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Egypte : Les Coptes au bord du gouffre

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  • Egypte : Les Coptes au bord du gouffre

    Le massacre de 25 manifestants chrétiens par l’armée a ébranlé une communauté déjà inquiète de l’influence croissante des islamistes depuis la chute d’Hosni Moubarak. Selon une ONG copte, 100 000 chrétiens ont déjà quitté le pays depuis mars.

    Dans son appartement de Garden City, à deux pas de l’emblématique place Tahrir, symbole de liberté après la chute d’Hosni Moubarak, Paul Geddaï balaie d’un geste las les piles de journaux entassés sur une banquette. «Les archives de notre révolution avortée», soupire-t-il. Sur le dessus de la pile, les gros titres des quotidiens s’écrivent en lettres de sang: «Dimanche noir pour l’Egypte», «L’Egypte pleure ses martyrs», «Le Conseil suprême des forces armées a participé au complot»… Le pays est sous le choc depuis la mort, dimanche dernier, d’au moins 25 manifestants coptes, apparemment tombés sous les balles et les chenilles des blindés de l’armée pendant une manifestation devant la télévision nationale destinée à protester contre l’incendie d’une église dans le sud du pays.

    C’est la première fois que les militaires s’en prennent aussi brutalement à des civils. En attentant les conclusions d’une «commission d’enquête» – dont beaucoup doutent de l’indépendance –, les circonstances de ce massacre restent floues. Il n’est pas établi, notamment, si les soldats ont essuyé des tirs meurtriers, comme ils l’affirment tout en refusant de donner des précisions sur leurs pertes «pour ne pas affecter le moral des troupes». Ni, si tel est le cas, si ces tirs provenaient des manifestants chrétiens radicalisés ou «d’éléments infiltrés» à la solde de l’ancien régime, comme l’a avancé l’Eglise copte. Mais même s’il a démenti toute action délibérée, le Conseil suprême des forces armées (CSFA) ne peut effacer les images des blindés fonçant aveuglément dans la foule.

    Pour les Coptes, déjà très inquiets de l’influence croissante des islamistes depuis la révolution, c’est l’un des derniers repères qui s’effondre. Forte de 6 à 10 millions de fidèles (sur 85 millions d’habitants), la communauté chré¬tienne s’interroge de plus en plus ouvertement sur son avenir. Ceux qui le peuvent avouent prendre leurs dispositions pour émigrer. Selon l’Union égyptienne des droits de l’homme (UEDH), une ONG copte, 100 000 chrétiens ont déjà quitté le pays depuis mars à destination de l’Amérique du Nord, de l’Europe et de l’Australie. «Ce bilan consternant doit fonctionner comme une sonnette d’alarme pour que les dirigeants tentent de trouver un remède susceptible de stopper cette émigration massive», précise Naguib Gébraïl, le président de l’UEDH. La couverture des événements de dimanche par la télévision d’Etat, qui a appelé la population musulmane à protéger l’armée contre les «voyous coptes», n’a fait qu’accroître le sentiment de fragilité de la minorité chrétienne. «Est-ce pour en arriver là qu’on a fait la révolution?» demande Paul Geddaï.

    Pendant les dix-huit jours du soulèvement de janvier, ce graphiste copte d’une cinquantaine d’années est allé presque tous les jours sur la place Tahrir. Il a vu musulmans et chrétiens exprimer les mêmes revendications, prier ensemble, se battre côte à côte contre les forces de l’ordre et les «baltageyas», ces nervis du régime qui les ont sauvagement attaqués. Aujourd’hui, cette atmosphère d’unité nationale qui a précipité la chute d’Hosni Moubarak ne lui semble plus qu’illusion. «Bien sûr que j’ai peur, tous les Coptes ont peur. Quand on entend la télévision nationale quasiment appeler à la guerre civile, il y a de quoi être angoissé. C’est presque un miracle que la situation n’ait pas dégénéré davantage dimanche, car il y avait un vrai risque de pogrom.»

    «Pogrom», «guerre civile». Martelés par la presse, ces mots font trembler les Coptes, qui ont suivi avec effroi la descente aux enfers des chrétiens irakiens depuis la chute de Saddam Hussein. L’Egypte n’en est pas là. La communauté chrétienne, de loin la plus importante du Proche-Orient, est bien intégrée socialement et économiquement, même si elle souffre de discriminations à l’emploi ou dans la pratique de sa foi. Attentats et violences confessionnelles se sont surtout multipliés ces dernières années. A l’origine, souvent, des mariages mixtes, des problèmes de permis de construction d’églises, parfois des conflits commerciaux. Mais aussi une politique de l’autruche des autorités, qui ont toujours préféré régler les conflits grâce à des commissions de réconciliation religieuse, plutôt qu’en punissant les coupables. «On pensait qu’on en finirait avec cette culture de l’impunité après la chute de Moubarak et de son système policier corrompu, mais rien n’a changé», déplore Waguih Boutros, un comptable d’une quarantaine d’années. «C’est même pire: maintenant, on se fait massacrer par ceux qui étaient jusqu’alors censés nous protéger!»

    Les Coptes se sentent exposés. Ils n’ont pas oublié que plusieurs dizaines des leurs ont été massacrés en 1981 à Zawiya el-Hamra, dans la banlieue du Caire. Il ne leur a pas échappé non plus que les groupes fondamentalistes à l’origine de ce bain de sang, les Gama’at al-Islamiya, s’affichent au grand jour depuis la révolution et viennent d’être autorisés à former un parti politique en vue des élections législatives. «L’armée fait preuve d’une tolérance suspecte envers les islamistes radicaux», accuse Michael, étudiant en commerce de 22 ans. «Quand les salafistes ont paralysé la ville de Qena [ndlr: en avril, près de Louxor] pour s’opposer à la nomination d’un gouverneur chrétien, les militaires n’ont rien fait. Dimanche, ils n’ont pas hésité à s’en prendre à nous parce que nous sommes une cible facile. Ils savent que la population sera moins solidaire.»

    Pendant des funérailles à la cathédrale¬ copte orthodoxe du Caire, les proches des victimes ont crié leur colère contre l’armée et, en particulier, le maréchal Mohamed Tantaoui, ministre de la Défense d’Hosni Moubarak pendant vingt ans et chef du CSFA. «A bas le pouvoir militaire! A bas le maréchal! Le peuple veut l’exécution du maréchal!» ont scandé les milliers de fidèles, interrompant à plusieurs reprises le sermon du prêtre et les appels au calme du patriarche Chenouda III, jugé trop conciliant par nombre de ses coreligionnaires. L’autorité du vieux patriarche est particulièrement contestée par les jeunes Coptes. Sensibles aux discours revendicatifs de la diaspora, notamment aux Etats-Unis, ceux-ci n’hésitent plus à en découdre avec les forces de l’ordre, comme à Alexandrie, en janvier, après l’attentat contre une église la nuit de la Saint-Sylvestre. «On ne peut compter que sur nous-mêmes et sur l’aide de Jésus», explique Michael en exhibant le grand Christ qu’il s’est fait tatouer sur le torse. Face au Coran brandi des islamistes, les jeunes Coptes ont fait de la Croix un symbole politique, omniprésent dans les manifestations. «Je suis prêt à mourir en martyr», affirme Michael. «Nous étions dans ce pays avant les musulmans, nous n’allons pas les laisser nous en chasser. Il y en a bien quelques-unes qui nous soutiennent, mais les autres ne rêvent que de l’instauration d’un Etat islamique.»

    Inquiets d’une éventuelle victoire des Frères musulmans et, bien pire, des salafistes aux législatives, prévues à partir de fin novembre, certains Coptes vont jusqu’à réclamer une protection internationale. «Les salafistes brûlent nos églises, ils nous insultent sur leurs chaînes de télévision. Dans ma région, ils essaient déjà de nous imposer la jizya [ndlr: taxe réclamée aux non-musulmans pour garantir leur «protection»], de forcer les jeunes filles chrétiennes à se voiler», affirme Armanious, originaire d’Assiout, en Moyenne-Egypte, où vit une forte communauté copte et qui fut aussi, dans les années 1980-1990, le fief des mouvements armés. «Si les islamistes remportent les élections, il n’y aura plus de place pour nous. Ils veulent transformer le pays en nouvel Iran, en Afghanistan ou en Arabie saoudite. Il faut que les Occidentaux nous aident, par n’importe quel moyen, même militaire», proclame-t-il.

    Ce genre de discours va-t-en-guerre est exploité par ceux qui accusent les Coptes d’être manipulés par les Etats-Unis dans le but de démanteler l’Egypte, sur le modèle irakien. Une façon pour les islamistes de remettre la religion, grande oubliée de la révolution, au cœur des prochaines élections et de susciter ainsi un vote communautaire. La secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton a même dû démentir une rumeur selon laquelle Washington aurait proposé d’assurer la protection militaire des églises coptes. Mardi, le gouvernement égyptien s’est engagé à prendre des mesures pour traiter cet abcès. Il a annoncé que le projet de loi unifiée sur les lieux de culte, attendue depuis vingt ans par la communauté copte, serait achevé d’ici à la fin du mois, et que le statut des églises construites sans permis serait régularisé. «Il est urgent de changer les lois pour garantir une égalité entre les citoyens», souligne Hossam Bahgat, directeur musulman de l’Initiative égyptienne pour les droits personnels. Un projet de loi sur la lutte contre la discrimination religieuse est également entre les mains du comité de «Justice nationale» créé par le gouvernement en mars, dans l’élan de la révolution. Un élan dont les Coptes voudraient encore croire qu’il n’est pas totalement brisé.

    TANGI SALAÜN
    LeTemps.ch
    Vendredi 14 octobre 2011
    "Je suis un homme et rien de ce qui est humain, je crois, ne m'est étranger", Terence
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