Dans un ouvrage collectif, Les 19 idées reçues et comment les combattre (éditions Le Cavalier Bleu), le journaliste et universitaire Paul Balta et l’orientaliste spécialisé dans l’étude littéraire du texte du Coran, Michel Cuypers, se sont attelés à démonter les idées reçues. Regards croisés sur l’histoire, les textes et les pratiques d’un milliard et demi de musulmans.
-Pourquoi un tel livre sur les idées reçues ?
Paul Balta. Né à Alexandrie de père français et de mère égyptienne, j’ai commencé à découvrir le Proche-Orient par le Liban, la Syrie et la Palestine, dès l’âge de cinq ans. Au lycée Louis le Grand où je préparais, de 1947 à 1949, le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, mes camarades, imbattables sur la Grèce et la Rome antiques, ignoraient tout du monde arabe et musulman. J’avais donc décidé de devenir journaliste pour être un passeur entre les rives et faire connaître aux Français leurs voisins du Sud. Au quotidien Le Monde, de 1970 à 1985, j’ai couvert l’ensemble du monde arabe, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. J’ai publié une dizaine de livres sur ces thématiques.
Au printemps 2001, les éditions Le Cavalier Bleu m’ont commandé un livre, L’Islam, pour la collection «Idées reçues», paru le 1er septembre 2001. Le 11, il y a eu les fameux attentats d’Al Qaïda contre New York. Le livre a été épuisé en quelques jours. J’ai aussitôt fait une mise à jour qui a eu beaucoup de succès. Deux autres éditions ont suivi et se sont vendues à plus de 15 000 exemplaires. En fait, il y a en France et même en Europe et dans le monde une grande méconnaissance de l’Islam et des musulmans. Je pense que les lecteurs sont contents de découvrir un certain nombre de vérités que j’expose de façon rigoureuse, mais compréhensible pour les non-spécialistes. Il y a eu des traductions en portugais, italien, coréen, roumain et brésilien.
Marie-Laurence Dubray, qui a fondé Le Cavalier Bleu, s’est aperçue que, depuis deux ou trois ans, ce livre de très petit format se vendait moins bien parce qu’il passait inaperçu sur les rayons des librairies. Elle a donc décidé de passer à un format plus grand, plus visible et plus agréable à lire. Elle m’a proposé, ainsi qu’à Michel Cuypers et Geneviève Gobillot, auteurs d’un Coran, dans la même collection, de rassembler nos deux livres en alternant les chapitres. Evidemment, nous avons procédé à une mise à jour, supprimé les répétitions et rédigé une introduction et une conclusion adaptées à la nouvelle formule.
Michel Cuypers. La collection Idées reçues expose les sujets les plus variés, non pas de manière systématique, mais en partant des idées, vraies ou fausses, ou plus ou moins tordues, que les gens s’en font d’ordinaire. La collection avait déjà publié un volume sur la Bible. L’éditeur m’a ensuite contacté pour écrire un volume sur le Coran. Je l’ai fait de concert avec mon amie Geneviève Gobillot, professeur de civilisation islamique à l’Université Lyon III. En ce temps, où circulent en Occident toutes sortes d’idées concernant l’Islam, il nous a paru opportun d’essayer de faire le point en ce qui concerne le Coran.
-Quelles sont les principales idées reçues et pourquoi, selon vous, sont-elles si tenaces ?
Paul Balta. Sur l’Islam, il y a 19 «idées reçues». Une de celles qui me tient le plus à cœur est «La civilisation arabo-islamique n’a rien inventé». J’explique donc comment, du VIIIe au XIVe siècles, elle a été à la pointe de la modernité dans tous les domaines : astronomie, mathématiques, physique, chimie, médecine, géographie, histoire, sociologie, gastronomie,… Sans ses apports, la Renaissance européenne n’aurait pas vu le jour au XVIe siècle ou aurait été plus tardive. Or, cette réalité est occultée en France. Ces apports essentiels ne figurent pas dans les manuels scolaires. J’ai découvert aussi, hélas, au cours de mes reportages qu’il en était de même dans le monde arabe. En voici une indéniable confirmation : établi à la fin des années 1990, un rapport de l’Alesco, Organisation de la Ligue arabe pour l’éducation, la culture et les sciences, souligne que les programmes d’éducation, dans de nombreux cas, ne correspondent ni aux besoins de la société arabe ni aux exigences du développement. De même, ils ne conduisent pas à la formation de l’esprit critique, scientifique et démocratique.
Michel Cuypers. Si l’on se place du point de vue de l’actualité, les idées concernant la femme (le Coran infériorise la femme), la violence (Le Coran est responsable de la violence de l’Islam) ou l’intolérance – qui est une sorte de violence–, seront jugées les plus importantes. Mais personnellement, étant surtout attentif aux aspects littéraires permanents du Coran, j’ai surtout aimé travailler les deux idées reçues suivantes : «Le Coran est ennuyeux à lire» et «Il n’y a aucun ordre dans le texte du Coran». Ces deux idées sont anciennes et très tenaces : Voltaire les avait déjà exprimées dans son Dictionnaire de philosophie, à l’article «Alcoran» : «Le Coran est une rhapsodie sans liaison, sans ordre, sans art : on dit pourtant que ce livre ennuyeux est un fort beau livre.» Toutes ces idées sont tenaces parce que le lecteur non musulman n’aborde pas le Livre dans son contexte historique ou du point de vue qui est le sien. Il est clair que le Coran ne peut être lu comme un roman ou une pièce de théâtre.
C’est un texte sacré qui s’adresse à la foi de croyants. Son nom, d’origine syriaque «Qeryânâ», désigne dans les églises syriaques le «lectionnaire» ou recueil de lectures liturgiques des Ecritures, destiné à la prière et à la proclamation liturgique, et non à une lecture suivie. Quant à l’apparent désordre du texte, j’ai pu montrer, notamment dans mon livre Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida (Lethielleux, Paris, 2007) il résulte du fait que le Coran est composé selon les règles de la rhétorique sémitique, très différente de la rhétorique grecque, alors qu’un Occidental et même un Arabe d’aujourd’hui lit spontanément un texte selon les normes rhétoriques et logiques héritées des Grecs. Lu à l’aide de la grille de lecture de la rhétorique sémitique, le texte coranique retrouve un ordre et une logique, mais dont nous avons perdu l’habitude depuis longtemps, d’où cette impression de dépaysement. Les Grecs procèdent par développements progressifs, alors que les Sémites procèdent par symétries, lesquelles obéissent toutefois à des règles précises.
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-Pourquoi un tel livre sur les idées reçues ?
Paul Balta. Né à Alexandrie de père français et de mère égyptienne, j’ai commencé à découvrir le Proche-Orient par le Liban, la Syrie et la Palestine, dès l’âge de cinq ans. Au lycée Louis le Grand où je préparais, de 1947 à 1949, le concours d’entrée à l’Ecole normale supérieure, mes camarades, imbattables sur la Grèce et la Rome antiques, ignoraient tout du monde arabe et musulman. J’avais donc décidé de devenir journaliste pour être un passeur entre les rives et faire connaître aux Français leurs voisins du Sud. Au quotidien Le Monde, de 1970 à 1985, j’ai couvert l’ensemble du monde arabe, la Turquie, l’Iran, l’Afghanistan et le Pakistan. J’ai publié une dizaine de livres sur ces thématiques.
Au printemps 2001, les éditions Le Cavalier Bleu m’ont commandé un livre, L’Islam, pour la collection «Idées reçues», paru le 1er septembre 2001. Le 11, il y a eu les fameux attentats d’Al Qaïda contre New York. Le livre a été épuisé en quelques jours. J’ai aussitôt fait une mise à jour qui a eu beaucoup de succès. Deux autres éditions ont suivi et se sont vendues à plus de 15 000 exemplaires. En fait, il y a en France et même en Europe et dans le monde une grande méconnaissance de l’Islam et des musulmans. Je pense que les lecteurs sont contents de découvrir un certain nombre de vérités que j’expose de façon rigoureuse, mais compréhensible pour les non-spécialistes. Il y a eu des traductions en portugais, italien, coréen, roumain et brésilien.
Marie-Laurence Dubray, qui a fondé Le Cavalier Bleu, s’est aperçue que, depuis deux ou trois ans, ce livre de très petit format se vendait moins bien parce qu’il passait inaperçu sur les rayons des librairies. Elle a donc décidé de passer à un format plus grand, plus visible et plus agréable à lire. Elle m’a proposé, ainsi qu’à Michel Cuypers et Geneviève Gobillot, auteurs d’un Coran, dans la même collection, de rassembler nos deux livres en alternant les chapitres. Evidemment, nous avons procédé à une mise à jour, supprimé les répétitions et rédigé une introduction et une conclusion adaptées à la nouvelle formule.
Michel Cuypers. La collection Idées reçues expose les sujets les plus variés, non pas de manière systématique, mais en partant des idées, vraies ou fausses, ou plus ou moins tordues, que les gens s’en font d’ordinaire. La collection avait déjà publié un volume sur la Bible. L’éditeur m’a ensuite contacté pour écrire un volume sur le Coran. Je l’ai fait de concert avec mon amie Geneviève Gobillot, professeur de civilisation islamique à l’Université Lyon III. En ce temps, où circulent en Occident toutes sortes d’idées concernant l’Islam, il nous a paru opportun d’essayer de faire le point en ce qui concerne le Coran.
-Quelles sont les principales idées reçues et pourquoi, selon vous, sont-elles si tenaces ?
Paul Balta. Sur l’Islam, il y a 19 «idées reçues». Une de celles qui me tient le plus à cœur est «La civilisation arabo-islamique n’a rien inventé». J’explique donc comment, du VIIIe au XIVe siècles, elle a été à la pointe de la modernité dans tous les domaines : astronomie, mathématiques, physique, chimie, médecine, géographie, histoire, sociologie, gastronomie,… Sans ses apports, la Renaissance européenne n’aurait pas vu le jour au XVIe siècle ou aurait été plus tardive. Or, cette réalité est occultée en France. Ces apports essentiels ne figurent pas dans les manuels scolaires. J’ai découvert aussi, hélas, au cours de mes reportages qu’il en était de même dans le monde arabe. En voici une indéniable confirmation : établi à la fin des années 1990, un rapport de l’Alesco, Organisation de la Ligue arabe pour l’éducation, la culture et les sciences, souligne que les programmes d’éducation, dans de nombreux cas, ne correspondent ni aux besoins de la société arabe ni aux exigences du développement. De même, ils ne conduisent pas à la formation de l’esprit critique, scientifique et démocratique.
Michel Cuypers. Si l’on se place du point de vue de l’actualité, les idées concernant la femme (le Coran infériorise la femme), la violence (Le Coran est responsable de la violence de l’Islam) ou l’intolérance – qui est une sorte de violence–, seront jugées les plus importantes. Mais personnellement, étant surtout attentif aux aspects littéraires permanents du Coran, j’ai surtout aimé travailler les deux idées reçues suivantes : «Le Coran est ennuyeux à lire» et «Il n’y a aucun ordre dans le texte du Coran». Ces deux idées sont anciennes et très tenaces : Voltaire les avait déjà exprimées dans son Dictionnaire de philosophie, à l’article «Alcoran» : «Le Coran est une rhapsodie sans liaison, sans ordre, sans art : on dit pourtant que ce livre ennuyeux est un fort beau livre.» Toutes ces idées sont tenaces parce que le lecteur non musulman n’aborde pas le Livre dans son contexte historique ou du point de vue qui est le sien. Il est clair que le Coran ne peut être lu comme un roman ou une pièce de théâtre.
C’est un texte sacré qui s’adresse à la foi de croyants. Son nom, d’origine syriaque «Qeryânâ», désigne dans les églises syriaques le «lectionnaire» ou recueil de lectures liturgiques des Ecritures, destiné à la prière et à la proclamation liturgique, et non à une lecture suivie. Quant à l’apparent désordre du texte, j’ai pu montrer, notamment dans mon livre Le Festin. Une lecture de la sourate al-Mâ’ida (Lethielleux, Paris, 2007) il résulte du fait que le Coran est composé selon les règles de la rhétorique sémitique, très différente de la rhétorique grecque, alors qu’un Occidental et même un Arabe d’aujourd’hui lit spontanément un texte selon les normes rhétoriques et logiques héritées des Grecs. Lu à l’aide de la grille de lecture de la rhétorique sémitique, le texte coranique retrouve un ordre et une logique, mais dont nous avons perdu l’habitude depuis longtemps, d’où cette impression de dépaysement. Les Grecs procèdent par développements progressifs, alors que les Sémites procèdent par symétries, lesquelles obéissent toutefois à des règles précises.
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