JUSTICE: BIENVENUE CHEZ RAMID
LA CORPORATION INVITÉE À S’AUTO-ASSAINIR
INDÉPENDANCE: UN CHANTIER PRIORITAIRE
DÉLITS DE PRESSE, CENSURE: ATTENTION AUX MARGES D’INTERPRÉTATION!
La rencontre avant-hier avec le Pjdiste Mustapha Ramid s’est déroulée dans son fief à Casablanca. Une villa low-cost qu’il conserve dans un quartier populaire d’Aïn Chock. Pas l’ombre d’un mokhazni à l’horizon. Visiblement, les traditions ministérielles changent, et le PJD tient à réitérer ses engagements de sobriété dans le train de vie du gouvernement. «Une maison que j’ai construite en 1998. La deuxième villa est la propriété du parti. Elle est en mon nom aussi, mais c’est uniquement une question de procédure», précise, comme pour lever toute équivoque, l’avocat qui a franchi l’autre côté de la barre et du barreau en devenant le premier ministre de la Justice et des libertés sous la nouvelle Constitution. Ramid nous accueille en gandoura marron sur laquelle il a enfilé une veste noire.
Il faudra intégrer les nouvelles habitudes vestimentaires aussi. Avec un peu d’auto-persuasion, l’explication est acceptable: après tout, c’est le soir. Il fait un peu froid tout de même. Votre serviteur prend donc la sage décision de garder sa parka, mais est obligé, pour faire comme notre hôte, de se délester d’une paire de chaussures, qui sera entre-temps victime d’une dérive des continents, avant de fouler le tapis du salon. Des confrères, et plus difficilement des consœurs, en feront de même, étouffant ici et là quelques commentaires amusés. Le vif du sujet maintenant. Pour dissiper d’éventuels malentendus, Ramid a pris l’initiative de mieux communiquer avec la presse. Il s’attend à des résistances. Autant mettre les journalistes de son côté. Beaucoup viendront plus par curiosité que par rapport à un programme aux lignes diffuses pour l’heure. L’arrivée de ce personnage à l’un des départements les plus sensibles symbolise à elle seule la nouvelle page du printemps démocratique marocain.
En tant qu’avocat, Ramid a eu à gérer des dossiers difficiles qui lui ont valu une réputation à la Jacques Vergès dans sa vie antérieure. La reconversion est subie. «Si vous pensez que je voulais devenir ministre, vous vous plantez», lance-t-il sur le ton de la plaisanterie. La discussion est franche même s’il est difficile de suivre lorsque, par moment, le ministre fait des déclarations sous le sceau de la confidence. Du «Off», non en tête à tête avec un journaliste, mais plutôt avec au moins une bonne vingtaine, tous des stylos à la main. Foi de journaliste, l’on respectera le deal tout de même.
Rien de bien scandaleux ne sera révélé sur les affaires en cours. Ni sur le bilan de son prédécesseur. «Tout ce que je peux vous dire c’est que j’ai beaucoup de travail».
L’actu en guise de mise en bouche. L’affaire des grâces royales est incontournable. Des stars de la salafia jihadia ont été relâchées comme Abou Hafs, Kettani, Haddouchi. «Oui, j’y suis pour quelque chose. Ce sont des dossiers que je connais bien. Certains ne méritaient pas de rester en prison», lâche-t-il. Il se garde néanmoins de préciser expressément s’ils étaient détenus abusivement ou pas. Il y a au passage ces accusations de torture portées par Haddouchi, à sa sortie de prison, contre la DST. «Je souhaite qu’il ne porte pas plainte car cela ne ferait que rallonger les procédures. Maintenant, s’il le fait, je m’engage à ouvrir une enquête». Premières hésitations sur les libertés? Ramid se reprend et assure que la DST ne sera pas un électron libre dans le monde judiciaire. «Je ne m’immiscerais pas dans leur dispositif de veille territoriale, sauf lorsqu’il sera confronté au principe du respect des libertés des personnes. De toutes les manières, s’il y a des dépassements sur ce volet, je suis prêt à démissionner». Les grâces, ce sont aussi celles de Khalid Oudghiri, ex-patron d’Attijariwafa bank et du kikboxer, Zakaria Moumni. «Là, je n’y suis pour rien. Leur grâce n’est pas à mon initiative. Ne m’en demandez pas davantage».
Le cas du journaliste Rachid Niny est un peu plus compliqué car «le préjudice concerne les institutions. Le Roi m’a assuré qu’il aurait pu intervenir s’il était directement concerné».
Ramid tient d’ores et déjà à circonscrire son territoire. Il regrette par exemple de ne pas contrôler la gestion des pénitenciers, «domaine qui interfère pourtant avec notre sphère». Il promet donc de combler cette lacune «en se donnant le temps nécessaire, vu les nombreuses priorités».
Sa nouvelle mission à la tête du peuple des gens de robes ne sera pas facile. Ramid le sait. Il assure avoir demandé à la profession de procéder à un auto-nettoyage pour commencer et jure qu’il sera intraitable, «qu’il sévira car cela suffit avec toutes ces brebis galeuses qui ternissent le métier». Les avocats seront particulièrement surveillés sur les affaires de prénotations immobilières, un véritable lit à arnaques. Les juges aussi comme en témoigne le cas du magistrat interpellé dans une affaire de corruption à Tanger. De la poudre aux yeux ? «Je vous promets encore une fois que je resterais inflexible». De toutes les manières, il a la caution royale. «Le Souverain m’a donné carte blanche pour garantir l’indépendance de la justice, y compris lorsque les conflits impliquent le cabinet royal!».
La discussion s’égrène, interrompue de temps à autre par l’arrivée de quelques confrères retardataires.
Ramid impressionne lorsqu’il réitère ses engagements de concertation, avec le démarrage, comme l’avait fait Radi, d’un round de négociations sectorielles. De fermeté, comme pour Taza «où la justice doit être aux côtés de l’Etat pour restaurer l’ordre et l’autorité» même s’il affirme rester «sensible aux déficits sociaux réels dans cette ville».
Il fait trembler lorsqu’il affirme vouloir «garder un œil sur les délits de presse s’ils ont des conséquences auprès de l’opinion publique» et ne nous rassure guère lorsqu’il précise que «les journalistes seront interpellés dans la dignité tout de même». Où commence et où s’arrête en effet la marge d’interprétation.?
Il fait douter lorsqu’il cautionne ce qui semble être pour certains une interdiction hâtive, pour d’autres une censure idiote (voir aussi encadré).
Ramid nourrit, c’est certain, les ambitions entières d’un pays qui rêve d’une réforme, longtemps souhaitée, de la justice. Y arrivera-til? Inchaâllah.
Censure
Sur l’affaire des journaux censurés dernièrement, dossier qui a fait du gouvernement Benkirane le premier à avoir bloqué quatre publications en un temps record d’un mois, la polémique ne risque pas de faiblir. Ramid et son collègue de la Commmunication, Mustapha El Khalfi, ont bien tenté de justifier ces décisions. Pas sûr qu’ils y arrivent. Une publication a été interdite «car elle présentait des risques de moralité, en particulier auprès des jeunes (lesquels pourront toujours se rattraper sur internet!).
D’autres comme la revue Pèlerin n’ont pas été autorisées car elles contenaient des «images offensantes à l’islam» (ndlr: il s’agit de reproductions de manuscrits iraniens du XV
Ie siècle et de miniatures turques du XVII
Ie siècle notamment). «Nous l’avons fait pour prévenir d’éventuelles réactions de la population». Oui, mais la population est-elle immature à ce point?
Mohamed BENABID
L’Économiste
LA CORPORATION INVITÉE À S’AUTO-ASSAINIR
INDÉPENDANCE: UN CHANTIER PRIORITAIRE
DÉLITS DE PRESSE, CENSURE: ATTENTION AUX MARGES D’INTERPRÉTATION!
La rencontre avant-hier avec le Pjdiste Mustapha Ramid s’est déroulée dans son fief à Casablanca. Une villa low-cost qu’il conserve dans un quartier populaire d’Aïn Chock. Pas l’ombre d’un mokhazni à l’horizon. Visiblement, les traditions ministérielles changent, et le PJD tient à réitérer ses engagements de sobriété dans le train de vie du gouvernement. «Une maison que j’ai construite en 1998. La deuxième villa est la propriété du parti. Elle est en mon nom aussi, mais c’est uniquement une question de procédure», précise, comme pour lever toute équivoque, l’avocat qui a franchi l’autre côté de la barre et du barreau en devenant le premier ministre de la Justice et des libertés sous la nouvelle Constitution. Ramid nous accueille en gandoura marron sur laquelle il a enfilé une veste noire.
Il faudra intégrer les nouvelles habitudes vestimentaires aussi. Avec un peu d’auto-persuasion, l’explication est acceptable: après tout, c’est le soir. Il fait un peu froid tout de même. Votre serviteur prend donc la sage décision de garder sa parka, mais est obligé, pour faire comme notre hôte, de se délester d’une paire de chaussures, qui sera entre-temps victime d’une dérive des continents, avant de fouler le tapis du salon. Des confrères, et plus difficilement des consœurs, en feront de même, étouffant ici et là quelques commentaires amusés. Le vif du sujet maintenant. Pour dissiper d’éventuels malentendus, Ramid a pris l’initiative de mieux communiquer avec la presse. Il s’attend à des résistances. Autant mettre les journalistes de son côté. Beaucoup viendront plus par curiosité que par rapport à un programme aux lignes diffuses pour l’heure. L’arrivée de ce personnage à l’un des départements les plus sensibles symbolise à elle seule la nouvelle page du printemps démocratique marocain.
En tant qu’avocat, Ramid a eu à gérer des dossiers difficiles qui lui ont valu une réputation à la Jacques Vergès dans sa vie antérieure. La reconversion est subie. «Si vous pensez que je voulais devenir ministre, vous vous plantez», lance-t-il sur le ton de la plaisanterie. La discussion est franche même s’il est difficile de suivre lorsque, par moment, le ministre fait des déclarations sous le sceau de la confidence. Du «Off», non en tête à tête avec un journaliste, mais plutôt avec au moins une bonne vingtaine, tous des stylos à la main. Foi de journaliste, l’on respectera le deal tout de même.
Rien de bien scandaleux ne sera révélé sur les affaires en cours. Ni sur le bilan de son prédécesseur. «Tout ce que je peux vous dire c’est que j’ai beaucoup de travail».
L’actu en guise de mise en bouche. L’affaire des grâces royales est incontournable. Des stars de la salafia jihadia ont été relâchées comme Abou Hafs, Kettani, Haddouchi. «Oui, j’y suis pour quelque chose. Ce sont des dossiers que je connais bien. Certains ne méritaient pas de rester en prison», lâche-t-il. Il se garde néanmoins de préciser expressément s’ils étaient détenus abusivement ou pas. Il y a au passage ces accusations de torture portées par Haddouchi, à sa sortie de prison, contre la DST. «Je souhaite qu’il ne porte pas plainte car cela ne ferait que rallonger les procédures. Maintenant, s’il le fait, je m’engage à ouvrir une enquête». Premières hésitations sur les libertés? Ramid se reprend et assure que la DST ne sera pas un électron libre dans le monde judiciaire. «Je ne m’immiscerais pas dans leur dispositif de veille territoriale, sauf lorsqu’il sera confronté au principe du respect des libertés des personnes. De toutes les manières, s’il y a des dépassements sur ce volet, je suis prêt à démissionner». Les grâces, ce sont aussi celles de Khalid Oudghiri, ex-patron d’Attijariwafa bank et du kikboxer, Zakaria Moumni. «Là, je n’y suis pour rien. Leur grâce n’est pas à mon initiative. Ne m’en demandez pas davantage».
Le cas du journaliste Rachid Niny est un peu plus compliqué car «le préjudice concerne les institutions. Le Roi m’a assuré qu’il aurait pu intervenir s’il était directement concerné».
Ramid tient d’ores et déjà à circonscrire son territoire. Il regrette par exemple de ne pas contrôler la gestion des pénitenciers, «domaine qui interfère pourtant avec notre sphère». Il promet donc de combler cette lacune «en se donnant le temps nécessaire, vu les nombreuses priorités».
Sa nouvelle mission à la tête du peuple des gens de robes ne sera pas facile. Ramid le sait. Il assure avoir demandé à la profession de procéder à un auto-nettoyage pour commencer et jure qu’il sera intraitable, «qu’il sévira car cela suffit avec toutes ces brebis galeuses qui ternissent le métier». Les avocats seront particulièrement surveillés sur les affaires de prénotations immobilières, un véritable lit à arnaques. Les juges aussi comme en témoigne le cas du magistrat interpellé dans une affaire de corruption à Tanger. De la poudre aux yeux ? «Je vous promets encore une fois que je resterais inflexible». De toutes les manières, il a la caution royale. «Le Souverain m’a donné carte blanche pour garantir l’indépendance de la justice, y compris lorsque les conflits impliquent le cabinet royal!».
La discussion s’égrène, interrompue de temps à autre par l’arrivée de quelques confrères retardataires.
Ramid impressionne lorsqu’il réitère ses engagements de concertation, avec le démarrage, comme l’avait fait Radi, d’un round de négociations sectorielles. De fermeté, comme pour Taza «où la justice doit être aux côtés de l’Etat pour restaurer l’ordre et l’autorité» même s’il affirme rester «sensible aux déficits sociaux réels dans cette ville».
Il fait trembler lorsqu’il affirme vouloir «garder un œil sur les délits de presse s’ils ont des conséquences auprès de l’opinion publique» et ne nous rassure guère lorsqu’il précise que «les journalistes seront interpellés dans la dignité tout de même». Où commence et où s’arrête en effet la marge d’interprétation.?
Il fait douter lorsqu’il cautionne ce qui semble être pour certains une interdiction hâtive, pour d’autres une censure idiote (voir aussi encadré).
Ramid nourrit, c’est certain, les ambitions entières d’un pays qui rêve d’une réforme, longtemps souhaitée, de la justice. Y arrivera-til? Inchaâllah.
Censure
Sur l’affaire des journaux censurés dernièrement, dossier qui a fait du gouvernement Benkirane le premier à avoir bloqué quatre publications en un temps record d’un mois, la polémique ne risque pas de faiblir. Ramid et son collègue de la Commmunication, Mustapha El Khalfi, ont bien tenté de justifier ces décisions. Pas sûr qu’ils y arrivent. Une publication a été interdite «car elle présentait des risques de moralité, en particulier auprès des jeunes (lesquels pourront toujours se rattraper sur internet!).
D’autres comme la revue Pèlerin n’ont pas été autorisées car elles contenaient des «images offensantes à l’islam» (ndlr: il s’agit de reproductions de manuscrits iraniens du XV
Ie siècle et de miniatures turques du XVII
Ie siècle notamment). «Nous l’avons fait pour prévenir d’éventuelles réactions de la population». Oui, mais la population est-elle immature à ce point?
Mohamed BENABID
L’Économiste
Commentaire