Ce mauvais procès que l’on vous fait
Mon général,
Il a fallu que des amis m’appellent pour m’apprendre que vous m’avez cité dans une interview que vous avez accordée au quotidien Le Soir d’Algérie, publiée dans son édition du 16 novembre 2011. Pour ne rien vous cacher, j’ai été très surpris, ne sachant pas de quoi il s’agissait. Surtout que je n’ai jamais eu l’honneur de vous connaître personnellement, ni même de vous avoir rencontré à quelque occasion que ce fût. Après lecture de ladite interview, je me suis rendu compte que vous ne faisiez que citer un passage d’un article que j’ai écrit le 4 juillet 1992 dans le quotidien La Nation et dans lequel je saluais une initiative de l’Armée et votre initiative propre, en tant que son premier responsable. Vous tentiez alors un dialogue politiquement improbable mais tactiquement utile. Il faut préciser, à ce propos, que le quotidien La Nation, dont j’étais rédacteur en chef, a été investi, précisément un jour de juillet 1992, par les forces de sécurité, qui ont fermé le local du journal et l’ont mis sous scellé. Ce n’est que plusieurs mois plus tard que le titre a réapparu sous forme d’hebdomadaire, avec une nouvelle équipe, dont je n’ai pas fait partie.
Cette précision apportée, je voudrais vous rassurer, mon général, sur au moins un point : j’assume totalement mes propos du 4 juillet 1992 que vous avez eu la gentillesse de rappeler à la mémoire publique – hélas ! – quelque peu amnésique. De quoi s’agissait‑il donc ? Pour ma part, je me posais une question simple, qui résumait, à mon sens, tout l’enjeu : l’Algérie avait‑elle vocation à devenir une théocratie moyenâgeuse ? Assurément, non ! Dès lors, tout ce qui contribuait à faire échec à ce projet néfaste ne pouvait qu’avoir mon assentiment. Qu’on se rappelle simplement qu’à l’époque, des capitulards se sont autoproclamés « Réconciliateurs », jetant l’anathème sur les authentiques résistants qualifiés d’« Eradicateurs ». La ligne de fracture entre les camps en présence était nette et sans bavure. L’ANP, principale institution et dernier rempart du pays, s’est dressée contre le projet intégriste. Comment, dès lors, ne pas saluer cette même ANP et ne pas la soutenir dans cette action de salut public ? Et, à travers elle, son principal responsable de l’époque ? Rappelons‑nous que les citoyens de Kabylie d’abord, ceux d’autres régions ensuite, se sont élevés comme un seul homme et se sont organisés en comités, au risque de leur vie, pour veiller à l’intégrité de leurs villages, d’abord, et contribuer au salut de leur pays, ensuite. Force est de constater que, près de vingt ans après, ils ne sont pas payés de retour. Au contraire, ce sont ceux-là mêmes qui ont assassiné les meilleurs des Algériens et des Algériennes, qui n’ont épargné ni vieillards ni femmes ni enfants, qui ont abattu des intellectuels et égorgé des bergers, et qui ont entrepris la destruction systématique de tout ce qui pouvait symboliser l’Algérie moderne, qui ont obtenu l’incompréhensible reconnaissance de l’État.
Mon général,
Vous ne l’ignorez sans doute pas, lorsque j’ai écrit l’article que vous citiez si opportunément, j’étais l’un des 25 élus du FFS à l’issue du premier tour des législatives de décembre 1991. En choisissant de me citer parmi des dizaines d’autres confrères autrement plus doués et sans doute plus dithyrambiques que moi à votre égard, vous avez ciblé juste. Sans mauvais jeu de mots, c’est de bonne guerre. Au sein de mon parti, à l’époque, j’étais l’un des rares à me démarquer de la ligne officielle et à être favorable à l’arrêt du processus électoral. Je l’ai assumé et je l’assume encore. Il m’a fallu un temps pour rompre avec le FFS, parce que je ne désespérais pas de voir mon parti réviser sa stratégie. Celle‑là même qui a amené M. Aït Ahmed à porter la chéchia de Djaballah à Rome, en présence d’Anouar Haddam – qui se félicitait du sanglant attentat du boulevard Amirouche – dans le cadre d’une tragi‑comédie organisée par l’association catholique Sant’ Egidio, devant les télévisions du monde entier et en présence de personnalités politiques aujourd’hui au premier rang dans les institutions nationales. M. Belkhadem, qui ne s’est toujours pas expliqué sur ses accointances douteuses avec les services iraniens au moment où l’Algérie a failli sombrer dans une conspiration mortelle, et Louisa Hanoune, qui ne sait décidément plus sur quelle idéologie surfer, étaient là. Tous les deux, à des titres différents, sont dans les bonnes grâces des centres de décision le long de cette dernière décennie.
C’est cet épisode malheureux qui m’a convaincu de quitter le FFS, par un 20 août 1995, le cœur en peine, parce que j’y compte encore beaucoup d’amis. Cela ne vous donne pas pour autant le droit, mon général, d’accuser M. Hocine Aït Ahmed d’être responsable des violences qui ont endeuillé des milliers de familles algériennes. Vous et moi, et beaucoup d’autres avec nous, avons le droit de déplorer l’attitude et les positions de celui qui reste l’un des héros authentiques de la révolution ; en ce qui me concerne, je me suis donné celui de m’en démarquer. Mais, à aucun moment, pas plus hier qu’aujourd’hui, je ne cautionnerai quiconque lui ferait porter une responsabilité qui n’est en rien la sienne. Je saisis d’ailleurs cette occasion pour m’interroger, comme l’ont fait d’autres avant moi, sur les raisons qui ont fait que les martyrs du FFS de 1963, tombés pour la démocratie après avoir combattu pour l’indépendance, n’ont jamais été réhabilités, alors que des assassins et leurs commanditaires, qui ont détruit et égorgé au nom d’une conception de l’islam étrangère à notre société, bénéficient des égards de la République Algérienne Démocratique et Populaire.
(...)
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