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Zakaria Moumni : dans l'enfer des geoles marocaines .

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  • Zakaria Moumni : dans l'enfer des geoles marocaines .

    Jour et nuit, il se demande : "Mais qu'est-ce que je fous ici ? Qu'est-ce que j'ai fait pour mériter ça ?" Au début, il était inquiet. Maintenant, il a peur : s'il ne sortait jamais de là, sa femme et ses parents seraient donc condamnés à vivre ce cauchemar jusqu'à la fin de leurs jours ?

    Voilà un an que Zakaria Moumni, 31 ans, est détenu au Maroc. Quand il descend de l'avion à Rabat, le 27 septembre 2010, en provenance de Paris, ce jeune sportif professionnel, de nationalité marocaine mais vivant en France depuis plusieurs années, est raflé par la police secrète marocaine. Il est conduit au centre d'interrogatoires de Témara, l'un des pires du royaume. Là, il est battu, torturé à l'électricité, empêché de dormir, privé de nourriture, ligoté sur une chaise ou maintenu à genoux douze heures de suite. Nu, toujours nu. Ses bourreaux lui hurlent : "Ici, c'est l'abattoir des hommes ! On va te tuer, personne n'en saura rien. Est-ce que tu as compris la leçon ?" Ce traitement va se poursuivre quatre jours et trois nuits. On le somme de signer des aveux. Exténué, il finit par le faire. Il a les yeux bandés. On lui guide la main...

    Quelques jours plus tard, lors d'un procès expéditif, sans même la présence d'un avocat, Zakaria Moumni est condamné à trois ans de prison ferme pour escroquerie. Deux ressortissants marocains se seraient plaints qu'il leur a soutiré 2 800 euros, en échange de la promesse d'un travail en Europe. "Tout ça sent le coup monté. Le dossier de Moumni est vide. Les deux plaignants non seulement n'ont été présents à aucune des audiences, mais ils sont introuvables aux adresses indiquées", souligne Me Abderrahim Jamaï, qui défend désormais le jeune sportif.

    Pour cet avocat, figure célèbre au Maroc pour son combat en faveur des droits de l'homme, le cas de Zakaria Moumni "illustre une fois encore l'instrumentalisation de la justice" dans le royaume. "L'entourage du roi n'a pas de temps à perdre avec ce gamin. Il le considère comme un parasite, analyse-t-il. Zakaria paie d'avoir dénoncé nommément dans la presse, en particulier sur Al-Jazirah et dans les colonnes d'Al-Ahram (journal marocain à fort tirage), le comportement de certains proches du roi et l'injustice dont il était victime."

    Zakaria Moumni n'est pas n'importe qui. En 1999, alors qu'il n'a que 19 ans, il devient champion du monde de Light Contact, une discipline de la boxe thaïlandaise. En vertu d'un décret royal datant d'Hassan II, il peut prétendre à un poste de conseiller sportif au ministère de la jeunesse et des sports. C'est la récompense accordée à tout sportif marocain ayant obtenu un titre mondial.

    Mais les années passent et rien ne vient. Début 2006, le jeune boxeur relance sa demande, obstiné, sûr de son droit. Il décide de se rendre au palais royal à Rabat et de s'adresser directement au souverain, comptant sur lui pour lui rendre justice. Informé du problème, Mohammed VI charge son secrétaire particulier, Mounir Majidi, de lui donner satisfaction.

    En réalité, les choses se passent mal. En tête à tête, Mounir Majidi interpelle le jeune homme en ces termes : "Le premier Marocain qui a gagné une médaille, c'était une médaille d'argent aux Jeux olympiques de 1960. Eh bien, cet homme-là, il a vécu pauvre toute sa vie, et il est mort pauvre. Tu le sais, çà ?" Devant le boxeur qui se décompose, Mounir Majidi ajoute : "Mais puisque sa Majesté a donné des ordres, tu auras tous tes droits. Tu seras même rémunéré pour les années que tu as perdues. Dans quinze jours, ton affaire sera réglée."

    Un mois plus tard, l'affaire n'est pas réglée. Zakaria Moumni a l'innocence de croire qu'il s'agit d'un malentendu. Alors qu'il est installé en France depuis 2007, qu'il y travaille comme coach sportif, qu'il a épousé une jeune Française, Taline, et qu'il est heureux, il relance une fois encore son dossier. Il tente par tous les moyens de faire passer des messages à Mohammed VI, persuadé que le roi ordonnera à son entourage d'appliquer ses directives. Le jeune boxeur se rend notamment à Neuilly, ou encore dans l'Oise, où Mohammed VI possède des résidences particulières. Chaque fois ou presque, il se heurte à Mounir Majidi ou à ses gardes du corps. Le ton monte. Le secrétaire particulier du roi achève de le prendre en grippe et l'envoie paître avec brutalité. De guerre lasse, écoeuré, Zakaria Moumni finit par laisser tomber.

    Quand il retourne au Maroc, en septembre 2010, pour venir rendre visite à sa famille et obtenir de la Fédération marocaine de boxe le feu vert pour participer, sous les couleurs du royaume, à un championnat du monde en Ecosse le mois suivant, le jeune homme ne s'attend pas au châtiment qui l'attend. Témara, les tortures, le pseudo-procès, et enfin la prison pour trois ans.

    S'il n'y avait l'obstination de sa jeune femme, Taline, qui interpelle sans relâche les médias et les politiques français, bien peu - mis à part ses parents dont c'est le fils unique - se soucieraient de Zakaria Moumni. Me Jamaï, lui, a quelque espoir. En juin, devant les "bizarreries" du dossier, la Cour de cassation de Rabat a cassé le jugement d'appel. En principe, un nouveau procès devrait se tenir en octobre. Mais les jours passent et aucune date n'a encore été fixée. Plus étonnant : au ministère de la jeunesse et des sports, on n'est pas au courant de la décision de la Cour de cassation. "Moumni n'a plus qu'un recours : réclamer la grâce du souverain !", conseille ainsi le ministre Moncef Belkhayat, également président de la toute nouvelle Fondation Mohammed VI des champions sportifs. Une fondation lancée en août pour "encourager et honorer les champions qui réalisent des exploits ethissent si haut le drapeau marocain dans les rencontres internationales", selon les termes du communiqué officiel.

    A Paris, Taline Moumni a le sentiment d'être très seule, bien qu'elle ait le soutien d'ONG comme Human Rights Watch ou Amnesty International. "J'ai l'impression de flotter, comme si tout cela était un mauvais rêve, dit-elle. Je mène une guerre d'usure, mais je ne lâcherai jamais !" Quant à ceux qui connaissent le jeune boxeur, ils ne croient pas une seconde à ces accusations d'escroquerie. "On ne le voit pas monnayer ses services. Ce n'est vraiment pas ce profil d'homme", disent-ils, unanimes, à Paris comme à Rabat.

    Là-bas, dans sa prison de Rommani, à deux heures en voiture de la capitale du Maroc, Zakaria Moumni partage sa cellule de 45 m2 avec 49 autres détenus. Promiscuité, saleté, violence, racket, tout y est... La nuit, il "donne la chasse aux cafards", c'est devenu obsessionnel chez lui. Le jour, il ne fait rien, sinon éviter les bagarres qui se déclenchent pour un rien entre les prisonniers, des "enragés". Il a renoncé, ces trois derniers mois, à s'entraîner. Plus de pompes, plus de footing dans la petite cour de la prison. Allongé, ayant "mal partout et surtout à la tête", il rumine son désespoir. Lui, qui a représenté le Maroc, l'a servi, a levé son drapeau "fièrement", se sent "trahi" par son propre pays. "Tout citoyen a des droits et des devoirs. Moi, je pense que j'ai accompli ma part du contrat. L'Etat marocain, lui, a oublié son devoir envers moi. Mon seul droit, c'est de fermer ma gueule, et on me l'a fait savoir par la torture et la prison."

    Me Jamaï, pour sa part, s'accroche aux promesses de réformes faites il y a quelques mois par le Palais, dans le cadre de l'adoption d'une nouvelle Constitution. Une justice indépendante au Maroc ? Il veut y croire. "On nous l'a promis. Prenons nos dirigeants au mot. C'est notre meilleur atout."

    Le Monde
    " Celui qui passe devant une glace sans se reconnaitre, est capable de se calomnier sans s'en apercevoir "
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