El Watan du 08 Novembre
Les retraités n’en finissent pas de
broyer du noir
Près de 546 000 retraités touchent moins de 15 000 DA
par mois. Selon les témoignages de certains, cette pension
dérisoire ne leur permet même pas de subvenir
aux besoins les plus élémentaires de leurs familles.
Pension dérisoire, précarité…
En ce jeudi ensoleillé, les vieux commencent à arriver
dans un jardin de la capitale. Chaque après-midi, ils
se donnent rendez-vous dans ce lieu pour discuter,
palabrer et surtout jouer d’interminables parties de dominos.
Histoire de tuer le temps. Mais avant d’entamer
leur passion favorite, ces personnes du troisième âge
font la «revue de presse» de l’actualité nationale et
internationale. Tout est passé au crible. Ils pourraient
aisément rivaliser avec les plus talentueux commentateurs
en raison de la pertinence de leurs analyses.
Mais les sujets qui leur tiennent à coeur et dominent les
débats sont incontestablement la sortie présidentielle
pour l’inauguration du métro d’Alger et l’approche de
l’Aïd El Adha et son sempiternel problème de dépenses.
En effet, l’inauguration par le président de la République
du métro d’Alger, lundi dernier, a pris l’allure
d’un événement national. La presse en a fait ses choux
gras. Et les images de cette inauguration se sont taillé
la part du lion dans les journaux télévisés de l’Unique,
reléguant ainsi au second plan tous les problèmes et
soucis quotidiens des Algériens, notamment les retraités,
cette frange la plus fragile de la société. «Je me
fiche royalement que le métro d’Alger soit inauguré par
Bouteflika», lâche un vieux retraité de la SNTF. «Ça ne
règlera pas nos ennuis quotidiens. Nous avons du mal
à joindre les deux bouts. Vous êtes journaliste. Faites
un saut dans n’importe quel marché de la capitale. Il y a
de quoi avoir la migraine. Les prix sont hors de portée»,
ajoute-t-il. Comment faire face à la flambée des prix
de large consommation et gérer la fête de l’Aïd El Adha
avec des retraites dérisoires qui ne dépassent pas
pour la plupart les 20 000 DA ? Un sérieux dilemme.
Pour les retraités, c’est la quadrature du cercle. Ils sont
dans une précarité extrême.
Esprit critique
En dépit de cette situation tragique, ils arborent des
sourires dignes de circonstance. En guise d’exutoire,
ils se racontent des blagues, ils se chamaillent, ils
plaisantent, à tel point qu’on les prendrait pour des
bambins en récréation. Mais ils gardent cependant
toute leur lucidité et l’esprit critique quand on les titille
sur les sujets d’actualité. «Les vrais martyrs doivent
se retourner dans leurs tombes en voyant qu’après
50 années d’indépendance on se gargarise et on se
bouscule pour inaugurer un métro d’une longueur de
9,5 km. Quelle honte pour nous ! Nous serons la risée
du monde entier, surtout quand tout sera mis en valeur
à la télévision nationale», clame encore ce retraité de la
SNTF. A vrai dire, le jardin public, ce lieu de rencontre
de ces vieux Algérois, n’a de signification que le nom.
Pas de fleurs, pas de verdure ni de jet d’eau. Juste un
espace de quelques sièges en béton moches et des
tables de fortune sur lesquelles les dominos claquent
pour annoncer que la partie est serrée entre les joueurs.
Mais rien n’indique que nous sommes dans un jardin
public digne de ce nom. Des ordures jonchent le sol et
une odeur pestilentielle envahit les lieux ; des chiens
errants viennent s’ajouter à ce décor insalubre, comme
pour souligner la déchéance de cette frange de la pole
08.11.11 | 01h00
Page 1
http://www.elwatan.com/actualite/les...146448_109.php
Actualité
Meziane Cheballah
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Les retraités n’en finiss ent pas de broyer du noir
pulation à qui on n’accorde aucune importance et qui
n’a pas voix au chapitre.
«A notre âge, on urine sur les murs, comme de vulgaires
voyous, faute de toilettes dans ce jardin», tonne
un retraité à l’allure imposante.
Honneur perdu
Certains estiment qu’ils ont même perdu le respect
de leurs enfants, qui les accusent d’être la source de
leur triste situation. Le fils de l’un d’eux est allé même
jusqu’à reprocher à son père de l’avoir mis au monde
pour le laisser ensuite galérer. A la pension dérisoire
qu’ils perçoivent s’ajoute la promiscuité : des logements
où s’entassent 10 à 12 personnes dans un trois-pièces.
«La nuit pour aller aux toilettes, il faut enjamber un
corps humain pour arriver à destination !», se plaint ce
même retraité. «Vous pouvez écrire des kilomètres de
phrases et des millions de reportages sur nous, cela n’y
changera rien. Le pouvoir de Bouteflika et d’Ouyahia
est insensible aux souffrances du peuple. On est allé
jusqu’à expulser des retraités de leurs logements, sans
que ces derniers n’aient de coin où aller. Eux qui se sont
sacrifiés et ont tout donné pour le pays et formé des
générations… Maintenant on les récompense en les
transformant en SDF», affirme, fataliste, Chabane K.,
retraité de l’éducation nationale. Ce dernier indique que
lui-même a été victime d’une expulsion. S’il ne passe
pas ses nuits dehors, c’est grâce à la générosité de sa
soeur qui a accepté de l’héberger dans sa villa, une fois
qu’elle a pris connaissance de sa misérable situation.
En effet, des retraités de Sonelgaz ainsi que ceux de
l’éducation, qui occupaient des logements de fonction,
reçoivent, ces derniers mois, des lettres d’expulsion.
Ces retraités ont exprimé leur colère en organisant,
à Alger, des rassemblements de protestation pour
pousser les pouvoirs publics à surseoir à leur décision
d’expulsion. Lors d’un rassemblement organisé le
30 octobre par les retraités de l’éducation au siège de
l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd a failli être lynché par les
protestataires, échaudés par l’immobilisme et l’inertie
de la centrale syndicale face au calvaire qu’ils vivent
au quotidien, depuis que cette épée de Damoclès est
suspendue au dessus de leur tête.
«Nous vivons comme des mendiants»
«Nous vivons comme des mendiants. Avec cette inflation,
on est obligés de contracter un crédit auprès
du commerçant du quartier ou d’emprunter de l’argent
pour survivre. Pourtant, on a droit à notre part du gâteau.
On se demande à juste titre où va l’argent du pétrole»,
s’interroge Da Belgacem, retraité de Sonatrach et ancien
militant de la Fédération de France. Ce dernier
indique qu’après sa retraite, pensant qu’il allait enfin
se reposer, il a dû reprendre un autre travail chez le
privé pour assurer le financement des études de son
fils inscrit en première année de médecine. Sinon, il lui
était impossible de le faire avec sa modeste pension et
subvenir en même temps aux besoins de sa famille.
Plus de 546 000 retraités touchent moins de 15 000
DA. Cette pension de misère permet, selon les retraités
que nous avons pu interroger, de se nourrir uniquement
de pain et de lait et à peine de s’acquitter des factures
d’électricité et d’eau. Une vraie misère ! «Vous parlez
de dessert, c’est devenu un luxe que je ne peux pas
me permettre. J’en achète rarement. Quant à la viande,
on la consomme sur prescription médicale. Uniquement
sur ordonnance !», se désole-t-il.
«Nous avons pris en charge le pays au lendemain de
l’indépendance, après le départ des coopérants français,
qui ont tout abandonné et tout laissé en jachère.
Nous avons relevé le défi. Aujourd’hui que nos cheveux
ont blanchi, notre labeur nous a été confisqué
sur l’autel de l’incompétence et de l’impéritie de nos
gouvernants», tempête Ahmed C., ancien cadre à la
CNAS. Le mouton de l’Aïd ? «On en parle juste pour
discuter. Personnellement, c’est mon fils qui m’a donné
de l’argent, par respect envers moi, pour acheter un
mouton afin de passer l’Aïd ensemble. Sinon, il me serait
impossible d’accomplir le rituel du sacrifice», explique
Ali R., retraité de l’inspection du travail. Et dire que
l’Algérie dort sur un confortable matelas de milliards
le 08.11.11 | 01h00
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Les retraités n’en finiss ent pas de broyer du noir
d’euros !
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broyer du noir
Près de 546 000 retraités touchent moins de 15 000 DA
par mois. Selon les témoignages de certains, cette pension
dérisoire ne leur permet même pas de subvenir
aux besoins les plus élémentaires de leurs familles.
Pension dérisoire, précarité…
En ce jeudi ensoleillé, les vieux commencent à arriver
dans un jardin de la capitale. Chaque après-midi, ils
se donnent rendez-vous dans ce lieu pour discuter,
palabrer et surtout jouer d’interminables parties de dominos.
Histoire de tuer le temps. Mais avant d’entamer
leur passion favorite, ces personnes du troisième âge
font la «revue de presse» de l’actualité nationale et
internationale. Tout est passé au crible. Ils pourraient
aisément rivaliser avec les plus talentueux commentateurs
en raison de la pertinence de leurs analyses.
Mais les sujets qui leur tiennent à coeur et dominent les
débats sont incontestablement la sortie présidentielle
pour l’inauguration du métro d’Alger et l’approche de
l’Aïd El Adha et son sempiternel problème de dépenses.
En effet, l’inauguration par le président de la République
du métro d’Alger, lundi dernier, a pris l’allure
d’un événement national. La presse en a fait ses choux
gras. Et les images de cette inauguration se sont taillé
la part du lion dans les journaux télévisés de l’Unique,
reléguant ainsi au second plan tous les problèmes et
soucis quotidiens des Algériens, notamment les retraités,
cette frange la plus fragile de la société. «Je me
fiche royalement que le métro d’Alger soit inauguré par
Bouteflika», lâche un vieux retraité de la SNTF. «Ça ne
règlera pas nos ennuis quotidiens. Nous avons du mal
à joindre les deux bouts. Vous êtes journaliste. Faites
un saut dans n’importe quel marché de la capitale. Il y a
de quoi avoir la migraine. Les prix sont hors de portée»,
ajoute-t-il. Comment faire face à la flambée des prix
de large consommation et gérer la fête de l’Aïd El Adha
avec des retraites dérisoires qui ne dépassent pas
pour la plupart les 20 000 DA ? Un sérieux dilemme.
Pour les retraités, c’est la quadrature du cercle. Ils sont
dans une précarité extrême.
Esprit critique
En dépit de cette situation tragique, ils arborent des
sourires dignes de circonstance. En guise d’exutoire,
ils se racontent des blagues, ils se chamaillent, ils
plaisantent, à tel point qu’on les prendrait pour des
bambins en récréation. Mais ils gardent cependant
toute leur lucidité et l’esprit critique quand on les titille
sur les sujets d’actualité. «Les vrais martyrs doivent
se retourner dans leurs tombes en voyant qu’après
50 années d’indépendance on se gargarise et on se
bouscule pour inaugurer un métro d’une longueur de
9,5 km. Quelle honte pour nous ! Nous serons la risée
du monde entier, surtout quand tout sera mis en valeur
à la télévision nationale», clame encore ce retraité de la
SNTF. A vrai dire, le jardin public, ce lieu de rencontre
de ces vieux Algérois, n’a de signification que le nom.
Pas de fleurs, pas de verdure ni de jet d’eau. Juste un
espace de quelques sièges en béton moches et des
tables de fortune sur lesquelles les dominos claquent
pour annoncer que la partie est serrée entre les joueurs.
Mais rien n’indique que nous sommes dans un jardin
public digne de ce nom. Des ordures jonchent le sol et
une odeur pestilentielle envahit les lieux ; des chiens
errants viennent s’ajouter à ce décor insalubre, comme
pour souligner la déchéance de cette frange de la pole
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pulation à qui on n’accorde aucune importance et qui
n’a pas voix au chapitre.
«A notre âge, on urine sur les murs, comme de vulgaires
voyous, faute de toilettes dans ce jardin», tonne
un retraité à l’allure imposante.
Honneur perdu
Certains estiment qu’ils ont même perdu le respect
de leurs enfants, qui les accusent d’être la source de
leur triste situation. Le fils de l’un d’eux est allé même
jusqu’à reprocher à son père de l’avoir mis au monde
pour le laisser ensuite galérer. A la pension dérisoire
qu’ils perçoivent s’ajoute la promiscuité : des logements
où s’entassent 10 à 12 personnes dans un trois-pièces.
«La nuit pour aller aux toilettes, il faut enjamber un
corps humain pour arriver à destination !», se plaint ce
même retraité. «Vous pouvez écrire des kilomètres de
phrases et des millions de reportages sur nous, cela n’y
changera rien. Le pouvoir de Bouteflika et d’Ouyahia
est insensible aux souffrances du peuple. On est allé
jusqu’à expulser des retraités de leurs logements, sans
que ces derniers n’aient de coin où aller. Eux qui se sont
sacrifiés et ont tout donné pour le pays et formé des
générations… Maintenant on les récompense en les
transformant en SDF», affirme, fataliste, Chabane K.,
retraité de l’éducation nationale. Ce dernier indique que
lui-même a été victime d’une expulsion. S’il ne passe
pas ses nuits dehors, c’est grâce à la générosité de sa
soeur qui a accepté de l’héberger dans sa villa, une fois
qu’elle a pris connaissance de sa misérable situation.
En effet, des retraités de Sonelgaz ainsi que ceux de
l’éducation, qui occupaient des logements de fonction,
reçoivent, ces derniers mois, des lettres d’expulsion.
Ces retraités ont exprimé leur colère en organisant,
à Alger, des rassemblements de protestation pour
pousser les pouvoirs publics à surseoir à leur décision
d’expulsion. Lors d’un rassemblement organisé le
30 octobre par les retraités de l’éducation au siège de
l’UGTA, Abdelmadjid Sidi Saïd a failli être lynché par les
protestataires, échaudés par l’immobilisme et l’inertie
de la centrale syndicale face au calvaire qu’ils vivent
au quotidien, depuis que cette épée de Damoclès est
suspendue au dessus de leur tête.
«Nous vivons comme des mendiants»
«Nous vivons comme des mendiants. Avec cette inflation,
on est obligés de contracter un crédit auprès
du commerçant du quartier ou d’emprunter de l’argent
pour survivre. Pourtant, on a droit à notre part du gâteau.
On se demande à juste titre où va l’argent du pétrole»,
s’interroge Da Belgacem, retraité de Sonatrach et ancien
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indique qu’après sa retraite, pensant qu’il allait enfin
se reposer, il a dû reprendre un autre travail chez le
privé pour assurer le financement des études de son
fils inscrit en première année de médecine. Sinon, il lui
était impossible de le faire avec sa modeste pension et
subvenir en même temps aux besoins de sa famille.
Plus de 546 000 retraités touchent moins de 15 000
DA. Cette pension de misère permet, selon les retraités
que nous avons pu interroger, de se nourrir uniquement
de pain et de lait et à peine de s’acquitter des factures
d’électricité et d’eau. Une vraie misère ! «Vous parlez
de dessert, c’est devenu un luxe que je ne peux pas
me permettre. J’en achète rarement. Quant à la viande,
on la consomme sur prescription médicale. Uniquement
sur ordonnance !», se désole-t-il.
«Nous avons pris en charge le pays au lendemain de
l’indépendance, après le départ des coopérants français,
qui ont tout abandonné et tout laissé en jachère.
Nous avons relevé le défi. Aujourd’hui que nos cheveux
ont blanchi, notre labeur nous a été confisqué
sur l’autel de l’incompétence et de l’impéritie de nos
gouvernants», tempête Ahmed C., ancien cadre à la
CNAS. Le mouton de l’Aïd ? «On en parle juste pour
discuter. Personnellement, c’est mon fils qui m’a donné
de l’argent, par respect envers moi, pour acheter un
mouton afin de passer l’Aïd ensemble. Sinon, il me serait
impossible d’accomplir le rituel du sacrifice», explique
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