Le gouvernement de Abelilah Benkirane a pris ses fonctions. Bien évidemment, il lui manque encore le vote de confiance de la Chambre des députés pour asseoir toute sa légitimité. En attendant – et c’est tout à fait normal-, les ministres nommés ont pris possession de leurs départements respectifs. Ils font le tour du propriétaire, rencontrent leurs nouveaux collaborateurs, parcourent leurs premiers dossiers… Bref, ils tâtent le terrain. Mais, très vite, ils devront passer à l’action : jouer justement ce rôle “exécutif” d’une politique générale que l’on espère novatrice et courageuse. Dans tous les domaines, les attentes sont énormes, les défis nombreux. Certes, il est impossible de les lister en intégralité, mais on peut tout de même en dresser un large éventail. On y trouve de tout : des positions politiques à adopter, des réformes économiques à mettre en place et des chantiers sociaux à mener à bien. Certaines de ces mesures sont symboliques, d’autres plus directes, cruciales. Les unes peuvent être mises en place rapidement, les autres passent par un processus long, lourd et semé d’embûches. Enfin, si certaines de ces mesures peuvent être perçues comme populistes, d’autres seront de facto impopulaires et impliquent un effort d’explication, un sens de la négociation et une résistance à toute épreuve.
Ces actions ne doivent pas rester que des verbes, mais se traduire sur le terrain. Le PJD, aujourd’hui aux manettes, a cette obligation de résultat. C’est à lui de transformer l’essai. De prouver que le fait d’arriver aux affaires n’est pas une finalité en soi, mais que le plus important est de se servir de ce “pouvoir” pour changer le quotidien du peuple. Le parti islamiste est attendu au tournant et devra très vite donner le ton. Avant même l’expiration du traditionnel délai de grâce de 100 jours, il est tenu de convaincre, de rassurer. Nous sommes déjà à J-89 et le chrono tourne…
Tenir tête au Shadow Cabinet
Hier adversaires, aujourd’hui collaborateurs. C’est, pour simplifier, la configuration dans laquelle se retrouve le parti islamiste et le cabinet royal. De fait, l’inimitié entre Abdelilah Benkirane et Fouad Ali El Himma, fraîchement nommé conseiller royal de Mohammed VI, est de notoriété publique. Aujourd’hui, les relations semblent s’être apaisées entre le Chef du gouvernement et l’ami du roi. “En tant que conseiller du souverain, nous n’avons plus aucune raison de critiquer El Himma”, a récemment déclaré Benkirane, promettant d’ouvrir une nouvelle page avec son ancien “meilleur ennemi”. Soit. Mais les nominations carabinées qui ont eu lieu ces dernières semaines (Yassir Znagui, Taïeb Fassi Fihri, etc.) sonnent comme un avertissement royal au futur Exécutif. En gros, avec son gouvernement parallèle, Mohammed VI n’est pas près de lâcher ses prérogatives et les “auditeurs de Sa Majesté” sont là pour veiller au grain.
Négocier au mieux les lois organiques
La nouvelle Constitution prévoit une vingtaine de lois organiques qui vont devoir transiter par le parlement durant cette législature. Elles devraient encadrer le fonctionnement de plusieurs nouveaux conseils instaurés par la Constitution de 2011 : Conseil national de la langue et de la culture, Conseil de la jeunesse et de l'action associative… Mais il y a aussi des lois cadres encore plus sensibles. Exemple, la loi fixant la liste des établissements et entreprises publics stratégiques (autrement dit les Offices, dont les patrons sont nommés par le Conseil des ministre et donc par le roi), ou encore la loi organique traitant des régions et des collectivités locales (censée donner aux élus plus de pouvoirs que les walis ou gouverneurs). Il y a aussi le règlement intérieur du Conseil supérieur de sécurité (instance assurant la gouvernance sécuritaire). C’est via ces lois que devra se concrétiser le partage de pouvoirs entre le gouvernement et la monarchie.
Sanctionner la brutalité policière
La police a toujours agi au Maroc en toute impunité et sans rendre de comptes. Pourtant, les dégâts des interventions musclées des forces de l’ordre sont considérables : en une année, plusieurs décès et blessés graves ont été enregistrés dans les rangs des chômeurs et du M20. Ces affaires n’ont jamais eu de suite : même si la Justice ou l’Intérieur annoncent généralement l’ouverture d’une enquête, celle-ci reste souvent au point mort. Aucun responsable n’a été sanctionné bien que cela arrive qu’il soit dénoncé dans des vidéos circulant sur le Net. Parfois, ce sont les victimes des violences policières qui se retrouvent derrière les barreaux. Exemple parmi tant d’autres, Abdeljalil Agadil, un militant de Safi, est poursuivi, mis en état d’arrestation et les marques visibles de la torture sur son corps ne semblent pas interpeller le juge qui traite son affaire.
Dialoguer avec le M20
Après sa nomination, le Chef du gouvernement s’est dit prêt à recevoir le Mouvement du 20 février. Mais, pour les jeunes du M20, s’asseoir à la table des négociations avec Abdelilah Benkirane est inenvisageable. “Notre dernier communiqué est très clair. Il n’est pas question pour nous de négocier avec un responsable porté au pouvoir dans le cadre d’une Constitution non démocratique”, assure ce membre du M20-Rabat. Le mouvement continuera donc d’investir la rue pour revendiquer une monarchie parlementaire, une constitution démocratique et la fin du despotisme et de la corruption. Abdelilah Benkirane, en plus, est devenu l’un des clients du M20 : des slogans qui lui sont hostiles ont déjà été scandés lors des dernières marches dominicales.
Libérer Niny
Cette affaire n’a que trop duré. Liée directement à la liberté d’expression et de la presse, la présence d’un journaliste en prison est une honte pour la nouvelle ère. De plus, le procès de l’ancien directeur d’Al Massae ne respectait pas le principe de présomption d’innocence. Si Niny est désormais le plus emblématique des détenus d’opinion, il n’est pas le seul. Exemple : Seddik Kabbouri, leader syndical de la ville de Bouarfa, a été expédié en prison pour son militantisme et a écopé d’une peine ferme de 2 ans à l’issue d’un procès qualifié d’inéquitable par les ONG nationales et internationales des droits de l’homme. Le PJD doit donc respecter sa promesse électorale : les délits d’opinion ne doivent plus exister au Maroc.
Garantir la liberté d’association
L’arsenal juridique sur les libertés publiques comporte plusieurs brèches, dont profite l’administration pour retarder, ou reporter -des fois, à jamais- la reconnaissance légale d’associations, d’organisations ou de partis politiques. La liste est longue de ces dépassements : de l’association des chômeurs qui n’est toujours pas reconnue par l’Etat depuis sa création à Al Adl Wal Ihsane, qui ne peut toujours pas se constituer en parti politique, en passant par l’interdiction de la cérémonie de Transparency Maroc par le Wali de Rabat… Ces blocages inadmissibles sont contraires à l’Etat de droit, censé garantir la diversité d’opinions dans l’espace public. Le gouvernement doit ainsi clarifier les textes de lois, revoir les décisions d’interdiction et faciliter l’accès à la légalité à toute entité.
Ne plus emprisonner les journalistes
Les journalistes attendent un geste fort de leur nouveau ministre de tutelle, Mustapha Khalfi, chargé du département de la Communication. La profession espère surtout qu’il élimine l’épée de Damoclès qui pèse sur le secteur, à savoir les peines privatives de liberté prévues, entre autres, par l’article 41 du Code de la presse qui peut envoyer derrière les barreaux un journaliste pour 3 à 5 ans en cas d’offense envers le roi, les princes et les princesses. Mustapha Khalfi, qui a l’oreille du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, pousse à la roue à en croire ses premières déclarations : “les orientations de la Constitution (…) invitent le gouvernement à élargir le champ des libertés de la presse”. Dont acte en attendant les actes.
Instruire les dossiers de la Cour des comptes
Chaque année, le rapport de la Cour des comptes dresse un bilan de la gestion des organismes publics avec, en prime, une dizaine de dysfonctionnements pointés. Mauvaise gestion, gabegie, détournements des deniers publics… plusieurs responsables ont été épinglés par la juridiction financière. Mais, jusque-là, rares sont ceux qui ont été traduits devant la justice. Le gouvernement passera-t-il à l’acte en décidant d’instruire systématiquement les dossiers de la Cour des comptes ? La balle est désormais dans le camp de Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des libertés. Grand défenseur de la moralisation de la vie publique, le tonitruant avocat du barreau de Casablanca est connu pour ses positions courageuses.
Ces actions ne doivent pas rester que des verbes, mais se traduire sur le terrain. Le PJD, aujourd’hui aux manettes, a cette obligation de résultat. C’est à lui de transformer l’essai. De prouver que le fait d’arriver aux affaires n’est pas une finalité en soi, mais que le plus important est de se servir de ce “pouvoir” pour changer le quotidien du peuple. Le parti islamiste est attendu au tournant et devra très vite donner le ton. Avant même l’expiration du traditionnel délai de grâce de 100 jours, il est tenu de convaincre, de rassurer. Nous sommes déjà à J-89 et le chrono tourne…
Tenir tête au Shadow Cabinet
Hier adversaires, aujourd’hui collaborateurs. C’est, pour simplifier, la configuration dans laquelle se retrouve le parti islamiste et le cabinet royal. De fait, l’inimitié entre Abdelilah Benkirane et Fouad Ali El Himma, fraîchement nommé conseiller royal de Mohammed VI, est de notoriété publique. Aujourd’hui, les relations semblent s’être apaisées entre le Chef du gouvernement et l’ami du roi. “En tant que conseiller du souverain, nous n’avons plus aucune raison de critiquer El Himma”, a récemment déclaré Benkirane, promettant d’ouvrir une nouvelle page avec son ancien “meilleur ennemi”. Soit. Mais les nominations carabinées qui ont eu lieu ces dernières semaines (Yassir Znagui, Taïeb Fassi Fihri, etc.) sonnent comme un avertissement royal au futur Exécutif. En gros, avec son gouvernement parallèle, Mohammed VI n’est pas près de lâcher ses prérogatives et les “auditeurs de Sa Majesté” sont là pour veiller au grain.
Négocier au mieux les lois organiques
La nouvelle Constitution prévoit une vingtaine de lois organiques qui vont devoir transiter par le parlement durant cette législature. Elles devraient encadrer le fonctionnement de plusieurs nouveaux conseils instaurés par la Constitution de 2011 : Conseil national de la langue et de la culture, Conseil de la jeunesse et de l'action associative… Mais il y a aussi des lois cadres encore plus sensibles. Exemple, la loi fixant la liste des établissements et entreprises publics stratégiques (autrement dit les Offices, dont les patrons sont nommés par le Conseil des ministre et donc par le roi), ou encore la loi organique traitant des régions et des collectivités locales (censée donner aux élus plus de pouvoirs que les walis ou gouverneurs). Il y a aussi le règlement intérieur du Conseil supérieur de sécurité (instance assurant la gouvernance sécuritaire). C’est via ces lois que devra se concrétiser le partage de pouvoirs entre le gouvernement et la monarchie.
Sanctionner la brutalité policière
La police a toujours agi au Maroc en toute impunité et sans rendre de comptes. Pourtant, les dégâts des interventions musclées des forces de l’ordre sont considérables : en une année, plusieurs décès et blessés graves ont été enregistrés dans les rangs des chômeurs et du M20. Ces affaires n’ont jamais eu de suite : même si la Justice ou l’Intérieur annoncent généralement l’ouverture d’une enquête, celle-ci reste souvent au point mort. Aucun responsable n’a été sanctionné bien que cela arrive qu’il soit dénoncé dans des vidéos circulant sur le Net. Parfois, ce sont les victimes des violences policières qui se retrouvent derrière les barreaux. Exemple parmi tant d’autres, Abdeljalil Agadil, un militant de Safi, est poursuivi, mis en état d’arrestation et les marques visibles de la torture sur son corps ne semblent pas interpeller le juge qui traite son affaire.
Dialoguer avec le M20
Après sa nomination, le Chef du gouvernement s’est dit prêt à recevoir le Mouvement du 20 février. Mais, pour les jeunes du M20, s’asseoir à la table des négociations avec Abdelilah Benkirane est inenvisageable. “Notre dernier communiqué est très clair. Il n’est pas question pour nous de négocier avec un responsable porté au pouvoir dans le cadre d’une Constitution non démocratique”, assure ce membre du M20-Rabat. Le mouvement continuera donc d’investir la rue pour revendiquer une monarchie parlementaire, une constitution démocratique et la fin du despotisme et de la corruption. Abdelilah Benkirane, en plus, est devenu l’un des clients du M20 : des slogans qui lui sont hostiles ont déjà été scandés lors des dernières marches dominicales.
Libérer Niny
Cette affaire n’a que trop duré. Liée directement à la liberté d’expression et de la presse, la présence d’un journaliste en prison est une honte pour la nouvelle ère. De plus, le procès de l’ancien directeur d’Al Massae ne respectait pas le principe de présomption d’innocence. Si Niny est désormais le plus emblématique des détenus d’opinion, il n’est pas le seul. Exemple : Seddik Kabbouri, leader syndical de la ville de Bouarfa, a été expédié en prison pour son militantisme et a écopé d’une peine ferme de 2 ans à l’issue d’un procès qualifié d’inéquitable par les ONG nationales et internationales des droits de l’homme. Le PJD doit donc respecter sa promesse électorale : les délits d’opinion ne doivent plus exister au Maroc.
Garantir la liberté d’association
L’arsenal juridique sur les libertés publiques comporte plusieurs brèches, dont profite l’administration pour retarder, ou reporter -des fois, à jamais- la reconnaissance légale d’associations, d’organisations ou de partis politiques. La liste est longue de ces dépassements : de l’association des chômeurs qui n’est toujours pas reconnue par l’Etat depuis sa création à Al Adl Wal Ihsane, qui ne peut toujours pas se constituer en parti politique, en passant par l’interdiction de la cérémonie de Transparency Maroc par le Wali de Rabat… Ces blocages inadmissibles sont contraires à l’Etat de droit, censé garantir la diversité d’opinions dans l’espace public. Le gouvernement doit ainsi clarifier les textes de lois, revoir les décisions d’interdiction et faciliter l’accès à la légalité à toute entité.
Ne plus emprisonner les journalistes
Les journalistes attendent un geste fort de leur nouveau ministre de tutelle, Mustapha Khalfi, chargé du département de la Communication. La profession espère surtout qu’il élimine l’épée de Damoclès qui pèse sur le secteur, à savoir les peines privatives de liberté prévues, entre autres, par l’article 41 du Code de la presse qui peut envoyer derrière les barreaux un journaliste pour 3 à 5 ans en cas d’offense envers le roi, les princes et les princesses. Mustapha Khalfi, qui a l’oreille du chef du gouvernement Abdelilah Benkirane, pousse à la roue à en croire ses premières déclarations : “les orientations de la Constitution (…) invitent le gouvernement à élargir le champ des libertés de la presse”. Dont acte en attendant les actes.
Instruire les dossiers de la Cour des comptes
Chaque année, le rapport de la Cour des comptes dresse un bilan de la gestion des organismes publics avec, en prime, une dizaine de dysfonctionnements pointés. Mauvaise gestion, gabegie, détournements des deniers publics… plusieurs responsables ont été épinglés par la juridiction financière. Mais, jusque-là, rares sont ceux qui ont été traduits devant la justice. Le gouvernement passera-t-il à l’acte en décidant d’instruire systématiquement les dossiers de la Cour des comptes ? La balle est désormais dans le camp de Mustapha Ramid, ministre de la Justice et des libertés. Grand défenseur de la moralisation de la vie publique, le tonitruant avocat du barreau de Casablanca est connu pour ses positions courageuses.
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