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La 11e réincarnation de Leonard Cohen

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  • La 11e réincarnation de Leonard Cohen

    Chapeau noir, costume sombre, lunettes de soleil... le duo formé par Leonard Cohen et son manager, Robert Kory, a un petit air de Blues Brothers, quand il pénètre sous les ors du salon des Aigles, pour la conférence de presse organisée, le soir du 16 janvier, à l'Hôtel de Crillon, place de la Concorde à Paris.

    On n'apprécie guère, habituellement, ce genre d'exercice destiné à évacuer collectivement les obligations promotionnelles. Comment créer en présence d'une quarantaine de journalistes, venus de toute l'Europe, la complicité d'un entretien qu'on rêverait d'avoir en tête-à-tête avec le chanteur et poète canadien à l'occasion de la sortie d'Old Ideas, son douzième album, le premier enregistré en studio depuis sept ans ? Mais voilà : petit bonhomme aux rondeurs affables et au sourire carnassier, Robert Kory a décidé que son client, icône de la ballade intimiste, pouvait dorénavant s'éviter, à 77 ans, l'interminable marathon des interviews. Sans doute également parce qu'il sait que le charme de l'élégant gentleman produit toujours son effet.

    De fait, celui que ses détracteurs surnommaient ironiquement "Laughing Len" ("Leonard le marrant"), en référence à sa voix funèbre et à son incurable pessimisme, emballe son public en maniant avec classe autodérision et humour pince-sans-rire. "Je ne vous ferai pas face pendant la diffusion du disque, pour ne pas influencer vos réactions, qu'elles soient positives ou de rejet, déclare-t-il en prélude. De toute façon, je ne connais pas pire juge ou critique de mon oeuvre que moi."

    Un sourire malicieux toujours dessiné sur son visage d'homme à femmes devenu vénérable sage, Cohen répond en s'adaptant aux particularismes géographiques de chacun. A un journaliste portugais : "J'ai toujours aimé le fado, un des premiers disques que j'ai achetés était un album d'Amalia Rodrigues." A un confrère espagnol : "J'adore le flamenco. J'en joue sur ma guitare... quand personne n'écoute ! J'ai même eu l'honneur d'entendre certaines de mes chansons chantées en espagnol par le regretté Enrique Morente."




    Si Old Ideas creuse les sombres thématiques du répertoire "cohenien" (la vieillesse, la mort, l'impossible renoncement à l'amour physique...), le chanteur a toutes les raisons d'être d'humeur avenante : ce retour en studio lui vaut des louanges que n'avaient pas suscitées ses deux précédents albums. Et il fait suite à près de trois ans d'une tournée triomphale lancée comme une bouée de sauvetage à un artiste qui, il y a sept ans, connut une mésaventure dévastatrice. Est-ce à cela qu'il fait allusion quand, dans les salons du palace, il confie : "On a toujours à apprendre. On ne vient jamais à bout de sa propre bêtise et de son incompétence. Les occasions de s'humilier sont infinies" ?

    L'histoire commence en 2004, lorsque Leonard Cohen apprend que Kelley Lynch, sa manageuse de l'époque, chargée de ses affaires depuis dix-sept ans, l'a ruiné en détournant plusieurs millions de dollars qu'il avait mis de côté pour sa retraite. Fruit, entre autres, de la vente de son catalogue d'édition à Sony, cet argent avait été placé dans des fonds d'investissement dont les comptes étaient libres d'accès à cette femme de confiance.

    L'habitué des vertiges existentiels tombe alors dans un gouffre financier. "Du jour au lendemain, il ne pouvait même plus retirer d'argent avec sa carte de crédit", assure Robert Kory, en aparté, après la conférence de presse. Obligé d'hypothéquer sa maison pour payer les frais de procédures judiciaires, Leonard Cohen s'est tourné vers cet avocat, connu pour avoir permis à Mike Love, un des musiciens des Beach Boys, de récupérer ses droits sur les tubes du groupe. "Nous découvrions chaque jour l'ampleur de l'escroquerie, se souvient Kory. Cinq, puis 7, puis 10, puis 12 millions de dollars... Jusqu'au bout, Leonard a été d'un calme étonnant. Sa longue pratique du zen a été déterminante."

    Pour le meilleur et pour le pire, les cinq années d'isolement que le chanteur s'était accordées dans le monastère bouddhiste de Mount Baldy, une montagne de la Sierra Madre, ont aussi favorisé l'escroquerie de la manageuse. Il y conserve néanmoins ses habitudes, sous l'égide de son maître, Roshi, aujourd'hui âgé de 104 ans. "C'est un honneur pour moi d'être proche de lui, de le fréquenter, nous rappelle le chanteur. Son enseignement n'est pas religieux, il apprend à observer et analyser la nature des choses (...). Il s'agit d'une initiation à l'engagement, à vivre au sein d'une communauté, à être attentif à ses sentiments et à ceux des autres."

    En attendant la conclusion d'un long et chaotique chemin juridique pouvant éventuellement lui permettre de récupérer sa mise (Kory explique que, si Kelley Lynch est pour l'instant insolvable, il a récupéré plusieurs millions de dollars auprès des impôts, correspondant aux taxes que Cohen avait payées sur des sommes lui ayant été volées), le chanteur, poussé par son avocat-manageur, a choisi de se remettre au travail.

    Alors qu'il avait quasiment abandonné la scène, il a dû repartir en tournée pour des raisons d'abord financières. Mais le succès et le plaisir ont dépassé ses espérances et, au lieu des quelques dizaines de spectacles prévus, il donnera finalement, en trois ans, près de 250 concerts.

    L'occasion de mesurer la fidélité de son public. De constater aussi que, sur le tard, un de ses vieux titres, Hallelujah, paru sans succès en 1984, s'était élevé au rang de classique par la grâce de multiples reprises (celle de Jeff Buckley étant la plus célèbre des près de 200 versions existantes).

    Pour ce retour sur scène, Robert Kory a tendu un cordon sanitaire autour de l'artiste. "Pour être tout à fait serein et concentré, pour qu'il soit à l'aise avec sa voix, il fallait lui éviter toute dissipation extérieure", explique le manager, qui priva les journalistes d'interview et refusa mêmes les rencontres avec de célèbres admirateurs. "J'ai dû dire non à Shimon Pérès et à Joni Mitchell (idole folk et ex du Canadien), rigole Kory, Bono s'est cassé cinq fois les dents."

    La dynamique positive de ces concerts a engendré la naissance d'Old Ideas. Cohen imagine repartir bientôt sur la route et dit travailler sur un nouvel album. La mort, n'en doutons pas, sera encore son compagnon de route. Et après ? "Le concept de réincarnation est pour moi difficile à appréhender. Mais, si je dois vraiment revenir sur terre, alors que ce soit dans la peau du chien de Lorca, ma fille !"

    le monde


    Dernière modification par nacer-eddine06, 30 janvier 2012, 22h17.
    The truth is incontrovertible, malice may attack it, ignorance may deride it, but in the end; there it is.” Winston Churchill
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