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Iran-Turquie : sourde bataille pour l’hégémonie régionale

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  • Iran-Turquie : sourde bataille pour l’hégémonie régionale

    Ce sont deux nations unies par les fils invisibles de l’histoire, deux nations qui, l’une comme l’autre, portent dans leurs gènes l’héritage d’un empire. Malgré cette proximité, l’Iran et la Turquie ont toujours entretenu des liens complexes. Une relation qui s’est teintée récemment d’une rivalité exacerbée, à la faveur des bouleversements sociaux et politiques qui balaient le Moyen-Orient.

    Depuis deux ans, pourtant, les deux pays n’avaient jamais paru aussi proches. Fin octobre 2009, le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, faisant fi des pressions occidentales, avait ainsi qualifié le président iranien, Mahmoud Ahmadinejad, "d’ami". Et en mai 2010, son pays avait lancé, de concert avec le Brésil, une mission de bons offices destinée à régler l’épineuse question du nucléaire iranien – sans succès durable toutefois. "Les relations turco-iraniennes ont connu un changement de paradigme considérable ces dernières années, qui a abouti à un rapprochement pragmatique dans les domaines politique et économique. En outre, l’amitié et la fraternité ont souvent occupé une place centrale dans le discours des dirigeants des deux Etats", souligne Emel Parlar Dal, chercheuse en sciences politiques et relations internationales à l’université Marmara d’Istanbul.

    Les révoltes arabes qui ont éclos en décembre 2010 ont profondément rebattu les cartes. Relativement timide lors des prémices de ce vaste mouvement d’émancipation populaire, l’antagonisme turco-iranien s’est amplifié au fil des semaines. La première faille est apparue en mars, au moment de l’intervention militaire saoudienne à Bahreïn. Une opération menée sous le couvert du Conseil de coopération du Golfe (CCG) et censée officiellement restaurer le calme dans le modeste royaume sunnite, alors en proie à de violentes manifestations antigouvernementales. A l’inverse de la Turquie, qui s’est contentée d’un silence prudent pour ne pas froisser les pays membres du CCG, l’Iran a exprimé sans ambages sa très vive irritation, convaincu d’un complot ourdi pour soumettre par la force ses "frères" chiites (environ 70 % de la population).

    LA SYRIE, POMME DE DISCORDE BILATÉRALE


    Par la suite, c’est surtout sur le dossier syrien que se sont cristallisées – et se cristallisent encore – les tensions bilatérales. Engagée, comme l’Iran, auprès de Damas, la Turquie a fini par désavouer Bachar Al-Assad lorsque le prix politique de ce soutien est devenu trop lourd à supporter. Non sans l’avoir, au préalable, exhorté à mettre un terme à toute effusion de sang contre la population civile. Les autorités turques ont craint que la répression sanglante perpétrée chez son voisin – avec lequel elle possède huit cents kilomètres de frontière commune – ne "déborde" sur son propre territoire.


    L’Iran n’a pas eu de tels scrupules. Trop effrayé à l’idée de perdre son principal allié dans le monde arabe, le régime des mollahs l'a défendu avec verve, contre vents et marées, fût-ce au prix de quelques menaces voilées contre la Turquie. Ainsi, le conseiller militaire du guide suprême, Ali Khamenei, le major général Yahya Rahim-Safavi, a-t-il estimé la semaine dernière que "le comportement des dirigeants turcs envers la Syrie et l’Iran n’était pas correct et servait les objectifs des Etats-Unis". "Si la Turquie ne se départ pas de cette attitude politique 'non conventionnelle', elle va non seulement s'aliéner ses propres citoyens, mais aussi pousser les pays environnants, notamment la Syrie, l’Irak et l’Iran, à reconsidérer la nature de leurs liens politiques avec elle", a-t-il lancé

    Au-delà de ces postures divergentes, motivées par des intérêts nationaux bien compris, le "printemps arabe" a plus largement redessiné les équilibres régionaux. Avec les renversements successifs de Zine El-Abidine Ben Ali en Tunisie (14 janvier), de Hosni Moubarak en Egypte (11 février) et de Mouammar Kadhafi en Libye – toujours introuvable depuis la chute de Tripoli, le 23 août –, Ankara et Téhéran ont pris conscience qu’un espace s’ouvrait à elles pour asseoir leur suprématie sur la scène moyen-orientale. Et chacune tente, à sa manière, de faire fructifier ses atouts.


    MODÈLES CONTRADICTOIRES

    De ce point de vue, la Turquie, qui rejette toute velléité néo-ottomaniste, a aujourd’hui plusieurs longueurs d’avance. "Elle peut s’appuyer sur son système pluraliste, son islam politique maîtrisé et 'tolérant' et ses succès économiques [11 % de croissance au premier trimestre 2011]. Elle dispose aussi d’instances publiques (TIKA, l’Agence turque de coopération et de développement) ou privées (confréries, associations d’entrepreneurs, think tanks) de coopération économique et culturelle très actives, qui jouent un rôle de 'soft power' au niveau de sa politique étrangère", argumente Jean Marcou, chercheur associé à l’Institut français d’études anatoliennes d’Istanbul (IFEA) et coéditeur du blog de l'Observatoire de la vie politique turque (Ovipot) [voir notre entretien].


    "L’Iran, lui, peut difficilement mettre en exergue sa révolution islamique, qui a plus de trente ans [la République islamique d’Iran, régime autoritaire, placé sous l’autorité de l’ayatollah Ruhollah Khomeyni, a été proclamée le 1er avril 1979] et fait l’objet d’une contestation interne. Si le modèle turc n’est pas parfait et souffre en particulier d’un certain nombre de tares récurrentes, dont la non-résolution de la question kurde, il est plus séduisant que le système iranien pour les peuples arabes en révolte", analyse-t-il. Un point de vue corroboré par Emel Parlar Dal, pour qui l'ascendant de la Turquie est d'autant plus marqué qu'elle jouit en comparaison du soutien de l'Occident, notamment des Etats-Unis.

    Profondément déstabilisé dans son ambition d’incarner "le" modèle dominant au sein d’un Proche et Moyen-Orient battu par des vents diplomatiques contraires et violents, l'Iran voit d'un très mauvais œil l’activisme géopolitique de la Turquie. La tournée de Recep Tayyip Erdogan à la mi-septembre en Egypte, en Tunisie et en Libye en a apporté la preuve. Téhéran n’a guère goûté le fait qu’Ankara se réapproprie, à son avantage, une rhétorique anti-israélienne qu’elle estimait être son apanage. L’appel du chef de l’AKP aux pays arabes visités à suivre l’exemple turc, présenté comme un mélange harmonieux d’islamo-conservatisme et de démocratie, a également fait grincer des dents.

    Pour autant, une rupture est-elle envisageable entre les deux Etats ? Cela est peu probable car ils partagent des liens économiques très étroits. Depuis 2001 – date des premières importations turques de gaz naturel iranien – et jusqu'en 2008, le commerce bilatéral n'a cessé de croître.

    L'année dernière, après une année 2009 marquée par une chute brutale liée à la crise financière mondiale, il a connu un fort rebond pour atteindre 10,6 milliards de dollars (7,7 milliards d'euros), un record. A cela s’ajoutent également des intérêts convergents : éviter l'indépendance des Kurdes (ils sont 13 à 15 millions en Turquie, entre 5 et 6 millions en Iran) et préserver l’unité de l’Irak. Ce qui fait dire à Jean Marcou que la relation bilatérale "va se stabiliser dans la méfiance réciproque", faisant la part belle à une sorte d’entre-deux. Ni amis ni ennemis...

    le monde
    Dernière modification par soufiane-oujda, 14 octobre 2011, 19h19.
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