Jean Ziegler, sociologue suisse : «Il est de l’intérêt de l’Occident d’affaiblir l’Algérie»
Selon vous, l’Algérie a échappé à la mainmise du capitalisme mondial. Comment ?
Je suis frappé de la permanence des principes en Algérie contenus dans la plate-forme de la Soummam de 1956. Ces mêmes principes se retrouvent dans la politique étrangère algérienne : universalité, Etat solidaire, justice sociale, souveraineté, etc. L’Algérie est la principale puissance en Afrique du Nord. Lancer un plan de 240 milliards d’euros sur quatre ans en est un signe. Cette puissance est mise au service de la souveraineté. L’Algérie est pratiquement le seul pays d’Afrique qui maîtrise l’investissement étranger avec la règle du 51/49 contenu dans son code. Il y a également le contrôle strict sur le transfert des profits.L’Algérie a trouvé là le moyen de négocier avec les multinationales, avec les maîtres du monde et de les maîtriser. Ces firmes ne cherchent qu’à maximiser les
profits. Nestlé n’est pas la Croix-Rouge ! Je vis dans le cœur du monstre à Genève au milieu de ces multinationales et je sais de quoi je parle. Au Nigeria, Esso et Texaco dictent leur loi. L’Algérie est le onzième producteur de pétrole membre de l’Opep. Le Nigeria
produit plus. Prenez ces deux exemples. Le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et qui sort 2,2 millions de barils de pétrole
par jour, est sous les ordres des multinationales.En Algérie, Sonatrach dicte sa loi aux firmes pétrolières étrangères pour travailler. Donc, il y a une notion de souveraineté totale. Au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, l’Algérie joue un grand rôle en présidant le groupe afro-arabe. Les diplomates algériens donnent le ton au sein de ce groupe en défendant les intérêts des pays du Sud. Bouteflika, qui a été ministre des Affaires étrangères, est l’un des hommes d’Etat du tiers monde qui a une parfaite connaissance des mécanismes compliqués du système onusien. Driss Djazaïri, Mohamed Salah Dembri et Lakhdar Ibrahimi sont des diplomates connus.
Pour revenir sur les mesures sur l’investissement, des pays européens tels que la France et l’Allemagne ont critiqué ces dispositions…
Les multinationales veulent avoir le champ libre. Elles ne l’ont pas en Algérie. L’actuelle classe dirigeante française n’a jamais pardonné l’indépendance de l’Algérie. On ne se rend pas compte encore du traumatisme causé aux Européens. Il y avait la défaite de Diên Biên Phu, mais le Viêtnam est loin de leur monde. Le Maghreb est dans le même monde, et c’est là que ces Européens ont été radicalement contestés. La victoire de l’Algérie a ouvert la voie à la décolonisation en Afrique.
L’instabilité au Sahel n’aide-t-elle pas les anciens empires à se réveiller ?
La situation au Sahel est dangereuse. L’Algérie est effectivement indépendante et montre l’exemple. L’Algérie ne fait pas partie de la francophonie. Souverain donc, ce pays doit être saboté. Je ne sais pas qui finance El Qaïda et qui est derrière. Mais il me semble évident qu’il est de l’intérêt de l’Occident d’affaiblir l’Algérie. El Qaïda est au cœur du Sahel. Qui sait, demain ils iront attaquer les champs pétrolifères de Hassi Messaoud…
Ces groupes sont-ils manipulés ?
Je le pense, oui. Sociologiquement, il existe un terreau avec l’appauvrissement des Touareg, le racisme noir contre les Touareg, etc. Les gouvernements n’ont pas tenu leurs promesses, la misère est toujours là. Ces groupes se financent par les rançons payées contre la libération des otages. Les Européens négocient et payent. Pour l’Algérie, cela crée des problèmes puisque ces groupes ont plus de possibilités de s’armer. Si vous payez 5 millions d’euros pour les otages, comme l’ont fait les Espagnols, cela devient un commerce alimenté par les Européens […]. La Suisse refuse d’extrader les islamistes recherchés par mandat international parce qu’elle ne veut pas provoquer ceux qui ont déposé des fonds dans les banques.L’économie suisse dépend énormément des banques. La Suisse est le deuxième pays le plus riche de la planète avec le revenu par habitant. Ce pays, qui n’a pas de matière première, vit de l’argent d’autrui […]. Je n’ai pas les moyens de confirmer que l’Occident finance les groupes terroristes, mais je peux dire que certaines puissances occidentales ne seront pas mécontentes d’affaiblir l’Algérie. L’Algérie, dans tous les pays du Sud, est une épine, un pays qu’on ne peut pas mettre à genoux. C’est «le mauvais» exemple pour les autres. Imaginez que demain le Niger reprenne les gisements d’uranium au groupe nucléaire français Areva et crée une Sonatrach nigérienne. Cela va provoquer une explosion en France des prix de l’électricité, car, pour l’instant, la France ne paye presque rien. Le président Tandja, qui voulait multiplier les investissements chinois et indiens, a été écarté.
Le Maghreb uni en tant qu’entité économique n’est-il pas une menace pour l’Union européenne (UE) ?
Non. L’UE est constituée de 27 pays, de 400 millions de consommateurs et de 11 000 milliards de dollars de produit intérieur brut (PIB). L’UE est une grande puissance économique qui habilement a associé les pays du Maghreb avec des accords et a créé un marché élargi. Avec le problème du Sahara occidental, le Maghreb uni, une idée merveilleuse, n’est pas possible. La Libye et l’Egypte posent aussi problème. Comme pour l’UE, les pays doivent créer un minimum commun, avoir des buts politiques et structures économiques communs…
...à suivre
Selon vous, l’Algérie a échappé à la mainmise du capitalisme mondial. Comment ?
Je suis frappé de la permanence des principes en Algérie contenus dans la plate-forme de la Soummam de 1956. Ces mêmes principes se retrouvent dans la politique étrangère algérienne : universalité, Etat solidaire, justice sociale, souveraineté, etc. L’Algérie est la principale puissance en Afrique du Nord. Lancer un plan de 240 milliards d’euros sur quatre ans en est un signe. Cette puissance est mise au service de la souveraineté. L’Algérie est pratiquement le seul pays d’Afrique qui maîtrise l’investissement étranger avec la règle du 51/49 contenu dans son code. Il y a également le contrôle strict sur le transfert des profits.L’Algérie a trouvé là le moyen de négocier avec les multinationales, avec les maîtres du monde et de les maîtriser. Ces firmes ne cherchent qu’à maximiser les
profits. Nestlé n’est pas la Croix-Rouge ! Je vis dans le cœur du monstre à Genève au milieu de ces multinationales et je sais de quoi je parle. Au Nigeria, Esso et Texaco dictent leur loi. L’Algérie est le onzième producteur de pétrole membre de l’Opep. Le Nigeria
produit plus. Prenez ces deux exemples. Le Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et qui sort 2,2 millions de barils de pétrole
par jour, est sous les ordres des multinationales.En Algérie, Sonatrach dicte sa loi aux firmes pétrolières étrangères pour travailler. Donc, il y a une notion de souveraineté totale. Au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, l’Algérie joue un grand rôle en présidant le groupe afro-arabe. Les diplomates algériens donnent le ton au sein de ce groupe en défendant les intérêts des pays du Sud. Bouteflika, qui a été ministre des Affaires étrangères, est l’un des hommes d’Etat du tiers monde qui a une parfaite connaissance des mécanismes compliqués du système onusien. Driss Djazaïri, Mohamed Salah Dembri et Lakhdar Ibrahimi sont des diplomates connus.
Pour revenir sur les mesures sur l’investissement, des pays européens tels que la France et l’Allemagne ont critiqué ces dispositions…
Les multinationales veulent avoir le champ libre. Elles ne l’ont pas en Algérie. L’actuelle classe dirigeante française n’a jamais pardonné l’indépendance de l’Algérie. On ne se rend pas compte encore du traumatisme causé aux Européens. Il y avait la défaite de Diên Biên Phu, mais le Viêtnam est loin de leur monde. Le Maghreb est dans le même monde, et c’est là que ces Européens ont été radicalement contestés. La victoire de l’Algérie a ouvert la voie à la décolonisation en Afrique.
L’instabilité au Sahel n’aide-t-elle pas les anciens empires à se réveiller ?
La situation au Sahel est dangereuse. L’Algérie est effectivement indépendante et montre l’exemple. L’Algérie ne fait pas partie de la francophonie. Souverain donc, ce pays doit être saboté. Je ne sais pas qui finance El Qaïda et qui est derrière. Mais il me semble évident qu’il est de l’intérêt de l’Occident d’affaiblir l’Algérie. El Qaïda est au cœur du Sahel. Qui sait, demain ils iront attaquer les champs pétrolifères de Hassi Messaoud…
Ces groupes sont-ils manipulés ?
Je le pense, oui. Sociologiquement, il existe un terreau avec l’appauvrissement des Touareg, le racisme noir contre les Touareg, etc. Les gouvernements n’ont pas tenu leurs promesses, la misère est toujours là. Ces groupes se financent par les rançons payées contre la libération des otages. Les Européens négocient et payent. Pour l’Algérie, cela crée des problèmes puisque ces groupes ont plus de possibilités de s’armer. Si vous payez 5 millions d’euros pour les otages, comme l’ont fait les Espagnols, cela devient un commerce alimenté par les Européens […]. La Suisse refuse d’extrader les islamistes recherchés par mandat international parce qu’elle ne veut pas provoquer ceux qui ont déposé des fonds dans les banques.L’économie suisse dépend énormément des banques. La Suisse est le deuxième pays le plus riche de la planète avec le revenu par habitant. Ce pays, qui n’a pas de matière première, vit de l’argent d’autrui […]. Je n’ai pas les moyens de confirmer que l’Occident finance les groupes terroristes, mais je peux dire que certaines puissances occidentales ne seront pas mécontentes d’affaiblir l’Algérie. L’Algérie, dans tous les pays du Sud, est une épine, un pays qu’on ne peut pas mettre à genoux. C’est «le mauvais» exemple pour les autres. Imaginez que demain le Niger reprenne les gisements d’uranium au groupe nucléaire français Areva et crée une Sonatrach nigérienne. Cela va provoquer une explosion en France des prix de l’électricité, car, pour l’instant, la France ne paye presque rien. Le président Tandja, qui voulait multiplier les investissements chinois et indiens, a été écarté.
Le Maghreb uni en tant qu’entité économique n’est-il pas une menace pour l’Union européenne (UE) ?
Non. L’UE est constituée de 27 pays, de 400 millions de consommateurs et de 11 000 milliards de dollars de produit intérieur brut (PIB). L’UE est une grande puissance économique qui habilement a associé les pays du Maghreb avec des accords et a créé un marché élargi. Avec le problème du Sahara occidental, le Maghreb uni, une idée merveilleuse, n’est pas possible. La Libye et l’Egypte posent aussi problème. Comme pour l’UE, les pays doivent créer un minimum commun, avoir des buts politiques et structures économiques communs…
...à suivre
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