Le Parti de la justice et du développement (PJD) vient de remporter assez largement les élections législatives marocaines avec l’obtention de 107 sièges sur les 395 que comporte la chambre des représentants. Depuis son entrée au Parlement, à la fin des années 1990, il a enregistré une progression constante liée à toutes sortes de révisions idéologiques et d’adaptations de son discours au vécu des gens. Et ce n’est pas une surprise quand on prend le temps d’analyser sa trajectoire, grosse néanmoins de paradoxes.
C’est un parti urbain qui recrute essentiellement parmi une jeunesse éduquée, diplômée et pieuse. D’ailleurs, il en fait sa marque de fabrique car, pour ses cadres, intelligence et moralité islamique doivent aller de pair. L’adoption de règles de vie en conformité avec les enseignements de l’islam conférerait, dans l’imaginaire de l’islamisme en général et du PJD en particulier, une plus-value à l’action sociale et politique donnant ainsi confiance à l’Oumma marocaine. A cet égard, cet acteur collectif sait investir les réseaux de solidarité, d’aide aux plus démunis notamment, qu’ont délaissés les services de l’Etat et les notables traditionnels.
Le PJD doit sa victoire à une conjonction d’au moins trois facteurs importants : d’une part, un discours de compromis permanent avec le palais y compris en courant le risque d’être qualifié de parti «makhzénisé» ; d’autre part, un travail de proximité avec le citoyen ordinaire ; enfin, une virginité politique puisqu’il n’a été jusqu’à présent associé à aucun gouvernement, échappant à l’usure du pouvoir. Il jouit du bénéfice du doute auprès de larges segments de la société, y compris auprès de celles et ceux qui n’ont pas forcément un attrait ou une affinité idéologique avec les thèses de l’islamisme sous sa version puritaine. Les islamistes du PJD ont fait campagne autour de deux mots d’ordre : «contre la corruption et contre la dictature».
Contre la corruption peut se comprendre mais contre la dictature, cela pose question. En effet, combattre la dictature exigerait, en principe, une critique de la forme néopatrimoniale du régime et donc une interrogation des fondements de la monarchie. Or, le PJD en est un fervent partisan et défenseur acharné, par exemple, de la Commanderie des croyants qui est l’un des conducteurs de l’autoritarisme du régime actuel. En fait, le PJD est la caution morale du palais auprès des citoyens qui ne croyaient plus en la politique. Il a pour rôle, en partie assigné, de redynamiser un champ politique miné par l’affairisme et de capter la voix des mécontents. Autrement dit, il a pour mission de relégitimer la monarchie en laissant au roi l’ensemble de ses prérogatives en matière politique et économique.
Il n’est pas exclu pour autant que le PJD cherche aussi à marginaliser la monarchie, à plus long terme. C’est une probabilité qui est également entendue. Cependant, le parti islamiste pourrait se disloquer car au moins trois courants cohabitent : un courant religieux rigoriste, un courant réformiste (pour un roi qui règne sans gouverner) et un courant pragmatique (celui de l’actuel secrétaire général devenu Premier ministre) fidèle à une ligne très royaliste. Ainsi, le PJD a plus à craindre en interne qu’en externe, d’autant qu’il devra accentuer la modération de son discours en raison de ses marges de manœuvre très limitées par rapport au palais et à ses futurs alliés. C’est pourquoi, il est possible de dire, très réalistement, que le PJD finira par se banaliser.
Il sera amené à désinvestir les discours identitaires, en dépit de surenchères conservatrices toujours probables, pour s’attacher davantage à répondre très concrètement à la demande sociale. L’islam politique, version PJD, n’a de toutes les façons pas été élu pour construire un Etat islamique mais un projet économique et social alternatif. Passé l’euphorie de la victoire, il risque rapidement de décevoir, car les ressources économiques principales du pays sont entre les mains d’une oligarchie que le PJD refuse de mettre à l’index
Par HAOUES SENIGUER, Enseignant à l'Institut d'études politiques de Lyon, membre du Gremmo (Groupe de recherche et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient)
Libération
C’est un parti urbain qui recrute essentiellement parmi une jeunesse éduquée, diplômée et pieuse. D’ailleurs, il en fait sa marque de fabrique car, pour ses cadres, intelligence et moralité islamique doivent aller de pair. L’adoption de règles de vie en conformité avec les enseignements de l’islam conférerait, dans l’imaginaire de l’islamisme en général et du PJD en particulier, une plus-value à l’action sociale et politique donnant ainsi confiance à l’Oumma marocaine. A cet égard, cet acteur collectif sait investir les réseaux de solidarité, d’aide aux plus démunis notamment, qu’ont délaissés les services de l’Etat et les notables traditionnels.
Le PJD doit sa victoire à une conjonction d’au moins trois facteurs importants : d’une part, un discours de compromis permanent avec le palais y compris en courant le risque d’être qualifié de parti «makhzénisé» ; d’autre part, un travail de proximité avec le citoyen ordinaire ; enfin, une virginité politique puisqu’il n’a été jusqu’à présent associé à aucun gouvernement, échappant à l’usure du pouvoir. Il jouit du bénéfice du doute auprès de larges segments de la société, y compris auprès de celles et ceux qui n’ont pas forcément un attrait ou une affinité idéologique avec les thèses de l’islamisme sous sa version puritaine. Les islamistes du PJD ont fait campagne autour de deux mots d’ordre : «contre la corruption et contre la dictature».
Contre la corruption peut se comprendre mais contre la dictature, cela pose question. En effet, combattre la dictature exigerait, en principe, une critique de la forme néopatrimoniale du régime et donc une interrogation des fondements de la monarchie. Or, le PJD en est un fervent partisan et défenseur acharné, par exemple, de la Commanderie des croyants qui est l’un des conducteurs de l’autoritarisme du régime actuel. En fait, le PJD est la caution morale du palais auprès des citoyens qui ne croyaient plus en la politique. Il a pour rôle, en partie assigné, de redynamiser un champ politique miné par l’affairisme et de capter la voix des mécontents. Autrement dit, il a pour mission de relégitimer la monarchie en laissant au roi l’ensemble de ses prérogatives en matière politique et économique.
Il n’est pas exclu pour autant que le PJD cherche aussi à marginaliser la monarchie, à plus long terme. C’est une probabilité qui est également entendue. Cependant, le parti islamiste pourrait se disloquer car au moins trois courants cohabitent : un courant religieux rigoriste, un courant réformiste (pour un roi qui règne sans gouverner) et un courant pragmatique (celui de l’actuel secrétaire général devenu Premier ministre) fidèle à une ligne très royaliste. Ainsi, le PJD a plus à craindre en interne qu’en externe, d’autant qu’il devra accentuer la modération de son discours en raison de ses marges de manœuvre très limitées par rapport au palais et à ses futurs alliés. C’est pourquoi, il est possible de dire, très réalistement, que le PJD finira par se banaliser.
Il sera amené à désinvestir les discours identitaires, en dépit de surenchères conservatrices toujours probables, pour s’attacher davantage à répondre très concrètement à la demande sociale. L’islam politique, version PJD, n’a de toutes les façons pas été élu pour construire un Etat islamique mais un projet économique et social alternatif. Passé l’euphorie de la victoire, il risque rapidement de décevoir, car les ressources économiques principales du pays sont entre les mains d’une oligarchie que le PJD refuse de mettre à l’index
Par HAOUES SENIGUER, Enseignant à l'Institut d'études politiques de Lyon, membre du Gremmo (Groupe de recherche et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient)
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