Depuis plus de trois décennies, il y a ce reflexe vital chez les mauritaniens de rejeter tout facteur de déséquilibre en rapport avec le dossier du Sahara occidental. Moctar Ould Daddah n’y était-il pas trop impliqué ? Moustapha Ould Mohamed Saleck, trop indécis ? Khouna Ould Haidalla, trop engagé ?
La question saharienne, nœud du conflit entre le Maroc et l’Algérie, fait que la Mauritanie est restée incapable de faire l’équilibre entre ses deux puissants voisins du nord.
Au lendemain du retrait de la Mauritanie du conflit saharien, en 1979, Algériens et Marocains scrutent chacun les gestes du voisin mauritanien.
Quand Ould Taya renverse en décembre 1984, Ould Haidalla, allié d’Alger et ouvertement hostile au Maroc, le nouvel homme fort de Nouakchott inaugure une politique de « retour à la neutralité ». Lorsque la caravelle présidentielle atterrit à l’aéroport de Nouakchott, Ould Haidalla est aussitôt arrêté, ses gardes de corps, priés de descendre, les mains en l’air, tandis que, Feu colonel Ahmed Ould Minnih, ministre des affaires étrangères de Haidalla, officier très apprécié par la sécurité algérienne, et faisant partie de cette délégation est reconduit dans ses fonctions. Ould Taya ne manquera, par la suite, d’impliquer dans la gestion du pays des hommes, réputés proches du Polisario et par ricochet favorables à Alger : colonel Moulaye Ould Boukhreiss, colonel Sidi Ould Riha, Veten Ould Rgueiby (député du Ksar), Wellad Ould Abdhoum (député de Bir Moghrein).
De 1960 jusqu’en 1975, Moctar Ould Daddah est resté sourd aux pressions marocaines, ce qui lui a permis de rester au pouvoir durant une quinzaine d’années, comme lui Ould Taya a profité de sa stratégie de « neutralité » une vingtaine d’années durant.
Mais, c’est probablement, le début des travaux de la route Nouakchott-Nouadhibou, en juillet 2002, qui va détériorer les rapports entre Nouakchott et Alger.
En effet, cette voie donne l’unique ouverture terrestre au royaume, en raison de la fermeture de ses frontières avec l’Algérie et de celles avec la Mauritanie, bouclées par le « Mur marocain » du Sahara occidental. C’est à la même période que la Maroc reprend le capital de l’opérateur historique de téléphonie en Mauritanie, Mauritel.
Lorsque l’attaque de Lemghaity, caserne militaire au nord-est mauritanien, a lieu, l’armée mauritanienne attribue l’assaut au GSPC algérien de Mokhtar Belmoctar, n’excluant pas une main invisible algérienne.
Le 3 aout 2005, Ould Taya est renversé. Rabat n’a rien vu venir, mais peut se frotter les mains. Les deux tombeurs d’Ould Taya sont Ely Ould Mohamed Vall et Mohamed Ould Abdel Aziz, cousins consanguins, officiers Oulad Bousbâ, tribu mauritanienne qui compte beaucoup de ressortissants au Maroc, et Rabat refuse l’asile, aussitôt, à Ould Taya. Officiellement, c’est pour éviter de « s’immiscer dans les affaires d’un Etat voisin ».
Ould Mohamed Vall se rend même à Marrakech, mais sa tentative de rester au pouvoir est vite écartée par les colonels Ould Abdel Aziz et Ould Ghazouani. Dès l’investiture de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, celui-ci entame des négociations avec Alger.
Le 8 janvier 2008, Mohamed Hafedh Ould Isamail, ministre mauritanien chargé du Maghreb signe à Alger, avec son homologue algérien, Abdel Kader Messahel, une série d’accord parmi lesquels un accord sur le lancement d’un projet d’autoroute entre Tindouf et Choum.
Le journal algérien, Liberté, écrit à ce sujet : « ce projet ouvre à l’Algérie une porte directe sur l’océan Atlantique et réduit à néant la thèse marocaine arguant qu’elle apportait son soutien aux Sahraouis dans la perspective de s’assurer une telle possibilité ».
Ould Abdel Aziz, chef d’Etat-major Particulier de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, exploite alors cette « imprudence » de Sidi. En Février 2008, il se rend au Maroc où il est reçu par le Roi, au Palais de Marrakech.
Quatre mois plus tard, Sidi Ould Cheikh Abdellahi envoie son Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghf à Alger pour finaliser la signature des accords avec son homologue algérien, Abdel Aziz Belkhadem, en juin 2008.
A Nouakchott, la « fronde parlementaire » est lance et finit par déstabiliser le régime d’Ould Cheikh Abdellahi. Ce dernier est renversé par Ould Abdel Aziz, le 6 aout 2008.
Rabat se frotte encore une fois les mains, les rapports sociaux et le parcours du nouvel homme fort de Nouakchott sont à l’avantage du royaume, notent les observateurs. Ancien élève de l’Académie royale militaire de Meknès, le père de son épouse a longtemps vécu Maroc. D’ailleurs, Rabat lui témoigne sa bienveillance, cinq jours après le coup de force, en lui envoyant un émissaire en la personne du directeur des renseignements, Yassine Mansouri. A Alger, et avec le même empressement, on condamne le putsch et Bouteflika refuse de recevoir le numéro deux de la junte, le général Mohamed Ould Ghazouani.
Pris en tenailles entre deux voisins qui lui sont indispensables, Ould Abdel Aziz, déjà en rapport avec Kadhafi qui lui a fourni durant le mandat d’Ould Cheikh Abdellahi, un important arsenal militaire, se tourne vers celui-ci.
Le leader libyen contraint alors la France, en contrepartie de juteux marchés, mais aussi ses alliés Algériens, à aider Ould Abdel Aziz. Les appétits du colonel libyen pour la Mauritanie ne datant pas d’hier, c’est l’occasion pour lui ou jamais.
Paris, très hostile au coup d’Etat, devient de plus en plus indulgente et les deux Algériens, Ramtane Lamamra de l’Union Africaine et Said Djinit, envoyé spécial de l’ONU, assoupliront leur position fin 2008. Sur le plan extérieur, Ould Abdel Aziz peut désormais amortir la lourde pression américaine anti-putsch. Il a mis de son côté l’axe traditionnel Paris- Rabat-Dakar et celui d’Alger-Tripoli-Téhéran-Damas. Washington rejoint le peloton après l’élection d’Ould Abdel Aziz, les Américains préoccupés par la zone du Sahel ne veulent pas laisser toute la place à la France. Aziz peut donc affronter les accords de Dakar en toute sérénité.
A la veille sa première visite officielle à Paris, Aziz reçoit l’émissaire du Roi du Maroc, Yassine Mansouri. Mais, c’est trop tard, Nouakchott est désormais téléguidé à partir de Tripoli. A Paris, Aziz, sur conseil du colonel libyen, offre à la France l’appui nécessaire à la lutte contre le terrorisme. Mais, sur le terrain, Alger est irrité par les opérations mauritano-françaises en territoire malien. Et très vite, les actions menées se soldent par des échecs : les tentatives de libérer les otages français se soldent par la mort de ceux-ci et Aqmi écume aux portes de Nouakchott, obligeant les militaires mauritaniens à se replier dans leur territoire.
Mais, c’est surtout la crise libyenne qui va totalement changer la donne. La chute, puis la mort du colonel Kadhafi a rendu Ould Abdel Aziz « orphelin ». La France, comme tous les pays occidentaux, après les changements en Libye, revoit sa politique au Sahel. Le Mali qui offrait jusqu’ici la traque, sur son sol, des territoires aux militaires français et mauritaniens, revient sur sa position.
Avec l’appui des Américains, les Algériens mettent en place un état-major conjoint des pays du Sahel dont le Quartier Général est basé à Tamanrasset en Algérie. De quoi, soulever les inquiétudes des Français.
Cette nouvelle configuration contraint Ould Abdel Aziz à faire, et solennellement, son choix : ce sera pour Alger dont l’entremise peut le glisser sous le parapluie américain. La visite à Nouakchott, il y a quelques mois, du général Carter Ham, chef de d’Africom (commandement américain en Afrique) en est un geste significatif. La nomination de l’Ambassadeur de Mauritanie en Israël, Ahmed Ould Teguedi à New York, la désignation d’Ahmed Ould Sid’Ahmed (signataire de la normalisation Mauritanie-Israël), observateur de l’UA aux élections tunisiennes est aussi un clin d’œil à l’endroit de Washington.
En un demi-siècle, la Mauritanie demeure toujours malade du petit jeu des échecs auquel se livrent ses officiers et des ingérences extérieures. Ainsi, va ce pays. Et au coup d’Etat prochain… ?
Mohamed Ould Khayar
La Presse du 19/12/2011 ( canalrim Mauritanie)
La question saharienne, nœud du conflit entre le Maroc et l’Algérie, fait que la Mauritanie est restée incapable de faire l’équilibre entre ses deux puissants voisins du nord.
Au lendemain du retrait de la Mauritanie du conflit saharien, en 1979, Algériens et Marocains scrutent chacun les gestes du voisin mauritanien.
Quand Ould Taya renverse en décembre 1984, Ould Haidalla, allié d’Alger et ouvertement hostile au Maroc, le nouvel homme fort de Nouakchott inaugure une politique de « retour à la neutralité ». Lorsque la caravelle présidentielle atterrit à l’aéroport de Nouakchott, Ould Haidalla est aussitôt arrêté, ses gardes de corps, priés de descendre, les mains en l’air, tandis que, Feu colonel Ahmed Ould Minnih, ministre des affaires étrangères de Haidalla, officier très apprécié par la sécurité algérienne, et faisant partie de cette délégation est reconduit dans ses fonctions. Ould Taya ne manquera, par la suite, d’impliquer dans la gestion du pays des hommes, réputés proches du Polisario et par ricochet favorables à Alger : colonel Moulaye Ould Boukhreiss, colonel Sidi Ould Riha, Veten Ould Rgueiby (député du Ksar), Wellad Ould Abdhoum (député de Bir Moghrein).
De 1960 jusqu’en 1975, Moctar Ould Daddah est resté sourd aux pressions marocaines, ce qui lui a permis de rester au pouvoir durant une quinzaine d’années, comme lui Ould Taya a profité de sa stratégie de « neutralité » une vingtaine d’années durant.
Mais, c’est probablement, le début des travaux de la route Nouakchott-Nouadhibou, en juillet 2002, qui va détériorer les rapports entre Nouakchott et Alger.
En effet, cette voie donne l’unique ouverture terrestre au royaume, en raison de la fermeture de ses frontières avec l’Algérie et de celles avec la Mauritanie, bouclées par le « Mur marocain » du Sahara occidental. C’est à la même période que la Maroc reprend le capital de l’opérateur historique de téléphonie en Mauritanie, Mauritel.
Lorsque l’attaque de Lemghaity, caserne militaire au nord-est mauritanien, a lieu, l’armée mauritanienne attribue l’assaut au GSPC algérien de Mokhtar Belmoctar, n’excluant pas une main invisible algérienne.
Le 3 aout 2005, Ould Taya est renversé. Rabat n’a rien vu venir, mais peut se frotter les mains. Les deux tombeurs d’Ould Taya sont Ely Ould Mohamed Vall et Mohamed Ould Abdel Aziz, cousins consanguins, officiers Oulad Bousbâ, tribu mauritanienne qui compte beaucoup de ressortissants au Maroc, et Rabat refuse l’asile, aussitôt, à Ould Taya. Officiellement, c’est pour éviter de « s’immiscer dans les affaires d’un Etat voisin ».
Ould Mohamed Vall se rend même à Marrakech, mais sa tentative de rester au pouvoir est vite écartée par les colonels Ould Abdel Aziz et Ould Ghazouani. Dès l’investiture de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, celui-ci entame des négociations avec Alger.
Le 8 janvier 2008, Mohamed Hafedh Ould Isamail, ministre mauritanien chargé du Maghreb signe à Alger, avec son homologue algérien, Abdel Kader Messahel, une série d’accord parmi lesquels un accord sur le lancement d’un projet d’autoroute entre Tindouf et Choum.
Le journal algérien, Liberté, écrit à ce sujet : « ce projet ouvre à l’Algérie une porte directe sur l’océan Atlantique et réduit à néant la thèse marocaine arguant qu’elle apportait son soutien aux Sahraouis dans la perspective de s’assurer une telle possibilité ».
Ould Abdel Aziz, chef d’Etat-major Particulier de Sidi Ould Cheikh Abdellahi, exploite alors cette « imprudence » de Sidi. En Février 2008, il se rend au Maroc où il est reçu par le Roi, au Palais de Marrakech.
Quatre mois plus tard, Sidi Ould Cheikh Abdellahi envoie son Premier ministre, Yahya Ould Ahmed Waghf à Alger pour finaliser la signature des accords avec son homologue algérien, Abdel Aziz Belkhadem, en juin 2008.
A Nouakchott, la « fronde parlementaire » est lance et finit par déstabiliser le régime d’Ould Cheikh Abdellahi. Ce dernier est renversé par Ould Abdel Aziz, le 6 aout 2008.
Rabat se frotte encore une fois les mains, les rapports sociaux et le parcours du nouvel homme fort de Nouakchott sont à l’avantage du royaume, notent les observateurs. Ancien élève de l’Académie royale militaire de Meknès, le père de son épouse a longtemps vécu Maroc. D’ailleurs, Rabat lui témoigne sa bienveillance, cinq jours après le coup de force, en lui envoyant un émissaire en la personne du directeur des renseignements, Yassine Mansouri. A Alger, et avec le même empressement, on condamne le putsch et Bouteflika refuse de recevoir le numéro deux de la junte, le général Mohamed Ould Ghazouani.
Pris en tenailles entre deux voisins qui lui sont indispensables, Ould Abdel Aziz, déjà en rapport avec Kadhafi qui lui a fourni durant le mandat d’Ould Cheikh Abdellahi, un important arsenal militaire, se tourne vers celui-ci.
Le leader libyen contraint alors la France, en contrepartie de juteux marchés, mais aussi ses alliés Algériens, à aider Ould Abdel Aziz. Les appétits du colonel libyen pour la Mauritanie ne datant pas d’hier, c’est l’occasion pour lui ou jamais.
Paris, très hostile au coup d’Etat, devient de plus en plus indulgente et les deux Algériens, Ramtane Lamamra de l’Union Africaine et Said Djinit, envoyé spécial de l’ONU, assoupliront leur position fin 2008. Sur le plan extérieur, Ould Abdel Aziz peut désormais amortir la lourde pression américaine anti-putsch. Il a mis de son côté l’axe traditionnel Paris- Rabat-Dakar et celui d’Alger-Tripoli-Téhéran-Damas. Washington rejoint le peloton après l’élection d’Ould Abdel Aziz, les Américains préoccupés par la zone du Sahel ne veulent pas laisser toute la place à la France. Aziz peut donc affronter les accords de Dakar en toute sérénité.
A la veille sa première visite officielle à Paris, Aziz reçoit l’émissaire du Roi du Maroc, Yassine Mansouri. Mais, c’est trop tard, Nouakchott est désormais téléguidé à partir de Tripoli. A Paris, Aziz, sur conseil du colonel libyen, offre à la France l’appui nécessaire à la lutte contre le terrorisme. Mais, sur le terrain, Alger est irrité par les opérations mauritano-françaises en territoire malien. Et très vite, les actions menées se soldent par des échecs : les tentatives de libérer les otages français se soldent par la mort de ceux-ci et Aqmi écume aux portes de Nouakchott, obligeant les militaires mauritaniens à se replier dans leur territoire.
Mais, c’est surtout la crise libyenne qui va totalement changer la donne. La chute, puis la mort du colonel Kadhafi a rendu Ould Abdel Aziz « orphelin ». La France, comme tous les pays occidentaux, après les changements en Libye, revoit sa politique au Sahel. Le Mali qui offrait jusqu’ici la traque, sur son sol, des territoires aux militaires français et mauritaniens, revient sur sa position.
Avec l’appui des Américains, les Algériens mettent en place un état-major conjoint des pays du Sahel dont le Quartier Général est basé à Tamanrasset en Algérie. De quoi, soulever les inquiétudes des Français.
Cette nouvelle configuration contraint Ould Abdel Aziz à faire, et solennellement, son choix : ce sera pour Alger dont l’entremise peut le glisser sous le parapluie américain. La visite à Nouakchott, il y a quelques mois, du général Carter Ham, chef de d’Africom (commandement américain en Afrique) en est un geste significatif. La nomination de l’Ambassadeur de Mauritanie en Israël, Ahmed Ould Teguedi à New York, la désignation d’Ahmed Ould Sid’Ahmed (signataire de la normalisation Mauritanie-Israël), observateur de l’UA aux élections tunisiennes est aussi un clin d’œil à l’endroit de Washington.
En un demi-siècle, la Mauritanie demeure toujours malade du petit jeu des échecs auquel se livrent ses officiers et des ingérences extérieures. Ainsi, va ce pays. Et au coup d’Etat prochain… ?
Mohamed Ould Khayar
La Presse du 19/12/2011 ( canalrim Mauritanie)
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