Acteur de premier plan en sa qualité de chef de gouvernement lorsque le pouvoir avait décidé d’interrompre le processus électoral, Sid Ahmed Ghozali estime que ce choix a été «un coup d’épée dans l’eau» ; car si pour de nombreux acteurs il avait pour but
de «sauver la République», pour d’autres «la réelle motivation était de sauver le pouvoir à n’importe
quel prix».
- Vous étiez chef de gouvernement quand l’interruption du processus électoral le 12 janvier 1991 a eu lieu. Vingt ans après, avez-vous toujours le même regard ?
Simplement un préliminaire au sujet de l’arrêt du processus électoral de 1992. C’est bon d’en parler. C’est un moment important de cette période qui y a conduit et mérite que l’en on parle, non pas pour refaire l’histoire, mais pour en connaître les tenants et les aboutissants, savoir en quoi il a été une bonne chose pour l’Algérie. Il faut qu’un jour qu’on engage un véritable débat national contradictoire sur cette question qui doit être présentée au public sous des angles différents.
Si le but est d’éclairer l’opinion, les déclarations, écrits ou autres, récits unilatéraux, doivent être étayés par le débat contradictoire. Durant ces vingt dernières années, on a trop peu dit ou alors trop dit. Aussi bien sur la genèse que sur les suites de l’événement et je dirais même sur ses conséquences.
Sur l’analyse de l’angle du processus, je n’ai pas à changer un iota. Sur l’angle de la santé ou la validité de la décision je n’ai pas à changer. Et ce qui est changé dans mon approche, c’est tout simplement ce qu’on a fait et vu durant vingt ans. Et qui m’a conduit à dire qu’en fin de compte, cette opération a été un coup d’épée dans l’eau. Elle n’a servi en rien notre pays. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas tiré de leçons aussi bien du vote que les raisons qui ont conduit à l’arrêt du processus électoral.
- Pourquoi avoir fait ce choix alors ?
Je m’explique. Il faut se poser la question de savoir si l’arrêt dudit processus a été le point de départ de quelque chose ou bien l’aboutissement de quelque chose. Or, la pensée dominante une pensée sciemment et pernicieusement instillée dans les esprits par les tenants du même pouvoir va jusqu’à postuler la période tragique des années 1990 qui est le résultat de l’arrêt du processus électoral. Que les initiateurs de l’action violente aient porté cette thèse, cela est de bonne guerre. Pour eux, le FIS dira qu’il y a eu recours pour défendre la démocratie. Mais que ce soit le pouvoir, le même pouvoir d’aujourd’hui qui fut porteur de cette thèse, voilà qui devrait donner un éclairage largement méconnu sur la genèse du 11 janvier 1992. Attendez vous à ce qu’on se mette aujourd’hui à vous expliquer que même la situation actuelle du pays «c’est la faute au processus du 11 janvier 1992».
- Vous laissez entendre qu’il y avait une sorte de pacte entre le pouvoir et les islamistes du FIS...
Pas nécessairement un pacte, mais il y a ce qu’on appelle dans la dialectique marxiste une alliance objective entre les deux forces politiques réelles du pays. Avec l’enjeu commun et le seul enjeu : le pouvoir. Il faut se poser la question de savoir si c’est un hasard qui a fait que l’arrêt du processus n’est pas intervenu en fin de compte pour occulter les vraies raisons du vote des Algériens, à savoir la faillite d’un système et d’une politique. C’est ce qui a conduit les Algérien à donner la majorité au FIS. C’est le résultat d’une décennie d’une gestion politique catastrophique. Par conséquent, il n’avait pas intérêt à charger ce pouvoir. Donc, l’opération a été faite pour exonérer le pouvoir et dire que tout cela est dû à l’arrêt des élections et au terrorisme.
- L’arrêt du processus électoral était présenté comme une décision pour «sauver» la République. A vous entendre, on a finalement sauvé le pouvoir…
Il faut distinguer une bonne fois pour toutes les acteurs : les acteurs visibles, quelle que soit la couleur de leur tenue. Cette distinction étant bien faite, j’affirme que les seules motivations des uns étaient de sauver la République, qu’ils aient eu tort ou raison, telle fut leur seule motivation, et je reste catégorique sur ce point et prêt à vous le démontrer. J’ajoute, tout aussi catégorique, que la réelle motivation des autres fut de sauver le pouvoir à n’importe quel prix.
Je rappelle en passant, à un moment où on a tendance à l’oublier, l’existence, parmi les acteurs visibles et de manière massive, la rue et la société civile qui, bien avant la démission de Chadli, ont réclamé l’arrêt du processus électoral entamé le 27 décembre 1991.
- Mais pas pour les mêmes objectifs ?
C’est ce que je viens de dire. Et ce n’est que la reproduction mot pour mot de ce que j’avais dit officiellement, publiquement, en ma qualité de chef de gouvernement et à plusieurs reprises. Lors du vote d’investiture de l’Assemblée nationale, le 8 juillet 1991, j’ai rappelé les conditions insurrectionnelles dans lesquelles mon gouvernement avait été formé, et j’ai procédé à une analyse en disant que la violence que nous vivions était le résultat d’une situation de violence qui avait commencé à se développer bien avant, dès le lendemain de la disparition de Boumediène. Et que le FIS n’était pas le premier à avoir provoqué cette violence. Avant lui, il y avait une autre violence et c’est là que j’ai employé la formule «le peuple algérien s’est trouvé entre la marteau et l’enclume».
Entre un pouvoir dont l’obsession première était de s’attacher uniquement au pouvoir, au détriment du règlement des affaires du pays, et cela a duré dix ans. Il a laissé filer une crise économique qui s’est muée en crise sociale, qui s’est muée en crise politique et morale. Et ce n’est qu’après que le FIS est venu, pour essayer de profiter de cette situation, pour prendre le pouvoir à son tour. J’avais même condamné les tractations qui étaient en train de se faire, depuis 1989, avec le FIS pour partager le pouvoir. Il y avait une stratégie qui était déployée qui consistait à amener le FIS aux communes et au gouvernement dans l’idée qu’il allait se casser la figure et que le pouvoir en sortirait régénéré. Voilà la situation.
J’avais proclamé au préalable, dans mon discours à l’APN, que tous les gouvernements qui se sont succédé, y compris le mien n’émanaient pas de la volonté populaire. Et qu’à l’époque, mon gouvernement comme les autres étaient handicapés dès le départ.
Dans mon analyse publique (interview, télévision) des résultats du premier tour j’ai dit sans ambages que ces résultats avaient une signification, que c’était «un cri de rejet très fort par les électeurs du pouvoir qu’ils considéraient comme responsable de leurs malheurs».
- Vous parliez de tractations entre le FIS et le pouvoir. Peut-on identifier ce pouvoir, la présidence, les militaires ?
Il y a eu, entre fin 1990 et début 1991, des tractations secrètes et des accords conclus entre le gouvernement et le FIS pour que les élections législatives, avancées à juin 1991, ne donnent pas un vainqueur et puis prendraient le FFS comme arbitre. Cette tractation avait existé et on avait convaincu le président de la République, Chadli Bendjedid. Le gouvernement pensait qu’il fallait laisser le FIS prendre le pouvoir aux communes et au niveau du gouvernement. Comme la situation financière du pays était catastrophique, il se casserait la figure, ce qui permettrait au pouvoir de rebondir. J’ai été ministre des Affaires étrangères et quand j’ai appris cela, j’ai démissionné. Il y avait des gens, à l’intérieur de l’armée, qui étaient contre ces tractations qui se faisaient dans leur dos. Il est important de rappeler cela parce que nous sommes en train de répéter la même chose actuellement.
- Que pensez-vous de la thèse qui édicte que Octobre 1988 était une manipulation du pouvoir ?
Ce sont eux-mêmes qui le reconnaissent ; ce n’est pas moi qui le dis. Il y a des gens qui étaient au pouvoir à l’époque qui disent qu’Octobre 88 avait été initié par le pouvoir lui-même, mais que les choses, après, lui ont échappé. C’est devenu, malgré eux, un vrai printemps algérien. Les acteurs principaux du pouvoir reconnaissent cela, que vous rappelez à juste titre, à savoir que les événements d’Octobre sont intervenus dans une situation sociale et politique très tendue. Et que l’heure des bilans était arrivée. Et pour justement passer cette période des bilans, on a allumé une mèche. Je ne fais que reprendre ce que les acteurs disent, bien que cela corresponde parfaitement à mon analyse. Les choses ont commencé le 19 septembre avec le discours du président-secrétaire général du FLN, où il dressait un tableau sombre et disait «ça va mal»et que «le responsable, c’est le FLN». Et ce, depuis lors qu’on a commencé à entendre dans la rue «FLN seraqine» (FLN, des voleurs). Le pouvoir lui-même a ancré dans l’esprit des Algériens que le responsable de cette situation-là était le FLN.
Ce qui est profondément injuste et pas vrai. Parce que le FLN n’a jamais été au pouvoir.
- Qui était au pouvoir alors ?
Nous sommes dans une situation de pouvoir occulte. Vous n’allez pas croire que nous sommes dans le pouvoir tel que décrit dans la Constitution. Pensez-vous que, chez nous, le Président est élu par le peuple ? Il faut simplement comparer ce que dit la Constitution et ce qui se passe sur le terrain. Jamais le président de la République n’a été élu, mis à part la première élection de 1962. Toutes les autres élections ont été des désignations.
- Y compris Bouteflika ?
Mais bien entendu.
de «sauver la République», pour d’autres «la réelle motivation était de sauver le pouvoir à n’importe
quel prix».
- Vous étiez chef de gouvernement quand l’interruption du processus électoral le 12 janvier 1991 a eu lieu. Vingt ans après, avez-vous toujours le même regard ?
Simplement un préliminaire au sujet de l’arrêt du processus électoral de 1992. C’est bon d’en parler. C’est un moment important de cette période qui y a conduit et mérite que l’en on parle, non pas pour refaire l’histoire, mais pour en connaître les tenants et les aboutissants, savoir en quoi il a été une bonne chose pour l’Algérie. Il faut qu’un jour qu’on engage un véritable débat national contradictoire sur cette question qui doit être présentée au public sous des angles différents.
Si le but est d’éclairer l’opinion, les déclarations, écrits ou autres, récits unilatéraux, doivent être étayés par le débat contradictoire. Durant ces vingt dernières années, on a trop peu dit ou alors trop dit. Aussi bien sur la genèse que sur les suites de l’événement et je dirais même sur ses conséquences.
Sur l’analyse de l’angle du processus, je n’ai pas à changer un iota. Sur l’angle de la santé ou la validité de la décision je n’ai pas à changer. Et ce qui est changé dans mon approche, c’est tout simplement ce qu’on a fait et vu durant vingt ans. Et qui m’a conduit à dire qu’en fin de compte, cette opération a été un coup d’épée dans l’eau. Elle n’a servi en rien notre pays. Pourquoi ? Parce que nous n’avons pas tiré de leçons aussi bien du vote que les raisons qui ont conduit à l’arrêt du processus électoral.
- Pourquoi avoir fait ce choix alors ?
Je m’explique. Il faut se poser la question de savoir si l’arrêt dudit processus a été le point de départ de quelque chose ou bien l’aboutissement de quelque chose. Or, la pensée dominante une pensée sciemment et pernicieusement instillée dans les esprits par les tenants du même pouvoir va jusqu’à postuler la période tragique des années 1990 qui est le résultat de l’arrêt du processus électoral. Que les initiateurs de l’action violente aient porté cette thèse, cela est de bonne guerre. Pour eux, le FIS dira qu’il y a eu recours pour défendre la démocratie. Mais que ce soit le pouvoir, le même pouvoir d’aujourd’hui qui fut porteur de cette thèse, voilà qui devrait donner un éclairage largement méconnu sur la genèse du 11 janvier 1992. Attendez vous à ce qu’on se mette aujourd’hui à vous expliquer que même la situation actuelle du pays «c’est la faute au processus du 11 janvier 1992».
- Vous laissez entendre qu’il y avait une sorte de pacte entre le pouvoir et les islamistes du FIS...
Pas nécessairement un pacte, mais il y a ce qu’on appelle dans la dialectique marxiste une alliance objective entre les deux forces politiques réelles du pays. Avec l’enjeu commun et le seul enjeu : le pouvoir. Il faut se poser la question de savoir si c’est un hasard qui a fait que l’arrêt du processus n’est pas intervenu en fin de compte pour occulter les vraies raisons du vote des Algériens, à savoir la faillite d’un système et d’une politique. C’est ce qui a conduit les Algérien à donner la majorité au FIS. C’est le résultat d’une décennie d’une gestion politique catastrophique. Par conséquent, il n’avait pas intérêt à charger ce pouvoir. Donc, l’opération a été faite pour exonérer le pouvoir et dire que tout cela est dû à l’arrêt des élections et au terrorisme.
- L’arrêt du processus électoral était présenté comme une décision pour «sauver» la République. A vous entendre, on a finalement sauvé le pouvoir…
Il faut distinguer une bonne fois pour toutes les acteurs : les acteurs visibles, quelle que soit la couleur de leur tenue. Cette distinction étant bien faite, j’affirme que les seules motivations des uns étaient de sauver la République, qu’ils aient eu tort ou raison, telle fut leur seule motivation, et je reste catégorique sur ce point et prêt à vous le démontrer. J’ajoute, tout aussi catégorique, que la réelle motivation des autres fut de sauver le pouvoir à n’importe quel prix.
Je rappelle en passant, à un moment où on a tendance à l’oublier, l’existence, parmi les acteurs visibles et de manière massive, la rue et la société civile qui, bien avant la démission de Chadli, ont réclamé l’arrêt du processus électoral entamé le 27 décembre 1991.
- Mais pas pour les mêmes objectifs ?
C’est ce que je viens de dire. Et ce n’est que la reproduction mot pour mot de ce que j’avais dit officiellement, publiquement, en ma qualité de chef de gouvernement et à plusieurs reprises. Lors du vote d’investiture de l’Assemblée nationale, le 8 juillet 1991, j’ai rappelé les conditions insurrectionnelles dans lesquelles mon gouvernement avait été formé, et j’ai procédé à une analyse en disant que la violence que nous vivions était le résultat d’une situation de violence qui avait commencé à se développer bien avant, dès le lendemain de la disparition de Boumediène. Et que le FIS n’était pas le premier à avoir provoqué cette violence. Avant lui, il y avait une autre violence et c’est là que j’ai employé la formule «le peuple algérien s’est trouvé entre la marteau et l’enclume».
Entre un pouvoir dont l’obsession première était de s’attacher uniquement au pouvoir, au détriment du règlement des affaires du pays, et cela a duré dix ans. Il a laissé filer une crise économique qui s’est muée en crise sociale, qui s’est muée en crise politique et morale. Et ce n’est qu’après que le FIS est venu, pour essayer de profiter de cette situation, pour prendre le pouvoir à son tour. J’avais même condamné les tractations qui étaient en train de se faire, depuis 1989, avec le FIS pour partager le pouvoir. Il y avait une stratégie qui était déployée qui consistait à amener le FIS aux communes et au gouvernement dans l’idée qu’il allait se casser la figure et que le pouvoir en sortirait régénéré. Voilà la situation.
J’avais proclamé au préalable, dans mon discours à l’APN, que tous les gouvernements qui se sont succédé, y compris le mien n’émanaient pas de la volonté populaire. Et qu’à l’époque, mon gouvernement comme les autres étaient handicapés dès le départ.
Dans mon analyse publique (interview, télévision) des résultats du premier tour j’ai dit sans ambages que ces résultats avaient une signification, que c’était «un cri de rejet très fort par les électeurs du pouvoir qu’ils considéraient comme responsable de leurs malheurs».
- Vous parliez de tractations entre le FIS et le pouvoir. Peut-on identifier ce pouvoir, la présidence, les militaires ?
Il y a eu, entre fin 1990 et début 1991, des tractations secrètes et des accords conclus entre le gouvernement et le FIS pour que les élections législatives, avancées à juin 1991, ne donnent pas un vainqueur et puis prendraient le FFS comme arbitre. Cette tractation avait existé et on avait convaincu le président de la République, Chadli Bendjedid. Le gouvernement pensait qu’il fallait laisser le FIS prendre le pouvoir aux communes et au niveau du gouvernement. Comme la situation financière du pays était catastrophique, il se casserait la figure, ce qui permettrait au pouvoir de rebondir. J’ai été ministre des Affaires étrangères et quand j’ai appris cela, j’ai démissionné. Il y avait des gens, à l’intérieur de l’armée, qui étaient contre ces tractations qui se faisaient dans leur dos. Il est important de rappeler cela parce que nous sommes en train de répéter la même chose actuellement.
- Que pensez-vous de la thèse qui édicte que Octobre 1988 était une manipulation du pouvoir ?
Ce sont eux-mêmes qui le reconnaissent ; ce n’est pas moi qui le dis. Il y a des gens qui étaient au pouvoir à l’époque qui disent qu’Octobre 88 avait été initié par le pouvoir lui-même, mais que les choses, après, lui ont échappé. C’est devenu, malgré eux, un vrai printemps algérien. Les acteurs principaux du pouvoir reconnaissent cela, que vous rappelez à juste titre, à savoir que les événements d’Octobre sont intervenus dans une situation sociale et politique très tendue. Et que l’heure des bilans était arrivée. Et pour justement passer cette période des bilans, on a allumé une mèche. Je ne fais que reprendre ce que les acteurs disent, bien que cela corresponde parfaitement à mon analyse. Les choses ont commencé le 19 septembre avec le discours du président-secrétaire général du FLN, où il dressait un tableau sombre et disait «ça va mal»et que «le responsable, c’est le FLN». Et ce, depuis lors qu’on a commencé à entendre dans la rue «FLN seraqine» (FLN, des voleurs). Le pouvoir lui-même a ancré dans l’esprit des Algériens que le responsable de cette situation-là était le FLN.
Ce qui est profondément injuste et pas vrai. Parce que le FLN n’a jamais été au pouvoir.
- Qui était au pouvoir alors ?
Nous sommes dans une situation de pouvoir occulte. Vous n’allez pas croire que nous sommes dans le pouvoir tel que décrit dans la Constitution. Pensez-vous que, chez nous, le Président est élu par le peuple ? Il faut simplement comparer ce que dit la Constitution et ce qui se passe sur le terrain. Jamais le président de la République n’a été élu, mis à part la première élection de 1962. Toutes les autres élections ont été des désignations.
- Y compris Bouteflika ?
Mais bien entendu.
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