chute du régime ».
4-Cette insurrection est armée et appuyée par des escadrons de la mort qui se manifestent de plus en plus et terrorisent la population et les forces de l’ordre.
Agnès-Mariam de la Croix
Agnès-Mariam de la Croix
Chers amis ,
Le "récit" de l’odyssée de Sofia Amara en Syrie accordé en interview à La Vie et reproduit sur le site Chrétiens de la Méditerrannée est un faux, un apocryphe. Je ne sais même pas si elle est vraiment venue en Syrie. J’ai demandé aux autorités religieuses de le savoir. Je vous en avertirai. Si elle n’est pas venue, c’est scandaleux. Et si elle est venue c’est encore plus scandaleux.
Voici ma réponse.
La révolte du peuple syrien et sa sanglante répression. Tel est le titre de l’interview accordée par Sofia Amara aumagazine La Vie, repris par Chrétiens de la Méditerranée. Les assertions concernant la réalité de la répression sanglante en Syrie avaient effectivement besoin d’une enquête sérieuse. Enfin voilà une professionnelle qui a déjà accompagné les révolutions arabes avec ses aptitudes non seulement journalistiques mais aussi philosophiques qui prend la peine de nous renseigner.
C’est donc avec avidité que j’ai avalé cette première entrée d’un menu que le magazine la Vie annonce comme « copieux » grâce à un documentaire de Arte qui sortira le 11 octobre. Attablée, d’autant plus goulument, que notre protagoniste semble avoir risqué sa vie pour nous contenter, quel constat tirer de cette avant-première ?
On est attendri de constater les subterfuges utilisés pour « passer inaperçue » qui la font partir « en couple » en Syrie, totalement ignorante du fait que dans les pays arabes d’obédience musulmane, la femme qui voyage avec un homme qui n’est pas son mari est entachée de concubinage et…considérée comme une paria ??? Imprudence ou ingénuité au départ ? Bref, elle débarque dans un pays qui fait 185.000 km2 mais sans savoir où tourner ? La peur lui a-t-elle fait perdre son professionnalisme ? Peur dans un pays qu’elle nous décrit, avant même de l’avoir ausculté en (vraie) journaliste, comme étant peuplé de « chabbiha » qu’elle définit comme des « miliciens en civil » alors que, dans la nomenclature syrienne populaire, ce terme désigne les contrebandiers armés qui se croient tout permis pour défendre leurs intérêts contre la population et contre les forces de l’ordre. Premier revers technique.
A peine atterrie voici donc notre journaliste frappée de paranoïa : ce pays qu’elle vient découvrir, elle y voit déjà partout des espions de la dictature, y compris les (pauvres) femmes et les enfants. Une de mes sœurs syriennes qui a lu ce récit me dit à l’instant, offusquée : « pour qui nous prend-t-elle ? ».
Ramenée à la réalité, Sofia doit aussi montrer patte blanche aux manifestants eux-mêmes qui finissent par saluer en elle la journaliste française. Mais voilà qu’en essayant de tranquilliser les uns, elle met en émoi les autres, les sbires de la dictature qui la découvrent. Oh suspense ! Que va-t-il se passer ?
Gourmands de détails qui accableraient le régime, on s’attendait à des exactions, à une prise à partie ou à des coercitions. Mais il n’en est rien. Les agents omniprésents du régime laissent faire notre héroïne ! C’est le miracle ! Une première sensationnelle ! Un régime qui a refusé aux chaînes satellitaires les plus prestigieuses et aux réseaux les plus puissants de la planète de se déplacer librement sur son territoire, devient bon enfant et laisse notre « journaliste française » filmer les manifestations sans permission ni censure !!! C’est le clou du récit. Au moment où les ambassadeurs accrédités en Syrie sont interdits de circuler en dehors de la zone de Damas, et où l’ambassadeur de France lui-même est accueilli par la population par des jets d’œufs et de tomates, voilà que notre journaliste, bien que dévoilée par les autorités, a été laissée en liberté absolue. C’est ubuesque.
Elle a ainsi rôdé dans un rayon de deux cents kilomètres sans que personne ne la harcèle ou ne l’en empêche. Comment expliquer cette bonhomie de la part d’une dictature sanguinaire ? Mystère. Notre amazone met en place un scénario qui n’a rien de convaincant pour parer à l’énormité qu’elle nous sert : c’est à l’aéroport que les malandrins se vengent sur elle de leur laisser aller incompréhensible. Une heure et demie d’interrogatoire de laquelle elle sort victorieuse grâce au « souk » qu’elle a vaillamment mis en scène et, surtout, parce que les policiers étaient incompétents. Constat abasourdissant : la dictature qu’elle cherche à nous décrire est en fait à l’eau de rose. Aussi notre protagoniste s’en sort saine et sauve et peut quitter la Syrie corps et biens, malgré ses effractions, avec, en plus, cerise sur le gâteau, une copie de ses rushes dans la poche… J’aimerai savoir si dans n’importe quelle démocratie au monde on pourrait filmer impunément des séquences qui compromettent les dirigeants, mieux, l’Etat lui-même en proie à une insurrection, déjà armée, et s’en sortir à si bon compte ???
On dirait que le but de l’article est de réhabiliter indirectement le régime syrien qui, à défaut d’être implacable comme on le dit, est ignare. C’est quand même scandaleux.
Mais passons outre. Ce qui importe ce n’est pas l’apéro mais le plat de résistance.
Qu’allons-nous goûter de l’Odyssée de notre nouvel Ulysse ?
Sans savoir où filmer, Sofia se retrouve pourtant parachutée à Rastan, à cent quatre vingt kilomètres au Nord de Damas, dans la voiture d’un Omar, coordinateur de la révolution sur place. Elle ne veut pas le nommer par mesure de précaution mais, faux-pas dangereux…elle le fait repérer quand même à cause d’une faute professionnelle de sa part qui révèle sa plaque d’immatriculation. Difficile d’imaginer une plus grande maladresse, sauf si elle est pour servir la « bonne cause » : nous faire croire qu’elle a été vraiment présente en Syrie et que ce que nous voyons est bel et bien localisé. J’espère ne pas faire une calomnie !
Mais, ressentant de plus en plus un creux à l’estomac, continuons notre lecture, qui sait si j’arriverai à croquer quelque chose de consistant ?
Qui sont les activistes que Sofia Amara a rencontrés dans son périple ? Voilà des personnages qui nous intéressent enfin. Ce sont dit-elle des étudiants en finance et en droit international. Elle ajoute pour nous attendrir qu’ils sont « des chômeurs ». Depuis quand un étudiant est-il au chômage ? Elle assure que, dans leur majorité ce sont des sunnites, et elle les « oppose » à la « minorité » qui sont alaouites, chiites au pouvoir. Voilà qui est tendancieux et vise à mettre en relief les différences qui séparent et non les points communs qui unissent un peuple. Ces « sunnites », elle affirme que leur motivation est avant tout politique et non religieuse alors que tous les médias, et elle-même aussi les abordent à partir de leur spécificité religieuse ??? En effet, si le projet est politique et non religieux pourquoi prendre la peine d’étiqueter les personnes à partir de leur appartenance religieuse ?
« Tous, dit-elle, d’un ton faussement œcuménique, souhaitent l’avènement de la démocratie et se considèrent comme un seul peuple ». Tableau idyllique que tous nous souhaiterions être vrai mais qui est malheureusement faux et, même, frauduleux de la bouche de quelqu’un qui prétend avoir « vu » alors que l’opposition est divisée en factions antagonistes et peine à se souder, alors que la fracture confessionnelle est sans cesse alimentée et ravivée. Le comble c’est lorsque je l’entends parler de Hama en la soustrayant à l’égide des frères musulmans alors que l’administration américaine elle-même assure que les frères musulmans sont l’option pour le futur de la Syrie, avalisant expressément la visite de son ambassadeur en cette ville pour montrer son appui à cette faction considérée comme « martyrisée ». Il est vrai qu’il y a eu une répression terriblement sanglante de la part de Hafez El Assad mais elle avait été précédée par des mois d’attentats et d’assassinats sur tout le territoire syrien, culminant dans le massacre du corps des cadets de l’armée.
Lorsque Sofia Amara assure que les gens de Hama veulent un régime laïc et même juif nous tombons dans la schizophrénie médiatique. Aussi nous qui vivons en Syrie et avons des parents, des amis, des ouvriers, des contremaîtres et des connaissances un peu partout nous relevons ce qui suit :
1-Les manifestations ont lieu les vendredis au sortir des mosquées, pourquoi ?
2-Les slogans sont des slogans de plus en plus religieux : des « Allah hou Akbar » (Dieu est grand), « Hayya alal jihâd » (allons à la guerre sainte) et des inepties contre le régime et contre les citoyens qui sont d’une autre religion : « les Alaouites au tabout-tombeau- et les chrétiens à Beyrouth ».
3-L’insurrection n’est plus le fait de jeunes « étudiants en finance et en droit international mais, de plus en plus, celui d’une majorité de personnes peu éduquées acquises au fondamentalisme musulman ou à la dissidence pour la dissidence sans aucun projet viable autre que la « chute du régime ».
4-Cette insurrection est armée et appuyée par des escadrons de la mort qui se manifestent de plus en plus et terrorisent la population et les forces de l’ordre.
Agnès-Mariam de la Croix
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