En 2003, un politologue d'outre-Atlantique, Robert Kagan, divisait les Occidentaux en deux familles : "Les Américains viennent de Mars, les Européens de Vénus", écrivait-il.
Robert Kagan voulait dire par là que les Américains sont des guerriers, cependant que les Européens seraient devenus des "pacifistes". Il y voyait le signe d'un déclin de l'Europe et celui de l'affirmation des Etats-Unis comme unique superpuissance. Cette aptitude à la guerre conférait à l'Amérique une supériorité durable, affirmait l'auteur (La Puissance et laFaiblesse, Plon, 2004) ; elle lui garantissait d'être un acteur de l'histoire, là où le Vieux Continent s'effaçait, tout occupé à ses affaires intérieures.
"Well, well, well...", dirait-on aujourd'hui dans la capitale fédérale. L'humeur a changé. Dix jours à Washington vous font entendre un son de cloche singulièrement moins martial. Mars n'a plus la cote et l'ombre de Vénus plane sur le Capitole. Les héros sont las, les guerriers aspirent au repos. Les Américains veulent se sortir au plus vite de dix ans de conflit armé dont ils ne voient pas la fin. Les Etats-Unis s'interrogent sur le bien-fondé de leur engagement en Irak, en Afghanistan et en Libye. Ils souffrent d'une immense "fatigue de la guerre", comme on dit à Washington.
L'opinion juge à l'aune de ce que l'administration précédente, celle de Bush junior, avait promis. L'Irak devait devenir la première grande démocratie du Proche-Orient. En Afghanistan, des décombres de trente ans de tragédies guerrières, l'Amérique ferait émerger un pouvoir central fort et, là aussi, l'esquisse d'une démocratie stable. Cela ne coûterait rien ou presque au contribuable américain. L'Afghanistan était une petite affaire et l'aventure irakienne s'autofinancerait avec le pétrole du pays.
Dix ans plus tard, la "fatigue de la guerre" est militaire, morale, financière. Le 22 juin, Barack Obama présentait son plan de retrait progressif d'Afghanistan. "Ces longues guerres doivent trouver une issue responsable", a lancé le président, évoquant l'Afghanistan et l'Irak. "Mais nous devons aussi en tirer les leçons, a-t-il dit, car cette décennie de conflits pose beaucoup de questions sur la nature de l'engagement de l'Amérique dans le monde."
Le républicain Robert Gates quitte ces jours-ci le Pentagone, où le démocrate Barack Obama l'avait supplié de rester en arrivant à la Maison Blanche. M. Gates s'en va avec la réputation d'avoir été l'un des plus grands ministres de la défense du pays. Il est aussi le plus franc, le plus direct : "Les Américains sont fatigués de ces dix années de guerre", répète-t-il. Amer ? M. Gates s'interroge à voix haute sur la pertinence de ces "guerres de choix" menées par l'Amérique contre des pays qui ne la menaçaient pas directement...
M. Obama veut retirer 33 000 soldats d'Afghanistan d'ici à septembre 2012. Il en restera 68 000, qui devront avoir quitté ce pays à la fin 2014. Réaction majoritaire au Congrès et dans l'opinion : cela ne va pas assez vite.
Deux raisons expliquent cette lassitude de la guerre. La première tient à un malaise profond, mal exprimé mais bien présent : l'absence de victoire claire et nette. L'Irak, aux mains de la majorité chiite, est toujours en proie aux attentats et à une mini-guerre civile rampante. En Afghanistan, d'où les talibans ont été détrônés il y a bientôt dix ans, la sortie envisagée passe, dit Washington, par une négociation avec les mêmes talibans ! Bref, rien, à Bagdad comme à Kaboul, qui ressemble à un vrai succès militaire ou politique, un succès bien carré, comme l'Amérique les aime : les méchants au tapis, les bons au pouvoir.
La deuxième raison, c'est le lien établi par les Américains entre ces guerres et la situation économique du pays. A tort ou à raison. L'élection présidentielle de 2012 se fera sur l'économie. Mais un nombre croissant d'élus et d'électeurs jugent que le "surengagement" du pays à l'extérieur est responsable de deux des grandes pathologies qui minent l'Amérique : un déficit budgétaire croissant, une dette publique nationale insupportable.
A ce jour, le coût des deux conflits est estimé à 1 300 milliards de dollars. Pour la seule année 2012, le prix de l'intervention en Afghanistan atteindra 120 milliards de dollars.
Républicains et démocrates jugent que ces années de guerre ont épuisé financièrement le pays, au moment où il aurait besoin de réserves pour relancer l'activité. Le message est à peu près le même d'un bord à l'autre du spectre politique, notamment chez les élus de base. Représentant républicain d'un Etat qui ne manque pourtant pas d'académies militaires, le député de Caroline du Nord Walter Jones assure : "Nous ne pouvons pas continuer à policer le monde." Sénateur démocrate de Virginie occidentale, Joe Mandrin assène : "Reconstruire l'Amérique ou l'Afghanistan, il faut choisir."
Plus significatif encore, le NewYork Times rapporte que la Conférence des maires du pays, réunie en juin, a adopté une résolution à tonalité isolationniste. Elle stipule que les impôts des Américains doivent servir à construire des ponts "à Baltimore et à Kansas City, pas à Bagdad ou à Kandahar". Traditionnellement, le Parti républicain porte haut et fort le drapeau de l'engagement à l'étranger. Cette fois, ses deux principaux candidats pour 2012, Mitt Romney et Jon Huntsman, sont les avocats d'un retrait rapide d'Afghanistan.
Est-on encore une superpuissance quand une partie de son budget militaire est prise en charge par un autre pays, en l'espèce, la Chine, acheteur numéro un de bons du Trésor américains ? L'un des papes de l'establishment stratégique du pays, Leslie Gelb, répond : "Ce qui déterminera l'avenir de l'Amérique, ce n'est pas ce qui peut arriver en Afghanistan aujourd'hui ou dans les cinq ans à venir, mais ce qui va se passer à propos d'une dette qui nous écrase."
LE MONDE
Robert Kagan voulait dire par là que les Américains sont des guerriers, cependant que les Européens seraient devenus des "pacifistes". Il y voyait le signe d'un déclin de l'Europe et celui de l'affirmation des Etats-Unis comme unique superpuissance. Cette aptitude à la guerre conférait à l'Amérique une supériorité durable, affirmait l'auteur (La Puissance et laFaiblesse, Plon, 2004) ; elle lui garantissait d'être un acteur de l'histoire, là où le Vieux Continent s'effaçait, tout occupé à ses affaires intérieures.
"Well, well, well...", dirait-on aujourd'hui dans la capitale fédérale. L'humeur a changé. Dix jours à Washington vous font entendre un son de cloche singulièrement moins martial. Mars n'a plus la cote et l'ombre de Vénus plane sur le Capitole. Les héros sont las, les guerriers aspirent au repos. Les Américains veulent se sortir au plus vite de dix ans de conflit armé dont ils ne voient pas la fin. Les Etats-Unis s'interrogent sur le bien-fondé de leur engagement en Irak, en Afghanistan et en Libye. Ils souffrent d'une immense "fatigue de la guerre", comme on dit à Washington.
L'opinion juge à l'aune de ce que l'administration précédente, celle de Bush junior, avait promis. L'Irak devait devenir la première grande démocratie du Proche-Orient. En Afghanistan, des décombres de trente ans de tragédies guerrières, l'Amérique ferait émerger un pouvoir central fort et, là aussi, l'esquisse d'une démocratie stable. Cela ne coûterait rien ou presque au contribuable américain. L'Afghanistan était une petite affaire et l'aventure irakienne s'autofinancerait avec le pétrole du pays.
Dix ans plus tard, la "fatigue de la guerre" est militaire, morale, financière. Le 22 juin, Barack Obama présentait son plan de retrait progressif d'Afghanistan. "Ces longues guerres doivent trouver une issue responsable", a lancé le président, évoquant l'Afghanistan et l'Irak. "Mais nous devons aussi en tirer les leçons, a-t-il dit, car cette décennie de conflits pose beaucoup de questions sur la nature de l'engagement de l'Amérique dans le monde."
Le républicain Robert Gates quitte ces jours-ci le Pentagone, où le démocrate Barack Obama l'avait supplié de rester en arrivant à la Maison Blanche. M. Gates s'en va avec la réputation d'avoir été l'un des plus grands ministres de la défense du pays. Il est aussi le plus franc, le plus direct : "Les Américains sont fatigués de ces dix années de guerre", répète-t-il. Amer ? M. Gates s'interroge à voix haute sur la pertinence de ces "guerres de choix" menées par l'Amérique contre des pays qui ne la menaçaient pas directement...
M. Obama veut retirer 33 000 soldats d'Afghanistan d'ici à septembre 2012. Il en restera 68 000, qui devront avoir quitté ce pays à la fin 2014. Réaction majoritaire au Congrès et dans l'opinion : cela ne va pas assez vite.
Deux raisons expliquent cette lassitude de la guerre. La première tient à un malaise profond, mal exprimé mais bien présent : l'absence de victoire claire et nette. L'Irak, aux mains de la majorité chiite, est toujours en proie aux attentats et à une mini-guerre civile rampante. En Afghanistan, d'où les talibans ont été détrônés il y a bientôt dix ans, la sortie envisagée passe, dit Washington, par une négociation avec les mêmes talibans ! Bref, rien, à Bagdad comme à Kaboul, qui ressemble à un vrai succès militaire ou politique, un succès bien carré, comme l'Amérique les aime : les méchants au tapis, les bons au pouvoir.
La deuxième raison, c'est le lien établi par les Américains entre ces guerres et la situation économique du pays. A tort ou à raison. L'élection présidentielle de 2012 se fera sur l'économie. Mais un nombre croissant d'élus et d'électeurs jugent que le "surengagement" du pays à l'extérieur est responsable de deux des grandes pathologies qui minent l'Amérique : un déficit budgétaire croissant, une dette publique nationale insupportable.
A ce jour, le coût des deux conflits est estimé à 1 300 milliards de dollars. Pour la seule année 2012, le prix de l'intervention en Afghanistan atteindra 120 milliards de dollars.
Républicains et démocrates jugent que ces années de guerre ont épuisé financièrement le pays, au moment où il aurait besoin de réserves pour relancer l'activité. Le message est à peu près le même d'un bord à l'autre du spectre politique, notamment chez les élus de base. Représentant républicain d'un Etat qui ne manque pourtant pas d'académies militaires, le député de Caroline du Nord Walter Jones assure : "Nous ne pouvons pas continuer à policer le monde." Sénateur démocrate de Virginie occidentale, Joe Mandrin assène : "Reconstruire l'Amérique ou l'Afghanistan, il faut choisir."
Plus significatif encore, le NewYork Times rapporte que la Conférence des maires du pays, réunie en juin, a adopté une résolution à tonalité isolationniste. Elle stipule que les impôts des Américains doivent servir à construire des ponts "à Baltimore et à Kansas City, pas à Bagdad ou à Kandahar". Traditionnellement, le Parti républicain porte haut et fort le drapeau de l'engagement à l'étranger. Cette fois, ses deux principaux candidats pour 2012, Mitt Romney et Jon Huntsman, sont les avocats d'un retrait rapide d'Afghanistan.
Est-on encore une superpuissance quand une partie de son budget militaire est prise en charge par un autre pays, en l'espèce, la Chine, acheteur numéro un de bons du Trésor américains ? L'un des papes de l'establishment stratégique du pays, Leslie Gelb, répond : "Ce qui déterminera l'avenir de l'Amérique, ce n'est pas ce qui peut arriver en Afghanistan aujourd'hui ou dans les cinq ans à venir, mais ce qui va se passer à propos d'une dette qui nous écrase."
LE MONDE
Commentaire