LE GRAND ORAL DE SCIENCES PO
Le leader islamiste cherche à rallier à lui un public moderniste. (TNIOUNI)
Dans un mois, les Marocains sont appelés à se rendre aux urnes. Les chefs des principaux partis politiques sont invités à défendre leurs programmes et positions lors d’une série de conférences débats organisées (comme en 2007) par l’Association marocaine des anciens de SciencesPo en collaboration avec TelQuel et Al Ahdath Al Maghribia. Premier invité de cette deuxième saison : Abdelilah Benkirane, secrétaire général du Parti justice et développement.Abdelilah Benkirane. “Je ne mendie pas la primature”
Troisième force politique du pays, le parti islamiste convoite cette fois-ci le pouvoir. Comment appréhende-t-il alors le prochain scrutin ? Quelle lecture fait-il des alliances préélectorales ? Quelles sont les positions du parti au sujet du M20, des rapports avec la monarchie et des libertés individuelles ? Synthèse de deux heures d’échange avec Abdelilah Benkirane.
Elections : “Si on boycotte, je ne sais pas ce qui va se passer”
Troisième force politique du pays, le parti islamiste convoite cette fois-ci le pouvoir. Comment appréhende-t-il alors le prochain scrutin ? Quelle lecture fait-il des alliances préélectorales ? Quelles sont les positions du parti au sujet du M20, des rapports avec la monarchie et des libertés individuelles ? Synthèse de deux heures d’échange avec Abdelilah Benkirane.
Elections : “Si on boycotte, je ne sais pas ce qui va se passer”
“Dès nos premières réunions avec le ministère de l’Intérieur, après l’adoption de la Constitution, on leur a expliqué qu’on avait besoin d’élections qui redonneraient confiance au peuple. Et cela nécessite, par exemple, de réactualiser les listes électorales en fonction du listing des cartes d’identité nationales, d’élargir les circonscriptions pour limiter l’utilisation de l’argent dans la campagne, d’élever le seuil minimum des voix pour éviter la balkanisation de la carte politique… Mais, très vite, nous avons constaté que nous n’allions pas obtenir satisfaction. Nous avons donc soulevé la question du boycott au sein du secrétariat général du parti. Nous sommes arrivés à la conclusion que le boycott des élections n’est pas une chose simple, ni pour nous ni pour le pays. Le PJD a une responsabilité politique nationale. Si jamais aujourd’hui on boycotte, je ne sais pas ce qui va se passer. On se dirige donc vers la participation. De toute façon, nous avons été le premier parti en termes de voix récoltées, même avec les anciennes listes et l’ancien découpage qui n’étaient pas à notre avantage”.
25 novembre : “Les sondages nous donnent favoris”
“Contrairement à ce qui se dit, nous n’avons jamais demandé à Al Adl Wal Ihsane de voter pour nous et ils n’ont jamais dit qu’ils voteraient pour nous. Alors s’ils boycottent, ce n’est pas notre problème. Dans notre électorat, il y a des islamistes certes, mais pas que cela. Il y a aussi d’autres Marocains qui pensent que nous serons compétents dans la conduite des affaires du pays.
Les sondages nous donnent favoris. Sur le site Hespress, par exemple, Saâdeddine El Othmani et moi-même sommes arrivés en tête des personnalités que les internautes voient comme le futur Chef de gouvernement. Si on perd à la loyale, nous reconnaîtrons et accepterons notre défaite. Et si les Marocains ne veulent pas de nous, ce n’est pas grave. Je ne mendie pas les voix, je ne mendie pas la primature.
Le PJD n’est pas isolé. On se sent très bien comme ça. Et puis, même si on est isolé, on l’est depuis longtemps. Je n’ai pas cessé d’envoyer des messages aux partis de la Koutla, mais je ne vais pas non plus mettre aux enchères notre parti politique. Maintenant, à la suite des résultats des élections, on verra. Nos rapports avec les autres partis politiques sont très cordiaux et ils ne s’interdisent pas de gouverner avec nous si jamais on est demain aux affaires. Il y a néanmoins le cas du PAM : je ne dis pas que l’on ne gouvernera jamais avec ce parti, mais pour le prochain gouvernement il faudra qu’il compte sans nous”.
Les sondages nous donnent favoris. Sur le site Hespress, par exemple, Saâdeddine El Othmani et moi-même sommes arrivés en tête des personnalités que les internautes voient comme le futur Chef de gouvernement. Si on perd à la loyale, nous reconnaîtrons et accepterons notre défaite. Et si les Marocains ne veulent pas de nous, ce n’est pas grave. Je ne mendie pas les voix, je ne mendie pas la primature.
Le PJD n’est pas isolé. On se sent très bien comme ça. Et puis, même si on est isolé, on l’est depuis longtemps. Je n’ai pas cessé d’envoyer des messages aux partis de la Koutla, mais je ne vais pas non plus mettre aux enchères notre parti politique. Maintenant, à la suite des résultats des élections, on verra. Nos rapports avec les autres partis politiques sont très cordiaux et ils ne s’interdisent pas de gouverner avec nous si jamais on est demain aux affaires. Il y a néanmoins le cas du PAM : je ne dis pas que l’on ne gouvernera jamais avec ce parti, mais pour le prochain gouvernement il faudra qu’il compte sans nous”.
G8 :“Le retour des partis de l’administration”
“Je ne suis pas contre ces partis : s’ils veulent s’unir, ils sont libres. Mais les gens qui sont en train de concocter tout cela et qui pensent qu’ils pourront continuer comme auparavant, ils se trompent. Ce qui s’est passé ce n’est pas une réforme constitutionnelle, c’est un véritable phénomène social. Les Marocains sont sur le qui-vive, ils entendent et regardent : ou ça sera une rupture avec le passé ou ça sera les petites combines d’avant qui risquent d’ouvrir notre avenir sur l’inconnu.
Le discours du 9 mars a fait plaisir aux gens raisonnables de ce pays. Il y a eu ensuite la Constitution. Et alors qu’on s’attendait à voir les choses évoluer dans le bon sens, on a assisté au retour des pratiques du passé, via ce que, du temps de Hassan II, on appelait les partis de l’administration. Ce qu’on a lâché au niveau du texte de la Constitution, il y a des gens là-haut qui pensent que l’on peut le reproduire à travers une majorité maniable. Au départ, on voulait contrôler la scène politique à travers le Parti authenticité et modernité (PAM). Mais ce parti s’est cassé la figure après les événements de Gdeim Izik et l’arrivée du Printemps arabe. Le PAM s’est alors complètement décrédibilisé. Voyant qu’il ne marchait plus, on l’a enveloppé de trois couvertures (alliance avec RNI, MP et UC). Et le voyant toujours frissonnant, on lui a rajouté quatre nouvelles couvertures (dernière alliance avec PT, PGV, PRV, PS). Et ça ne va pas lui suffire”.
Le discours du 9 mars a fait plaisir aux gens raisonnables de ce pays. Il y a eu ensuite la Constitution. Et alors qu’on s’attendait à voir les choses évoluer dans le bon sens, on a assisté au retour des pratiques du passé, via ce que, du temps de Hassan II, on appelait les partis de l’administration. Ce qu’on a lâché au niveau du texte de la Constitution, il y a des gens là-haut qui pensent que l’on peut le reproduire à travers une majorité maniable. Au départ, on voulait contrôler la scène politique à travers le Parti authenticité et modernité (PAM). Mais ce parti s’est cassé la figure après les événements de Gdeim Izik et l’arrivée du Printemps arabe. Le PAM s’est alors complètement décrédibilisé. Voyant qu’il ne marchait plus, on l’a enveloppé de trois couvertures (alliance avec RNI, MP et UC). Et le voyant toujours frissonnant, on lui a rajouté quatre nouvelles couvertures (dernière alliance avec PT, PGV, PRV, PS). Et ça ne va pas lui suffire”.
Libertés individuelles : “Elles sont garanties par Dieu”
“Au cours des consultations pour la révision constitutionnelle, je ne me suis pas opposé aux libertés individuelles. Celles-ci sont garanties par Dieu. Au Maroc, si vous changez de religion, il n’y a personne qui vous dira pourquoi vous êtes devenu chrétien. Mais mentionner cela dans un texte comme la Constitution, ça sous-entend de plus graves conséquences. On ne joue pas avec des choses comme cela.
L’homosexualité n’est ni mon affaire ni celle de l’islam. Mais je suis contre le fait de l’afficher sur la place publique. On a le devoir de protéger cette société parce qu’il y a des enfants et des gens croyants. Si je suis chef de gouvernement, je ne donnerai jamais d’autorisation pour une association ou une réunion d’homosexuels”.
L’homosexualité n’est ni mon affaire ni celle de l’islam. Mais je suis contre le fait de l’afficher sur la place publique. On a le devoir de protéger cette société parce qu’il y a des enfants et des gens croyants. Si je suis chef de gouvernement, je ne donnerai jamais d’autorisation pour une association ou une réunion d’homosexuels”.
M20 : “Ils ne sont pas à l’origine de tout”
“Nous n’avons pas soutenu le Mouvement du 20 février car nous avons senti que la monarchie était en danger. Après la fuite de Ben Ali le 14 janvier, la chute de Moubarak le 11 février, si nous étions descendus dans la rue ce 20 février, peut-être qu’on n’aurait plus de monarchie aujourd’hui. Nous avons donc décidé de ne pas manifester. J’ai été l’un des rares leaders politiques qui ont dit qu’il faut du changement mais sans mettre la monarchie en péril non plus.
Le M20 ne doit pas prendre la grosse tête. Il a fait bouger les choses, notamment avec le discours du 9 mars, mais il n’est pas à l’origine de tout. Au Maroc, nous avons toujours eu de la contestation populaire : en 1965, en 1981, en 1990 et j’en passe. C’est peut-être pour cela que nous vivons le Printemps arabe de manière modérée”.
Le M20 ne doit pas prendre la grosse tête. Il a fait bouger les choses, notamment avec le discours du 9 mars, mais il n’est pas à l’origine de tout. Au Maroc, nous avons toujours eu de la contestation populaire : en 1965, en 1981, en 1990 et j’en passe. C’est peut-être pour cela que nous vivons le Printemps arabe de manière modérée”.
Monarchie : “Nous devons obéissance au roi”
“Je suis un monarchiste convaincu. Et pour cause, avec la monarchie nous sommes le Maroc que l’on connaît aujourd’hui, sans la monarchie je ne sais pas ce qu’on deviendra : un pays, plusieurs pays, la guerre civile, la pagaille, je n’en sais rien…
Quand bien même Sa Majesté n’aimerait pas les islamistes comme l’a révélé Wikileaks – chose que je ne crois pas -, que voulez-vous que j’y fasse ? Nous sommes là et nous continuerons notre chemin. De plus, nous sommes certains que plus il nous connaîtra, plus il nous appréciera. Notre relation n’est pas basée sur l’amour, elle est basée sur du législatif : c’est le chef de l’Etat et nous lui devons obéissance. D’ailleurs, un Premier ministre qui va tenir tête au roi ne risque pas de réussir.
La Constitution donne à Sa Majesté le droit de nommer n’importe qui du PJD comme Chef du gouvernement, au cas où nous gagnons les élections. ça ne me dérangerait pas s’il ne me désignait pas personnellement. Néanmoins, nous aussi gardons notre droit d’accepter ou de refuser son choix”.
Comme si vous y étiez“Je suis un monarchiste convaincu. Et pour cause, avec la monarchie nous sommes le Maroc que l’on connaît aujourd’hui, sans la monarchie je ne sais pas ce qu’on deviendra : un pays, plusieurs pays, la guerre civile, la pagaille, je n’en sais rien…
Quand bien même Sa Majesté n’aimerait pas les islamistes comme l’a révélé Wikileaks – chose que je ne crois pas -, que voulez-vous que j’y fasse ? Nous sommes là et nous continuerons notre chemin. De plus, nous sommes certains que plus il nous connaîtra, plus il nous appréciera. Notre relation n’est pas basée sur l’amour, elle est basée sur du législatif : c’est le chef de l’Etat et nous lui devons obéissance. D’ailleurs, un Premier ministre qui va tenir tête au roi ne risque pas de réussir.
La Constitution donne à Sa Majesté le droit de nommer n’importe qui du PJD comme Chef du gouvernement, au cas où nous gagnons les élections. ça ne me dérangerait pas s’il ne me désignait pas personnellement. Néanmoins, nous aussi gardons notre droit d’accepter ou de refuser son choix”.
Arrivé pile à l’heure, le Pjdiste en chef demande une salle de prière. Pas de soucis, l’indice de la Bourse de Casablanca (qui abrite l’événement) sait aussi pointer en direction de La Mecque. Trois rakaât plus tard, Abdelilah Benkirane est prêt à affronter un public auquel il n’est pas habitué. Son auditoire du jour est surtout composé de cadres moyens ou supérieurs et de quelques chefs d’entreprises… Bref, un public plutôt moderniste, une cible qui cadre avec la nouvelle stratégie de son parti cherchant à rassurer toutes les couches de Marocains en âge de voter. Lui-même l’avoue : “Je suis content de me retrouver à la Bourse, un lieu où je n’étais pas le bienvenu il y a quelque temps”, lance-t-il. Bon tribun, véritable showman, le leader islamiste (dans un français correct) captivera la salle par un discours bien rodé, sincère mais quelque peu populiste. Les références à Dieu, au Coran et au Prophète ponctuent d’ailleurs régulièrement ses longues démonstrations. Elles sont nettement plus fréquentes que les références au poste qu’il convoite : “Si je suis Chef du gouvernement”, la phrase est revenue six fois dans ses propos. Une mentalité de winner à respecter.Telquel
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