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D'après Rachid Tlemçani, “En Octobre 88, le pouvoir a instrumentalisé la rue”

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  • D'après Rachid Tlemçani, “En Octobre 88, le pouvoir a instrumentalisé la rue”

    Enseignant chercheur à l’université d’Alger, politique et observateur averti de la scène politique nationale, Rachid Tlemçani revient dans cet entretien sur les divers aspects liés aux évènements d’Octobre 88.

    Liberté : Nous célébrons aujourd’hui l’anniversaire des évènements d’Octobre 88 qui intervient cette année dans une conjoncture régionale particulière. Que peut-on retenir de ces évènements vingt et un ans plus tard ?

    Rachid Tlemçani : En rétrospective, le “printemps algérien”, qui a duré jusqu’à la tenue des législatives de 1991, était perçu en Algérie ainsi que dans plusieurs pays à travers le monde comme une grande victoire démocratique dans le monde arabe. Nous avons eu l’impression que nous étions portés par une grande vague de liberté démocratique, un vent de liberté qui ne passait pas par le canal du parti unique. Les Algériens, perçus comme apolitiques et démobilisés, commencèrent spontanément à s’organiser dans des groupes politiques, socio-économiques, culturels, des ONG, des associations professionnelles, de quartier. Une ouverture timide de la télévision était même autorisée. Des débats contradictoires furent organisés aux heures de grande écoute. Les Algériens se sont précipitamment emparés de la sphère publique pour gérer la chose publique. La société tout entière était en effervescence, en mouvement. On avait l’impression que les Algériens, enfermés dans une prison à ciel ouvert, sortaient pour la première fois à l’air libre. Dans la mêlée, la légalisation de l’islamisme politique sous la direction du FIS est passée presque inaperçue. Les islamistes n’ont jamais caché, pourtant, leur projet de société. Pour sa mise en place, la prise du pouvoir, par tous les moyens, y compris par la violence, était indispensable. La démocratie qui leur a donné naissance est perçue comme “kofr”. C’est seulement ces dernières années que “l’islam modéré” semble avoir accepté, dans son discours, le jeu électoral. Très étrange, les islamistes ne furent pas arrêtés la veille des évènements. Ce sont des militants du Pags et d’autres progressistes qui furent enfermés et torturés. Mais, rapidement, la porte entr’ouverte par le régime en place se referma brutalement en instaurant l’état d’urgence en février 1992 et ne sera levé, théoriquement parlant, qu’en 2010. La légitimité historique du jour au lendemain a volé en éclats le 5 Octobre. Pour se maintenir au pouvoir, il n’était pas difficile, par conséquent, de trouver une autre forme de légitimité. L’armée révolutionnaire, piégé et sans expérience dans le maintien de l’ordre, a tiré sur un “chahut de gamins” en faisant 500 morts en quelques jours, alors que la révolution tunisienne et la révolution égyptienne n’ont pas fait autant de victimes et ont causé moins de dommages matériels. Pour se maintenir au pouvoir, il n’était donc pas difficile de trouver une autre forme de légitimité. La lutte contre le terrorisme deviendrait un grand enjeu pour l’acquérir.

    Que reste-t-il finalement du 5 Octobre ?

    Du 5 Octobre, selon toute vraisemblance, il ne reste pas vraiment beaucoup de choses, à l’exception de la liberté de ton de la presse privée. Au niveau institutionnel, il n’y a pas aujourd’hui de vie politique et associative. On dit communément que “la récréation est terminée” depuis bien longtemps. La société apparaît comme une société figée dans le temps. À un autre niveau d’analyse, on peut dire que le 5 Octobre a mis en place de nouveaux mécanismes de cooptation des élites. L’esprit du parti unique s’est répandu au sein des nouveaux partis et des élites.
    La politique “tout sécuritaire” a permis le redéploiement sécuritaire, horizontalement et verticalement, à travers la société au détriment de la promotion de la société civile et de la liberté d’expression. L’enquête d’habilitation est toujours en vigueur. Les manifestations collectives sont perçues comme une “pathologie” sociale à éradiquer à coups de matraque. Les aspects de l’autoritarisme sont devenus plus visibles que sous l’ancien régime. Les Algériens sont devenus un “peuple malheureux”, leur État est entre-temps devenu très riche, financièrement. Il se permet “l’outrecuidance” de prêter des milliards de dollars au plus grand argentier du monde.

    Le pouvoir algérien considère ces évènements comme étant les précurseurs des “révolutions arabes”. Peut-on relever des similitudes avec ce qui se passe aujourd’hui dans le monde arabe ?

    Pour ma part, il me serait très difficile de comparer deux périodes historiques différentes. Plus de vingt ans séparent le 5 Octobre des révolutions arabes en cours. Prétendre que les Algériens ont été les précurseurs des révolutions en Tunisie, en Égypte et ailleurs est un exercice intellectuel très difficile. Selon ces propos démagogiques, les Algériens sont “number one” partout. Je n’ai pas fait, pour ma part, cette étude. On peut constater toutefois que les fondamentaux, les ingrédients, pour un changement radical ont existé en Algérie en 1988. Octobre fut un événement complexe où interfèrent à la fois une crise sociale aiguë, une détérioration de la situation socio-économique et une lutte féroce au sommet de l’État. Les conditions objectives pour le déclenchement d’une révolution sociale ont bien existé en 1988. Notons la dégradation des conditions sociales de la majorité des Algériens, la stagnation des salaires, un chômage endémique d’une jeunesse éduquée et une crise de confiance profonde entre société et État et entre “décidés” et décideurs. Mais le mouvement social, désorganisé et sans leadership, n’était pas en mesure de négocier les perspectives de sortie de crise et éventuellement un nouveau contrat social. Dans une telle situation historique, la force politique la mieux organisée était en mesure d’imposer une sortie de crise. L’armée, comme ce fut d’ailleurs le cas en 1962, était la seule force organisée, elle a réussi facilement à imposer “un changement ordonné” pour reprendre l’expression du président Obama. Lorsque les émeutes commencèrent à se radicaliser dans plusieurs villes et villages, on a jugé utile d’éteindre rapidement le feu à la maison. Rappelons que le 5 Octobre n’a duré que 5 jours alors que les révolutions arabes durent depuis plus de 6 mois. Le mouvement en cours dans plusieurs pays arabes n’est pas l’aboutissement de conflits au sein des appareils sécuritaires bien qu’ils ont existé de tout temps. La contestation est ni une émeute de la faim ni une révolte spontanée. C’est un processus cumulatif des contradictions, un mouvement authentiquement révolutionnaire qui est arrivé à maturation dans sa première étape. Comme tout mouvement révolutionnaire, il est évidemment porteur d’incertitudes. Pour ma part, Il est porteur d’espoir pour toute la région.

    Le monde arabe restera-t-il un enjeu pétrolier des puissances étrangères ou deviendra-il un acteur dans le nouvel ordre géostratégique en gestation ?

    En Algérie, le pouvoir politique a précipité en Octobre les évènements de crainte d’être balayé par le mouvement de mécontentement en effervescence et éventuellement pour mieux le canaliser et le manipuler. Ce fut un grand succès. Machiavel en tirait un précepte politique. En Tunisie, en Égypte et ailleurs, les éléments progressistes du mouvement social ont rapidement rejoint la contestation populaire alors qu’en Algérie, ce n’était pas le cas. Ils ont préféré rédiger des programmes politiques et l’entrisme. Rappelons que la Kabylie dans l’ensemble, une région frontale, n’a pas pris part aux évènements. Le Mouvement culturel berbère (MCB), phagocyté et instrumentalisé au lendemain des évènements, était pourtant à l’avant garde des luttes démocratiques dans le pays. Très étrange, aussi, l’Algérie, un cas d’école de plusieurs sujets d’actualités, ne fut pas l’objet des deux colloques internationaux qui viennent de se dérouler à Alger.

    Liberté
    Dernière modification par Vigilance, 09 octobre 2011, 09h43.
    la curiosité est un vilain défaut.

  • #2
    D'après Rachid Tlemçani, “En Octobre 88, le pouvoir a instrumentalisé la rue” (suite)

    Beaucoup de choses ont été dites et écrites sur ces évènements. Certains, comme Ali Ammar, ont parlé de “chahut de gamins”, d’autres ont avancé la thèse d’une lutte de clans entre “réformateurs” et “conservateurs”. Comment les analysez-vous, de votre côté, en tant que politologue ?

    Dans un contexte de crise multidimensionnelle aiguë, il y avait de profondes divergences au plus haut niveau de l’État à propos des options de sortie de crise du régime autoritaire. Aujourd’hui, il y a un consensus sur les tenants et les aboutissants de cette crise. En rétrospective, il y avait deux grands courants au sein des appareils de l’État. Le premier courant était représenté par le FLN sous la direction de Mohamed-Chérif Messadia et d’une aile de l’armée. Ce courant, “attaché aux acquis socialistes”, prônait le maintien du statu quo, en dépit d’un ras le bol généralisé de la population. Le deuxième groupe dirigé par le président Chadli Bendjedid prônait un infitah du régime, au niveau politique et au niveau économique. Il a mis en jeu son troisième mandat que le congrès du FLN en perspective devait entériner. La libéralisation économique visait la remise en question du monopole étatique, particulièrement du commerce extérieur, et l’ouverture aux investissements étrangers. Au niveau politique, on avait admis la création de partis politiques. Le pouvoir a même aidé la mise en place de partis politiques en les subventionnant au détriment de la société civile. C’était une façon de montrer à l’opinion internationale que le gouvernement est animé de bonnes intentions. Cette fois-ci, les divergences étaient inconciliables entre les groupes, ils sont entrés en conflits ouverts en instrumentalisant “la rue” et les forces politiques émergentes. Un clan du pouvoir a poussé des milliers de jeunes dans les rues d’Alger à s’attaquer aux institutions de l’État, l’autre clan, à s’attaquer aux symboles du FLN. Pendant ce temps, on a ordonné aux policiers de regagner leurs commissariats pendant que l’armée sortait des casernes pour assurer l’ordre public. Le bilan humain et matériel est très lourd. Les commanditaires de ces évènements n’ont pas été inquiétés par la justice ! Rappelons qu’il y avait le 5 Octobre ni organisation, ni mot d’ordre politique, ni programme. En Tunisie, en Égypte ou ailleurs, on a clairement revendiqué la fin du régime et à leurs chefs. “Dégage” (Moubarak, Ben Ali, Al-Assad…) est devenu le slogan mobilisateur à travers le monde arabe.

    Peut-on considérer que la précaution et la prudence apparentes des Algériens vis-à-vis des “révolutions” sont liées à l’échec du processus de démocratisation algérien ? D’autres facteurs seraient-ils à l’origine de cet attentisme ?

    Pour ma part, je ne pense pas que l’Algérie ait connu un processus démocratique. La transition démocratique n’a pas encore démarré. Les préalables ne sont mis en place. Les éléments structurants de la crise de légitimité existent toujours dans la configuration politique actuelle, pour ne pas dire pas qu’elle est devenue plus complexe qu’en 1988. Au niveau économique, les fondamentaux de l’économie de marché (production de biens et service, emploi, bourse, salaire, taxation, circulation de l’information) n’existent pas en Algérie. Au niveau politique, la prise de décision est devenue très opaque, elle obéit à des règles non écrites que les acteurs sociaux et politiques ainsi que les partenaires étrangers ont de sérieuses difficultés à décoder.

    Les évènements, n’ayant pas connu d’aboutissements satisfaisants, peuvent-ils se répéter en Algérie ?

    Je ne pense pas que les évènements du 5 Octobre risqueraient de se reproduire dans la même configuration politique. On a tenté de reproduire un scénario similaire le 5 janvier 2011. Ce fut un échec. L’Algérie de 2011 n’est pas celle de 1988. La jeunesse algérienne, représentant plus de 70% de la population, ne s’intéresse pas aux constantes nationales définies par la génération du 1er Novembre 1954 ni à l’aspect commémoratif des évènements historiques qu’elle n’a pas vécus. Par contre, elle essaie de comprendre les évènements historiques qui l’ont marginalisée en la poussant vers el-harga, à l’immolation sur la place publique ou vers des réseaux sociaux pour la mieux lotie d’entre elle.

    Liberté
    la curiosité est un vilain défaut.

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