UNE EXEGESE MINISTERIELLE TROP SPECIFIQUE !
par M. Saadoune
Outre le fait de maîtriser la très commode langue de bois qui consiste à parler sans rien exprimer de précis, être ministre en Algérie semble apporter le don de lire des choses de manière différente, pour ne pas dire totalement opposée, de celle du commun des mortels.
Il en est ainsi de notre ministre de l'Industrie et de la PME, Mohamed Benmeradi, qui a livré une exégèse très spécifique des propos du P-DG de Renault à Tanger. Selon lui, et contrairement à de nombreux Algériens qui ne cachent pas leur indignation sur la Toile, les propos de Carlos Ghosn seraient positifs. «Le P-DG de Renault a dit que si l'Algérie est intéressée par une usine, Renault est la plus intéressée et c'est positif. Les discussions continuent».
A moins de disposer d'informations précises qu'il garde par-devers lui, cette interprétation est pour le moins insolite. Le ministre, selon ses propos rapportés par l'agence APS, ne relève même pas la phrase comminatoire de Carlos Ghosn affirmant : «Pas question de laisser qui que ce soit construire en Algérie une usine !».
Que ce soit un lapsus, une erreur de formulation ou plus sérieusement une mise en garde adressée aux Algériens ou à Volkswagen, il ne revenait pas à M. Benmeradi de se faire le correcteur du dirigeant de Renault. Est-ce son rôle ? Et s'il a choisi pour des raisons politiques ou diplomatiques de ne pas faire de vagues, on se serait attendu à ce qu'il demande au P-DG de Renault de rectifier, de lui-même et de manière publique, des propos qui, M. Benmeradi ne s'en rend pas compte du haut de son ministère, ont fortement déplu à de nombreux Algériens. Cet aspect polémique des propos du P-DG de Renault n'est pas relevé par le ministre en charge des négociations avec la partie française mais aussi allemande et n'aurait pas dû passer comme une lettre à la poste.
Apparemment, M. Benmeradi n'a pas accès, comme de nombreux Algériens, aux dépêches de l'agence Reuters : il a choisi de ne lire que celle, très lissée, de l'AFP. Le reste de l'exégèse ne pouvait pas être plus lénifiant. A tort ou à raison, M. Benmeradi donne la fâcheuse impression, non pas d'œuvrer à favoriser la création d'une industrie automobile en Algérie, mais de chercher à obtenir «à tout prix» un arrangement avec Renault ! Et quand on manifeste une telle disposition d'esprit, on ne se trouve plus en position de négociation, on se place en tant que solliciteur. Du coup, cela éclaire parfaitement les propos hautains et distanciés du P-DG de Renault, qui concède qu'il négocie avec l'Algérie mais qui souligne, contrairement à Benmeradi, que rien n'a été conclu. Dans le meilleur des cas, cela signifie que le P-DG de Renault fait monter les enchères et exige davantage de ses interlocuteurs algériens.
Mais le sentiment général est que Renault n'a aucune volonté de venir en Algérie et ne fait que gagner du temps. D'un point de vue économique, avec le lancement de son centre de production de grande capacité à Tanger, Renault n'a aucune raison objective d'installer une autre usine en Algérie. Et le constructeur ne souhaite pas, très naturellement, l'installation d'un projet concurrent qui viendrait piétiner les plates-bandes d'un marché captif.
Le vrai problème est que nos responsables procèdent à de curieux décryptages et ne lisent pas comme le commun des mortels d'Algérie le message envoyé par Carlos Ghosn. Cela s'appelle très clairement la politique de l'autruche. On aimerait bien se tromper et que M. Benmeradi nous explique, de manière plus intelligible et non pas savamment ministérielle, en quoi les déclarations de M. Ghosn sont «positives» !
par M. Saadoune
Le Quotidien d'Oran
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