Algeria-Watch, 31 mai 2006
Selon des témoins, l'armée algérienne aurait utilisé des gaz toxiques lors de l'assaut final de la grotte de Seddat, le 9 mai 2006.
L'Algérie est entrée de plain-pied dans la stratégie sécuritaire des États-Unis pour la région du Sahel et la région méditerranéenne. Considérée après les attentats du 11 septembre comme « partenaire clef » dans le cadre de la « guerre globale contre le terrorisme », elle aurait convaincu les Occidentaux par les « succès » de son armée dans son combat contre le terrorisme. Quand on sait que l'armée algérienne n'a pas su – ou plutôt n'a pas voulu – traquer les égorgeurs qui avaient commis les terribles massacres de 1997 et 1998 aux portes d'Alger, dans la zone militaire la plus dense du pays, une telle appréciation ne peut que surprendre. À moins que le rôle attribué à l'Algérie dans les projets hégémoniques américains n'explique cette attitude indulgente face aux abominables crimes commis par l'institution militaire algérienne au nom de la lutte contre le terrorisme, comme le laisse entendre ingénument le quotidien L'Expression : « Pour Washington, […] il y a le fait de surveiller, contrôler, de jour comme de nuit, et, au besoin, intercepter et mettre hors d'état de nuire, tout danger qui peut toucher les États-Unis ou ses intérêts, et qui viendrait de la Méditerranée ou de la bande du Sahel. Or, pour les deux missions, l'Algérie semble aujourd'hui jouir de la totale confiance américaine (1). »
La manipulation du terrorisme au service d'une alliance stratégique du pouvoir algérien avec les États-Unis
Il est vrai qu'en matière de respect des droits humains, les États-Unis n'ont pas de leçons à donner. Et c'est ainsi que les intérêts des deux pays se recoupent à plus d'un titre. L'Algérie participe régulièrement aux manœuvres militaires organisées par les États-Unis, des officiers algériens y sont régulièrement envoyés en formation, les deux pays échangent d'importantes délégations de responsables militaires et il est toujours question – bien que cela soit démenti par les autorités des deux États – de la présence d'une base au Sud de l'Algérie où seraient stationnés plusieurs centaines de militaires américains. Du côté algérien, on est persuadé que « l'Algérie, qui a fait face seule à plus d'une décennie de violences terroristes, a maintenant accumulé une expérience avérée importante, expérience qui peut profiter et profite à plusieurs pays, dont les États-Unis (2) ».
Mais si l'armée algérienne collectionne les bons points pour sa lutte contre le terrorisme, elle se doit sans cesse de le prouver. Malgré toutes les offensives militaires des dernières années, malgré la loi sur la « concorde civile » de 1999, malgré la « charte sur la paix et la réconciliation nationale » de 2005, le nombre des hommes en armes dans les maquis ne semble pas décroître. Depuis des années, il est question de « quelques centaines de terroristes » encore actifs. Les « dernières poches » semblent inexorablement se réalimenter en groupes armés. Pourtant, au plus fort des massacres de civils durant les années 1997-1998, les responsables algériens parlaient déjà des « derniers soubresauts » ou du « dernier quart d'heure » du terrorisme et de l'anéantissement des GIA à qui étaient attribuées ces tueries. Rappelons-nous qu'à cette période le commandement militaire menait une guerre impitoyable contre le clan présidentiel. Et soudain, une fois que le président Zeroual eut annoncé son intention de démissionner, les GIA ne firent pratiquement plus parler d'eux.
Apparut alors, au moment où l'Algérie devait s'associer à la stratégie globale des États-Unis, le GSPC. C'est avant tout la prise d'otage des touristes européens début 2003 qui permit à ce groupe créé en 1998 d'obtenir une stature internationale. De manière surprenante, une organisation locale kabyle évolua dans un Sahara réputé hostile pour ceux qui n'y sont pas chez eux. Rapidement, des liens entre ce GSPC et la nébuleuse Al-Qaida furent considérés comme établis et, pour couronner le tout, des réseaux qui auraient été liés au GSPC furent régulièrement démantelés en Europe (pour ne citer que quelques exemples : affaire des attentats projetés à Strasbourg en 2000, affaire des dites « filières tchétchènes » en 2001 et 2002, « affaire de la ricine » en Grande-Bretagne en 2002 (3) et affaire du réseau accusé d'avoir préparé des attentats à Orly, dans le métro de Paris et contre le siège de la DST en 2005). Mais curieusement, à chaque fois que ces affaires de terrorisme lié au GSPC furent examinées de plus près, est apparue la manipulation d'agents du DRS, les services secrets algériens – comme cela avait été le cas à propos des attentats du GIA en France en 1995.
Quant aux affaires de terrorisme en Algérie, les manipulations des services secrets algériens ne se comptent plus, et d'innombrables témoignages ont pu être rassemblés attestant du contrôle par des agents du DRS de nombreux groupes du GIA, surtout à partir de la fin de l'année 1994 (et de l'implication de ces groupes, à l'instigation des chefs du DRS, notamment ceux du CTRI de Blida, dans des massacres, en particulier ceux de 1997-1998) (4). Pour de nombreux observateurs, l'infiltration et la manipulation du GSPC par le DRS est également chose entendue (5).
Cela ne signifie pas que des hommes en armes autonomes n'activent plus dans des maquis, mais leur force de frappe est certainement bien loin de ce que veut nous faire croire la propagande officielle. Et surtout, comment croire la fable parfaitement invraisemblable distillée depuis des années par les « correspondants » du DRS dans la presse algérienne, selon laquelle des forces de sécurité comportant des centaines de milliers d'hommes seraient incapables de venir à bout de quelques dizaines (ou centaines ?) de « maquisards » en perdition (aux motifs qu'ils activent dans des « forêts impénétrables » – que l'armée algérienne sait pourtant détruire au napalm quand elle le juge nécessaire – ou dans des « zones sahariennes » mal contrôlées – alors qu'elles sont très faciles à surveiller par voie aérienne).
Car ce qui est certain, en revanche, c'est qu'un « résidu de terrorisme » est très utile au pouvoir algérien pour s'attirer les bonnes grâces de l'Occident afin de se voir conforté, au nom de la lutte antiterroriste, dans son rôle de gendarme régional, intégré à la stratégie militaire états-unienne (et européenne) dans le Sahara et en Méditerranée, visant à enrayer les flux migratoires venant du Sud et à contrôler ces régions riches en hydrocarbures et susceptibles de connaître d'importants mouvements de contestation dans l'avenir. Et le terrorisme « résiduel » est également bien utile pour justifier l'état d'urgence et les lois liberticides : celles-ci permettent de criminaliser la contestation syndicale et les émeutes à répétition qui touchent le pays depuis plusieurs années, alors que les milliards de pétrodollars sont dilapidés dans des projets d'éléphants blancs et, surtout, détournés par les circuits de corruption contrôlés, à leur profit
A SUIVRE
Selon des témoins, l'armée algérienne aurait utilisé des gaz toxiques lors de l'assaut final de la grotte de Seddat, le 9 mai 2006.
L'Algérie est entrée de plain-pied dans la stratégie sécuritaire des États-Unis pour la région du Sahel et la région méditerranéenne. Considérée après les attentats du 11 septembre comme « partenaire clef » dans le cadre de la « guerre globale contre le terrorisme », elle aurait convaincu les Occidentaux par les « succès » de son armée dans son combat contre le terrorisme. Quand on sait que l'armée algérienne n'a pas su – ou plutôt n'a pas voulu – traquer les égorgeurs qui avaient commis les terribles massacres de 1997 et 1998 aux portes d'Alger, dans la zone militaire la plus dense du pays, une telle appréciation ne peut que surprendre. À moins que le rôle attribué à l'Algérie dans les projets hégémoniques américains n'explique cette attitude indulgente face aux abominables crimes commis par l'institution militaire algérienne au nom de la lutte contre le terrorisme, comme le laisse entendre ingénument le quotidien L'Expression : « Pour Washington, […] il y a le fait de surveiller, contrôler, de jour comme de nuit, et, au besoin, intercepter et mettre hors d'état de nuire, tout danger qui peut toucher les États-Unis ou ses intérêts, et qui viendrait de la Méditerranée ou de la bande du Sahel. Or, pour les deux missions, l'Algérie semble aujourd'hui jouir de la totale confiance américaine (1). »
La manipulation du terrorisme au service d'une alliance stratégique du pouvoir algérien avec les États-Unis
Il est vrai qu'en matière de respect des droits humains, les États-Unis n'ont pas de leçons à donner. Et c'est ainsi que les intérêts des deux pays se recoupent à plus d'un titre. L'Algérie participe régulièrement aux manœuvres militaires organisées par les États-Unis, des officiers algériens y sont régulièrement envoyés en formation, les deux pays échangent d'importantes délégations de responsables militaires et il est toujours question – bien que cela soit démenti par les autorités des deux États – de la présence d'une base au Sud de l'Algérie où seraient stationnés plusieurs centaines de militaires américains. Du côté algérien, on est persuadé que « l'Algérie, qui a fait face seule à plus d'une décennie de violences terroristes, a maintenant accumulé une expérience avérée importante, expérience qui peut profiter et profite à plusieurs pays, dont les États-Unis (2) ».
Mais si l'armée algérienne collectionne les bons points pour sa lutte contre le terrorisme, elle se doit sans cesse de le prouver. Malgré toutes les offensives militaires des dernières années, malgré la loi sur la « concorde civile » de 1999, malgré la « charte sur la paix et la réconciliation nationale » de 2005, le nombre des hommes en armes dans les maquis ne semble pas décroître. Depuis des années, il est question de « quelques centaines de terroristes » encore actifs. Les « dernières poches » semblent inexorablement se réalimenter en groupes armés. Pourtant, au plus fort des massacres de civils durant les années 1997-1998, les responsables algériens parlaient déjà des « derniers soubresauts » ou du « dernier quart d'heure » du terrorisme et de l'anéantissement des GIA à qui étaient attribuées ces tueries. Rappelons-nous qu'à cette période le commandement militaire menait une guerre impitoyable contre le clan présidentiel. Et soudain, une fois que le président Zeroual eut annoncé son intention de démissionner, les GIA ne firent pratiquement plus parler d'eux.
Apparut alors, au moment où l'Algérie devait s'associer à la stratégie globale des États-Unis, le GSPC. C'est avant tout la prise d'otage des touristes européens début 2003 qui permit à ce groupe créé en 1998 d'obtenir une stature internationale. De manière surprenante, une organisation locale kabyle évolua dans un Sahara réputé hostile pour ceux qui n'y sont pas chez eux. Rapidement, des liens entre ce GSPC et la nébuleuse Al-Qaida furent considérés comme établis et, pour couronner le tout, des réseaux qui auraient été liés au GSPC furent régulièrement démantelés en Europe (pour ne citer que quelques exemples : affaire des attentats projetés à Strasbourg en 2000, affaire des dites « filières tchétchènes » en 2001 et 2002, « affaire de la ricine » en Grande-Bretagne en 2002 (3) et affaire du réseau accusé d'avoir préparé des attentats à Orly, dans le métro de Paris et contre le siège de la DST en 2005). Mais curieusement, à chaque fois que ces affaires de terrorisme lié au GSPC furent examinées de plus près, est apparue la manipulation d'agents du DRS, les services secrets algériens – comme cela avait été le cas à propos des attentats du GIA en France en 1995.
Quant aux affaires de terrorisme en Algérie, les manipulations des services secrets algériens ne se comptent plus, et d'innombrables témoignages ont pu être rassemblés attestant du contrôle par des agents du DRS de nombreux groupes du GIA, surtout à partir de la fin de l'année 1994 (et de l'implication de ces groupes, à l'instigation des chefs du DRS, notamment ceux du CTRI de Blida, dans des massacres, en particulier ceux de 1997-1998) (4). Pour de nombreux observateurs, l'infiltration et la manipulation du GSPC par le DRS est également chose entendue (5).
Cela ne signifie pas que des hommes en armes autonomes n'activent plus dans des maquis, mais leur force de frappe est certainement bien loin de ce que veut nous faire croire la propagande officielle. Et surtout, comment croire la fable parfaitement invraisemblable distillée depuis des années par les « correspondants » du DRS dans la presse algérienne, selon laquelle des forces de sécurité comportant des centaines de milliers d'hommes seraient incapables de venir à bout de quelques dizaines (ou centaines ?) de « maquisards » en perdition (aux motifs qu'ils activent dans des « forêts impénétrables » – que l'armée algérienne sait pourtant détruire au napalm quand elle le juge nécessaire – ou dans des « zones sahariennes » mal contrôlées – alors qu'elles sont très faciles à surveiller par voie aérienne).
Car ce qui est certain, en revanche, c'est qu'un « résidu de terrorisme » est très utile au pouvoir algérien pour s'attirer les bonnes grâces de l'Occident afin de se voir conforté, au nom de la lutte antiterroriste, dans son rôle de gendarme régional, intégré à la stratégie militaire états-unienne (et européenne) dans le Sahara et en Méditerranée, visant à enrayer les flux migratoires venant du Sud et à contrôler ces régions riches en hydrocarbures et susceptibles de connaître d'importants mouvements de contestation dans l'avenir. Et le terrorisme « résiduel » est également bien utile pour justifier l'état d'urgence et les lois liberticides : celles-ci permettent de criminaliser la contestation syndicale et les émeutes à répétition qui touchent le pays depuis plusieurs années, alors que les milliards de pétrodollars sont dilapidés dans des projets d'éléphants blancs et, surtout, détournés par les circuits de corruption contrôlés, à leur profit
A SUIVRE
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