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"Le régime iranien cherche à accroître son influence en Amérique latine"

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  • "Le régime iranien cherche à accroître son influence en Amérique latine"

    Azadeh Kian, politologue et sociologue spécialiste de l’Iran, enseignante à l'université Paris-VII | LEMONDE.FR | 10.01.12 | 13h44 • Mis à jour le 10.01.12 | 14h45

    Depuis le début de l'année, l'Iran, soumis à de vives pressions en raison de son programme nucléaire controversé, joue les matamores. Loin de se plier aux objurgations de la communauté internationale, le régime des mollahs a indiqué lundi 9 janvier, par la voix du Guide suprême Ali Khamenei, qu'il ne céderait pas face aux sanctions étrangères. Au scénario, de plus en plus probable, d'un embargo pétrolier européen, répond la menace de fermeture du détroit d'Ormuz, goulet stratégique entre le golfe Persique et la mer d'Oman, par lequel transite près d'un cinquième du brut mondial.

    Dans ce contexte géopolitique troublé, le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a entrepris, dimanche, de se rendre en Amérique latine. Après le Venezuela, sa tournée – la sixième dans la région depuis 2005 – doit le conduire successivement au Nicaragua, à Cuba et en Equateur. Un périple à forte dimension stratégique, dont Azadeh Kian, politologue et sociologue spécialiste de l’Iran, décrypte les enjeux, mais aussi les limites.

    Quel est l’objectif de la tournée de Mahmoud Ahmadinejad ?

    A mon sens, l’objectif poursuivi par le président iranien est double. D’une part, étant fragilisé sur le plan extérieur, il veut essayer de rallier à sa cause certains pays d’Amérique latine, et ce afin de bénéficier de leur soutien au sein des grandes instances internationales avec lesquelles il est en délicatesse. Je pense notamment à l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) et au Conseil de sécurité des Nations unies. D’autre part, il s'agit aussi et surtout pour lui d’un moyen de contourner les sanctions internationales, surtout américaines et européennes, à l’encontre du secteur bancaire iranien.

    Faut-il y voir, comme l'affirment les Etats-Unis, une volonté "désespérée" du régime iranien de briser son isolement et de pallier ses difficultés économiques intérieures ?

    Oui, tout à fait. D’un point de vue économique d’ailleurs, il convient de rappeler que, depuis sa première élection en 2005, le président iranien – contrairement à son prédécesseur, Mohammad Khatami [1997-2005], dont le tropisme était plutôt pro-européen – a beaucoup investi en Amérique latine, et plus particulièrement au Venezuela : construction de logements, développement technologique, coopération dans les secteurs bancaire et financier, mais aussi en matière d’exploration et de raffinage du pétrole. Ce n’est pas un hasard, dans la mesure où ce pays est le plus gros producteur d’or noir d’Amérique du Sud [d’après l'OPEP, la production journalière du Venezuela, dont les réserves prouvées fin 2010 étaient les plus grandes du monde (296,50 milliards de barils), s’élèverait à 2,3 millions de barils]. Sur le plan idéologique, également, l'Iran sait qu’il peut compter sur son partenaire vénézuélien, Mahmoud Ahmadinejad et Hugo Chavez partageant la même rhétorique anti-impérialiste et anti-américaine.

    Le choix d’effectuer cette tournée dans ce qui était naguère considéré comme "l’arrière-cour des Etats-Unis" n’est-il pas un avertissement aux Etats-Unis ?

    Il est clair en tout cas que le régime iranien cherche à accroître son influence en Amérique latine. En témoigne l'augmentation constante du nombre de diplomates iraniens dans la région ces dernières années. Certains observateurs ont également évoqué le fait que la force Al-Qods [force d’élite des Gardiens de la révolution, fondée au début des années 1990] s’efforçait de prendre pied dans cette zone. De mon point de vue, cette thèse est tout à fait crédible, d’autant que l’essentiel de la politique étrangère de la République islamique est dicté par les pasdarans, beaucoup plus que par le ministère des affaires étrangères… Pour autant, je ne crois pas que cela représente une menace pour les Etats-Unis, en tout cas, pas encore.

    Contrairement à 2009, le président iranien ne fait pas halte au Brésil. Que faut-il en déduire ?


    Cela reflète un net revirement, surtout par rapport à mai 2010, lorsque le Brésil avait mené, de concert avec la Turquie, une mission de bons offices destinée à régler l’épineuse question du nucléaire iranien via un accord d'échange d’uranium. Je pense qu’à l’inverse de Lula, qui entretenait une relation à la fois étroite et cordiale avec Mahmoud Ahmadinejad, Dilma Rousseff ne veut pas mettre en péril sa relation avec les Etats-Unis, juste pour se rapprocher du régime iranien. D'autant que la relation entre les deux pays est profondément asymétrique : en 2010, le Brésil était le 10e partenaire commercial de l’Iran, quand Téhéran n'était que le 27e partenaire de Brasilia...

    Outre le Venezuela, pourquoi privilégier le Nicaragua, Cuba et l'Equateur ?


    Du point de vue iranien, ces trois pays présentent l'avantage d’être des régimes soit anti-américains, soit qui ont pris leurs distances avec la politique américaine depuis plusieurs années. Mais, au-delà de ça, la République islamique y voit un autre intérêt, plus crucial : ces Etats sont membres des instances internationales, leur voix compte. Si Téhéran investit dans ces pays-là, comme en Afrique d’ailleurs, ce n’est pas tant pour en retirer des bénéfices économiques que pour pouvoir compter, le moment venu, sur leur soutien. Il y a donc une dimension stratégique importante dans la démarche du président iranien.

    Ce périple en Amérique latine a-t-il également des visées intérieures ?


    Absolument. Mahmoud Ahmadinejad veut montrer aux Iraniens que leur pays n’est pas aussi isolé que d’aucuns le prétendent. C'est un moyen de leur dire : "Si l'Europe et les Etats-Unis nous boycottent, ce n'est pas le cas d'autres pays". L’objectif est de rassurer l'électorat à l'approche des élections législatives du 2 mars, les premières auxquelles les factions réformistes ne participeront pas depuis l’avènement du régime islamique en 1979.

    De surcroît, c’est aussi l’occasion de renforcer sa stature internationale à l’heure où les tensions sont vives avec la garde rapprochée du Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, et certains conservateurs, dont le président du Majlis [le parlement], Ali Larijani. Depuis plusieurs mois, il apparaît très clairement que le premier cercle autour de Mahmoud Ahmadinejad – et notamment son chef de cabinet, Esfandiar Rahim Mashaie – est sur la sellette. Du coup, Ahmadinejad, lui aussi, est fragilisé...

    Que peut retirer Téhéran de cette tournée dans le contexte actuel ?


    Le seul gain de cette tournée échoit à Mahmoud Ahmadinejad qui, en s'inscrivant en faux contre la thèse de l'isolement, cherche à apparaître en position de force face à ses détracteurs. Pour l’Iran, en revanche, je ne vois aucun bénéfice matériel. Comme je l'ai expliqué précédemment, depuis qu’il a pris les rênes du pays, Mahmoud Ahmadinejad a financé de nombreux projets en Amérique latine, notamment de construction de logements. Mais le peuple iranien, lui, n’a jamais profité de telles largesses, malgré des besoins pressants dans ce domaine…


    Propos recueillis par Aymeric Janier
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