Tunisie « On est moderne, tolérant et on a voté Ennahda. Où est le problème ? »
« S’ils ne nous conviennent pas, nous leur diront dégage, comme on a dit dégage à Ben Ali. »
mercredi 23 novembre 2011 / par Dounia Ben Mohamed
Le 23 octobre dernier, les Tunisiens ont voté, à 40%, pour le parti Ennahda. Un parti qui se revendique des valeurs de l’islam, au départ qualifié de conservateur mais que les années d’exil auraient fait évoluer vers une tendance plus modérée. Un choix qui suscite peurs et inquiétudes à l’intérieur comme à l’extérieur. Au-delà des polémiques, il est apparu plus pertinent à Afrik.com de donner la parole à ces hommes et ces femmes qui ont donné leurs voix à Ennahda. Quelles sont leurs raisons ? Qu’attendent-ils de ce parti ? De quelle Tunisie rêvent-t-ils ? Reportage à Tunis. Par Dounia Ben Mohamed.
Mercredi soir, Sidi Bousaïd. Quartier réputé de la banlieue de Tunis pour ses maisons blanches et bleues. Le café du Jasmin. « C’était l’Eden café avant. Un café réquisitionné par les Trabelsi. » Depuis la révolution, il a changé de main et de nom par la même occasion. Une bande d’ami, la trentaine en moyenne, se retrouve comme à leur habitude autour d’un verre de thé et d’un narguilé après le boulot. La conversation est essentiellement tournée vers les élections. Les résultats définitifs viennent d’être annoncés, confirmant le succès d’Ennahda. Un succès légitime pour Anis, 30 ans, commercial. « J’ai voté Ennahda pour leur programme social... Même si, au moment de déposer le bulletin dans l’urne je n’étais pas convaincu à 100%, concède-t-il. Ils vont nous permettre de revenir à nos fondements, l’islam. La Tunisie s’était trop éloignée de ses valeurs arabo-musulmanes à cause de Ben Ali. Ils vont moraliser la société tunisienne. »
C’est bien pour son caractère islamique que Ennahda a été choisie par une majorité de Tunisiens. Ce qui n’a pas été sans alimenter craintes et polémiques au-delà des frontières nationales.« C’est le choix des Tunisiens, rappelle Zineb, sa jeune épouse, employée dans une compagnie étrangère. Et c’est cela la démocratie : le peuple a choisi ses représentants et tout le monde doit l’accepter. » Allusion aux manifestations d’organisations laïques au lendemain du verdict des urnes. « Ces femmes (les Femmes démocrates) ne respectent pas le choix du peuple. Elles ne respectent rien. Elles sont allées trop loin. » Comme d’autres selon la jeune femme. « Un parti a même voulu autorité le mariage des homosexuels ! Mais où va-t-on ? Même en France, ce type de mariage n’est pas autorisé. Nous sommes un pays arabo-musulman. C’est notre identité, notre force. Nous ne devons pas l’oublier. » Et de revenir sur le régime de Ben Ali responsable à leurs yeux de la perte de l’identité de la nation tunisienne. « Cela vous plaît de voir comment la Tunisie a évolué ? Les femmes n’avaient pas le droit d’être voilée, les hommes de fréquenter les mosquées, on ne pouvait pas vivre notre islam librement », poursuit Zineb, non voilée par ailleurs.
« Il y a des choses auxquels on ne doit pas toucher, insiste Anis, l’article 1 de la Constitution qui dit que nous sommes dans un pays dont la religion est l’islam. L’héritage aussi. C’est l’un des sujets qui est le plus réglementé en islam, il est présent dans plusieurs sourates. Comment on peut venir et vouloir changer cela. » « On », des partis de gauche qui ont souhaité introduire dans le droit tunisien l’égalité des sexes en matière d’héritage alors que selon la loi coranique la part d’héritage revenant à la femme est deux fois moindre que celle de l’homme. « On n’a pas le droit de revenir sur cela, poursuit Zineb. C’est légitime. » Ceci étant, le jeune couple se veut rassurant quant à l’avenir de la Tunisie. « Ennahda ne va pas instaurer la Charia, temporise Zineb. Il faut comprendre quelque chose : Nous les Tunisiens, nous sommes de bons vivants. On aime travailler, sortir nous amuser et aussi on aime notre religion, l’islam. Cela ne va pas changer. On ne va pas virer à 180° pour aller vers un régime islamiste autoritaire. On est moderne, tolérant et on a voté Ennahda. Où est le problème ? » Et d’ajouter : « La révolution nous a plu, c’est vrai, nous avons obtenu notre liberté, mais au bout d’un moment on en a eu marre, on voulait reprendre une vie normale, travailler, sortir, voir nos amis. En finir avec l’insécurité, les manifestations, les troubles… » Une normalisation et une sécurité que le parti d’Ennahda serait seul à pouvoir garantir. « C’est un parti organisé, avec des personnalités compétentes. Ils vont remettre de l’ordre dans la société tunisienne et s’ils ne le font pas, il nous restera la rue. Car le peuple tunisien, même s’il a voté Ennahda, reste vigilant. S’ils ne répondent pas à nos attentes, le 14 janvier 2012 (l’anniversaire du départ de Ben Ali) il y aura un raz-de-marée humain dans les rues de Tunisie », promet-il. Des propos que l’on entend très souvent ces derniers jours dans les rues de Tunis. « S’ils ne nous conviennent pas, nous leur diront dégage, comme on a dit dégage à Ben Ali. »
Moncef est plus optimiste. Ce fonctionnaire de 42 ans a toujours été un militant d’Ennahda. « J’étais déjà un militant de ce parti alors qu’il portait un autre nom, Al Ittijah Al Islami quand j’étais étudiant, rappelle-t-il. Encore aujourd’hui. En Tunisie, déjà avant Ben Ali, avec Bourguiba, il y avait deux tendances, les nationalistes laïques et les islamistes. Le pays a fait les mauvais choix. On s’est éloigné de nos fondements. Même dans notre politique, nous sommes dans l’erreur. » Aussi pour lui, voter pour ce parti était une évidence. « Il n’y avait pas d’autres choix possible. Ils ont compris que les solutions aux problèmes de la société sont à trouver dans l’islam. » L’absence des dirigeants du parti, en exil ou en prison, pendant près de tente ans, ne semble pas l’avoir coupé de ses sympathisants comme le prouve Moncef. « Ennahda n’a jamais disparu. Ils n’avaient pas besoin d’être présents physiquement, leur discours était toujours là. La preuve en est, même si la plupart de ses cadres étaient en exil, ou en prison, leur esprit est toujours présent. Nous avons continué à entretenir des liens avec des militants en exil ou à leur sortie de prison. Ce que j’ai beaucoup apprécié chez eux c’est qu’à leur retour, ils n’ont pas cherché à appliquer la loi de la vengeance contre ceux qui les ont maltraité. »
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« S’ils ne nous conviennent pas, nous leur diront dégage, comme on a dit dégage à Ben Ali. »
mercredi 23 novembre 2011 / par Dounia Ben Mohamed
Le 23 octobre dernier, les Tunisiens ont voté, à 40%, pour le parti Ennahda. Un parti qui se revendique des valeurs de l’islam, au départ qualifié de conservateur mais que les années d’exil auraient fait évoluer vers une tendance plus modérée. Un choix qui suscite peurs et inquiétudes à l’intérieur comme à l’extérieur. Au-delà des polémiques, il est apparu plus pertinent à Afrik.com de donner la parole à ces hommes et ces femmes qui ont donné leurs voix à Ennahda. Quelles sont leurs raisons ? Qu’attendent-ils de ce parti ? De quelle Tunisie rêvent-t-ils ? Reportage à Tunis. Par Dounia Ben Mohamed.
Mercredi soir, Sidi Bousaïd. Quartier réputé de la banlieue de Tunis pour ses maisons blanches et bleues. Le café du Jasmin. « C’était l’Eden café avant. Un café réquisitionné par les Trabelsi. » Depuis la révolution, il a changé de main et de nom par la même occasion. Une bande d’ami, la trentaine en moyenne, se retrouve comme à leur habitude autour d’un verre de thé et d’un narguilé après le boulot. La conversation est essentiellement tournée vers les élections. Les résultats définitifs viennent d’être annoncés, confirmant le succès d’Ennahda. Un succès légitime pour Anis, 30 ans, commercial. « J’ai voté Ennahda pour leur programme social... Même si, au moment de déposer le bulletin dans l’urne je n’étais pas convaincu à 100%, concède-t-il. Ils vont nous permettre de revenir à nos fondements, l’islam. La Tunisie s’était trop éloignée de ses valeurs arabo-musulmanes à cause de Ben Ali. Ils vont moraliser la société tunisienne. »
C’est bien pour son caractère islamique que Ennahda a été choisie par une majorité de Tunisiens. Ce qui n’a pas été sans alimenter craintes et polémiques au-delà des frontières nationales.« C’est le choix des Tunisiens, rappelle Zineb, sa jeune épouse, employée dans une compagnie étrangère. Et c’est cela la démocratie : le peuple a choisi ses représentants et tout le monde doit l’accepter. » Allusion aux manifestations d’organisations laïques au lendemain du verdict des urnes. « Ces femmes (les Femmes démocrates) ne respectent pas le choix du peuple. Elles ne respectent rien. Elles sont allées trop loin. » Comme d’autres selon la jeune femme. « Un parti a même voulu autorité le mariage des homosexuels ! Mais où va-t-on ? Même en France, ce type de mariage n’est pas autorisé. Nous sommes un pays arabo-musulman. C’est notre identité, notre force. Nous ne devons pas l’oublier. » Et de revenir sur le régime de Ben Ali responsable à leurs yeux de la perte de l’identité de la nation tunisienne. « Cela vous plaît de voir comment la Tunisie a évolué ? Les femmes n’avaient pas le droit d’être voilée, les hommes de fréquenter les mosquées, on ne pouvait pas vivre notre islam librement », poursuit Zineb, non voilée par ailleurs.
« Il y a des choses auxquels on ne doit pas toucher, insiste Anis, l’article 1 de la Constitution qui dit que nous sommes dans un pays dont la religion est l’islam. L’héritage aussi. C’est l’un des sujets qui est le plus réglementé en islam, il est présent dans plusieurs sourates. Comment on peut venir et vouloir changer cela. » « On », des partis de gauche qui ont souhaité introduire dans le droit tunisien l’égalité des sexes en matière d’héritage alors que selon la loi coranique la part d’héritage revenant à la femme est deux fois moindre que celle de l’homme. « On n’a pas le droit de revenir sur cela, poursuit Zineb. C’est légitime. » Ceci étant, le jeune couple se veut rassurant quant à l’avenir de la Tunisie. « Ennahda ne va pas instaurer la Charia, temporise Zineb. Il faut comprendre quelque chose : Nous les Tunisiens, nous sommes de bons vivants. On aime travailler, sortir nous amuser et aussi on aime notre religion, l’islam. Cela ne va pas changer. On ne va pas virer à 180° pour aller vers un régime islamiste autoritaire. On est moderne, tolérant et on a voté Ennahda. Où est le problème ? » Et d’ajouter : « La révolution nous a plu, c’est vrai, nous avons obtenu notre liberté, mais au bout d’un moment on en a eu marre, on voulait reprendre une vie normale, travailler, sortir, voir nos amis. En finir avec l’insécurité, les manifestations, les troubles… » Une normalisation et une sécurité que le parti d’Ennahda serait seul à pouvoir garantir. « C’est un parti organisé, avec des personnalités compétentes. Ils vont remettre de l’ordre dans la société tunisienne et s’ils ne le font pas, il nous restera la rue. Car le peuple tunisien, même s’il a voté Ennahda, reste vigilant. S’ils ne répondent pas à nos attentes, le 14 janvier 2012 (l’anniversaire du départ de Ben Ali) il y aura un raz-de-marée humain dans les rues de Tunisie », promet-il. Des propos que l’on entend très souvent ces derniers jours dans les rues de Tunis. « S’ils ne nous conviennent pas, nous leur diront dégage, comme on a dit dégage à Ben Ali. »
Moncef est plus optimiste. Ce fonctionnaire de 42 ans a toujours été un militant d’Ennahda. « J’étais déjà un militant de ce parti alors qu’il portait un autre nom, Al Ittijah Al Islami quand j’étais étudiant, rappelle-t-il. Encore aujourd’hui. En Tunisie, déjà avant Ben Ali, avec Bourguiba, il y avait deux tendances, les nationalistes laïques et les islamistes. Le pays a fait les mauvais choix. On s’est éloigné de nos fondements. Même dans notre politique, nous sommes dans l’erreur. » Aussi pour lui, voter pour ce parti était une évidence. « Il n’y avait pas d’autres choix possible. Ils ont compris que les solutions aux problèmes de la société sont à trouver dans l’islam. » L’absence des dirigeants du parti, en exil ou en prison, pendant près de tente ans, ne semble pas l’avoir coupé de ses sympathisants comme le prouve Moncef. « Ennahda n’a jamais disparu. Ils n’avaient pas besoin d’être présents physiquement, leur discours était toujours là. La preuve en est, même si la plupart de ses cadres étaient en exil, ou en prison, leur esprit est toujours présent. Nous avons continué à entretenir des liens avec des militants en exil ou à leur sortie de prison. Ce que j’ai beaucoup apprécié chez eux c’est qu’à leur retour, ils n’ont pas cherché à appliquer la loi de la vengeance contre ceux qui les ont maltraité. »
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