Je voudrais partager avec vous un dossier de Baya Gacemi sur les cercles et réseaux d'influence en Algérie.
Les réseaux en Algérie
Si la société algérienne a pu surmonter la violente crise des années 1990, c'est aussi grâce à la renaissance des structures traditionnelles et au développement de la sphère sociale et associative. Sous le regard vigilant du pouvoir politique
Assiste-t-on, en Algérie, à un retournement de l'Histoire? Il a fallu la crise violente de la décennie 1990 et la vague islamiste radicale, qui a essayé de saper les fondements mêmes de la société, pour comprendre que les structures traditionnelles pouvaient encore servir. Sont alors réapparues des organisations sociales telles que les tribus ou les zaouïas (confréries religieuses), dont les différents gouvernements, depuis 1962, avaient chercher à se défaire.
Mais, toujours suspicieux à l'égard de tout regroupement indépendant, le pouvoir politique ne peut se résoudre à l'idée de voir des pans entiers de la société échapper à son contrôle. C'est donc sous sa houlette qu'une multitude d'associations ont vu le jour, ou resurgi, dans les secteurs aussi bien caritatif que professionnel ou des loisirs. Environ 58 000 sont répertoriées. Quel que soit leur champ d'action, et afin de bénéficier d'avantages et de subventions, elles sont tenues de faire allégeance. Ce maillage de la société laisse peu de place aux associations dont les adhérents ont une réelle motivation. D'autres Algériens refusent, eux, l'embrigadement et se réfugient dans les circuits informels. Outre les réseaux que l'on trouve dans le secteur du commerce, ceux des mosquées sont particulièrement actifs. Très surveillés depuis l'épisode sanglant du Front islamique du salut (FIS), ces lieux de culte continuent pourtant à accueillir tous les jours des masses de fidèles. Si, le plus souvent, il n'est plus question d'y parler politique, sauf pour relayer le discours du gouvernement, les mosquées sont devenues le lieu de prédilection de la débrouille, là où se règlent les petits problèmes de la vie quotidienne. Rassemblant des gens de tous les milieux, mais placés sur un pied d'égalité, elles permettent à chacun de trouver la personne qui l'aidera à recaser son fils exclu de l'école, à dénicher la pièce qui manque à sa voiture, voire à obtenir un visa pour l'Europe..
Les zaouïas
Marginalisées et méprisées pendant près d'un siècle, les confréries religieuses prennent aujourd'hui leur revanche. Réhabilitées, chouchoutées, elles sont devenues le relais principal du pouvoir politique dans la société, notamment à l'intérieur du pays. A l'origine, la zaouïa n'est qu'un lieu, de préférence situé dans un endroit isolé, qui relève d'une confrérie. Un lieu de prière, généralement associé à une école coranique, mais aussi un refuge pour les étudiants qui viennent de loin ou pour les voyageurs de passage à la recherche d'un gîte. Leur objectif, à l'origine, était de répandre la parole de Dieu et de dispenser le bien. Présentes en Algérie depuis le IIe siècle de l'hégire, avec l'arrivée des premiers maîtres soufis, les zaouïas ont survécu grâce à leur faculté d'adaptation aux coutumes des populations locales. Si les plus importantes, telles que la Tijania ou l'Alaouïa - dont l'influence s'étend jusqu'en Afrique noire et au Moyen-Orient - ont pu résister aux aléas de l'Histoire, beaucoup d'autres, plus vulnérables, se sont laissées aller, au fil du temps, à des pratiques charlatanesques plus proches du paganisme que des vrais préceptes de l'islam. Les autorités coloniales ont trouvé dans certaines d'entre elles une proie facile et le moyen idéal pour pénétrer les populations autochtones. Cette connivence avec la puissance coloniale et ces dérives leur vaudront pendant longtemps l'inimitié du courant réformiste des oulémas, puis celle du mouvement national, pendant la guerre de libération. Pour le pouvoir algérien issu de l'indépendance, les zaouïas symbolisaient la survivance de pratiques archaïques, très éloignées de l'homme nouveau que prônait l'idéal socialiste. Marginalisées, elles se sont repliées sur elles-mêmes, dans une quasi-clandestinité. «Ces reproches n'étaient pas fondés, affirme Mohamed Chaalal, président de l'Union nationale des zaouïas algériennes. La preuve, l'émir Abd el-Kader, Mohamed el-Mokrani et bien d'autres, qui ont été les premiers à prendre les armes contre les colons, étaient des adeptes de zaouïas.» 8 900 zaouïas, affiliées à 35 confréries, sont aujourd'hui structurées en associations. Et, presque quotidiennement, les journaux télévisés leur consacrent un sujet. «Il ne faut pas se focaliser sur la seule situation dans les villes. Dans l'Algérie profonde, les choses sont totalement différentes», souligne Mohamed Chaalal, qui rappelle: «Les oulémas étaient des wahhabites. C'étaient les premiers salafistes. Ils nous ont combattus parce que nous avions une vision de l'islam plus proche des gens.» Fier de cette renaissance toute fraîche, il omet cependant de préciser que, loin d'être due à un engouement de la population, celle-ci est surtout l'œuvre des différents pouvoirs qui se sont succédé depuis 1989. Déstabilisés par l'islamisme radical du FIS, ils ont cru trouver une parade en tentant d'opposer à cet islam contestataire et révolutionnaire celui, plus serein et plus traditionnel, des zaouïas. Lors de sa création, en 1991, l'Union nationale des zaouïas algériennes s'engageait notamment à «combattre tous ceux qui, au nom du wahhabisme et du chiisme et de tous les autres rites importés, ont tenté et tentent d'introduire des déviations dans le rite malékite, dénominateur commun de la majorité de notre peuple». Propos plus que jamais d'actualité, quatorze ans après. D'ailleurs, les zaouïas ont aussi subi la violence de la décennie 1990. Particulièrement ciblés, leurs adeptes ont été contraints de faire profil bas. Du moins jusqu'à l'élection présidentielle de 1999. Depuis, les choses ont changé: Abdelaziz Bouteflika s'est beaucoup appuyé sur les confréries lors de ses deux campagnes électorales. «La zaouïa, assure Mohamed Chaalal, a toujours fait de la politique, mais pas pour soutenir un pouvoir quelconque. Nous aidons les hommes politiques qui sont dans notre ligne, qu'ils soient de gauche ou de droite, et même s'ils sont laïques. Aujourd'hui, nous sommes avec Bouteflika, mais, s'il dévie, nous le combattrons.»
A suivre...
Les réseaux en Algérie
Si la société algérienne a pu surmonter la violente crise des années 1990, c'est aussi grâce à la renaissance des structures traditionnelles et au développement de la sphère sociale et associative. Sous le regard vigilant du pouvoir politique
Assiste-t-on, en Algérie, à un retournement de l'Histoire? Il a fallu la crise violente de la décennie 1990 et la vague islamiste radicale, qui a essayé de saper les fondements mêmes de la société, pour comprendre que les structures traditionnelles pouvaient encore servir. Sont alors réapparues des organisations sociales telles que les tribus ou les zaouïas (confréries religieuses), dont les différents gouvernements, depuis 1962, avaient chercher à se défaire.
Mais, toujours suspicieux à l'égard de tout regroupement indépendant, le pouvoir politique ne peut se résoudre à l'idée de voir des pans entiers de la société échapper à son contrôle. C'est donc sous sa houlette qu'une multitude d'associations ont vu le jour, ou resurgi, dans les secteurs aussi bien caritatif que professionnel ou des loisirs. Environ 58 000 sont répertoriées. Quel que soit leur champ d'action, et afin de bénéficier d'avantages et de subventions, elles sont tenues de faire allégeance. Ce maillage de la société laisse peu de place aux associations dont les adhérents ont une réelle motivation. D'autres Algériens refusent, eux, l'embrigadement et se réfugient dans les circuits informels. Outre les réseaux que l'on trouve dans le secteur du commerce, ceux des mosquées sont particulièrement actifs. Très surveillés depuis l'épisode sanglant du Front islamique du salut (FIS), ces lieux de culte continuent pourtant à accueillir tous les jours des masses de fidèles. Si, le plus souvent, il n'est plus question d'y parler politique, sauf pour relayer le discours du gouvernement, les mosquées sont devenues le lieu de prédilection de la débrouille, là où se règlent les petits problèmes de la vie quotidienne. Rassemblant des gens de tous les milieux, mais placés sur un pied d'égalité, elles permettent à chacun de trouver la personne qui l'aidera à recaser son fils exclu de l'école, à dénicher la pièce qui manque à sa voiture, voire à obtenir un visa pour l'Europe..
Les zaouïas
Marginalisées et méprisées pendant près d'un siècle, les confréries religieuses prennent aujourd'hui leur revanche. Réhabilitées, chouchoutées, elles sont devenues le relais principal du pouvoir politique dans la société, notamment à l'intérieur du pays. A l'origine, la zaouïa n'est qu'un lieu, de préférence situé dans un endroit isolé, qui relève d'une confrérie. Un lieu de prière, généralement associé à une école coranique, mais aussi un refuge pour les étudiants qui viennent de loin ou pour les voyageurs de passage à la recherche d'un gîte. Leur objectif, à l'origine, était de répandre la parole de Dieu et de dispenser le bien. Présentes en Algérie depuis le IIe siècle de l'hégire, avec l'arrivée des premiers maîtres soufis, les zaouïas ont survécu grâce à leur faculté d'adaptation aux coutumes des populations locales. Si les plus importantes, telles que la Tijania ou l'Alaouïa - dont l'influence s'étend jusqu'en Afrique noire et au Moyen-Orient - ont pu résister aux aléas de l'Histoire, beaucoup d'autres, plus vulnérables, se sont laissées aller, au fil du temps, à des pratiques charlatanesques plus proches du paganisme que des vrais préceptes de l'islam. Les autorités coloniales ont trouvé dans certaines d'entre elles une proie facile et le moyen idéal pour pénétrer les populations autochtones. Cette connivence avec la puissance coloniale et ces dérives leur vaudront pendant longtemps l'inimitié du courant réformiste des oulémas, puis celle du mouvement national, pendant la guerre de libération. Pour le pouvoir algérien issu de l'indépendance, les zaouïas symbolisaient la survivance de pratiques archaïques, très éloignées de l'homme nouveau que prônait l'idéal socialiste. Marginalisées, elles se sont repliées sur elles-mêmes, dans une quasi-clandestinité. «Ces reproches n'étaient pas fondés, affirme Mohamed Chaalal, président de l'Union nationale des zaouïas algériennes. La preuve, l'émir Abd el-Kader, Mohamed el-Mokrani et bien d'autres, qui ont été les premiers à prendre les armes contre les colons, étaient des adeptes de zaouïas.» 8 900 zaouïas, affiliées à 35 confréries, sont aujourd'hui structurées en associations. Et, presque quotidiennement, les journaux télévisés leur consacrent un sujet. «Il ne faut pas se focaliser sur la seule situation dans les villes. Dans l'Algérie profonde, les choses sont totalement différentes», souligne Mohamed Chaalal, qui rappelle: «Les oulémas étaient des wahhabites. C'étaient les premiers salafistes. Ils nous ont combattus parce que nous avions une vision de l'islam plus proche des gens.» Fier de cette renaissance toute fraîche, il omet cependant de préciser que, loin d'être due à un engouement de la population, celle-ci est surtout l'œuvre des différents pouvoirs qui se sont succédé depuis 1989. Déstabilisés par l'islamisme radical du FIS, ils ont cru trouver une parade en tentant d'opposer à cet islam contestataire et révolutionnaire celui, plus serein et plus traditionnel, des zaouïas. Lors de sa création, en 1991, l'Union nationale des zaouïas algériennes s'engageait notamment à «combattre tous ceux qui, au nom du wahhabisme et du chiisme et de tous les autres rites importés, ont tenté et tentent d'introduire des déviations dans le rite malékite, dénominateur commun de la majorité de notre peuple». Propos plus que jamais d'actualité, quatorze ans après. D'ailleurs, les zaouïas ont aussi subi la violence de la décennie 1990. Particulièrement ciblés, leurs adeptes ont été contraints de faire profil bas. Du moins jusqu'à l'élection présidentielle de 1999. Depuis, les choses ont changé: Abdelaziz Bouteflika s'est beaucoup appuyé sur les confréries lors de ses deux campagnes électorales. «La zaouïa, assure Mohamed Chaalal, a toujours fait de la politique, mais pas pour soutenir un pouvoir quelconque. Nous aidons les hommes politiques qui sont dans notre ligne, qu'ils soient de gauche ou de droite, et même s'ils sont laïques. Aujourd'hui, nous sommes avec Bouteflika, mais, s'il dévie, nous le combattrons.»
A suivre...
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