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Emmanuel Boundzéki Dongala

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  • Emmanuel Boundzéki Dongala

    Photo de groupe au bord du fleuve________


    Tu te réveilles le matin et tu sais d'avance que c'est un loin déjà levé qui se lève. Que cette journée qui commence sera la sœur jumelle de celle d'hier, d'avant-hier et d'avant avant-hier. Tu veux traîner un peu plus au lit, voler quelques minutes supplémentaires à ce jour qui pointe afin de reposer un brin plus longtemps ton corps courbatu, particulièrement ce bras gauche encore endolori par les vibrations du lourd marteau avec lequel tu cognes quotidiennement la pierre dure. Mais il faut te lever, Dieu n'a pas fait cette nuit plus longue pour toi.
    Tes trois enfants dorment encore, deux garçons et une fille. Les deux garçons partagent un matelas étalé sur un contreplaqué à même le sol, dans la pièce qui sert de salon. La fille dort avec toi. Tu l'as recueillie, il y a un peu plus d'un an, après le décès de sa mère, ta s½ur cadette. Morte du sida. Injuste mort. C'est à peine si elle y avait cru, lorsqu'elle s'était aperçue que tous les symptômes de sa maladie pointaient vers le sida : le zona, l'amaigrissement, le début des diarrhées et la toux tuberculeuse.
    Lorsqu'elle avait reçu les résultats des tests et qu'elle t'avait dit qu'ils indiquaient de façon irréfutable qu'elle etait malade du sida, une soudaine peur panique t'avait saisie avant de se transformer en une virulente colère envers son mari, et pour cause !
    Tamara ta s½ur n'avait jamais eu de transfusion san*guine, et les rares fois que ses crises de paludisme ne passaient pas avec des comprimés de chloroquine et qu'il lui fallait des injections à base d'artemisinine ou de quinine elle avait toujours utilisé des seringues à usage unique. Mieux encore, tu étais convaincue que cette petite s½ur bien-aimée dont tu avais pris soin toute ta vie avait toujours été fidèle à son mari et probablement avait-il été le premier homme avec qui elle avait fait l'amour. Comment le savais-tu ? Instinct de grande s½ur ! En conséquence, celui qui l'avait contaminée ne pouvait être que cet homme-là qui était devenu son mari. Ta colère contre lui redoublait chaque fois que tu le voyais s'asseoir auprès d'elle, affec*tueux, attentionné, lui essuyant de temps en temps le front avec son mouchoir, lui caressant les cheveux, lui parlant amoureusement. L'hypocrite ! En brisant ainsi une vie en plein essor, cet individu n'était rien moins qu'un assassin car, en plus d'ôter la vie à une s½ur et de priver un enfant de sa mère, il tuait aussi l'unique intellectuelle de la famille. Triste à dire, mais en Afrique, il n'y a pas que le sida et la malaria qui tuent, le mariage aussi.
    Incapable de contenir tes soupçons et ta colère, tu avais décidé d'affronter ta s½ur pour lui révéler l'affreuse vérité sur cet homme qu'elle continuait à aimer. Assise au bord de son lit et lui tenant la main, tu avais eu du mal à maî*triser le flot de tes invectives tandis qu'elle le regardait sans bouger avec des yeux qui paraissaient énormes dans son visage émacié. Quand enfin tu avais cessé de parler, une esquisse de sourire s'était dessiné sur ses lèvres. D'une voix affaiblie par la maladie, elle t'avait dit :
    -- Méré, c'est peut-être moi qui l'ai contaminé, qui sait ? Nous n'avions pas fait de tests avant de nous marier. Aujourd'hui nous sommes séropositifs tous les deux et j'ai déve*loppé la maladie avant lui. Est-ce parce que mes défenses sont plus faibles que les siennes ou est-ce parce que j'ai été contaminée plus longtemps, c'est-à-dire bien avant lui ? Va savoir ! Cela ne sert donc à rien de l'accuser.
    Elle avait alors ferme les yeux, fatiguée par l'effort. Tu étais perdue, et un moment ébranlée dans tes certitudes. Tu t'étais fait cependant vite une raison, la maladie avait cer*tainement emoussé les facultés critiques de ta pauvre s½ur. Tu continueras toujours à rendre cet homme responsable de sa maladie. Mais n'y pense plus, il faut préparer la jour*née qui commence"





    Né (14 juillet 1941-) est un écrivain et chimiste de la République du Congo.
    Emmanuel Dongala est aujourd'hui professeur de chimie à Simon's Rock College, dans le Massachusetts, et professeur de littérature africaine francophone à Bard College, dans l'État de New York. Depuis son exil new-yorkais, il s'inscrit dans le renouveau d'une littérature africaine en pleine mutation, trouvant son inspiration dans un monde bouleversé et essayant de déchiffrer ce qui se cache derrière l'apparence des choses. Son écriture d'une grande efficacité puise certainement ses qualités dans ses compétences de scientifique et dans son intérêt sincère pour l’homme.
    Né d'un père congolais et d'une mère centrafricaine, formé en France et aux États-Unis avant de devenir professeur de chimie à Brazzaville, Emmanuel Dongala a été le principal animateur du Théâtre de l'Eclair. Il a vécu l'essentiel de son existence au Congo-Brazzaville, jusqu'à son départ forcé au moment où, plongé dans des luttes fratricides, son pays a basculé dans le chaos à la fin des années 1990. En 1997, ce sont les États-Unis qui l'ont accueilli, lui ont offert un poste à l'université, grâce au mouvement de solidarité organisé par ses amis, notamment l'écrivain Philip Roth.
    Emmanuel Dongala a reçu le 2 novembre 2010 le prix Virilo 2010 pour son roman Photo de groupe au bord du fleuve paru chez Actes Sud.
    Source wikipédia
    Dernière modification par Aloha, 24 décembre 2011, 17h40.
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