Les Etats du Golfe investissent dans des projets révolutionnaires pour renforcer leur domaine scientifique. Mais selon ce reportage de Waleed Al Shobakky, les résultats ne sont pas garantis.
Farouk El-Baz est régulièrement confronté aux deux visages qu’offrent les pays du Golfe. Un jour, ce géologue égypto-américain scrute, depuis son bureau de Boston, des photos satellite détaillées de la péninsule arabique. Le lendemain, il poursuit son travail de géologue sur le terrain – ou dans le cadre de ses fonctions de conseiller scientifique - en se rendant au Qatar, en ’Arabie saoudite ou dans les Emirats arabes unis.
En effet, El-Baz, Directeur du Centre de télédétection de l’Université de Boston, aux Etats-Unis, est le conseiller scientifique des Etats du Golfe depuis plus de trente ans, et a participé à la plupart des projets de recherche scientifique dans la région.
A ce jour, ces projets n’ont, pour la majorité d’entre eux, pas atteint leurs objectifs. « La recherche scientifique dans cette région est dans un piètre état, » selon El-Baz.
Mais les choses évolueraient, grâce aux pétrodollars investis par les Etats du Golfe dans de nouveaux projets.
Des différences profondes
Des projets de recherche scientifique ont été initiés dans les pays du Golfe au milieu des années 70 et au début des années 80 avec la première manne pétrolière.
Toutefois, quand on compare les fonds accumulés par les Etats du Golfe au fil des ans avec l’évolution de leurs infrastructures de recherche et de formation, on peut constater des écarts immenses.
Au mois de juin dernier, The Economist a divulgué le montant des bénéfices enregistrés par les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe, à savoir Bahreïn, le Koweit, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis – qui ont réalisé à eux six US$ 1,5 trillion de bénéfices sur les exportations pétrolières au cours de la période 2002-2006, soit le double des exportations des cinq années précédentes.
El-Baz qualifie cette situation de regrettable. « Plusieurs décennies perdues et des dizaines de milliards de dollars gaspillés, » ajoute-t-il.
Toutefois, au cours des années récentes, une évolution significative de la situation, sinon radicale, a été observée.
Des institutions dotées de plusieurs milliards de dollars ont été ou sont sur le point d’être créées, des projets expérimentaux ont été initiés, pour tenter de développer la recherche scientifique locale en misant sur les succès scientifiques des universités étrangères. Cette réflexion a conduit les pays du Golfe à adopter des stratégies variées. Elles semblent toutes novatrices, mais personne ne sait laquelle aura le plus de succès à long terme.
"Tous ces projets ne seront pas des réussites," déclare El-Baz, dont la bonne connaissance de cette région contraint à se montrer prudent. "Mais ce nouvel enthousiasme de ces pays pour la recherche scientifique est réconfortant."
Les expériences du Royaume
Après plusieurs tentatives infructueuses au cours des années 70 pour attirer les scientifiques, le Royaume d’Arabie saoudite a mis en place un système peu conventionnel.
Dans le cadre de la nouvelle Université des Sciences et Technologies Roi Abdallah (KAUST), institution de troisième cycle – et première institution saoudienne de co-éducation – qui ouvrira sur les bords de la Mer rouge en 2009, le Royaume projette de soutenir financièrement les chercheurs étrangers dans leurs institutions de par le monde.
La KAUST soutiendra financièrement des étudiants étrangers de troisième cycle, des boursiers en post-doctorat et des professeurs dans les institutions qui les emploient, en leur accordant des bourses et des prix, se dotera d’une faculté et recrutera des étudiants en résidence. Lorsque l’Université sera totalement opérationnelle, son effectif devrait atteindre 10 000 personnes.
L’originalité du projet réside dans l’attribution, du moins dans un premier temps, de subventions aux domaines de recherche qui présentent un intérêt pour l’Arabie saoudite, à savoir les procédés de séquestration du carbone et des carburants riches en hydrogène, le dessalement de l’eau, les biotechnologies alimentaires, la nutrition et la santé publique, les mathématiques appliquées et les sciences informatiques.
Dans son allocution lors de la cérémonie d’inauguration des travaux de cette université, au mois d’octobre dernier, Nadhmi Al-Nasr, président par intérim de la KAUST, a qualifié cette stratégie de ‘’nouveau modèle opérationnel”.
Cependant, malgré son caractère original, force est de constater que cette stratégie est risquée.
Les bourses de recherche accordées par la KAUST n’imposent pour ainsi dire aucune obligation aux chercheurs bénéficiaires. En échange de bourses s’élevant parfois à US$ 5 millions, ils n’ont l’obligation de se rendre en Arabie saoudite que deux fois par an pour participer à des ateliers et rendre compte à leurs sponsors de l’état d’avancement de leurs travaux.
Si ce programme permet d’espérer une facilitation accrue des transferts de connaissances vers le Royaume, les résultats ne semblent pas garantis.
"Il s’agit à n’en point douter d’une stratégie risquée. Et il est très difficile de dire si cette idée est géniale, ou folle” déclare Peter Lee, chef du département informatique de la Carnegie Mellon University aux Etats-Unis (CMU), l’une des universités avec lesquelles la KAUST est en pourparlers de partenariat.
Lee, qui a pris part à la première rencontre entre la KAUST et la Carnegie Mellon au printemps dernier, ajoute que le sort de cette stratégie dépendra de deux facteurs : la qualité des participants au programme au cours des premières années, et « la volonté des chercheurs du monde d’aider la KAUST à se développer ».
L’idée de nouer des partenariats avec l’Arabie saoudite suscite quelques doutes chez des collègues de la CMU, déclare Lee. D’après lui, « l’image du Royaume est très négative, surtout aux Etats-Unis. » L’important n’est pas que cette image soit justifiée ou non. Elle existe. Et c’est un autre obstacle qu’il sera difficile pour la KAUST de franchir."
La suite...
Farouk El-Baz est régulièrement confronté aux deux visages qu’offrent les pays du Golfe. Un jour, ce géologue égypto-américain scrute, depuis son bureau de Boston, des photos satellite détaillées de la péninsule arabique. Le lendemain, il poursuit son travail de géologue sur le terrain – ou dans le cadre de ses fonctions de conseiller scientifique - en se rendant au Qatar, en ’Arabie saoudite ou dans les Emirats arabes unis.
En effet, El-Baz, Directeur du Centre de télédétection de l’Université de Boston, aux Etats-Unis, est le conseiller scientifique des Etats du Golfe depuis plus de trente ans, et a participé à la plupart des projets de recherche scientifique dans la région.
A ce jour, ces projets n’ont, pour la majorité d’entre eux, pas atteint leurs objectifs. « La recherche scientifique dans cette région est dans un piètre état, » selon El-Baz.
Mais les choses évolueraient, grâce aux pétrodollars investis par les Etats du Golfe dans de nouveaux projets.
Des différences profondes
Des projets de recherche scientifique ont été initiés dans les pays du Golfe au milieu des années 70 et au début des années 80 avec la première manne pétrolière.
Toutefois, quand on compare les fonds accumulés par les Etats du Golfe au fil des ans avec l’évolution de leurs infrastructures de recherche et de formation, on peut constater des écarts immenses.
Au mois de juin dernier, The Economist a divulgué le montant des bénéfices enregistrés par les pays membres du Conseil de Coopération du Golfe, à savoir Bahreïn, le Koweit, Oman, le Qatar, l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis – qui ont réalisé à eux six US$ 1,5 trillion de bénéfices sur les exportations pétrolières au cours de la période 2002-2006, soit le double des exportations des cinq années précédentes.
El-Baz qualifie cette situation de regrettable. « Plusieurs décennies perdues et des dizaines de milliards de dollars gaspillés, » ajoute-t-il.
Toutefois, au cours des années récentes, une évolution significative de la situation, sinon radicale, a été observée.
Des institutions dotées de plusieurs milliards de dollars ont été ou sont sur le point d’être créées, des projets expérimentaux ont été initiés, pour tenter de développer la recherche scientifique locale en misant sur les succès scientifiques des universités étrangères. Cette réflexion a conduit les pays du Golfe à adopter des stratégies variées. Elles semblent toutes novatrices, mais personne ne sait laquelle aura le plus de succès à long terme.
"Tous ces projets ne seront pas des réussites," déclare El-Baz, dont la bonne connaissance de cette région contraint à se montrer prudent. "Mais ce nouvel enthousiasme de ces pays pour la recherche scientifique est réconfortant."
Les expériences du Royaume
Après plusieurs tentatives infructueuses au cours des années 70 pour attirer les scientifiques, le Royaume d’Arabie saoudite a mis en place un système peu conventionnel.
Dans le cadre de la nouvelle Université des Sciences et Technologies Roi Abdallah (KAUST), institution de troisième cycle – et première institution saoudienne de co-éducation – qui ouvrira sur les bords de la Mer rouge en 2009, le Royaume projette de soutenir financièrement les chercheurs étrangers dans leurs institutions de par le monde.
La KAUST soutiendra financièrement des étudiants étrangers de troisième cycle, des boursiers en post-doctorat et des professeurs dans les institutions qui les emploient, en leur accordant des bourses et des prix, se dotera d’une faculté et recrutera des étudiants en résidence. Lorsque l’Université sera totalement opérationnelle, son effectif devrait atteindre 10 000 personnes.
L’originalité du projet réside dans l’attribution, du moins dans un premier temps, de subventions aux domaines de recherche qui présentent un intérêt pour l’Arabie saoudite, à savoir les procédés de séquestration du carbone et des carburants riches en hydrogène, le dessalement de l’eau, les biotechnologies alimentaires, la nutrition et la santé publique, les mathématiques appliquées et les sciences informatiques.
Dans son allocution lors de la cérémonie d’inauguration des travaux de cette université, au mois d’octobre dernier, Nadhmi Al-Nasr, président par intérim de la KAUST, a qualifié cette stratégie de ‘’nouveau modèle opérationnel”.
Cependant, malgré son caractère original, force est de constater que cette stratégie est risquée.
Les bourses de recherche accordées par la KAUST n’imposent pour ainsi dire aucune obligation aux chercheurs bénéficiaires. En échange de bourses s’élevant parfois à US$ 5 millions, ils n’ont l’obligation de se rendre en Arabie saoudite que deux fois par an pour participer à des ateliers et rendre compte à leurs sponsors de l’état d’avancement de leurs travaux.
Si ce programme permet d’espérer une facilitation accrue des transferts de connaissances vers le Royaume, les résultats ne semblent pas garantis.
"Il s’agit à n’en point douter d’une stratégie risquée. Et il est très difficile de dire si cette idée est géniale, ou folle” déclare Peter Lee, chef du département informatique de la Carnegie Mellon University aux Etats-Unis (CMU), l’une des universités avec lesquelles la KAUST est en pourparlers de partenariat.
Lee, qui a pris part à la première rencontre entre la KAUST et la Carnegie Mellon au printemps dernier, ajoute que le sort de cette stratégie dépendra de deux facteurs : la qualité des participants au programme au cours des premières années, et « la volonté des chercheurs du monde d’aider la KAUST à se développer ».
L’idée de nouer des partenariats avec l’Arabie saoudite suscite quelques doutes chez des collègues de la CMU, déclare Lee. D’après lui, « l’image du Royaume est très négative, surtout aux Etats-Unis. » L’important n’est pas que cette image soit justifiée ou non. Elle existe. Et c’est un autre obstacle qu’il sera difficile pour la KAUST de franchir."
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