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Comprendre l’Algérie - Les réseaux d'influence

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  • Comprendre l’Algérie - Les réseaux d'influence

    Je voudrais partager avec vous un dossier de Baya Gacemi sur les cercles et réseaux d'influence en Algérie.

    Les réseaux en Algérie

    Si la société algérienne a pu surmonter la violente crise des années 1990, c'est aussi grâce à la renaissance des structures traditionnelles et au développement de la sphère sociale et associative. Sous le regard vigilant du pouvoir politique

    Assiste-t-on, en Algérie, à un retournement de l'Histoire? Il a fallu la crise violente de la décennie 1990 et la vague islamiste radicale, qui a essayé de saper les fondements mêmes de la société, pour comprendre que les structures traditionnelles pouvaient encore servir. Sont alors réapparues des organisations sociales telles que les tribus ou les zaouïas (confréries religieuses), dont les différents gouvernements, depuis 1962, avaient chercher à se défaire.

    Mais, toujours suspicieux à l'égard de tout regroupement indépendant, le pouvoir politique ne peut se résoudre à l'idée de voir des pans entiers de la société échapper à son contrôle. C'est donc sous sa houlette qu'une multitude d'associations ont vu le jour, ou resurgi, dans les secteurs aussi bien caritatif que professionnel ou des loisirs. Environ 58 000 sont répertoriées. Quel que soit leur champ d'action, et afin de bénéficier d'avantages et de subventions, elles sont tenues de faire allégeance. Ce maillage de la société laisse peu de place aux associations dont les adhérents ont une réelle motivation. D'autres Algériens refusent, eux, l'embrigadement et se réfugient dans les circuits informels. Outre les réseaux que l'on trouve dans le secteur du commerce, ceux des mosquées sont particulièrement actifs. Très surveillés depuis l'épisode sanglant du Front islamique du salut (FIS), ces lieux de culte continuent pourtant à accueillir tous les jours des masses de fidèles. Si, le plus souvent, il n'est plus question d'y parler politique, sauf pour relayer le discours du gouvernement, les mosquées sont devenues le lieu de prédilection de la débrouille, là où se règlent les petits problèmes de la vie quotidienne. Rassemblant des gens de tous les milieux, mais placés sur un pied d'égalité, elles permettent à chacun de trouver la personne qui l'aidera à recaser son fils exclu de l'école, à dénicher la pièce qui manque à sa voiture, voire à obtenir un visa pour l'Europe..

    Les zaouïas


    Marginalisées et méprisées pendant près d'un siècle, les confréries religieuses prennent aujourd'hui leur revanche. Réhabilitées, chouchoutées, elles sont devenues le relais principal du pouvoir politique dans la société, notamment à l'intérieur du pays. A l'origine, la zaouïa n'est qu'un lieu, de préférence situé dans un endroit isolé, qui relève d'une confrérie. Un lieu de prière, généralement associé à une école coranique, mais aussi un refuge pour les étudiants qui viennent de loin ou pour les voyageurs de passage à la recherche d'un gîte. Leur objectif, à l'origine, était de répandre la parole de Dieu et de dispenser le bien. Présentes en Algérie depuis le IIe siècle de l'hégire, avec l'arrivée des premiers maîtres soufis, les zaouïas ont survécu grâce à leur faculté d'adaptation aux coutumes des populations locales. Si les plus importantes, telles que la Tijania ou l'Alaouïa - dont l'influence s'étend jusqu'en Afrique noire et au Moyen-Orient - ont pu résister aux aléas de l'Histoire, beaucoup d'autres, plus vulnérables, se sont laissées aller, au fil du temps, à des pratiques charlatanesques plus proches du paganisme que des vrais préceptes de l'islam. Les autorités coloniales ont trouvé dans certaines d'entre elles une proie facile et le moyen idéal pour pénétrer les populations autochtones. Cette connivence avec la puissance coloniale et ces dérives leur vaudront pendant longtemps l'inimitié du courant réformiste des oulémas, puis celle du mouvement national, pendant la guerre de libération. Pour le pouvoir algérien issu de l'indépendance, les zaouïas symbolisaient la survivance de pratiques archaïques, très éloignées de l'homme nouveau que prônait l'idéal socialiste. Marginalisées, elles se sont repliées sur elles-mêmes, dans une quasi-clandestinité. «Ces reproches n'étaient pas fondés, affirme Mohamed Chaalal, président de l'Union nationale des zaouïas algériennes. La preuve, l'émir Abd el-Kader, Mohamed el-Mokrani et bien d'autres, qui ont été les premiers à prendre les armes contre les colons, étaient des adeptes de zaouïas.» 8 900 zaouïas, affiliées à 35 confréries, sont aujourd'hui structurées en associations. Et, presque quotidiennement, les journaux télévisés leur consacrent un sujet. «Il ne faut pas se focaliser sur la seule situation dans les villes. Dans l'Algérie profonde, les choses sont totalement différentes», souligne Mohamed Chaalal, qui rappelle: «Les oulémas étaient des wahhabites. C'étaient les premiers salafistes. Ils nous ont combattus parce que nous avions une vision de l'islam plus proche des gens.» Fier de cette renaissance toute fraîche, il omet cependant de préciser que, loin d'être due à un engouement de la population, celle-ci est surtout l'œuvre des différents pouvoirs qui se sont succédé depuis 1989. Déstabilisés par l'islamisme radical du FIS, ils ont cru trouver une parade en tentant d'opposer à cet islam contestataire et révolutionnaire celui, plus serein et plus traditionnel, des zaouïas. Lors de sa création, en 1991, l'Union nationale des zaouïas algériennes s'engageait notamment à «combattre tous ceux qui, au nom du wahhabisme et du chiisme et de tous les autres rites importés, ont tenté et tentent d'introduire des déviations dans le rite malékite, dénominateur commun de la majorité de notre peuple». Propos plus que jamais d'actualité, quatorze ans après. D'ailleurs, les zaouïas ont aussi subi la violence de la décennie 1990. Particulièrement ciblés, leurs adeptes ont été contraints de faire profil bas. Du moins jusqu'à l'élection présidentielle de 1999. Depuis, les choses ont changé: Abdelaziz Bouteflika s'est beaucoup appuyé sur les confréries lors de ses deux campagnes électorales. «La zaouïa, assure Mohamed Chaalal, a toujours fait de la politique, mais pas pour soutenir un pouvoir quelconque. Nous aidons les hommes politiques qui sont dans notre ligne, qu'ils soient de gauche ou de droite, et même s'ils sont laïques. Aujourd'hui, nous sommes avec Bouteflika, mais, s'il dévie, nous le combattrons.»

    A suivre...

  • #2
    Suite -1-

    Les tribus


    «Celui qui n'a pas de tribu sur laquelle s'appuyer, qu'il crève!» lançait Belaïd Abdesselam, à la veille du premier tour des élections législatives de décembre 1991, à des gens qui lui reprochaient de s'être présenté dans son village d'origine, près de Sétif. En rupture de ban avec son parti, le Front de libération nationale (FLN), qui ne l'avait pas retenu sur ses listes, il s'était présenté en candidat indépendant. Belaïd Abdesselam n'était pas le seul à être revenu au bercail à l'occasion de ces premières élections démocratiques algériennes. Tous les candidats, du gouvernement ou de l'opposition (islamistes ou démocrates), étaient partis à la recherche de leurs racines. Abdelaziz Bouteflika l'a compris aussi. Lui qui ne se réclame d'aucune attache tribale a ressenti, en 1999 et en 2004, le besoin de s'adosser à un fief. Il s'est alors tourné vers les zaouïas, dont il savait qu'elles étaient très fortement liées aux tribus, sans toutefois commettre l'erreur d'en favoriser une plus que d'autres. Les jeunes émeutiers de Kabylie ont également compris l'importance symbolique de la tribu le jour où il leur a fallu se structurer. Ils ont dénommé leur coordination les «arouch» (tribus). Du temps du parti unique, déjà, le pouvoir, si solide fût-il, se gardait bien de heurter les sensibilités tribales. Ainsi, le choix des maires, des députés et autres représentants du peuple se faisait dans le strict respect des équilibres tribaux. Lors du dernier découpage administratif, en 1984, alors que les autorités gouvernementales devaient ériger de nouvelles wilayas (préfectures), elles ont dû, dans certaines régions où les tribus sont très puissantes, faire abstraction de la logique économique. Par exemple, dans les Aurès, Oum el-Bouaghi a été choisie, quand toutes les conditions plaidaient en faveur d'Aïn Beïda ou d'Aïn Mlila. De même, dans le Sud oranais, on a opté pour Naama, une bourgade inconnue à l'époque, afin de ne pas exciter les jalousies entre Aïn Sefra et Mecheria, pourtant mieux placées pour accueillir un grand centre urbain. Cette anecdote racontée par un sociologue illustre bien la situation: «Aïn Sefra et Mecheria sont aujourd'hui les deux villes les mieux loties d'Algérie en matière d'équipements. Les autorités locales ont tellement peur de provoquer des drames entre les tribus des deux villes que, dès qu'un équipement est apporté à l'une des villes, le même est aussitôt fourni à l'autre.»


    Les associations

    Au commencement étaient les «organisations de masse». Satellites du FLN, alors parti unique, elles couvraient tous les pans de la vie socio-économique. Avec l'ouverture démocratique, en 1989, le pays connaît un véritable foisonnement associatif, mais il ne durera que deux ans. En février 1992, l'instauration de l'état d'urgence, à la suite de l'arrêt du processus électoral, en janvier, met un frein à toute velléité de regroupement indépendant. Pourtant, face à la violence et à l'entrée dans l'opposition des partis les plus représentatifs (le FLN et le Front des forces socialistes d'Aït-Ahmed, notamment), le pouvoir s'efforce de mettre en place de nouveaux relais au sein de la société. Il essaie d'abord de récupérer ce qui restait des organisations de masse: l'Union générale des travailleurs algériens, l'Union nationale des femmes algériennes ou encore l'Union nationale des jeunes Algériens. Mais cela ne suffit pas. Les premières associations qui lui sont véritablement acquises sont celles qui regroupent, à partir de 1995, les victimes du terrorisme. Cette tendance va se renforcer après la fondation du Rassemblement national démocratique, en 1997. Parti créé par le pouvoir, il obtient, deux mois après sa création, la majorité au Parlement, avec le FLN, et pénètre tous les rouages de l'Etat.

    En pleine période terroriste, pour faire contrepoids aux islamistes, des milliers de comités de quartier voient le jour. Ils sont, selon une étude faite en 2000, «les yeux et les oreilles des autorités». Par ailleurs, une multitude d'associations naissent, avec, à leur tête, des gens habituellement éloignés de la vie associative mais très motivés par les bénéfices qu'ils peuvent tirer de la sollicitude du pouvoir à leur égard. Sans véritable base sociale, mais doués pour l' «agit-prop», ces personnages qui gravitent autour du pouvoir sont capables d'avoir un certain discours et de dire le contraire le lendemain. On fait appel à eux dès que l'on veut faire passer un message ou remplir les stades, en période électorale. Le but est d'autant plus facilement atteint que ces associations et leurs dirigeants s'adressent surtout aux catégories les plus vulnérables de la société - personnes âgées, femmes sans ressources, jeunes chômeurs, handicapés. Ils sont regroupés au sein d'un Rassemblement national des associations et de la société civile et ont créé, lors de la dernière campagne électorale, le Comité national pour le soutien au programme de Bouteflika. Dans l'espoir d'un renvoi d'ascenseur, à l'occasion des prochaines élections législatives, comme cela s'était déjà produit en 1997 et en 2002. En clair, afin qu'un certain nombre des leurs soient en position éligible sur les listes…

    La «famille révolutionnaire»

    L'historien et militant du mouvement national Mohammed Harbi n'est pas tendre avec ceux qui se réclament de la «famille révolutionnaire». «C'est une duperie et ces mots n'ont pas plus de valeur que de sens!» s'indigne-t-il. Et d'ajouter: «Le FLN de la guerre était constitué de gens qui formaient une communauté d'action. Aujourd'hui, ceux qui se regroupent dans la ‘‘famille révolutionnaire'' sont des gens installés au pouvoir. C'est un phénomène censitaire de gens qui aspirent à perpétuer une rente acquise.»

    Alors qu'elle désignait auparavant ceux qui avaient participé à la lutte pour l'indépendance du pays, la formule «famille révolutionnaire» s'est étendue, durant la décennie 1990, aux enfants de chouhada (martyrs) et à ceux de moudjahidine (combattants), rassemblés au sein de l'Organisation nationale des enfants de chouhada et de l'Organisation nationale des enfants de moudjahidine (Onem). A l'origine, il y a d'anciens moudjahidine qui, effrayés par la vague destructrice des groupes islamistes, se déclarent prêts à reprendre les armes pour sauver le pays, qu'ils avaient libéré une première fois. Louable intention, sans doute, pour certains d'entre eux. Mais d'autres vont y voir un excellent tremplin pour se rapprocher du pouvoir et de tout ce qu'une telle proximité offre comme avantages: obtention de rentes et de terres agricoles, postes électifs. Même le récent scandale des 10 000 faux membres, qui a éclaboussé l'Onem, n'a pas tempéré les prétentions de ceux qui se proclament les légitimes propriétaires de la terre d'Algérie. «Depuis 1962, les choses ont changé, les élites aussi, assure Mohammed Harbi. Au sein du pouvoir, il doit rester au maximum une centaine de personnes qui ont réellement connu la guerre. Le problème est qu'en Algérie les phénomènes répétitifs sont une constante. Des minorités se reproduisent et accaparent le pays. L'Onem, comme l'Union générale des travailleurs algériens, n'existe que par rapport à l'Etat, pas par sa capacité à mobiliser. Auparavant, elle dépendait du FLN, lequel n'était lui-même qu'un paravent étatique. Nous sommes en train d'assister à une décompression autoritaire.»

    A Suivre...

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    • #3
      Suite -2-

      Les «services»


      Il est difficile de parler des réseaux d'influence en Algérie sans parler des services de sécurité. Héritiers de la célèbre Sécurité militaire (SM), sont-ils réellement aussi redoutables que certains le croient encore?

      Houari Boumediene, sous le règne duquel la SM a été mise sur pied, assurait: «L'armée est la colonne vertébrale du régime, et la SM, sa moelle épinière.» Outre la surveillance du territoire et sa protection contre un éventuel danger extérieur, la SM était surtout connue pour sa propension à réprimer toute opposition au régime. Ses représentants étaient partout en place - du moins le croyait-on - dans les entreprises publiques comme dans les universités.

      A la mort de Houari Boumediene, en 1978, Chadli Bendjedid le remplace. Bien que colonel lui-même et choisi par l'armée, il se méfie de la SM et surtout de son directeur, Kasdi Merbah. Il décide de la restructurer afin de casser son pouvoir, exorbitant. Issu de cette réorganisation et chargé de la sécurité intérieure, le Département de renseignement et de sécurité (DRS) perd, pendant quelques années, de son autorité. Mais, à partir de 1992, avec la dérive violente que connaît le pays et la quasi-vacance du pouvoir, qui fait suite à la démission de Chadli Bendjedid, les services regagnent le terrain perdu. C'est sur eux, avec l'aide de l'armée, qu'a reposé, durant la décennie 1990, la sauvegarde de ce qui restait comme institutions étatiques.

      Pour autant, aujourd'hui, «leur influence est surfaite», affirme un officier à la retraite. «S'ils peuvent encore manipuler des groupes dans la population pour les faire adhérer à une démarche, comme ils l'ont récemment fait lors de la campagne présidentielle, les services ne peuvent plus faire basculer les décisions.» Et il semble bien que leur pouvoir va encore s'amoindrir: «Le président Bouteflika joue beaucoup sur les divisions entre le DRS et l'état-major. Il veut démilitariser le système politique, donc ‘‘civiliser'' les services. Or cette démilitarisation est conforme aux souhaits de la nouvelle garde de l'armée. Le DRS se sentait fort de sa connexion avec elle. S'il perd ce lien, il perd toute sa force.»

      Le Malg


      Le Malg a joué le rôle le plus important dans la conduite de la guerre de libération. Il doit jouer le même rôle dans l'écriture de l'Histoire», estime Dahou Ould Kablia. Le ministre délégué aux Collectivités locales est fier d'assumer, en même temps, la présidence de l'Association nationale des moudjahidine du Malg. Ce nom barbare désigne tout simplement l'ancêtre des services de sécurité algériens. Créé lors de la formation, en 1958, du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), en pleine guerre de libération, il était le ministère le plus important. Sa mission, confiée à Abdelhafid Boussouf - «un génie», affirment unanimement les membres du Malg, aussi surnommés «les Malgaches» - était d'envisager tous les aspects de la guerre, mais surtout de «protéger la révolution». Fort de quelque 1 500 personnes (quand les autres ministères n'en comptaient que 40 ou 50) choisies parmi l'élite, le Malg constituait l'ossature de la révolution et l'éminence grise de ses chefs. C'est ainsi que lui est revenue la tâche de mettre sur pied et d'organiser la base Didouche-Mourad, en Libye, où a été élaboré le «fichier de la révolution».

      L'indépendance acquise, Abdelhafid Boussouf estime que sa mission est terminée. Il se lancera dans les affaires et mourra, en 1980, dans la plus grande discrétion. «Il ne s'est pas totalement retiré de la politique, précise Dahou Ould Kablia. Il a continué, comme Messaoud Zeggar - un autre Malgache célèbre, homme lige de l'ex-président Boumediene - à travailler pour l'Algérie. Les deux hommes étaient versés, il est vrai, dans le commerce des armes. Grâce à leurs carnets d'adresses, ils ont rendu beaucoup de services au pays; ils ont permis la formation de lobbys pro-algériens aux Etats-Unis, par exemple.»

      En 1962, le Malg, à l'instar du GPRA, est dissous et ses membres se reconvertissent, pour la plupart, dans la haute administration. C'est l'un des collaborateurs de Boussouf, Kasdi Merbah, qui sera chargé de mettre sur pied la Sécurité militaire, qu'il dirigera jusqu'en 1987. Mais «il ne faut pas confondre les deux institutions, qui sont de nature totalement différente, s'insurge le colonel à la retraite Hocine Snoussi. Le Malg s'occupait de l'extérieur, dans l'intérêt de la révolution, alors que la Sécurité militaire jouait, en plus, le rôle de police politique». Ses membres, dispersés et «surtout disciplinés», accepteront de ne plus jouer aucun rôle, en tant que groupe. jusqu'en 1990.

      A Suivre...

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      • #4
        Suite -3-

        Daho Djerbal
        «Les canaux traditionnels ne fonctionnent plus»

        Selon l'historien, l'Etat mise sur les réseaux informels et clientélistes pour étouffer l'expression indépendante

        Depuis la fin des années 1980, il y a un rétrécissement du champ politique. Les canaux par lesquels se négociaient auparavant les contrats politiques nationaux ont été atteints. Certains ont été disqualifiés, certains ont pris de fausses pistes, d'autres ont choisi la voie de la violence. Les rares qui restent essuient constamment des échecs et n'arrivent pas à résoudre les problèmes du pays. Il n'y a qu'à voir toutes les déperditions à la base, dans des partis politiques. On le constate aussi dans les statistiques électorales, surtout lors des législatives et des municipales, avec l'augmentation du taux d'abstention et du vote nul. Cela montre qu'une partie importante de la société civile et politique désespère des canaux traditionnels. En fait, la crise sociale et économique a érodé et précarisé les liens sociaux et fermé les perspectives. C'est l'impasse. Si l'on ajoute à cela la violence terroriste, qui a ensanglanté le pays pendant plusieurs années, il en résulte une perte de confiance des voies classiques de la négociation. Pour combler ce vide, la société s'est lancée dans la recherche d'autres méthodes. Depuis 1985, on voit se développer l'informel et le marginal. Progressivement, le centre de gravité de l'économie nationale s'est déplacé de la sphère de production à la sphère marchande. Tout est devenu, dès lors, négociable et négocié. Le principal effort des gens ne va plus vers la production, mais vers la captation et la prédation. Tout cela derrière un discours idéologique de réforme libérale. En fait, le pays est entré dans un «sous-libéralisme», un libéralisme autoritaire. De nouveaux acteurs sociaux et économiques sont apparus, qui sont devenus majoritaires - sauf, évidemment, dans le secteur des hydrocarbures. Aujourd'hui, toute la production des biens et services se fait en dehors du contrôle de l'Etat. Or ces nouveaux acteurs ne peuvent pas fonctionner éternellement dans le flou. Dès qu'ils deviennent assez puissants, ils ressentent la nécessité d'être reconnus. Ils ont alors besoin de représentation et de garanties. Donc, ils font appel à l'Etat pour leur sécurité, mais aussi afin d'accéder, de manière légale, à de nouveaux secteurs de l'économie. C'est là où les réseaux prennent toute leur importance. Ce qui est valable pour l'économie l'est aussi pour la politique, les uns ayant besoin des autres. La négociation se fait à double sens. D'un côté, les politiques négocient la mobilisation des suffrages et des soutiens; de l'autre, on négocie la captation de biens et services. Du coup, on réprime les canaux modernes pour exhumer les anciens, tels que les arouch (tribus) en Kabylie, les confréries religieuses, etc. Ces nouveaux relais peuvent s'étendre au-delà des frontières nationales pour rejoindre des réseaux internationaux. Mais il faut savoir aussi que l'Etat trouve son compte dans tout cela. Il préfère les relais clientélistes à une société civile libérée, qui serait le moteur du développement. Il n'y a qu'à voir comment il gère les associations. A toutes celles qui manifestent une volonté d'indépendance, on fabrique des problèmes internes. Ou bien on essaie de les corrompre. Ou encore on les noie au milieu d'une multitude d'autres associations qui ont le même objet. Ce qui en résulte, c'est qu'au lieu de permettre une expression libre de la société on la comprime tout en donnant à voir une liberté de façade. Et, lorsque la population ne se sent plus écoutée, elle bascule dans l'émeute, devenue le seul canal de revendication. Les nouveaux mouvements culturels et identitaires s'expriment tous par l'émeute. Il faut dire que nous ne sommes pas les seuls à recourir à ce moyen d'expression; les Indiens l'ont fait avant nous. C'est même, de mon point de vue, une forme de modernisation de la société, car elle prouve que, même réprimée, elle garde tous son ressort.

        Nasr-Eddine Lezzar
        «Les réseaux d'affaires, centre névralgique du pouvoir»


        Membre de l'Association de lutte contre la corruption, l'avocat algérien dénonce le rôle de la Banque d'Algérie

        Tout le monde croit qu'en Algérie le centre névralgique du pouvoir est l'armée. Eh bien, on se trompe: c'est la Banque d'Algérie, et notamment la Commission bancaire. C'est là que se prennent toutes les grandes décisions économiques et, par conséquent, politiques. C'est là que se détruisent et se construisent les empires économiques.

        La commission a laissé faire tant que cela arrangeait le pouvoir, puis elle a sévi quand ça ne l'arrangeait plus. Ainsi, l'interdiction d'importer des alcools (adoptée par la loi de finances 2004) a été décidée pour plaire aux lobbys des producteurs d'alcool algériens, lesquels ont des soutiens à la Banque d'Algérie. Autre exemple: avec la forte dévaluation du dinar, beaucoup d'entreprises privées algériennes ont subi des pertes de change énormes. Ce qui a grevé leur budget: certaines ont même fait faillite, s'étant donc retrouvées avec des dettes factices. Les banques, qui sont publiques, auraient pu faire répercuter cela sur les institutions internationales, puisque la dévaluation du dinar est intervenue dans le cadre du plan d'ajustement structurel. D'autant plus que la loi prévoit le rachat par le Trésor public des créances douteuses (créances que les banques ont consenties à des entreprises non performantes). Elles ne l'ont pas fait. En revanche, cette clause a été utilisée à plusieurs reprises pour couvrir des individus qui ont bénéficié de prêts sans garantie, c'est-à-dire en dehors des normes de prudence. Un grand nombre de gens ont ainsi emprunté des sommes faramineuses et ne les remboursent pas. Maintenant, on parle d'amnistie générale. Eh bien, l'amnistie va inclure ces gens. Sauf que cette amnistie générale, c'est une hérésie, car elle met de côté le droit pénal. En vérité, derrière les prétendus crimes économiques, il y a des raisons politiques. Lorsqu'on s'attaque à quelqu'un, c'est qu'il est lié à des cercles en disgrâce aux yeux des décideurs. L'exemple de Rafik Abdelmoumen Khalifa est le plus significatif. Les seuls de ses biens à ne pas avoir été touchés ont été les sommes déposées à la Société générale. C'est très grave. Cela porte un coup sérieux à la crédibilité des banques algériennes. Cela veut dire que, si l'on veut être tranquille, il est préférable de s'adresser aux institutions étrangères.

        De même, lorsqu'on veut contourner la réglementation sur les marchés publics, on précise certains critères dans les appels d'offres, qui éliminent d'office certains soumissionnaires et en favorisent d'autres.

        En fait, les décisions économiques découlent non pas de la logique économique, mais d'intérêts particuliers.

        Tahar Houcine
        «Les tribus constituent des réseaux dormants»


        Le sociologue explique comment les liens tribaux ont survécu à l'exode rural

        Depuis Ibn Khaldoun, nous savons que la population algérienne est organisée en tribus, et que cela remonte à la nuit des temps. Nomades dans le Sahara et sur les hauts plateaux, elles vivaient en bonne entente et organisaient pacifiquement la transhumance entre elles. Les tribus sédentaires se trouvaient surtout dans les montagnes et dans les campagnes qui entouraient les villes du Nord. Avec la colonisation, les tribus ont perdu de leur influence. Certaines ont été utilisées contre d'autres, plus rebelles, par exemple. D'autres encore, frappées par la paupérisation et la répression, ont subi des exodes massifs, soit vers les centres urbains du Nord, soit vers le Maroc et la Tunisie. A leur retour, après l'indépendance du pays, beaucoup de ces émigrés ont essayé de se regrouper. Par exemple, la plupart des habitants de la Casbah d'Alger sont originaires du village d'Azzefoun, en Kabylie. Si, aujourd'hui, dans les grandes villes, les liens tribaux ne sont plus opérants, beaucoup de familles citadines revendiquent leur appartenance à une tribu. Les tribus constituent des réseaux dormants que l'on peut ranimer à n'importe quel moment. C'est ce qui explique que, lors de chaque échéance électorale, les candidats, quelle que soit leur idéologie, se tournent vers leur tribu d'origine. Ce qui sous-tend cette force, ce sont les liens que les tribus ont conservés, dans le pays profond, avec les zaouïas et avec la terre où s'enracine tout être humain. C'est ce qui fait dire aux habitants d'Adrar (à 800 kilomètres au sud d'Alger) que les trois piliers de la vie sont, dans l'ordre: la zaouïa (pour la nourriture spirituelle), la foggara (galerie souterraine servant à l'irrigation pour l'eau, donc la vie) et le chameau (pour leurs déplacements, donc l'ouverture sur le monde). Dans un tel contexte, le chemin vers la démocratie sera long. C'est grâce à l'éducation et au travail des femmes que la société pourra rompre cet équilibre archaïque pour aller vers de nouveaux rapports sociaux. Ce changement pourrait se produire plus rapidement si l'on continue, comme on le fait maintenant, à implanter des centres universitaires - sachant que la majorité des étudiants logent en cité universitaire - et des aéroports dans le pays profond.

        Fin

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