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Sur le front des hôpitaux libyens

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  • Sur le front des hôpitaux libyens

    La médecine libyenne, à l'image de Kaddhafi, la meilleure du monde.

    A Benghazi, nombre d’infirmières sont philippines. Attirées avant la guerre par le salaire, elles se retrouvent aujourd’hui en première ligne.

    Comme des centaines d’infirmières philippines qui portent à bout de bras les hôpitaux libyens depuis presque trois mois, Shalima, 25 ans, est arrivée à Benghazi en avril 2010, sans presque rien savoir du pays. A part trois mots : Kadhafi, pétrole et argent. Avec ses copines, Marifee et Viviane, elle fait partie des 104 infirmières philippines de l’hôpital Halwary, situé dans les faubourgs de la deuxième ville du pays.

    Sans elles, Halwary n’aurait jamais pu absorber le flot des blessés, jusqu’à 300 par jour. Dans cet hôpital, il n’y a qu’une petite vingtaine d’infirmières libyennes et l’apport des expatriés a été crucial lorsqu’est arrivée une nouvelle vague de blessés en provenance de Misrata.

    «Peur». Shalima, Marifee et Viviane sont en Libye pour une raison simple : il n’y a pas de travail dans les hôpitaux philippins, et elles perçoivent en Libye un salaire mensuel de 500 dollars (348 euros), contre 200 dans leur pays. Leur arrivée à Benghazi les a toutefois refroidies. «Nous étions très déçues, c’était encore plus pauvre que les Philippines», se souvient Viviane. Le 17 février, lorsque la guerre a éclaté, elles n’ont pas compris. «Ça tirait de partout, j’ai eu très peur, je ne savais pas ce qui se passait, raconte Marifee.

    En fait, nous ne comprenons vraiment la Libye que depuis cette guerre.» Avant, les jeunes femmes avaient noté que «personne ne parlait de Kadhafi, son nom n’était même pas prononcé, on ne pouvait parler de rien avec nos collègues qui avaient très peur». Les infirmières ont aussi dû s’adapter à la place de la femme dans le pays, le manque de droits, le silence imposé. Elles ne portent pas le voile «mais pas de tee-shirt non plus», souligne Shalima.

    «Défaite». Titulaires d’un contrat de deux ans, elles ont encore du temps pour réfléchir à leur futur. Viviane veut partir - elle a un mari et un fils de 4 ans aux Philippines -, Marifee veut rester, Shalima ne sait pas. Maria-Caridad, 38 ans, infirmière au Benghazi Medical Center restera : «Quand la guerre a commencé, j’ai pensé à partir, mais je m’étais tellement battue avec moi-même pour avoir le courage de venir qu’un départ aurait été une défaite. Les patients pleuraient, nous disaient : "Vous allez partir et on va mourir." Alors je suis fière à l’idée de partir quand le pays ira mieux.» Tout est dit avec une douceur infinie.

    Même certains souvenirs difficiles. «Je savais qu’il ne fallait rien commenter, pas même le mauvais état d’une route avec un chauffeur de taxi. Même dans leurs rêves, les Libyens ne devaient pas penser de mal de Kadhafi. Je les plaignais. A cause du racisme, je mettais deux heures à la banque pour retirer mon salaire, le guichetier faisait toujours passer un Libyen devant moi. Ce n’était pas facile. Ici, certaines infirmières libyennes ne savent pas bien prendre la température ou poser une compresse…»

    A quelques bureaux de là, Imad Talahma dit les choses plus crûment : «C’est simple, certains chirurgiens libyens sont des serial killers.» A 32 ans, ce spécialiste en neurochirurgie d’origine palestinienne est à Benghazi depuis neuf mois. Sans lui, plusieurs insurgés n’auraient pas survécu. «Et encore, vu le matériel, j’ai parfois dû faire de la chirurgie comme il y a cinquante ans !» A l’écouter, on comprend l’état des hôpitaux libyens : «Ma direction [kadhafiste, ndlr] me disait : "Fais des listes de matériel." J’ai dû en faire une douzaine mais rien n’est jamais arrivé.

    Certains directeurs détournaient l’argent des commandes. On manquait de tout, alors que le budget de l’hôpital tournait autour de 100 millions de dollars.» Imad Talahma pense passer un an ou deux à Benghazi - pour le salaire - puis retourner en Palestine.

    «Miracle». Raïssa est une infirmière ukrainienne. Elle est blessée aux pieds et rentre de Misrata où elle vivait depuis six ans : «J’étais chez moi avec une collègue qui me propose de sortir fumer. Je n’en avais pas envie. Elle sort sur la terrasse, et là, un tank tire. Elle est morte sur le coup et je m’en suis tirée par miracle.» Raïssa tient à préciser que c’était «le 20 avril», pour souligner qu’elle s’en souviendra toute sa vie.

    Dans les couloirs des hôpitaux, Misrata revient inévitablement dans les discussions. A l’entrée d’Halwary, Jennifer, une Philippine de 33 ans, tient un registre. Une manière de s’occuper pour cette professeure d’informatique, de retour de Misrata. Elle vient de passer deux mois terrée dans son appartement, à regarder Tripoli Street s’écrouler, à voir les corps chargés dans les voitures, à observer le manque de moyens des rebelles : «Certains n’avaient que des couteaux, il y avait des gamins de 10 ans, j’ai même vu un homme jeter des pierres sur les kadhafistes !» Jennifer hésite à rentrer : «Ma famille me manque, mais j’ai eu tellement pitié de mes étudiants qui me parlaient de leur envie de liberté que j’ai eu envie de les accompagner encore un peu.»

    Par FABRICE TASSEL
    Libération.
    Si vous ne trouvez pas une prière qui vous convienne, inventez-la.” Saint Augustin
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