Salam
J'ai cet inteview du Salem Chaker ,, qui est professeur de langue et de civilisation berbères à l’INALCO ,,, à Paris,,, Salem Chaker dans cet interview retrace l’histoire de la Kabylie, jalonnée de révoltes contre l’occupant, puis contre le pouvoir central d'aujourd'hui ,,
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D’où vient la réputation qu’a la Kabylie d’être une région frondeuse ?
De son histoire, ancienne et récente. Tout le passé de la Kabylie est fait d’affrontements avec le pouvoir cen-tral. Cela fût déjà le cas au début du XVIe siècle, après l’installation à Alger de l’empire ottoman, puis au 19ème siècle au moment de la conquête française. C’est l’une des régions qui a résisté le plus longtemps - elle a été conquise en 1857, alors qu’Alger l’était en 1830. Sa pacification, ponctuées de plusieurs révoltes dont la plus importante en 1871, a été des plus difficiles, laborieusement acquise. Les Kabyles ont ensuite joué un rôle clé dans l’émergence du mouvement national algérien.
Furent-ils le fer de lance de la lutte pour l’indépendance ?
Oui, aussi bien sur le plan politique que sur le plan militaire. Dès la fin des années 1920, lorsque naît le mouvement nationaliste, une majorité de ses cadres sont des Kabyles. Il en sera de même au moment de la création du Front national de libération (FLN), en 1954. Pendant toute la guerre d’Algérie, la Kabylie joue, sur le plan militaire, un rôle qui dépasse largement son poids démographique. Il y a donc bien une pérennité dans ce qui est une sorte de culture de la résistance. C’est d’ailleurs là une caractéristique commune à l’ensemble du monde berbère, qui tient sans doute autant à l’histoire de l’Afrique du nord qu’à la géographie de ces régions montagneuses.
Dès 1963, le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït-Ahmed conteste l’autorité du nouveau pouvoir. Peut-on dire de cet épisode qu’il a été la première guerre civile après l’indépendance ?
Je pense que oui, même si c’est un événement qui est resté circonscrit à la Kabylie. Il faut en tous cas souli-gner qu’un an seulement après l’indépendance, la Kabylie se retrouve déjà en conflit ouvert avec le pouvoir qui est installé à Alger. Ce que conteste alors Aït Ahmed c’est l’absence de démocratie, le système du parti unique, et la place faite à l’armée des frontières au détriment des maquisards de l’intérieur.
Il ne s’agit donc pas, à cette époque là, d’une revendication identitaire ?
Explicitement non. Mais le fait que cette révolte ne concerne que la Kabylie est quand même très sympto-matique. En outre, plusieurs des lieutenants d’Aït-Ahmed étaient des berbéristes affirmés.
Il faut en fait attendre 1980 et le printemps berbère, pour que la revendication kabyle devienne réel-lement identitaire. Pourquoi si tard ?
Jusqu’à 1980 cette revendication culturelle ou identitaire n’est portée que par de petits groupes de militants dont beaucoup d’ailleurs sont repliés en France. Les choses avancent, mais de manière souterraine. En 1979, la création de l’université de Tizi Ouzou permet une concentration, sur place, d’intellectuels et de mi-litants. Cela a sans doute joué un rôle dans l’avènement du Printemps berbère, en 1980. Par ailleurs, 1980, c’est un an après la mort de Houari Boumediene. L’Algérie sort de dix-huit ans d’autoritarisme. C’est une époque charnière qui suscite beaucoup d’espoir. On espère que les choses vont bouger. Il y a un contexte favorable à l’émergence de nouveaux mouvements.
Et qu’est-ce qui fait que la révolte de 2001 est au contraire beaucoup moins identitaire que celle de 1980 ? Même si la contestation est une fois de plus circonscrite à la Kabylie, ses mots d’ordre expriment une insatisfaction générale, un ras-le-bol...
Cela tient, je crois, à la détérioration de la situation économique et sociale. Pendant toute la période Boume-diene l’Etat algérien, qui avait des moyens considérables, a pu redistribuer une partie de la rente pétrolière. Le pays s’est installé dans la crise économique à partir des années 80. Les conditions de vie se sont alors dégradées partout, mais cette dégradation a sans doute été plus sensible encore en Kabylie. C’est une région rurale qui cumule un très fort accroissement de la population et un très petit nombre d’emplois. La crise a rendu de plus en plus difficile l’émigration des demandeurs d’emplois vers les grandes villes algériennes, déjà surpeuplées, tandis qu’au même moment la France et les pays européens, terres d’accueil traditionnel-les, fermaient leurs frontières.
On a aussi vu, en 2001, des manifestations de défiance à l’égard des partis à forte implantation ka-byle, comme le RCD (Rassemblement culturel pour la démocratie) ou le FFS...
Oui, parce que, du point de vue de la population, leurs stratégies - tout à fait différentes, au demeurant, puis-qu’il s’agit d’une stratégie de collaboration pour le RCD et d’opposition pour le FFS - n’ont rien donné. Ils n’ont pas été capables de présenter une perspective crédible. Ils ont déçu, et cela d’autant plus qu’ils ont consacré une grande partie de leur énergie à se combattre mutuellement, chacun des deux prétendant à l’hégémonie sur la Kabylie.
Que représentent les arouch ?
Ils ont été représentatifs sans doute pendant une année, ou un peu plus, après les évènements de 2001. Il y a périodiquement comme cela en Kabylie des mouvements de masse, des réactions spontanées qui peuvent être extrêmement vives, mais qui ne sécrète pas de véritable stratégie sur la durée. Il suffit alors à l’Etat d’être patient pour récupérer, neutraliser, infiltrer, en jouant sur la lassitude. C’est dans cette réalité que s’inscrit l’expérience des arouch. On y retrouve cette espèce d’inachèvement et d’immaturité politique qui caractérise la Kabylie. C’est une région qui génère de manière cyclique de grands mouvements de contesta-tion, sans que ceux ci parviennent à un degré de maturation politique qui leur permette de s’inscrire dans la durée. Peut-être parce qu’il y a une culture d’opposition, voire de victimisation, mais pas de culture de pro-jet.
Propos recueillis par Dominique Lagarde
Interview parue dans l’édition du 24 novembre 2005 de l’hebdomadaire "L’Express"
J'ai cet inteview du Salem Chaker ,, qui est professeur de langue et de civilisation berbères à l’INALCO ,,, à Paris,,, Salem Chaker dans cet interview retrace l’histoire de la Kabylie, jalonnée de révoltes contre l’occupant, puis contre le pouvoir central d'aujourd'hui ,,
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D’où vient la réputation qu’a la Kabylie d’être une région frondeuse ?
De son histoire, ancienne et récente. Tout le passé de la Kabylie est fait d’affrontements avec le pouvoir cen-tral. Cela fût déjà le cas au début du XVIe siècle, après l’installation à Alger de l’empire ottoman, puis au 19ème siècle au moment de la conquête française. C’est l’une des régions qui a résisté le plus longtemps - elle a été conquise en 1857, alors qu’Alger l’était en 1830. Sa pacification, ponctuées de plusieurs révoltes dont la plus importante en 1871, a été des plus difficiles, laborieusement acquise. Les Kabyles ont ensuite joué un rôle clé dans l’émergence du mouvement national algérien.
Furent-ils le fer de lance de la lutte pour l’indépendance ?
Oui, aussi bien sur le plan politique que sur le plan militaire. Dès la fin des années 1920, lorsque naît le mouvement nationaliste, une majorité de ses cadres sont des Kabyles. Il en sera de même au moment de la création du Front national de libération (FLN), en 1954. Pendant toute la guerre d’Algérie, la Kabylie joue, sur le plan militaire, un rôle qui dépasse largement son poids démographique. Il y a donc bien une pérennité dans ce qui est une sorte de culture de la résistance. C’est d’ailleurs là une caractéristique commune à l’ensemble du monde berbère, qui tient sans doute autant à l’histoire de l’Afrique du nord qu’à la géographie de ces régions montagneuses.
Dès 1963, le Front des forces socialistes (FFS) de Hocine Aït-Ahmed conteste l’autorité du nouveau pouvoir. Peut-on dire de cet épisode qu’il a été la première guerre civile après l’indépendance ?
Je pense que oui, même si c’est un événement qui est resté circonscrit à la Kabylie. Il faut en tous cas souli-gner qu’un an seulement après l’indépendance, la Kabylie se retrouve déjà en conflit ouvert avec le pouvoir qui est installé à Alger. Ce que conteste alors Aït Ahmed c’est l’absence de démocratie, le système du parti unique, et la place faite à l’armée des frontières au détriment des maquisards de l’intérieur.
Il ne s’agit donc pas, à cette époque là, d’une revendication identitaire ?
Explicitement non. Mais le fait que cette révolte ne concerne que la Kabylie est quand même très sympto-matique. En outre, plusieurs des lieutenants d’Aït-Ahmed étaient des berbéristes affirmés.
Il faut en fait attendre 1980 et le printemps berbère, pour que la revendication kabyle devienne réel-lement identitaire. Pourquoi si tard ?
Jusqu’à 1980 cette revendication culturelle ou identitaire n’est portée que par de petits groupes de militants dont beaucoup d’ailleurs sont repliés en France. Les choses avancent, mais de manière souterraine. En 1979, la création de l’université de Tizi Ouzou permet une concentration, sur place, d’intellectuels et de mi-litants. Cela a sans doute joué un rôle dans l’avènement du Printemps berbère, en 1980. Par ailleurs, 1980, c’est un an après la mort de Houari Boumediene. L’Algérie sort de dix-huit ans d’autoritarisme. C’est une époque charnière qui suscite beaucoup d’espoir. On espère que les choses vont bouger. Il y a un contexte favorable à l’émergence de nouveaux mouvements.
Et qu’est-ce qui fait que la révolte de 2001 est au contraire beaucoup moins identitaire que celle de 1980 ? Même si la contestation est une fois de plus circonscrite à la Kabylie, ses mots d’ordre expriment une insatisfaction générale, un ras-le-bol...
Cela tient, je crois, à la détérioration de la situation économique et sociale. Pendant toute la période Boume-diene l’Etat algérien, qui avait des moyens considérables, a pu redistribuer une partie de la rente pétrolière. Le pays s’est installé dans la crise économique à partir des années 80. Les conditions de vie se sont alors dégradées partout, mais cette dégradation a sans doute été plus sensible encore en Kabylie. C’est une région rurale qui cumule un très fort accroissement de la population et un très petit nombre d’emplois. La crise a rendu de plus en plus difficile l’émigration des demandeurs d’emplois vers les grandes villes algériennes, déjà surpeuplées, tandis qu’au même moment la France et les pays européens, terres d’accueil traditionnel-les, fermaient leurs frontières.
On a aussi vu, en 2001, des manifestations de défiance à l’égard des partis à forte implantation ka-byle, comme le RCD (Rassemblement culturel pour la démocratie) ou le FFS...
Oui, parce que, du point de vue de la population, leurs stratégies - tout à fait différentes, au demeurant, puis-qu’il s’agit d’une stratégie de collaboration pour le RCD et d’opposition pour le FFS - n’ont rien donné. Ils n’ont pas été capables de présenter une perspective crédible. Ils ont déçu, et cela d’autant plus qu’ils ont consacré une grande partie de leur énergie à se combattre mutuellement, chacun des deux prétendant à l’hégémonie sur la Kabylie.
Que représentent les arouch ?
Ils ont été représentatifs sans doute pendant une année, ou un peu plus, après les évènements de 2001. Il y a périodiquement comme cela en Kabylie des mouvements de masse, des réactions spontanées qui peuvent être extrêmement vives, mais qui ne sécrète pas de véritable stratégie sur la durée. Il suffit alors à l’Etat d’être patient pour récupérer, neutraliser, infiltrer, en jouant sur la lassitude. C’est dans cette réalité que s’inscrit l’expérience des arouch. On y retrouve cette espèce d’inachèvement et d’immaturité politique qui caractérise la Kabylie. C’est une région qui génère de manière cyclique de grands mouvements de contesta-tion, sans que ceux ci parviennent à un degré de maturation politique qui leur permette de s’inscrire dans la durée. Peut-être parce qu’il y a une culture d’opposition, voire de victimisation, mais pas de culture de pro-jet.
Propos recueillis par Dominique Lagarde
Interview parue dans l’édition du 24 novembre 2005 de l’hebdomadaire "L’Express"
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