Rony Brauman - BHL.
L'opération libyenne était-elle une "guerre juste" ou juste une guerre ?
LEMONDE | 24.11.11
Comment avez-vous réagi devant la situation libyenne avant l'intervention militaire alliée ? Selon vous, la nature de la répression du régime du colonel Kadhafi contre les insurgés justifiait-elle cette guerre ?
Rony Brauman : Face à la menace d'un écrasement du soulèvement de Benghazi, j'ai d'abord eu une réaction de stupeur et d'angoisse : oui, il fallait contrer une offensive blindée de Kadhafi. Bien que je me méfie de l'engrenage qu'enclenche fatalement un engagement militaire, la crainte de voir des flots de sang dans les rues de Benghazi l'a emporté. Dans ce contexte, une intervention limitée à la protection de la ville était justifiable. Je n'ai pas tardé à changer d'avis en m'apercevant que les menaces dont il était question relevaient de la propagande, et non de réalités observables.
Personne n'a ainsi été capable de nous montrer les tanks qui se dirigeaient prétendument sur Benghazi. Or, une colonne de chars, à l'époque des téléphones mobiles et des satellites, ça se photographie. D'ailleurs, s'il a suffi de détruire quatre tanks en un raid aérien pour briser ladite offensive, c'est bien que cette colonne, dont on n'a plus entendu parler par la suite, n'existait pas ! De même pour les plus de 6 000 morts dont faisait état le Comité national de transition (CNT) dès le début du mois de mars. Les enquêtes d'Amnesty et de Human Rights Watch ont montré que le nombre de victimes s'élevait en réalité à 200 ou 300, dont la plupart étaient mortes au combat.
Un bilan similaire à celui qu'avaient enregistré la Tunisie ou l'Egypte. Quant aux attaques aériennes sur les manifestants de Tripoli, il s'agit d'une invention d'Al-Jazira. En somme, il m'a semblé rapidement clair que la décision d'entrer en guerre a précédé les justifications de cette guerre.
Bernard-Henri Lévy : Comment cela, une invention d'Al-Jazira ? Comment pouvez-vous, vous, Rony Brauman, nier la réalité de ces avions de chasse piquant sur les manifestants de Tripoli pour les mitrailler et que le monde entier a vus ? Et, quant au bilan de la répression, peut-être n'était-il pas de 6 000 morts : mais dire "200 ou 300" relève soit de l'insulte soit de la plaisanterie ! Morts au combat, ajoutez-vous. Mais quel combat ? D'un côté, vous aviez une armée surpuissante qui s'équipait depuis des décennies et se préparait au soulèvement populaire. De l'autre, vous aviez des citoyens désarmés. Et puis les chars...
Nul ne vous les a "montrés", dîtes-vous. Mais moi je les ai vus. Aujourd'hui encore, la route entre Benghazi et Ajdabiya est jonchée de leurs carcasses. Ils étaient sur le point d'entrer dans la ville. Ils ont été arrêtés à la dernière minute. Et je ne parle pas du massacre de Misrata dont j'ai vu, de mes yeux, le résultat et dont je puis vous assurer qu'il n'était pas une opération de propagande.
Misrata a été réduite à l'état de décombres. Le massacre n'y fut pas seulement annoncé : il y a bel et bien été opéré.
Rony Brauman : La militarisation du soulèvement a été presque immédiate, dans les jours qui ont suivi les premières manifestations. A Misrata, la résistance a été particulièrement vigoureuse, et il est faux de prétendre que des civils se soient battus à mains nues contre des troupes suréquipées. Si l'intervention de l'OTAN n'a certes pas été anodine, c'est localement qu'a été accompli l'essentiel de l'effort militaire. Je me trouvais à Misrata en juillet : je m'attendais à voir une ville détruite, j'ai commencé par constater que le port, cible de bombardements répétés, disait-on, était absolument intact.
Les affrontements ont en fait été circonscrits à deux quartiers, dans lesquels les dégâts sont énormes, tandis que le reste de la ville est normal. Aucun des habitants avec lesquels j'ai parlé ne se présentait d'ailleurs comme un survivant. En mai et juin, les équipes de Médecins sans frontières qui étaient sur place recevaient très peu de blessés et envisageaient même de plier bagage. Qu'il y ait eu des combats acharnés, que le siège ait été violent, c'est indéniable. Mais Misrata n'est pas cette ville réduite à l'état de décombres que vous décrivez.
Bernard-Henri Lévy : Je n'ai rien vu à Misrata, nous dit Rony Brauman ! Eh bien je suis scandalisé. Arriver le 15 juillet, c'était arriver après la bataille. Les lignes de front s'étaient alors déplacées à Derna et Abdoul Raouf, à 40 kilomètres du coeur de la ville. Mais la bataille, avant cela, a été terrible. La ville, avant d'être libérée, a été littéralement ravagée. Et comment osez-vous arguer de l'héroïsme de ces hommes qui ont, en effet, repoussé les chars pour conclure que la menace n'était, au fond, pas si terrible que cela ?
Que ces hommes aient résisté, qu'ils se soient héroïquement battus, qu'ils aient rivalisé d'imagination pour inventer des ruses tactiques du type de ces tapis de prière enduits d'huile disposés nuitamment sous les chenilles des chars pour qu'ils patinent et deviennent des cibles plus faciles, tout cela ne prouve pas la faiblesse de l'armée de Kadhafi, mais l'ingéniosité tactique et la force d'âme et de caractère des insurgés.
La guerre de Libye marque-t-elle la victoire du droit d'ingérence ?
Rony Brauman : Oui, incontestablement, bien que ce modèle ne soit pas généralisable. Certains se réjouissent de cette victoire ; moi, je la déplore car j'y vois la réhabilitation de la guerre comme mode de règlement des conflits. Rendons à Bernard Kouchner et à Bernard-Henri Lévy ce qui leur est dû : depuis vingt ans, ils soutiennent le principe d'interventions militaires engagées sous le drapeau de la protection des populations civiles.
Pour la première fois, une telle intervention a été légalisée par le Conseil de sécurité de l'ONU. Elle n'en est pas légitime pour autant. Je m'inquiète de ce triomphe d'une conception militaire de la protection, non par pacifisme de principe mais parce que son bilan est calamiteux. La victoire par les armes sur le régime à abattre n'est en effet que le début de l'histoire.
En fin de compte, le choix de la guerre entraîne un coût humain bien plus lourd. Pour preuve, le bilan officiel avancé par le CNT : 30 000 à 50 000 morts, soit dix fois plus que les victimes de la répression syrienne. Si ces chiffres sont exacts, c'est effroyable. Or, et c'est à mon avis révélateur de la gêne qu'ils inspirent, ils n'ont soulevé, à ce jour, aucune interrogation.
Bernard-Henri Lévy : On ne sait rien de ce bilan. Et on ne sait rien, en particulier, de la "répartition" entre civils pris dans les feux des combats, éventuelles victimes des bombardements de l'OTAN et victimes des forces kadhafistes massacrées par un pouvoir aux abois qui voulait noyer cette révolution dans des "rivières de sang".
Mais, de toute façon, le problème n'est pas là. Quand un Etat s'avère incapable d'assurer le minimum de sa souveraineté, à savoir la protection de ses citoyens, quand il met lui-même en danger son peuple en le détruisant délibérément, alors la communauté internationale a le devoir de se substituer à lui. C'est ça, le devoir d'ingérence. C'est ce qui me reste de l'internationalisme de ma jeunesse. La communauté internationale a, dans ces situations, un devoir de subsidiarité ou de substitution. Et cela parce que les droits de l'homme n'ont pas de frontières : l'autre est mon prochain, même quand il est timorien, darfouri ou libyen.
Rony Brauman : Cette logique procède d'un dualisme métaphysique cher à Bernard-Henri Lévy réduisant la politique à l'affrontement du Bien et du Mal, c'est-à-dire des fascistes et des antifascistes. Dans ce monde simple, il revient à une avant-garde éclairée d'anticiper et de prévenir les massacres à venir, afin d'accoucher par la violence l'histoire de son grand dessein démocratique.
La notion de "guerre humanitaire" a de fortes affinités, c'est le moins qu'on puisse dire, avec cette conception néoléniniste d'une supposée politique des droits de l'homme. Elle fonctionne par nature sur un mode chirurgical : les complexités de la société sont effacées au profit d'une vision binaire faite de bourreaux et de victimes.
Mais les réalités invisibles et agissantes des rapports de pouvoir complexes et des alliances inattendues, à l'oeuvre dans toute société, ne tardent pas à se manifester. A cette idéologie, j'oppose le long et sinueux travail de la démocratisation, la nécessité de la négociation et du compromis dans le combat politique. C'est ce que la guerre interdit et c'est pourquoi je défends l'option opposée, que j'appellerai le "paradigme syrien", fait d'une mobilisation populaire large et d'un refus admirable de céder à la tentation des armes et à la spirale de la violence. Je précise que, dans mon esprit, la démocratie se définit avant tout par la démilitarisation de la lutte pour le pouvoir.
Bernard-Henri Lévy : La démocratie est un processus laborieux, certes. Pour autant, faut-il, sous prétexte de patience "métaphysique", condamner les peuples à un long supplice ? Et fallait-il, au motif que le peuple libyen était, d'une certaine façon, comptable de ces années de dictature, le laisser aller au bout de la pénitence, attendre que les quelques milliers de morts soient devenus des dizaines ou des centaines de milliers ?
C'est vous qui avez une conception "normative" et "procédurière" des choses avec votre idée d'un sage et lent travail nécessaire avant que le modèle démocratique n'ait le droit d'entrer en scène. Non. La libération de la Libye a été, certes, l'oeuvre des Libyens. Mais, à un moment donné, ils se sont adressés à nous.
Et il n'était pas question de refuser d'entendre cet appel. Le légitime souci de la complexité ne pouvait pas, comme en Bosnie, nous faire rester l'arme au pied. Nous ne l'avons pas fait. Nous n'avons pas, comme à Sarajevo, attendu que le compteur soit à 200 000 morts pour arrêter le carnage. Et c'est bien.
Peut-on donc qualifier la guerre en Libye de "guerre juste" ? Et que faut-il entendre selon vous par ce concept ?
L'opération libyenne était-elle une "guerre juste" ou juste une guerre ?
LEMONDE | 24.11.11
Comment avez-vous réagi devant la situation libyenne avant l'intervention militaire alliée ? Selon vous, la nature de la répression du régime du colonel Kadhafi contre les insurgés justifiait-elle cette guerre ?
Rony Brauman : Face à la menace d'un écrasement du soulèvement de Benghazi, j'ai d'abord eu une réaction de stupeur et d'angoisse : oui, il fallait contrer une offensive blindée de Kadhafi. Bien que je me méfie de l'engrenage qu'enclenche fatalement un engagement militaire, la crainte de voir des flots de sang dans les rues de Benghazi l'a emporté. Dans ce contexte, une intervention limitée à la protection de la ville était justifiable. Je n'ai pas tardé à changer d'avis en m'apercevant que les menaces dont il était question relevaient de la propagande, et non de réalités observables.
Personne n'a ainsi été capable de nous montrer les tanks qui se dirigeaient prétendument sur Benghazi. Or, une colonne de chars, à l'époque des téléphones mobiles et des satellites, ça se photographie. D'ailleurs, s'il a suffi de détruire quatre tanks en un raid aérien pour briser ladite offensive, c'est bien que cette colonne, dont on n'a plus entendu parler par la suite, n'existait pas ! De même pour les plus de 6 000 morts dont faisait état le Comité national de transition (CNT) dès le début du mois de mars. Les enquêtes d'Amnesty et de Human Rights Watch ont montré que le nombre de victimes s'élevait en réalité à 200 ou 300, dont la plupart étaient mortes au combat.
Un bilan similaire à celui qu'avaient enregistré la Tunisie ou l'Egypte. Quant aux attaques aériennes sur les manifestants de Tripoli, il s'agit d'une invention d'Al-Jazira. En somme, il m'a semblé rapidement clair que la décision d'entrer en guerre a précédé les justifications de cette guerre.
Bernard-Henri Lévy : Comment cela, une invention d'Al-Jazira ? Comment pouvez-vous, vous, Rony Brauman, nier la réalité de ces avions de chasse piquant sur les manifestants de Tripoli pour les mitrailler et que le monde entier a vus ? Et, quant au bilan de la répression, peut-être n'était-il pas de 6 000 morts : mais dire "200 ou 300" relève soit de l'insulte soit de la plaisanterie ! Morts au combat, ajoutez-vous. Mais quel combat ? D'un côté, vous aviez une armée surpuissante qui s'équipait depuis des décennies et se préparait au soulèvement populaire. De l'autre, vous aviez des citoyens désarmés. Et puis les chars...
Nul ne vous les a "montrés", dîtes-vous. Mais moi je les ai vus. Aujourd'hui encore, la route entre Benghazi et Ajdabiya est jonchée de leurs carcasses. Ils étaient sur le point d'entrer dans la ville. Ils ont été arrêtés à la dernière minute. Et je ne parle pas du massacre de Misrata dont j'ai vu, de mes yeux, le résultat et dont je puis vous assurer qu'il n'était pas une opération de propagande.
Misrata a été réduite à l'état de décombres. Le massacre n'y fut pas seulement annoncé : il y a bel et bien été opéré.
Rony Brauman : La militarisation du soulèvement a été presque immédiate, dans les jours qui ont suivi les premières manifestations. A Misrata, la résistance a été particulièrement vigoureuse, et il est faux de prétendre que des civils se soient battus à mains nues contre des troupes suréquipées. Si l'intervention de l'OTAN n'a certes pas été anodine, c'est localement qu'a été accompli l'essentiel de l'effort militaire. Je me trouvais à Misrata en juillet : je m'attendais à voir une ville détruite, j'ai commencé par constater que le port, cible de bombardements répétés, disait-on, était absolument intact.
Les affrontements ont en fait été circonscrits à deux quartiers, dans lesquels les dégâts sont énormes, tandis que le reste de la ville est normal. Aucun des habitants avec lesquels j'ai parlé ne se présentait d'ailleurs comme un survivant. En mai et juin, les équipes de Médecins sans frontières qui étaient sur place recevaient très peu de blessés et envisageaient même de plier bagage. Qu'il y ait eu des combats acharnés, que le siège ait été violent, c'est indéniable. Mais Misrata n'est pas cette ville réduite à l'état de décombres que vous décrivez.
Bernard-Henri Lévy : Je n'ai rien vu à Misrata, nous dit Rony Brauman ! Eh bien je suis scandalisé. Arriver le 15 juillet, c'était arriver après la bataille. Les lignes de front s'étaient alors déplacées à Derna et Abdoul Raouf, à 40 kilomètres du coeur de la ville. Mais la bataille, avant cela, a été terrible. La ville, avant d'être libérée, a été littéralement ravagée. Et comment osez-vous arguer de l'héroïsme de ces hommes qui ont, en effet, repoussé les chars pour conclure que la menace n'était, au fond, pas si terrible que cela ?
Que ces hommes aient résisté, qu'ils se soient héroïquement battus, qu'ils aient rivalisé d'imagination pour inventer des ruses tactiques du type de ces tapis de prière enduits d'huile disposés nuitamment sous les chenilles des chars pour qu'ils patinent et deviennent des cibles plus faciles, tout cela ne prouve pas la faiblesse de l'armée de Kadhafi, mais l'ingéniosité tactique et la force d'âme et de caractère des insurgés.
La guerre de Libye marque-t-elle la victoire du droit d'ingérence ?
Rony Brauman : Oui, incontestablement, bien que ce modèle ne soit pas généralisable. Certains se réjouissent de cette victoire ; moi, je la déplore car j'y vois la réhabilitation de la guerre comme mode de règlement des conflits. Rendons à Bernard Kouchner et à Bernard-Henri Lévy ce qui leur est dû : depuis vingt ans, ils soutiennent le principe d'interventions militaires engagées sous le drapeau de la protection des populations civiles.
Pour la première fois, une telle intervention a été légalisée par le Conseil de sécurité de l'ONU. Elle n'en est pas légitime pour autant. Je m'inquiète de ce triomphe d'une conception militaire de la protection, non par pacifisme de principe mais parce que son bilan est calamiteux. La victoire par les armes sur le régime à abattre n'est en effet que le début de l'histoire.
En fin de compte, le choix de la guerre entraîne un coût humain bien plus lourd. Pour preuve, le bilan officiel avancé par le CNT : 30 000 à 50 000 morts, soit dix fois plus que les victimes de la répression syrienne. Si ces chiffres sont exacts, c'est effroyable. Or, et c'est à mon avis révélateur de la gêne qu'ils inspirent, ils n'ont soulevé, à ce jour, aucune interrogation.
Bernard-Henri Lévy : On ne sait rien de ce bilan. Et on ne sait rien, en particulier, de la "répartition" entre civils pris dans les feux des combats, éventuelles victimes des bombardements de l'OTAN et victimes des forces kadhafistes massacrées par un pouvoir aux abois qui voulait noyer cette révolution dans des "rivières de sang".
Mais, de toute façon, le problème n'est pas là. Quand un Etat s'avère incapable d'assurer le minimum de sa souveraineté, à savoir la protection de ses citoyens, quand il met lui-même en danger son peuple en le détruisant délibérément, alors la communauté internationale a le devoir de se substituer à lui. C'est ça, le devoir d'ingérence. C'est ce qui me reste de l'internationalisme de ma jeunesse. La communauté internationale a, dans ces situations, un devoir de subsidiarité ou de substitution. Et cela parce que les droits de l'homme n'ont pas de frontières : l'autre est mon prochain, même quand il est timorien, darfouri ou libyen.
Rony Brauman : Cette logique procède d'un dualisme métaphysique cher à Bernard-Henri Lévy réduisant la politique à l'affrontement du Bien et du Mal, c'est-à-dire des fascistes et des antifascistes. Dans ce monde simple, il revient à une avant-garde éclairée d'anticiper et de prévenir les massacres à venir, afin d'accoucher par la violence l'histoire de son grand dessein démocratique.
La notion de "guerre humanitaire" a de fortes affinités, c'est le moins qu'on puisse dire, avec cette conception néoléniniste d'une supposée politique des droits de l'homme. Elle fonctionne par nature sur un mode chirurgical : les complexités de la société sont effacées au profit d'une vision binaire faite de bourreaux et de victimes.
Mais les réalités invisibles et agissantes des rapports de pouvoir complexes et des alliances inattendues, à l'oeuvre dans toute société, ne tardent pas à se manifester. A cette idéologie, j'oppose le long et sinueux travail de la démocratisation, la nécessité de la négociation et du compromis dans le combat politique. C'est ce que la guerre interdit et c'est pourquoi je défends l'option opposée, que j'appellerai le "paradigme syrien", fait d'une mobilisation populaire large et d'un refus admirable de céder à la tentation des armes et à la spirale de la violence. Je précise que, dans mon esprit, la démocratie se définit avant tout par la démilitarisation de la lutte pour le pouvoir.
Bernard-Henri Lévy : La démocratie est un processus laborieux, certes. Pour autant, faut-il, sous prétexte de patience "métaphysique", condamner les peuples à un long supplice ? Et fallait-il, au motif que le peuple libyen était, d'une certaine façon, comptable de ces années de dictature, le laisser aller au bout de la pénitence, attendre que les quelques milliers de morts soient devenus des dizaines ou des centaines de milliers ?
C'est vous qui avez une conception "normative" et "procédurière" des choses avec votre idée d'un sage et lent travail nécessaire avant que le modèle démocratique n'ait le droit d'entrer en scène. Non. La libération de la Libye a été, certes, l'oeuvre des Libyens. Mais, à un moment donné, ils se sont adressés à nous.
Et il n'était pas question de refuser d'entendre cet appel. Le légitime souci de la complexité ne pouvait pas, comme en Bosnie, nous faire rester l'arme au pied. Nous ne l'avons pas fait. Nous n'avons pas, comme à Sarajevo, attendu que le compteur soit à 200 000 morts pour arrêter le carnage. Et c'est bien.
Peut-on donc qualifier la guerre en Libye de "guerre juste" ? Et que faut-il entendre selon vous par ce concept ?
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