Bonjours, et pourquoi les ouvriers sont toujours mal aimé chez les autres...
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Lorrains, Alsaciens, ils travaillent par dizaines de milliers dans les pays frontaliers comme ouvriers et employés.
À leur tour, ces Français devenus "immigrés" subissent des discriminations. Car le racisme n’est pas tant lié à la culture ou à la religion qu’à la question sociale : il découle du pouvoir qu’ont les puissants d’alimenter une concurrence permanente entre ceux qui risqueraient sinon de se révolter.
De retour de Lorraine, Le Plan B en apporte la démonstration.
Le 24 juin 1992, un Jean-Marie Cavada extatique célébrait sur FR3 "L’adieu à la classe ouvrière" dans son émission La Marche du siècle.
- Adieu à la classe ouvrière ?
Dans le bassin d’emploi de Thionville, en Lorraine, les coassements emberlificotés de Cavada ont renforcé la conviction (déjà bien enracinée) que les médias mentent au service des patrons qui plastronnent : en 1999, la moitié des hommes actifs sont ouvriers et 60 % des femmes employées.
Du travail, beaucoup vont en chercher en Belgique, en Allemagne et, surtout, au Luxembourg. Car le "Lux", c’est à la fois le paradis du spéculateur et l’Eldorado du chômeur.
Un pays de 450 000 habitants, une fiscalité qui régale les banquiers et délecte les multinationales, une croissance dopée par un secteur financier tentaculaire, des salaires bien plus élevés qu’en France...
Asphyxiée par les fermetures d’usines, la Moselle en devient peu à peu la banlieue. Chaque matin, près de 60 000 Lorrains partent gagner leur vie au grand-duché. Travailleurs immigrés le jour, ils regagnent leur domicile le soir par les routes encombrées .
"On a fait venir les Arabes en France pour faire le sale boulot. Nous, on est pareils : les Luxembourgeois nous appellent "les Arabes".
On est les Arabes du Luxembourg.
En France, je ne trouvais pas de boulot. J’étais vendeuse de métier. J’ai fait toute la région, je ne trouvais pas ou alors du temps partiel : 19 heures par semaine. À l’époque j’avais 2 000 francs par mois. Après, j’ai eu la chance de trouver là-haut, au Luxembourg : ça multiplie par presque cinq." Gabrielle Baldini travaille dans le restaurant d’une station-service ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. L’un des plus gros débits d’Europe : la file des poids lourds assoiffés de gasoil s’étire parfois sur 500 mètres au bord de l’autoroute (lire p. 6 "Au bonheur des dames").
Gabrielle fait les postes : deux jours le matin, deux jours l’après-midi, deux jours de nuit - "d’où les poches sous les yeux" ; deux jours de repos et le cycle recommence. Dimanches et fêtes compris. Le rythme en 2-2-2 épuise. "Je commence à le sentir, admet-elle. La nuit, je ne dors pas ; le sommeil vient quand il faut se lever." Sans parler de la vie de couple. Le fiancé de Gabrielle fait lui aussi les postes. "Quand je quitte mon boulot à minuit, je rentre à 1 heure du matin, lui, il se lève à 4 h 30. La semaine dernière, je lui ai dit au revoir le mardi, je lui ai redit bonjour le vendredi."
- Libre échange d’ouvriers
"Pour les Luxembourgeois, nous, on est les Arabes. Les Arabes sont venus faire la mer** chez nous et nous, on vient faire la mer** chez les Luxos."
Mêmes mots, même parallèle : ce n’est plus Gabrielle Baldini mais Georges Jaeger, vigile dans une compagnie financière luxembourgeoise, qui parle. "J’assume la sécurité du bâtiment mais, ma sécurité à moi, elle est nulle. Je travaille tout seul, toujours tout seul." Un emploi que dédaignent les autochtones. "Ça ne paye pas assez pour eux. Leur train de vie, là-bas, est tellement élevé. Nous, on vit bien avec 12 000 francs par mois, mais eux, il leur en faut plus."
"Le Lorrain, d’où il vient ? Il descend du train."
Le proverbe du cru rappelle que des générations d’Italiens, de Polonais, d’Ukrainiens, de Portugais, de Maghrébins se sont succédées dans les mines et les usines lorraines. À leur arrivée, tous ont enduré le racisme de ceux qui les précédaient. Le combat social a permis aux premiers de se fondre dans le creuset ouvrier(1). Derniers arrivés et premiers frappés par la récession industrielle qui dure depuis trente ans, les ouvriers d’Afrique du Nord et leurs enfants subissent toujours la xénophobie.
Mais, qu’ils soient lorrains de longue date ou non, les travailleurs frontaliers sont considérés comme une main-d’oeuvre étrangère par les employeurs du grand-duché.
La suite...
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Lorrains, Alsaciens, ils travaillent par dizaines de milliers dans les pays frontaliers comme ouvriers et employés.
À leur tour, ces Français devenus "immigrés" subissent des discriminations. Car le racisme n’est pas tant lié à la culture ou à la religion qu’à la question sociale : il découle du pouvoir qu’ont les puissants d’alimenter une concurrence permanente entre ceux qui risqueraient sinon de se révolter.
De retour de Lorraine, Le Plan B en apporte la démonstration.
Le 24 juin 1992, un Jean-Marie Cavada extatique célébrait sur FR3 "L’adieu à la classe ouvrière" dans son émission La Marche du siècle.
- Adieu à la classe ouvrière ?
Dans le bassin d’emploi de Thionville, en Lorraine, les coassements emberlificotés de Cavada ont renforcé la conviction (déjà bien enracinée) que les médias mentent au service des patrons qui plastronnent : en 1999, la moitié des hommes actifs sont ouvriers et 60 % des femmes employées.
Du travail, beaucoup vont en chercher en Belgique, en Allemagne et, surtout, au Luxembourg. Car le "Lux", c’est à la fois le paradis du spéculateur et l’Eldorado du chômeur.
Un pays de 450 000 habitants, une fiscalité qui régale les banquiers et délecte les multinationales, une croissance dopée par un secteur financier tentaculaire, des salaires bien plus élevés qu’en France...
Asphyxiée par les fermetures d’usines, la Moselle en devient peu à peu la banlieue. Chaque matin, près de 60 000 Lorrains partent gagner leur vie au grand-duché. Travailleurs immigrés le jour, ils regagnent leur domicile le soir par les routes encombrées .
"On a fait venir les Arabes en France pour faire le sale boulot. Nous, on est pareils : les Luxembourgeois nous appellent "les Arabes".
On est les Arabes du Luxembourg.
En France, je ne trouvais pas de boulot. J’étais vendeuse de métier. J’ai fait toute la région, je ne trouvais pas ou alors du temps partiel : 19 heures par semaine. À l’époque j’avais 2 000 francs par mois. Après, j’ai eu la chance de trouver là-haut, au Luxembourg : ça multiplie par presque cinq." Gabrielle Baldini travaille dans le restaurant d’une station-service ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. L’un des plus gros débits d’Europe : la file des poids lourds assoiffés de gasoil s’étire parfois sur 500 mètres au bord de l’autoroute (lire p. 6 "Au bonheur des dames").
Gabrielle fait les postes : deux jours le matin, deux jours l’après-midi, deux jours de nuit - "d’où les poches sous les yeux" ; deux jours de repos et le cycle recommence. Dimanches et fêtes compris. Le rythme en 2-2-2 épuise. "Je commence à le sentir, admet-elle. La nuit, je ne dors pas ; le sommeil vient quand il faut se lever." Sans parler de la vie de couple. Le fiancé de Gabrielle fait lui aussi les postes. "Quand je quitte mon boulot à minuit, je rentre à 1 heure du matin, lui, il se lève à 4 h 30. La semaine dernière, je lui ai dit au revoir le mardi, je lui ai redit bonjour le vendredi."
- Libre échange d’ouvriers
"Pour les Luxembourgeois, nous, on est les Arabes. Les Arabes sont venus faire la mer** chez nous et nous, on vient faire la mer** chez les Luxos."
Mêmes mots, même parallèle : ce n’est plus Gabrielle Baldini mais Georges Jaeger, vigile dans une compagnie financière luxembourgeoise, qui parle. "J’assume la sécurité du bâtiment mais, ma sécurité à moi, elle est nulle. Je travaille tout seul, toujours tout seul." Un emploi que dédaignent les autochtones. "Ça ne paye pas assez pour eux. Leur train de vie, là-bas, est tellement élevé. Nous, on vit bien avec 12 000 francs par mois, mais eux, il leur en faut plus."
"Le Lorrain, d’où il vient ? Il descend du train."
Le proverbe du cru rappelle que des générations d’Italiens, de Polonais, d’Ukrainiens, de Portugais, de Maghrébins se sont succédées dans les mines et les usines lorraines. À leur arrivée, tous ont enduré le racisme de ceux qui les précédaient. Le combat social a permis aux premiers de se fondre dans le creuset ouvrier(1). Derniers arrivés et premiers frappés par la récession industrielle qui dure depuis trente ans, les ouvriers d’Afrique du Nord et leurs enfants subissent toujours la xénophobie.
Mais, qu’ils soient lorrains de longue date ou non, les travailleurs frontaliers sont considérés comme une main-d’oeuvre étrangère par les employeurs du grand-duché.
La suite...
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