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Feu sur le corps de l'Algérien .

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    Feu sur le Corps de l'Algérien


    Le Corps algérien est cerné : il est accusé d'être un péché, d'être en trop sur sa terre, d'être gênant pour le chiffre ou le discours, d'être partout et pour rien. On le porte avec haine de soi, avec la grimace parce qu'il coûte de l'argent, avec vanité quand il est gros et bien nourri ou rebondi et attirant, avec discrétion, quand c'est le corps d'une femme. Il est aussi malade, traînant, mal soigné, peu amusant et peu amusé, incapable de la joie et de la danse et non synchronisé avec les musiques du monde. C'est le premier qu'on frappe ou qu'on évite, dans le couple ou lors des manifs. C'est le lieu de tous les malaises dits sociaux. L'espace fini d'habitants au nombre infini. Tout le monde a un avis sur le corps de l'autre, d'ailleurs. Mais c'est aussi le dernier lieu ou l'Algérien est chez lui. A défaut de logements en nombre suffisant, de lieux de loisirs, de plages non voilées, de droit au nudisme ou au muscle heureux comme les statuts des Grecs et à défaut d'un pays équitable, de forêts ouvertes aux poumons, de lieux de pique-nique et d'espaces verts, l'Algérien ne se sent chez lui que dans son corps. A moitié d'ailleurs. L'autre moitié du corps est déjà affaire de trop de religion et d'interdits, de fatwas et d'inquisition ou de marchandage esthétique. On comprend donc pourquoi l'Algérien se bat avec son corps, entièrement et totalement, le tenant dans une seule main. C'est sa seule fortune.

    Quand donc rien ne va, que l'Algérien se sent mal, trahi, confronté à l'injustice ou à la violence ou à l'absurde, c'est contre son propre corps que l'Algérien se retourne. Puisqu'il n'a pas d'amis, il a un seul ennemi à portée de main : son corps. C'est alors qu'il le brûle, s'immole, met le feu à sa flamme et se consume et se carbonise. L'immolation est une institution et elle se généralise ailleurs qu'à Oran. La raison ? Tout le monde en connaît au moins une. L'acte n'est qu'un choix d'allumette et de temps et de thermostat.

    Quand donc l'Algérien ne comprend pas, s'estime lésé et puni, il se punit : parce qu'il n'y a aucune autre institution de médiation entre lui et l'adversaire, il ne lui reste que la dernière institution que l'on peut toucher de la main : le corps. Alors l'Algérien le brûle. C'est un geste qui permet à la fois de brûler l'histoire et la géographie en même temps. On résout le problème en se débarrassant du problème. On s'attaque contre la seule personne que l'on sait incapable de se défendre : soi-même. On se tue à défaut d'arme ou de conviction pour tuer les autres. On se fait justice en se faisant injustice. On accuse tous les autres vivants de sa propre mort. Le suicide peut, parfois, souvent, être un crime commis par la collectivité sur l'individu.

    L'immolation est donc une institution, la dernière. C'est parce qu'il n'y a pas de Justice, d'élus vraiment élus, de société civile, de bonnes consciences, de convictions, de médiation, de compréhension ou d'intelligence ou de Chambre haute ou d'écoute ou parce qu'on estime qu'on est lésé dans un droit, ou un droit au butin, qu'on attrape le premier passant de son périmètre, c'est-à-dire soi-même et on le tue. C'est vous dire que le corps algérien est cerné : tout le monde lui en veut. Les islamistes, les religieux, les conservateurs, les chasseurs de jupes, les complexés, les historiens, les martyrs qui n'ont plus de corps, l'âge, l'usure, la mer, les inondations et les voisins et même, en dernier, le bénéficiaire du corps lui-même.



    par Kamel Daoud



    Le Quotidien d'Oran


    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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