Mohammed VI. Le vrai bilan
On pensait que Mohammed VI avait vécu le plus dur, au moment où il héritait du trône de son père, Hassan II, en 1999. En fait, non. Le premier test, le vrai, l’attendait en cette année 2011 où tout, soudain, est redevenu possible. Mais si, globalement, le roi a fait le dos rond et affronté sans trébucher les nombreux écueils qui se sont dressés sur son chemin, son bilan reste contrasté. TelQuel fait le point, très simplement, sur les “plus” et les “moins” d’une année forte en émotions.
Le Maroc boucle l’année 2011 avec un gouvernement hétéroclite, un de plus, avec les anciens communistes du PPS, les libéraux du MP, les conservateurs de l’Istiqlal et les islamistes du PJD. Qui l’eût cru ? Il y a un an, une telle configuration était impensable. Parce qu’il y a un élément nouveau, et il est de taille : le PJD a pris la place du PAM, parti bâti autour de Fouad Ali El Himma et programmé pour arriver aux affaires en 2012. Si rien n’a marché comme prévu, c’est que le Printemps arabe est passé par là. Il a précipité la tenue des législatives et il a surtout tué- le mot n’est pas trop fort- le PAM, renvoyé El Himma à sa vraie place (à l’intérieur du cabinet royal) et favorisé l’émergence du PJD.
Voilà donc le royaume, qui s’est doté au passage d’une nouvelle constitution légèrement plus démocratique que l’ancienne, sur le point d’attaquer une nouvelle année avec le Palais aux commandes et les islamistes comme associés. Alors, c’est bien ou pas bien ? Ni l’un, ni l’autre. Le Maroc méritait mieux mais sa situation, valeur aujourd’hui, aurait pu être pire.
Il est beau (mon royaume) vu de l’extérieur…
Vu de l’extérieur, le royaume apparaît paradoxalement comme le bon élève arabe. En Europe et aux Etats-Unis, on le décrit comme étant “un pays qui se démocratise”, “évolue pacifiquement”, “respecte le statut de la femme”, et “fait des progrès en matière de droits de l’homme”. Dans le monde arabe, l’image du royaume n’est pas aussi brillante, mais elle a l’avantage d’être relativement propre, avec, nous explique-t-on, “une monarchie ancienne et non contestée”, “une transition (entre les règnes de Hassan II et Mohammed VI) douce”, etc.
Ce n’est pas un hasard si la Ligue Arabe a choisi, en novembre dernier, d’adresser un nouvel ultimatum au régime sanguinaire de Bachar Al Assad…à partir de Rabat. Dans les circuits diplomatiques, le choix de Rabat a un sens : la Ligue Arabe cautionne “l’évolution” du Maroc et le met, ou presque, sur le même pied d’égalité que les régimes qui viennent de chasser leurs présidents dictateurs.
Ce n’est pas pour rien, non plus, que l’émir du Qatar, Khalifa Bin Hamad Al Thani, a choisi de se déplacer jusqu’à Rabat pour investir dans trois fonds portant sur une enveloppe globale de 7 milliards de dollars. Le Qatar de Khalifa Al Thani n’est pas le meilleur ami du Maroc, et s’il a eu ce “geste” et ce coup de pouce pour Mohammed VI, c’est qu’il fait partie de ce monde, arabe ou occidental, qui mise sur l’évolution marocaine et lui apporte son soutien et sa bienveillance.
Le traitement de faveur est encore plus flagrant quand on se penche sur les médias internationaux. Journaux, radios et télévisions, la plupart ont adopté le même parti pris, le même bémol, la même consigne, en gros : même si le Maroc n’est pas une démocratie, ne pas hésiter à souligner que le pouvoir n’y est pas contesté, que la liberté d’expression y progresse, que les femmes y sont respectées, que la nouvelle Constitution crédibilise l’institution du Premier ministre… et que la rue reste calme.
Bienveillance naïve ou coupable ?
Le consensus, pour ne pas dire l’unanimisme international, n’est pas totalement infondé. Il ne repose pas sur du vent. Mais il est douteux. Parce que- et la nuance est de taille- il est partiel, biaisé, faussé, en un mot, il n’est pas le reflet de la réalité marocaine, loin s’en faudrait. Cet unanimisme repose même -et c’est étonnant- sur le plus insupportable des parti pris : ne pas tout montrer et ne pas tout dire. Pourtant dure avec les régimes arabes (et dure avec le Maroc, jusqu’à un passé récent), la chaîne qatarie Al Jazeera a choisi, étrangement, de ne jamais zoomer sur les manifestations populaires qui ont secoué toutes les villes du royaume. La télévision par laquelle la révolution arabe arrive, ou passe, a souvent ignoré les marches du M20, ou alors elle en a systématiquement minimisé la portée, évitant notamment de relayer les slogans régicides. L’impression qu’Al Jazeera a dégagée tout au long de l’année est que le royaume vit un printemps tranquille, calme, cool. Est-ce que la chaîne de Doha a agi par inadvertance, parce que trop occupée à canaliser le flot d’images reçues de Libye, d’Egypte et de Tunisie ? A-t-elle, au contraire, agi conformément à un parti pris politique et à une certaine ligne éditoriale, récente, définissant le Maroc de Mohammed VI comme le bon modèle arabe ?
Le traitement partiel d’Al Jazira n’est rien à côté de l’image renvoyée par les médias européens et américains, qui ont globalement choisi de naniser la contestation populaire et d’exagérer la portée démocratique de la nouvelle Constitution. Est-ce le fait d’oublis journalistiques somme toute compréhensibles ou est-ce une réponse à des parti pris beaucoup plus politiques ?
En somme, le traitement de faveur réservé au Maroc repose sur des approximations “innocentes” ou coupables ? A chacun de voir, selon sa perception des enjeux géostratégiques et des contraintes de la realpolitik qui gouvernent notre monde…
Demain 2012
Ce qui est sûr, c’est que la désormais très belle image du royaume à l’extérieur contraste fortement avec la réalité intérieure. “Il est beau vu de l’extérieur…” comme chantait Serge Gainsbourg. Sur le total de l’année, jamais on n’a “marché” et manifesté autant au Maroc. Cela veut dire que jamais, sur une période aussi courte, la contestation, mais aussi son corollaire, l’espoir, n’ont été aussi forts. Et de cela les Marocains ont bien pris compte. La colère et l’espoir ont repris naissance tout au long de l’année 2011 et il en sera fortement question l’année prochaine, rassurons-nous…
Et le roi, dans tout cela ? Il n’a mené aucune révolution, préférant gérer la situation au coup par coup, anticipant sur les coups durs et faisant le dos rond au moindre souffle de tempête. Il a mené une partie d’échecs en s’efforçant de garder une longueur d’avance sur les autres. Son idée, c’est l’évolution, le glissement qui tient lieu de changement, la continuité… En 2011, cela a suffi pour contenir l’arrivée aux affaires des islamistes du PJD, les coups de boutoir de ces autres islamistes d’Al Adl Wal Ihsane et, surtout, l’émergence du M20, porte-étendard d’une jeunesse longtemps méprisée. Qu’en sera-t-il en 2012 ?
On pensait que Mohammed VI avait vécu le plus dur, au moment où il héritait du trône de son père, Hassan II, en 1999. En fait, non. Le premier test, le vrai, l’attendait en cette année 2011 où tout, soudain, est redevenu possible. Mais si, globalement, le roi a fait le dos rond et affronté sans trébucher les nombreux écueils qui se sont dressés sur son chemin, son bilan reste contrasté. TelQuel fait le point, très simplement, sur les “plus” et les “moins” d’une année forte en émotions.
Le Maroc boucle l’année 2011 avec un gouvernement hétéroclite, un de plus, avec les anciens communistes du PPS, les libéraux du MP, les conservateurs de l’Istiqlal et les islamistes du PJD. Qui l’eût cru ? Il y a un an, une telle configuration était impensable. Parce qu’il y a un élément nouveau, et il est de taille : le PJD a pris la place du PAM, parti bâti autour de Fouad Ali El Himma et programmé pour arriver aux affaires en 2012. Si rien n’a marché comme prévu, c’est que le Printemps arabe est passé par là. Il a précipité la tenue des législatives et il a surtout tué- le mot n’est pas trop fort- le PAM, renvoyé El Himma à sa vraie place (à l’intérieur du cabinet royal) et favorisé l’émergence du PJD.
Voilà donc le royaume, qui s’est doté au passage d’une nouvelle constitution légèrement plus démocratique que l’ancienne, sur le point d’attaquer une nouvelle année avec le Palais aux commandes et les islamistes comme associés. Alors, c’est bien ou pas bien ? Ni l’un, ni l’autre. Le Maroc méritait mieux mais sa situation, valeur aujourd’hui, aurait pu être pire.
Il est beau (mon royaume) vu de l’extérieur…
Vu de l’extérieur, le royaume apparaît paradoxalement comme le bon élève arabe. En Europe et aux Etats-Unis, on le décrit comme étant “un pays qui se démocratise”, “évolue pacifiquement”, “respecte le statut de la femme”, et “fait des progrès en matière de droits de l’homme”. Dans le monde arabe, l’image du royaume n’est pas aussi brillante, mais elle a l’avantage d’être relativement propre, avec, nous explique-t-on, “une monarchie ancienne et non contestée”, “une transition (entre les règnes de Hassan II et Mohammed VI) douce”, etc.
Ce n’est pas un hasard si la Ligue Arabe a choisi, en novembre dernier, d’adresser un nouvel ultimatum au régime sanguinaire de Bachar Al Assad…à partir de Rabat. Dans les circuits diplomatiques, le choix de Rabat a un sens : la Ligue Arabe cautionne “l’évolution” du Maroc et le met, ou presque, sur le même pied d’égalité que les régimes qui viennent de chasser leurs présidents dictateurs.
Ce n’est pas pour rien, non plus, que l’émir du Qatar, Khalifa Bin Hamad Al Thani, a choisi de se déplacer jusqu’à Rabat pour investir dans trois fonds portant sur une enveloppe globale de 7 milliards de dollars. Le Qatar de Khalifa Al Thani n’est pas le meilleur ami du Maroc, et s’il a eu ce “geste” et ce coup de pouce pour Mohammed VI, c’est qu’il fait partie de ce monde, arabe ou occidental, qui mise sur l’évolution marocaine et lui apporte son soutien et sa bienveillance.
Le traitement de faveur est encore plus flagrant quand on se penche sur les médias internationaux. Journaux, radios et télévisions, la plupart ont adopté le même parti pris, le même bémol, la même consigne, en gros : même si le Maroc n’est pas une démocratie, ne pas hésiter à souligner que le pouvoir n’y est pas contesté, que la liberté d’expression y progresse, que les femmes y sont respectées, que la nouvelle Constitution crédibilise l’institution du Premier ministre… et que la rue reste calme.
Bienveillance naïve ou coupable ?
Le consensus, pour ne pas dire l’unanimisme international, n’est pas totalement infondé. Il ne repose pas sur du vent. Mais il est douteux. Parce que- et la nuance est de taille- il est partiel, biaisé, faussé, en un mot, il n’est pas le reflet de la réalité marocaine, loin s’en faudrait. Cet unanimisme repose même -et c’est étonnant- sur le plus insupportable des parti pris : ne pas tout montrer et ne pas tout dire. Pourtant dure avec les régimes arabes (et dure avec le Maroc, jusqu’à un passé récent), la chaîne qatarie Al Jazeera a choisi, étrangement, de ne jamais zoomer sur les manifestations populaires qui ont secoué toutes les villes du royaume. La télévision par laquelle la révolution arabe arrive, ou passe, a souvent ignoré les marches du M20, ou alors elle en a systématiquement minimisé la portée, évitant notamment de relayer les slogans régicides. L’impression qu’Al Jazeera a dégagée tout au long de l’année est que le royaume vit un printemps tranquille, calme, cool. Est-ce que la chaîne de Doha a agi par inadvertance, parce que trop occupée à canaliser le flot d’images reçues de Libye, d’Egypte et de Tunisie ? A-t-elle, au contraire, agi conformément à un parti pris politique et à une certaine ligne éditoriale, récente, définissant le Maroc de Mohammed VI comme le bon modèle arabe ?
Le traitement partiel d’Al Jazira n’est rien à côté de l’image renvoyée par les médias européens et américains, qui ont globalement choisi de naniser la contestation populaire et d’exagérer la portée démocratique de la nouvelle Constitution. Est-ce le fait d’oublis journalistiques somme toute compréhensibles ou est-ce une réponse à des parti pris beaucoup plus politiques ?
En somme, le traitement de faveur réservé au Maroc repose sur des approximations “innocentes” ou coupables ? A chacun de voir, selon sa perception des enjeux géostratégiques et des contraintes de la realpolitik qui gouvernent notre monde…
Demain 2012
Ce qui est sûr, c’est que la désormais très belle image du royaume à l’extérieur contraste fortement avec la réalité intérieure. “Il est beau vu de l’extérieur…” comme chantait Serge Gainsbourg. Sur le total de l’année, jamais on n’a “marché” et manifesté autant au Maroc. Cela veut dire que jamais, sur une période aussi courte, la contestation, mais aussi son corollaire, l’espoir, n’ont été aussi forts. Et de cela les Marocains ont bien pris compte. La colère et l’espoir ont repris naissance tout au long de l’année 2011 et il en sera fortement question l’année prochaine, rassurons-nous…
Et le roi, dans tout cela ? Il n’a mené aucune révolution, préférant gérer la situation au coup par coup, anticipant sur les coups durs et faisant le dos rond au moindre souffle de tempête. Il a mené une partie d’échecs en s’efforçant de garder une longueur d’avance sur les autres. Son idée, c’est l’évolution, le glissement qui tient lieu de changement, la continuité… En 2011, cela a suffi pour contenir l’arrivée aux affaires des islamistes du PJD, les coups de boutoir de ces autres islamistes d’Al Adl Wal Ihsane et, surtout, l’émergence du M20, porte-étendard d’une jeunesse longtemps méprisée. Qu’en sera-t-il en 2012 ?
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