En Tunisie, Ennahda veut former un gouvernement d’union nationale
Le parti islamique, qui obtient plus de 100 des 218 sièges de l’Assemblée constituante tunisienne élue dimanche 23 octobre, espère créer un gouvernement d’union nationale.
De nombreuses voix s’élèvent pour l’accuser d’intimidations et de pratiques d’achats de voix.
C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. Le mode de scrutin proportionnel avait précisément été choisi pour éviter la concentration des pouvoirs – la loi électorale visait implicitement Ennahda – et favoriser la pluralité de représentation politique dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Or, l’explosion du nombre de listes a créé un tel éparpillement des voix qu’il a… favorisé, in fine, le parti islamo-conservateur.
Abdelkarrim Harouni, du bureau politique du parti, exultait mardi 25 octobre dans l’attente des résultats : « Avec 40 % des voix, on devrait avoir 45 à 50 % des sièges ! », soit plus de 100 des 218 sièges de l’Assemblée constituante, flirtant ainsi avec la majorité absolue.
Mais il tempère tout de suite le succès écrasant de son parti. « Nous voulons créer la surprise, former un gouvernement d’union nationale avec les forces du centre et de gauche, pour prouver que nous sommes ouverts à la coopération, que nous voulons trouver un consensus pendant la période de transition. » Dans ses largesses, Ennahda ouvre même les bras au Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT) de l’opposant laïque Hamma Hamami.
UNE CINQUANTE DE FEMMES À L’ASSEMBLÉE
À ceux qui déclineraient l’invitation, Abdelkarrim Harouni adresse un : « Ce sera leur responsabilité… et leur droit. » Les partis qui ont laissé les jeux ouverts et sont arrivés derrière Ennahda dans les urnes – le Congrès pour la République, de l’opposant Moncef Marzouki, de tendance nationaliste arabe, et le parti de centre gauche Ettakatol (« Forum ») de Mustapha Ben Jaafar – se trouvent ainsi dans la position délicate d’accepter de cautionner un parti ultra-dominant.
Deuxième résultat inattendu : l’arrivée des femmes dans la Constituante. Beaucoup avaient déploré que la loi sur la parité n’ait pas été appliquée aux têtes de listes, qui ne comptent que 7 % de femmes. Or, Ennahda, qui a plusieurs élus par liste, va, de fait, être le seul parti à contribuer à la féminisation de l’Assemblée, puisque les listes sont constituées en alternance d’un homme et d’une femme.
Une cinquantaine de sièges (plus de 20 %) devraient ainsi être occupés par des femmes. « Malheureusement, ce ne sont pas les plus progressistes, soupire Saida Garrach, secrétaire générale de l’Association tunisienne des femmes démocrates. Il va falloir que l’on redouble de vigilance. »
DES INTIMIDATIONS OU INCITATIONS DANS LES BUREAUX DE VOTE
Enfin, si les observateurs de l’Union européenne ont salué un scrutin qui s’est déroulé dans « la transparence », de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les pratiques d’incitation, intimidation et achat de voix. L’instance des élections a elle-même reconnu des « dépassements » et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), qui coordonne les observateurs nationaux, doit publier mercredi 25 octobre un rapport préliminaire (et un rapport détaillé la semaine prochaine) « qui pourra être utilisé par les tribunaux », fait valoir Mohamed Khemiri, coordonnateur pour les cinq circonscriptions du grand Tunis.
Parmi les pratiques fréquemment évoquées : le don de cartes téléphoniques ou de viande, la distribution de papiers indiquant le bon numéro pour lequel voter, l’envoi de textos ou tout simplement l’incitation verbale. La Ligue a aussi trouvé des infractions dans l’enceinte des bureaux de vote.
Dans la majorité des cas, Ennahda est pointé du doigt. « Les nahdaouis (NDLR : comme on appelle les militants du parti) ont un statut de victimes, personne n’ose s’opposer à eux. » Selon l’observatrice Mariem Samoud, de la Ligue des électrices tunisiennes, cela explique qu’ils aient œuvré dans un climat d’impunité.
« Du temps de Ben Ali, de nombreuses personnes dans le besoin étaient payées pour aller aux meetings, ces gens existent toujours, rappelle Mohamed Khemiri. Reste à apprécier l’ampleur réelle de ces pratiques. » Après proclamation officielle des résultats, les partis auront quarante-huit heures pour déposer des recours.
MARIE VERDIER(la croix)
Le parti islamique, qui obtient plus de 100 des 218 sièges de l’Assemblée constituante tunisienne élue dimanche 23 octobre, espère créer un gouvernement d’union nationale.
De nombreuses voix s’élèvent pour l’accuser d’intimidations et de pratiques d’achats de voix.
C’est l’histoire de l’arroseur arrosé. Le mode de scrutin proportionnel avait précisément été choisi pour éviter la concentration des pouvoirs – la loi électorale visait implicitement Ennahda – et favoriser la pluralité de représentation politique dans la Tunisie de l’après Ben Ali. Or, l’explosion du nombre de listes a créé un tel éparpillement des voix qu’il a… favorisé, in fine, le parti islamo-conservateur.
Abdelkarrim Harouni, du bureau politique du parti, exultait mardi 25 octobre dans l’attente des résultats : « Avec 40 % des voix, on devrait avoir 45 à 50 % des sièges ! », soit plus de 100 des 218 sièges de l’Assemblée constituante, flirtant ainsi avec la majorité absolue.
Mais il tempère tout de suite le succès écrasant de son parti. « Nous voulons créer la surprise, former un gouvernement d’union nationale avec les forces du centre et de gauche, pour prouver que nous sommes ouverts à la coopération, que nous voulons trouver un consensus pendant la période de transition. » Dans ses largesses, Ennahda ouvre même les bras au Parti communiste ouvrier tunisien (PCOT) de l’opposant laïque Hamma Hamami.
UNE CINQUANTE DE FEMMES À L’ASSEMBLÉE
À ceux qui déclineraient l’invitation, Abdelkarrim Harouni adresse un : « Ce sera leur responsabilité… et leur droit. » Les partis qui ont laissé les jeux ouverts et sont arrivés derrière Ennahda dans les urnes – le Congrès pour la République, de l’opposant Moncef Marzouki, de tendance nationaliste arabe, et le parti de centre gauche Ettakatol (« Forum ») de Mustapha Ben Jaafar – se trouvent ainsi dans la position délicate d’accepter de cautionner un parti ultra-dominant.
Deuxième résultat inattendu : l’arrivée des femmes dans la Constituante. Beaucoup avaient déploré que la loi sur la parité n’ait pas été appliquée aux têtes de listes, qui ne comptent que 7 % de femmes. Or, Ennahda, qui a plusieurs élus par liste, va, de fait, être le seul parti à contribuer à la féminisation de l’Assemblée, puisque les listes sont constituées en alternance d’un homme et d’une femme.
Une cinquantaine de sièges (plus de 20 %) devraient ainsi être occupés par des femmes. « Malheureusement, ce ne sont pas les plus progressistes, soupire Saida Garrach, secrétaire générale de l’Association tunisienne des femmes démocrates. Il va falloir que l’on redouble de vigilance. »
DES INTIMIDATIONS OU INCITATIONS DANS LES BUREAUX DE VOTE
Enfin, si les observateurs de l’Union européenne ont salué un scrutin qui s’est déroulé dans « la transparence », de nombreuses voix s’élèvent pour dénoncer les pratiques d’incitation, intimidation et achat de voix. L’instance des élections a elle-même reconnu des « dépassements » et la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), qui coordonne les observateurs nationaux, doit publier mercredi 25 octobre un rapport préliminaire (et un rapport détaillé la semaine prochaine) « qui pourra être utilisé par les tribunaux », fait valoir Mohamed Khemiri, coordonnateur pour les cinq circonscriptions du grand Tunis.
Parmi les pratiques fréquemment évoquées : le don de cartes téléphoniques ou de viande, la distribution de papiers indiquant le bon numéro pour lequel voter, l’envoi de textos ou tout simplement l’incitation verbale. La Ligue a aussi trouvé des infractions dans l’enceinte des bureaux de vote.
Dans la majorité des cas, Ennahda est pointé du doigt. « Les nahdaouis (NDLR : comme on appelle les militants du parti) ont un statut de victimes, personne n’ose s’opposer à eux. » Selon l’observatrice Mariem Samoud, de la Ligue des électrices tunisiennes, cela explique qu’ils aient œuvré dans un climat d’impunité.
« Du temps de Ben Ali, de nombreuses personnes dans le besoin étaient payées pour aller aux meetings, ces gens existent toujours, rappelle Mohamed Khemiri. Reste à apprécier l’ampleur réelle de ces pratiques. » Après proclamation officielle des résultats, les partis auront quarante-huit heures pour déposer des recours.
MARIE VERDIER(la croix)
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