L’Algérie peut-elle avoir de l’influence sur le changement dans la région si elle-même ne change pas ?
L’Algérie face à la crise libyenne
Abed CHREF.
L’Algérie et l’Egypte auraient dû jouer un rôle de premier plan dans la recherche d’une solution à la crise libyenne. Mais les deux pays n’ont pas participé à la compétition: ils ont été éliminés dès les préliminaires.
La mort de Maammar Kadhafi marque la fin d’un cycle en Libye, et ouvre une longue période d’incertitudes pour toute la région. Dans un tel contexte, l’Algérie doit, à son corps défendant, gérer une partie des conséquences de cette crise, ce qui devrait pousser à revoir, de manière critique, l’attitude algérienne tout au long de la crise.
Même si elle pouvait être contestable, la position algérienne a été assez logique au départ. Mais des flottements ont rapidement pris le dessus mesure que la situation sur le terrain évoluait. N’ayant pas su s’adapter, l’attitude algérienne est, par la suite, apparue totalement décalée, pour finir dans le vague.
Dans un premier temps, quand des manifestants ont défié le régime de Maammar Kadhafi à Benghazi, les dirigeants algériens sont restés de marbre. Pas seulement à cause de leur peu d’enthousiasme pour les idéaux démocratiques, ni en raison d’une sympathie particulière envers le dirigeant libyen, mais parce que les principaux centres de décision du pays font la lecture qu’ils maitrisent : lecture sécuritaire et raison d’état.
On est alors en pleine tourmente en Tunisie et en Egypte. Les dirigeants algériens et libyens font la même lecture des évènements. Ils ne voient pas dans cette contestation une soif de liberté, ni un appel au changement, mais une menace contre le régime et une tentative de déstabilisation. Kadhafi s’apprête donc à réprimer, et l’Algérie approuve discrètement. Après tout, tout Etat est responsable de l’ordre sur le territoire qu’il contrôle, et aucun état n’accepte la contestation de son pouvoir. Et puis, on fait ce qu’on sait faire le mieux. En l’occurrence, réprimer. Alger et Tripoli sont donc sur la même longueur d’ondes.
La position algérienne face à ce qui se passe en Libye est probablement arrêtée dans trois cercles : le président Abdelaziz Bouteflika, qui se considère encore comme ministre des affaires étrangères et qui connait le colonel Kadhafi depuis quarante ans ; l’armée, qui a des soucis de sécurité aux frontières ; et les services de sécurité, supposés être très présents en Libye, mais dont la réaction laisse supposer qu’ils n’ont pas vu venir la tempête.
Ces trois cercles convergent naturellement vers ce qui les unit: garantir le statuquo, éviter toute déstabilisation, éviter également toute menace sur les frontières du pays, et sauver éventuellement de vieilles amitiés. Car quoiqu’on dise, Kadhafi a été pendant longtemps un proche, sinon un ami de l’Algérie. Pendant la guerre de libération, Tripoli a abrité la base la plus célèbre des services spéciaux algériens, la célèbre base Didouche, ce qui laisse évidemment des traces.
D’autres éléments ont favorisé cette position. En février, on est en plein printemps arabe, et l’Algérie vient à peine de sortir d’une semaine d’émeutes qui a fait trembler le pouvoir. Tout ce qui vient de la rue est donc une menace, en Algérie comme en Libye. Et les pouvoirs en place sont naturellement solidaires les uns des autres.
De plus, les contestataires libyens sont des inconnus. Personne ne sait qui ils sont réellement, et les autorités algériennes, comme tous les régimes, ont peur de l’inconnu. D’autant plus que des manipulateurs professionnels les prennent rapidement en charge sur le plan médiatique.
Tout ceci explique la position algérienne, mais ne la justifie pas. Et il faudra bien se poser certaines questions un jour : comment, malgré un compagnonnage aussi long, l’Algérie n’a-t-elle pas décelé les fractures qui s’opéraient au sein du clan Kadhafi ? Comment des dissidences d’hommes aussi importants que d’anciens ministres de la justice et de l’intérieur n’ont pas été décelées et exploitées suffisamment tôt ?
PESER SUR LE L’ÉVOLUTION DE LA CRISE
Cette position adoptée au départ par les autorités algériennes a, par la suite, plombé la position de l’Algérie, qui a toujours eu une étape de retard. Il ne s’agissait même pas, pour l’Algérie, de soutenir la démocratisation de la Libye. Il s’agissait seulement de ne pas se mettre hors-jeu, de garder des cartes, pour préserver les intérêts du pays, et garder une certaine influence pour peser sur le déroulement et l’issue de la crise. Et sur ce terrain, les erreurs sont manifestes.
Pour peser sur l’issue du conflit, il fallait deux préalables: faire une bonne évaluation de la situation, et établir des ponts avec les deux parties. Or, sans aller jusqu’aux dénonciations folkloriques concernant l’envoi de mercenaires algériens pour aider Kadhafi, il semble bien que l’Algérie a péché sur ce terrain. Elle a longtemps refusé de considérer le CNT comme un interlocuteur.
Plus tard, elle n’a pas su adapter sa position en fonction de ce qui se passait sur le terrain. Quand l’aviation de l’OTAN a commencé à bombarder la Libye, il était évident que l’issue de la crise ne pouvait plus être seulement interne. Quand l’aviation de l’OTAN a immobilisé les troupes de Kadhafi, il était devenu évident que celui-ci ne pouvait plus gagner. Quand l’Union Africaine a été dessaisie du dossier, il était évident que la solution avait changé de nature. Enfin, quand Barak Obama a déclaré que Kadhafi ne faisait plus partie de la solution, un nouveau pas avait été franchi, mais l’Algérie ne semble pas en avoir tenu compte. Et ce n’est que lors de la réunion de la Ligue arabe au Caire que l’Algérie a officiellement établi un premier contact avec le CNT, alors que celui-ci avait largement pris le contrôle du pays.
L’ancien ambassadeur Abdelaziz Rahabi a noté que ces erreurs sont dues, entre autres, à l’absence de fonctionnement institutionnel de la diplomatie algérienne et du pays de manière générale. Ce qui pose un problème primaire de la gestion des affaires du pays : non seulement les positions officielles privilégient les intérêts du régime sur ceux du pays, mais de plus, l’Algérie ne dispose pas des structures en mesure de s’adapter à une situation mouvante, comme le fut la crise libyenne. Les institutions algériennes ne fonctionnent même plus en temps normal. Comment peuvent-elles fonctionner correctement en temps de crise ?
La centralisation excessive de la décision interdit aux acteurs algériens de prendre des initiatives et de s’adapter. La nature des relations au sein des cercles du pouvoir interdit à qui que ce soit de prendre la moindre initiative tant que le président Bouteflika lui-même n’a pas donné son aval. Or, celui-ci n’est pas en mesure d’impulser la vitesse et la dynamique qu’impose une situation comme la crise libyenne. C’est dire le handicap que constitue la présence d’un homme comme M. Bouteflika au sommet du pouvoir. Non seulement sa lecture des évènements, établie selon une grille datant du milieu du siècle passé, est en décalage total avec le réel, mais le fonctionnement des centres de décision s’en trouve paralysé, ce qui ne permet pas les adaptations nécessaires pour défendre au mieux les intérêts du pays.
Sans aller jusqu’à une reconnaissance du CNT dès les premiers moments, ni à un soutien résolu aux contestataires, rien n’interdisait à l’Algérie d’établir des ponts avec les rebelles libyens dès le mois de mars. Ceci offrait l’avantage de mieux préserver l’avenir, de connaitre le CNT et sa composante, et de garder un œil sur la destination des armes libyennes au moment où les arsenaux se vidaient.
Etablir une relation avec le CNT pouvait aussi être utilisé comme moyen de pression sur Kadhafi, pour l’amener à tempérer son discours et à négocier. Peut-être était-ce même un moyen de l’aider à éviter les erreurs qui ont conduit à l’irréparable, la guerre civile. Car si le régime algérien est borgne, celui de Kadhafi était aveugle. Et il était toujours possible de l’aider à éviter le pire.
L’Algérie face à la crise libyenne
Abed CHREF.
L’Algérie et l’Egypte auraient dû jouer un rôle de premier plan dans la recherche d’une solution à la crise libyenne. Mais les deux pays n’ont pas participé à la compétition: ils ont été éliminés dès les préliminaires.
La mort de Maammar Kadhafi marque la fin d’un cycle en Libye, et ouvre une longue période d’incertitudes pour toute la région. Dans un tel contexte, l’Algérie doit, à son corps défendant, gérer une partie des conséquences de cette crise, ce qui devrait pousser à revoir, de manière critique, l’attitude algérienne tout au long de la crise.
Même si elle pouvait être contestable, la position algérienne a été assez logique au départ. Mais des flottements ont rapidement pris le dessus mesure que la situation sur le terrain évoluait. N’ayant pas su s’adapter, l’attitude algérienne est, par la suite, apparue totalement décalée, pour finir dans le vague.
Dans un premier temps, quand des manifestants ont défié le régime de Maammar Kadhafi à Benghazi, les dirigeants algériens sont restés de marbre. Pas seulement à cause de leur peu d’enthousiasme pour les idéaux démocratiques, ni en raison d’une sympathie particulière envers le dirigeant libyen, mais parce que les principaux centres de décision du pays font la lecture qu’ils maitrisent : lecture sécuritaire et raison d’état.
On est alors en pleine tourmente en Tunisie et en Egypte. Les dirigeants algériens et libyens font la même lecture des évènements. Ils ne voient pas dans cette contestation une soif de liberté, ni un appel au changement, mais une menace contre le régime et une tentative de déstabilisation. Kadhafi s’apprête donc à réprimer, et l’Algérie approuve discrètement. Après tout, tout Etat est responsable de l’ordre sur le territoire qu’il contrôle, et aucun état n’accepte la contestation de son pouvoir. Et puis, on fait ce qu’on sait faire le mieux. En l’occurrence, réprimer. Alger et Tripoli sont donc sur la même longueur d’ondes.
La position algérienne face à ce qui se passe en Libye est probablement arrêtée dans trois cercles : le président Abdelaziz Bouteflika, qui se considère encore comme ministre des affaires étrangères et qui connait le colonel Kadhafi depuis quarante ans ; l’armée, qui a des soucis de sécurité aux frontières ; et les services de sécurité, supposés être très présents en Libye, mais dont la réaction laisse supposer qu’ils n’ont pas vu venir la tempête.
Ces trois cercles convergent naturellement vers ce qui les unit: garantir le statuquo, éviter toute déstabilisation, éviter également toute menace sur les frontières du pays, et sauver éventuellement de vieilles amitiés. Car quoiqu’on dise, Kadhafi a été pendant longtemps un proche, sinon un ami de l’Algérie. Pendant la guerre de libération, Tripoli a abrité la base la plus célèbre des services spéciaux algériens, la célèbre base Didouche, ce qui laisse évidemment des traces.
D’autres éléments ont favorisé cette position. En février, on est en plein printemps arabe, et l’Algérie vient à peine de sortir d’une semaine d’émeutes qui a fait trembler le pouvoir. Tout ce qui vient de la rue est donc une menace, en Algérie comme en Libye. Et les pouvoirs en place sont naturellement solidaires les uns des autres.
De plus, les contestataires libyens sont des inconnus. Personne ne sait qui ils sont réellement, et les autorités algériennes, comme tous les régimes, ont peur de l’inconnu. D’autant plus que des manipulateurs professionnels les prennent rapidement en charge sur le plan médiatique.
Tout ceci explique la position algérienne, mais ne la justifie pas. Et il faudra bien se poser certaines questions un jour : comment, malgré un compagnonnage aussi long, l’Algérie n’a-t-elle pas décelé les fractures qui s’opéraient au sein du clan Kadhafi ? Comment des dissidences d’hommes aussi importants que d’anciens ministres de la justice et de l’intérieur n’ont pas été décelées et exploitées suffisamment tôt ?
PESER SUR LE L’ÉVOLUTION DE LA CRISE
Cette position adoptée au départ par les autorités algériennes a, par la suite, plombé la position de l’Algérie, qui a toujours eu une étape de retard. Il ne s’agissait même pas, pour l’Algérie, de soutenir la démocratisation de la Libye. Il s’agissait seulement de ne pas se mettre hors-jeu, de garder des cartes, pour préserver les intérêts du pays, et garder une certaine influence pour peser sur le déroulement et l’issue de la crise. Et sur ce terrain, les erreurs sont manifestes.
Pour peser sur l’issue du conflit, il fallait deux préalables: faire une bonne évaluation de la situation, et établir des ponts avec les deux parties. Or, sans aller jusqu’aux dénonciations folkloriques concernant l’envoi de mercenaires algériens pour aider Kadhafi, il semble bien que l’Algérie a péché sur ce terrain. Elle a longtemps refusé de considérer le CNT comme un interlocuteur.
Plus tard, elle n’a pas su adapter sa position en fonction de ce qui se passait sur le terrain. Quand l’aviation de l’OTAN a commencé à bombarder la Libye, il était évident que l’issue de la crise ne pouvait plus être seulement interne. Quand l’aviation de l’OTAN a immobilisé les troupes de Kadhafi, il était devenu évident que celui-ci ne pouvait plus gagner. Quand l’Union Africaine a été dessaisie du dossier, il était évident que la solution avait changé de nature. Enfin, quand Barak Obama a déclaré que Kadhafi ne faisait plus partie de la solution, un nouveau pas avait été franchi, mais l’Algérie ne semble pas en avoir tenu compte. Et ce n’est que lors de la réunion de la Ligue arabe au Caire que l’Algérie a officiellement établi un premier contact avec le CNT, alors que celui-ci avait largement pris le contrôle du pays.
L’ancien ambassadeur Abdelaziz Rahabi a noté que ces erreurs sont dues, entre autres, à l’absence de fonctionnement institutionnel de la diplomatie algérienne et du pays de manière générale. Ce qui pose un problème primaire de la gestion des affaires du pays : non seulement les positions officielles privilégient les intérêts du régime sur ceux du pays, mais de plus, l’Algérie ne dispose pas des structures en mesure de s’adapter à une situation mouvante, comme le fut la crise libyenne. Les institutions algériennes ne fonctionnent même plus en temps normal. Comment peuvent-elles fonctionner correctement en temps de crise ?
La centralisation excessive de la décision interdit aux acteurs algériens de prendre des initiatives et de s’adapter. La nature des relations au sein des cercles du pouvoir interdit à qui que ce soit de prendre la moindre initiative tant que le président Bouteflika lui-même n’a pas donné son aval. Or, celui-ci n’est pas en mesure d’impulser la vitesse et la dynamique qu’impose une situation comme la crise libyenne. C’est dire le handicap que constitue la présence d’un homme comme M. Bouteflika au sommet du pouvoir. Non seulement sa lecture des évènements, établie selon une grille datant du milieu du siècle passé, est en décalage total avec le réel, mais le fonctionnement des centres de décision s’en trouve paralysé, ce qui ne permet pas les adaptations nécessaires pour défendre au mieux les intérêts du pays.
Sans aller jusqu’à une reconnaissance du CNT dès les premiers moments, ni à un soutien résolu aux contestataires, rien n’interdisait à l’Algérie d’établir des ponts avec les rebelles libyens dès le mois de mars. Ceci offrait l’avantage de mieux préserver l’avenir, de connaitre le CNT et sa composante, et de garder un œil sur la destination des armes libyennes au moment où les arsenaux se vidaient.
Etablir une relation avec le CNT pouvait aussi être utilisé comme moyen de pression sur Kadhafi, pour l’amener à tempérer son discours et à négocier. Peut-être était-ce même un moyen de l’aider à éviter les erreurs qui ont conduit à l’irréparable, la guerre civile. Car si le régime algérien est borgne, celui de Kadhafi était aveugle. Et il était toujours possible de l’aider à éviter le pire.
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